Tumgik
etquandgronde-blog · 7 years
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2. C'est Théo qui m'a réveillée. J'aurais pas voulu dormir, parce que je savais que j'allais mal le faire. N'empêche que j'ai dormi quand même. Et Théo hurlait dans le salon. Je me suis levée et je lui ai dis de fermer sa gueule. Il m'a répliqué que j'avais dit un gros mot, et qu'il le dira à papa. On s'est regardé ensuite, sans rien ajouter. On lisait dans les yeux l'un de l'autre. Souvent, je ne voyais rien dans ses yeux, mais là, je voyais une putain de détresse. Mon portable a sonné, je ne voulais pas répondre parce que je ne connaissais pas le numéro. Au bout du fil : - Madame Combesse ? - Combes, c-o-m-b-e-s, y'a un S mais il se prononce pas, que je lui répond. - Ha, excusez-moi. Dans ma tête, je chantonne légèrement pour que mon esprit ne s'égare pas et reste fixé sur la voix à l'autre bout de la ligne. - J'appelle au sujet des derniers papiers pour - Oui, quoi ? - Auriez-vous un proche qui pourrait vous accompagner jusqu'à nos locaux ? - Non. - Ha. Peut-on se fixer rendez-vous, chez vous ou bien
- Non. Un petit silence gêné passe et ça me fait un peu rire à l’intérieur. - Mais c'est qu'il nous faut la signature pour la crémation, et - Ouais, ouais, je sais. A quelle heure je peux venir ? - J'ai un créneau à 16h. - 17h. - 16h30. - Ok. Et je raccroche. Elle me tapait sur le système. Théo me regardait toujours. J'aurais bien voulu lui expliquer, qu'il me dise quoi faire. Mais un petit garçon de 7 ans, ça connaît pas ces choses là, alors j'ai ébouriffé ses cheveux en souriant de mon mieux.
Quand Eli s'est levé, on regardait des dessins animés débiles sur la télé, en mangeant son beurre de cacahuète à la cuillère. Théo se marrait et ça, c'était important. Eli s'est moqué de moi quand il a vu ce que l'on regardait, et puis il m'a embrassé sur la joue. Je lui en veux pas, j'ai même souris un peu aussi. Il est allé se faire un café et je l'ai suivi dans la cuisine. Je lui ai demandé pour la morgue, il a dit « ok » et je l'ai respiré dans le cou. Il sent bon. Et je retourne me lover contre mon petit frère. - T'as pas cours, aujourd'hui, Bichon ? - Nan, on est Dimanche, hein. Et m'appelle pas Bichon, j'suis pas un bichon. C'était con, ce dessin animé. J'ai éteins la télé. Théo l'a rallumée, tant pis. Je savais qu'il allait falloir que je l'occupe toute la matinée et un peu de répis ne me ferais pas de mal. - On bouge quelque part ? Lance Eli de la cuisine. Je répond pas, parce que j'ai envie de rien faire. Une bande d'extra-terrestre est en train de débarqué sur New-York, et une gamine doit retrouver sa machine à voyager dans le temps pour sauver le monde, mais c'est son chien qui l'a. Il fait pas vraiment bon de se balader dans New-York par les temps qui courent. - Je vous emmène sur les bords de la Seine, ok ? Le chef des aliens est super con mais super méchant. J'ai pas vraiment envie de sortir, parce qu'on ne sait jamais si on ne va pas tomber sur un méchant de ce genre là. - Si tu veux, que je lui répond finalement. Théo, tu es d'accord ? - La Seine avec les poissons ? - Oui, s'amuse Eli en lui ébouriffant, à son tour, les cheveux.
Ouais ! Lança Théo en levant les bras au ciel et en courant dans sa chambre. J'éteins la télé et Théo est déjà prêt, ses bottes enfilées par dessus son pyjama, son manteau d'hiver sous le bras et son super héro destructeur à la main. Le temps de nous habillés et on pars. Eli nous dit de l'attendre à la voiture, et je lui dis qu'on pourrait tomber sur un méchant stupide mais méchant. Théo brandit son jouet. - DESTRUCTOR EN ACTIOOOOON Je souris, je suis rassurée, alors on va l'attendre en bas. Théo regarde les nuages derrières et moi je regarde les gens. Ils ont l'air triste, les gens. Triste ou con, j'hésite. Je regarde par la fenêtre et je me met à pleurer, mais ça, c'est hors de question parce que Théo pourrait m'entendre, alors j'allume la radio et puis c'est un vieux morceaux de Nina Simone alors ça me fait du bien. Eli ne dit rien, il laisse mon frère compter les nuages et il me laisse pleurer. On avait tout les deux mis nos ceintures avant qu'il ne démarre, cette fois. Il l'a remarqué parce qu'en rentrant dans la voiture, il a sourit. Il nous laisse penser. J'aime bien quand il laisse ce silence-là, ce silence qui structure une pensée, qui aide à voir plus clair. C'est un silence vital que s'il se brise, la réalité n'en est que plus floue. On roule sous le soleil matinal de Paris. Les gens ont toujours l'air con. Ou triste, j'hésite encore. Ils sont comme moi, en fait. Les gens et moi, tous, on est tous pareil. Je le dit à Eli.
- Nan, c'est faux, qu'il me dit. Je sais qu'il s'apprête à sortir une théorie, et que pour finir j'aurais tort et là j'ai vraiment pas envie d'avoir tort, je veux avoir raison, avec raison d'avoir tort, je veux ne pas me tromper sur rien. - … Et la vie c'est un vrai cadeau, Alice, c'est quelque chose qui nous pousse à... Bla bla bla bla, je l'aime, Eli, mais je n'aime pas ses théories. - Ok, ok, d'accord, que je dis pour le faire taire et parce que je ne veux pas argumenter sur la vacuité et la fatalité mortifère de la vie. Il rigole alors, selon lui ce n'est pas une question de volonté, c'est comme ça et puis c'est tout. Je suis vexée, je monte le son de la radio. Ça emmerde Eli qui le baisse. Je le remonte. Il baisse le son à nouveau. Il éteint l'auto-radio avant que mes doigts n'aient réussis à atteindre le bouton de volume.
Maintenant, on entend Théo qui compte les nuages. Je regarde dehors, je suis remplie de colère contre eux deux, contre ces gens qui ont l'air aussi cons que tristes ou aussi tristes que cons, contre moi, contre la voiture. Je repense à mon père et je me demande ce qui arriverait si on coupait l'un des tuyaux auxquels il est branché. Je remarque une pub pour un film, l'affiche est belle mais j'ai pas eut le temps de voir le titre. - J'ai pas eu le temps de voir le titre, que je dis. Eli répond qu'il ne comprend pas. On se gare et Théo se met à courir sur les quais. Je lui dis de faire attention, avec son pyjama qui traîne, mais il ne m'écoute pas et se bat déjà contre des ennemis qui m'ont l'air bien méchants mais quand même plus bêtes que méchants. Mon frère se bat toujours pour la bonne cause, mais là je ne sais pas pour quoi il se bat. Il s'amuse, et c'est important. Je demande à Eli si c'est lui, mon Superman. Il rigole un peu. Ça me fait rire.
On se regarde et on rit tout les deux. On marche un moment, on dit rien, on se tient la main. Je me demande à quoi il pense. Je n'ose pas poser la question. Il veut savoir si je souhaite qu'il m'accompagne cet après-midi. J'explique que j'ai pas envie d'y aller à cause de l'autre chouette du téléphone, et que je sais que s'il vient, ça sera bien, ça se passera bien. Je cueille une fleur sur le bas côté, Théo joue encore un peu plus devant nous, je regarde Eli qui me sourit, je regarde ma fleur et je souris. Elle est belle, ma fleur. C'est une pâquerette. - Une marguerite, corrige Eli.
Je sis fatiguée et j'aimerais m’asseoir mais je n'ose pas lui dire car je ne voudrais pas passer pour une casse-pied.
Je regarde les gens sur le bord de l'eau, ils ont l'air moins tristes et moins cons. Il y en a qui rient un peu fort pour que tout le monde le sache. Soudain je me sens mal à l'aise, ma tête tourne et je n'entend plus rien. Je crois que la terre s'écroule sous mes pieds alors je m'écroule avec elle. Je me fais mal, c'est comme si la douleur se trouvait à côté et non sur moi. J'entends Eli qui me demande si ça va, je répond oui, mais je ne suis pas bien sûre de moi. Il me soulève et me porte comme une princesse avant de m'étendre sur le gazon, en criant à Théo de nous rejoindre et qu'on faisait une pause ici. Je crois que je lui ai fait peur. Théo n'a rien vu, il se rapproche, il s'assoit et s’attelle à l'importante tâche de trouver un trèfle à quatre feuilles.
Je voudrais dire à cet homme qui me regarde d'un œil inquiet que je suis désolée de lui avoir fait peur, et puis rien ne sort. Il me demande si ça va mieux, je répond oui parce que de toute façon, je n'ai jamais su dire non à cette question et puis je change de sujet en demandant à mon frère s'il voulait une glace. - Il est midi, on va manger quelque chose de plus consistant, je lui offrirais une glace plus tard.
Théo est content, c'est important, et retourne se battre contre de nouveaux ennemis en attendant. - Je vais chercher à manger. Un sandwich au jambon pour toi, et une part de quiche pour le petit, ça ira ?
Je n'ai pas la force de lui expliquer que je n'aime pas qu'il prenne des décisions pour moi avant de me demander mon avis alors je hoche la tête en disant que ça sera parfait. Et puis en vrai, j'aurais choisi un sandwich au jambon, alors je relativise. - N'oublie pas de prendre un truc pour toi aussi. Il rigole et puis il me dit d'attendre là et de faire attention. Il pense que je vais faire quoi, partir ? J'ai envie de pleurer. Théo ne me regarde pas, alors je pleure en regardant les petites vagues provoquée par un bateau. J'entends le piaillement des gens autours de moi, j'écoute les bruits de leurs sourires, de leurs caresses faussement maladroites, de leurs rires qui éclatent, qui se réverbèrent, le bruit de leurs pas, de leurs sacs, des fermetures éclairs et je les détestes. Je ressens tout le mal que j'ai sous la peau, je repense à ma mère, à mon père, je suffoque à l'idée même de l'avenir et je hais tous ces gens. Une dame s'approche de moi et me demande si ça va. Je devais avoir les yeux rouges et gonflés, ou alors j'ai reniflé trop fort. Je dis oui en hochant légèrement la tête. Je ne sais pas si elle m'a entendue, mais elle me sourit d'un air désolé et elle s'en va. Oh, elle me manque déjà. J'ai envie de la rattraper mais elle est déjà loin et j'ai déjà oublié à quoi elle ressemble.
Eli revient avec la nourriture et me lance un joyeux sourire pendant que j'appelle mon frère pour manger. On étale tout sur une écharpe pour ne pas salir le repas, et je raconte que quand j'étais petite, petite comme Théo ou plus encore, je croyais qu'on faisait ça pour ne pas salir l'herbe. Tout le monde rigole, et je rajoute que quand même, je trouve ma version plus poétique que la leur. Théo prend sa pizza et pars la manger avec sa princesse alien imaginaire qu'il a sauvé tout à l'heure. Ils ont l'air d'avoir beaucoup de chose à dire. Nous on mange en silence, alors que j'aurais pleins de chose à lui dire, si je le pouvais. Je regarde mon sandwich, il y a des œufs dedans. Je demande à Eli si ce sont des œufs de poules, et ça le fait rire. J'aime son rire, il me fait des vibrations dans le cœur. - Ça pourrait très bien être des œufs d'autruche. Ou de pingouin. - Ça ne se mange pas, ça, Alice. - Si si, ça se mange. Bon, je ne sais pas pour les pingouins, mais les autruches, hé, ça se mange bien même. J'ai lu ça dans un bouquin. J't'assure. - Ouais, mais y'a pas d'autruche, là ! - Bah ça pourrait. - Pas ici. Alors il se tait, et moi aussi. Il m’énerve avec son air de je sais tout. Je le lui dit. - Tu es méchante. Je lui demande pardon. Il dit d'accord et il se met à regarder l'eau. - Tu ne manges pas ? Je secoue la tête. J'ai mal au ventre, mal aux tripes, mal au crâne, mal aux ongles et aux talons. J'ai envie de pleurer mais non. Il met sa main sur ma nuque. Je sais qu'il voudrait que je lui parle de ce qu'il se passe dans ma tête, il pense que c'est nécessaire de parler, que ça fait cicatriser. Encore une théorie.
- Veux-tu que l'on rentre ? - Non. Je regarde ce que fait Théo. Il s'était assis sur une souche, les pieds ballottant dans le vide, à regarder l'eau d'un air un peu vague.
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etquandgronde-blog · 7 years
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1. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire. Mon frère patientait, sagement, comme jamais. J'avais toujours cherché à lui épargner les mises à l'épreuve. Mais apparemment, la vie en avait décide autrement. La vie est une chienne, et ensuite on meure. Voilà où nous en étions. En fait, sans Eli, nous serions tout les deux tombés. Ce genre de douleur ne peut se supporter seuls. Alors il y avait Eli. Et il y aura Eli, tel qu'il est est, jusqu'à ce que nous n'en ayons plus besoin. Oui, il est comme ça, Eli. Il nous aime. Je crois que moi aussi. Mon frère également l'aime. Il le fait rire, et c'est important. Alors Eli nous a accompagné à l’hôpital. Après le coup de fil. Il est venu. Il tenait ma main, Eli. Fort. Il la tenait pour pas que je tombe. Pour que je me sente rattachée à la terre. Et puis il s'est arrêté, arrêté devant la porte, hésitant à rentrer. Il sent bon. Alors je me suis blottie dans ses bras. Il sent le déodorant, celui dont on ne fait pas la pub à la télé mais qui sent le meilleur. Et puis moi, moi toute seule, j'ai ouvert la porte. Et puis lui, lui tout seul, il est resté là, et il a renfermé la porte derrière moi. Du blanc. Blanc. Je n'ai rien vu d'abord. J'ai senti. L'odeur qui suinte, l’âcreté de l'air, la puanteur. Ça puait, je voulais sortir, fuir avec Eli, en voiture, quelque part en Italie, loin, seuls, l'odeur des champs d'olivier, les pizzas cuitent au four, le son des gondoles à Venise, fuir. Mais je sais qu'il n'aurait pas voulu. Je pense à mon frère. Il va attendre là, à la sortie de l'école, que quelqu'un viennent mais il n'y aura personne. Ai-je appelé la directrice ? Je ne sais plus. J'ai envie de vomir. J'ai regardé devant, le rideau vert terriblement moche, de ce vert qui n'existe que dans les hôpitaux, je l'ai tiré et je l'ai vu. Mon papa. Je me suis approchée, j'ai suivi des yeux le trajet que faisaient les tuyaux, les fils, les branchements, écouté le bruit des machines qui de loin faisait battre son cœur. Le cœur de mon père. Cet organe inapprochable, irréprochable, ce battement que j'écoutais, petite, lorsqu'il s'endormait au soleil des vacances. J'avais envie de vomir. Je suis sortie. Eli était là, il est toujours là, Eli. Assis sur les sièges d'une couleur que l'on ne trouve que dans les hôpitaux. Et j'ai vomi. Eli a sorti un mouchoir. Il a toujours des mouchoirs. Il m'a essuyé le coin de la bouche. Je me sentais mal, là, maintenant, tout de suite, je devais sortir, là, maintenant, tout de suite. Je l'ai dit à Eli. Il m'a dit qu'on allait sortir. On est sortis. Il faisait chaud, mais moi j'avais froid. Eli et moi on s'est assis dans l'herbe du parc. Elle était bien verte, d'une couleur verte qu'on ne trouve que dans les hôpitaux. Il a rien dit, Eli. Je ne l'en ai jamais remercié. Il s'est allongé, il n'a rien dit. Je ne voyais pas clair dans ma tête. Un homme arrive, en blouse blanche. C'est la même blouse que ma mère m'avait donné pour mes cours de peinture lorsque j'étais enfant, une vieille blouse d'aide-soignante. Je pleure en silence. Il parle avec Eli, ils causent, ils ont l'air d'avoir des choses à dire et je ne sais pas quoi, je n'entend rien. J'attrape la manche d'Eli et je lui dis que je veux partir. Alors on va à la voiture, il m'ouvre la portière puis s'assoit derrière le volant. Je regarde par la fenêtre. Il regarde par le pare-brise. Je lui dit de démarrer. Il me dit d'attacher ma ceinture. - Va te faire mettre. Alors il démarre pas. Moi je regarde dehors et lui il me regarde dans le reflet du pare-brise. J'ai encore envie de vomir et je repense au bruit du cœur de papa. On attend encore, longtemps, parce qu'Eli ne démarre pas tant que je ne me suis pas attachée, alors à un moment j'en ai marre et je boucle ma ceinture. - Allez, démarre. Alors il a démarré. On a roulé doucement pour sortir du parking, et puis plus vite sur la grande route. Je n'aime pas la vitesse, alors Eli, il fait attention. - Ça va ? Qu'il demande. - Ouais. Que je répond en regardant dehors. Il me regarde encore du coin de l'oeil et je pense à Théo et je lui dis. Il répond que mon frère va bien, et que Camille était allée le chercher à l'école, et qu'il était à la maison, et qu'il m'emmenait le voir et que tout irait bien. Il pense à tout, Eli. Il pense même que dans l'univers il y a d'autre planètes avec des choses vivantes dessus. Je sais pas où il va chercher tout ça, peut-être qu'il l'a lu dans un livre et qu'il l'a cru. C'est possible. On se gare devant son immeuble, son immeuble glauque. Je lui dit que c'est glauque. Il rigole, parce que je lui dit à chaque fois. On prend l’ascenseur, j'aime pas vraiment ça, j'ai toujours peur qu'il s'arrête entre deux étages. On rentre dans son appartement et j'attends qu'il pose ses clefs avant de fermer la porte. J’aime le bruit de ses clefs lorsqu'elles se posent sur le meuble. Camille est là, elle a couché Théo parce qu'il est tard. C'est bien. Camille, c'est la sœur d'Eli. Elle est pas aussi chic que son frère, mais je l'aime bien. Elle me dit qu'elle est désolée, qu'il faut pas que je me laisse abattre, que la vie continue. Je lui dit d'accord, elle sourit et elle s'en va. Eli, il pense à tout. C'est pour ça qu'il arrive dans le salon avec deux verre et une bouteille de whisky, il s'assoit sur le canapé, en tailleur et ouvre la bouteille. Je le regarde verser dans les verres le liquide ambré et puis je vais m’asseoir à ses cotés, adossée à l'accoudoir, les jambes repliées sur ma poitrine. J'aime bien poser mon menton sur mes genoux, mais là j'aime pas, alors j'enlève. Il me regarde, il ne parle pas mais moi je sais que ces yeux disent «parle, hurle, fais quelque chose, ne reste pas comme ça, parle moi » et alors moi je me met à pleurer. Dès fois c'est comme ça, tu peux pas faire autrement, c'est physique. Quand tu commences, t'es foutue, tu t'arrêtes plus. Alors il me tend le verre, je lui dit qu'il m'incite à boire et que c'est mal et il rit. J'aime quad il rit, Eli. Il plisse du nez et ça lui creuse des fossettes dans les joues. Il me dit qu'il y a de quoi manger dans le frigo. J'ai pas faim. Il hoche la tête. C'est comme ça la vie, dès fois t'en peux plus, et il t'arrive un truc qui fait que t'en peux plus de chez plus et quand même, on ouvre encore les yeux. Et bien Eli se met à parler. De tout, de rien, surtout de rien et beaucoup de tout. Du n'importe quoi. De Barbara, de Théo, de son chat qui boude et qui pisse dans ses chaussures, de sa mère, du temps, de nuages, du dernier cours de mathématiques qu'il a donné à un jeune (oui parce qu'Eli, il ne dit jamais maths, mais toujours mathématiques, je ne sais pas pourquoi), il parlait du nouveau locataire d'à côté et d'une nouvelle série dont il avait entendu parler. Ça a duré longtemps, je ne sais pas si je pourrais m'en souvenir. Je ne le cherche même pas : sincèrement, je m'en fous. - Ça va ? Et je bois mon whisky parce que je ne veux pas parler. Et puis je dis quand même non, et il comprend. Je lui répond que c'est faux, qu'il ne peut pas comprendre et qu'il devrait pas se foutre de ma gueule comme ça. Il répond « d'accord ». Et on parle plus. Je lui demande s'il m'en veut, il répond non. Je lui dit que j'ai mal, il répond que c'est normal. Je lui dis que j'aimerais parler avec lui, il me répond qu'il faut que je me laisse du temps. Alors je me suis laissée du temps. Long. L'horloge indique 3:17, et je demande à Eli s'il est 3h17 ou 15h17. Il répond qu'il n'en sait rien mais qu'il est l'heure de dormir.
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