Un énième blog dédié au plus vaste pays du monde, tenu par une étudiante enthousiasmée par son premier grand voyage
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Nizhniy Novgorod
A l’heure où je commence la rédaction de ce post, cela fait tout juste un an que j’ai eu la chance de visiter la ville de Nizhniy Novgorod. Un an que j’ai découvert un centième de dix-millième des trésors que recèle la Russie. Un an que je m’étais habituée à la vie huppée d’une expatriée moscovite avide de découvertes. Mais je suppose que la toska dans laquelle je suis plongée depuis prendra fin un jour, peut-être dans un monde sans pandémie mondiale…
Nizhniy Novgorod semble relativement proche de Moscou : ayant la chance d’obtenir un billet en « Lastotchka », un des noms d’oiseaux [1] donnés aux trains russes comparativement plus rapides, nous arrivons en moins de quatre heures dans la ville de Gorki. La gare est simple, ses portes vitrées donnent sur une grande place ceinturée de bâtiments modernes. On a évidemment directement accès à la station de métro Moskovskaia, sur la ligne rouge Avtozavodskaia, bon compromis pour visiter. Petit plus : comme les abonnements de métro moscovites sont (évidemment) limités aux transports de la capitale, le métro de Nizhniy Novgorod dispose de bornes sans contact où vous pouvez utiliser votre carte bleue comme pass.
Encore une fois, nous avons eu recours à AirBnB pour nous loger : même en recherchant un appartement pour 12 (ou 2x6 personnes), l’offre russe est très fournie, et plus que satisfaisante au niveau de la qualité des équipements. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, nous avions trouvé notre bonheur dans des khrouchtchevki soviétiques typiques, organisées en blocs de briques massifs et situées dans le quartier Leninskiy.
La journée de visites débute par la recherche d’endroits où nous sustenter : à cet égard, le Coffee Cake de la rue Bolshaya Pokrovskaya fait parfaitement l’affaire, proposant chocolats, gâteaux, et brunchs à profusion.
La proximité de cette grande rue commerçante avec le kremlin de la ville permet de commencer la visite en grande pompe. Construit au XVIe siècle, il avait vocation à défendre Nizhniy Novgorod contre les attaques tatares : un mur de deux kilomètres est renforcé par treize tours, dont douze subsistent aujourd’hui. Comme tous les autres kremlins de Russie, outre la fonction militaire désormais tombée en désuétude, ces édifices abritent les organes du pouvoir, ici régional, et beaucoup d’autres bâtiments judiciaires et culturels. Tel un grand parc fortifié, d’un rouge brique moins somptueux que celui de Moscou, nous avons la chance de tomber sur une collection de tanks, dont les fameux T-34, exposés en rangs d’oignons.
Un monument et une flamme allumée en l’honneur des batailles livrées à Nizhniy, centre industriel névralgique de l’URSS et cible privilégiée de la Luftwaffe, s’offre aussi à nous, en avant-plan d’une église.
La ballade se poursuit aux abords du kremlin, presque forestiers, sur les sentiers de terre surplombant l’immense Volga. Se trouvant dans une position stratégiquement surélevée, nous atteignons finalement le bas de la ville, et entamons une marche qui nous mènera à la Maison-musée de Maxim Gorki. Homme de lettres et dramaturge russe, ambassadeur de la littérature soviétique, Gorki, de son vrai nom Aleksei Pechkov, est né dans une bourgade non loin de Nizhniy Novgorod. Il prit le prénom de son défunt père, Maxim Pechkov, emporté par la maladie. Je n’étais pas familière du personnage ni de son œuvre, mais la découverte d’une maison-musée est toujours fascinante. Si je peux recommander une pièce de Gorki, la seule que j’ai vue jouée à Moscou, c’est bien « Les derniers » (Последние), qui met en lumière le déchirement d’une famille de la fin du XIXè dans un climat politique mouvant. La ville de Nizhniy Novgorod, comme beaucoup d’autres villes russes (telles que Saint-Pétersbourg, Volgograd, Togliatti), a changé de nom selon la conjoncture politique, et est rebaptisée Gorki avec l’avènement de l’Union soviétique.
S’il y a bien une chose à voir à Nizhniy Novgorod, ce sont les escaliers de Chkalov : d’un rose saumon presque féérique, inhabituel pour nos yeux de touristes, ils relient magistralement le haut et le bas de la ville dans un jeu de chassé-croisé aux 400 marches. En les remontant, vous pouvez admirer la Volga tout en vous dirigeant vers l’Eglise de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge en prenant la rue Rojdestvenskaia, une merveille de couleurs dans le style orthodoxe, parangon du baroque Stroganov.
N’hésitez pas aussi à admirer le monument dédié à Pojarski et Minine, les deux héros de la résistance russe levée pour répondre aux incursions polonaises en plein Temps des Troubles. Le premier, un prince impuissant mais à l’expertise militaire vitale, va se laisser convaincre par le téméraire marchand Minine, supposément originaire de Nizhniy Novgorod, qui ravive la flamme patriotique russe et met sur pieds une armée de volontaires. Ce moment illustre de la nation est saisi par le monument dédié aux deux hommes, qui transcendèrent leurs différences au nom du salut national.
Après cela, rien de tel qu’un arrêt au sublime et très tendance restaurant-jardin « Pakhlava », rue Alekseevkaia : y sont proposées des plats d’Asie centrale revisités avec une grande finesse, en témoigne le nom même de l’endroit (la pakhlava, bakhlava, baklawa, qu’importe : c’est un dessert commun aux populations anciennement ottomanes et perses à base de noix).
(Un plov, spécialité d’Asie centrale)
Pour clôturer un séjour décidément encore trop court, je ne peux que conseiller de traverser la Volga pour atteindre la rive droite de la ville, où se trouve la Cathédrale Saint-Alexandre-Nevski, étonnante par sa façade ocre et son luxueux intérieur. Les plus curieux pourront même s’amuser à lire des prières plastifiées pour se fondre dans le décor. Enfin, de retour en centre-ville, je conseille vivement de s’attarder au manoir des Roukavichnikovy, d’une finesse architecturale infinie, qui fait également musée et où l’on peut admirer des objets, vêtements et meubles de la fin du XIXè siècle russe.
Et comme un séjour n’en est pas un sans bonne chair, je me permets de conclure sur une dernière délicieuse adresse où s’arrêter, le Mamadoma, où vous attend une cuisine russe traditionnelle savamment retravaillée, le tout dans une ambiance bonne-enfant.
Ainsi, si vous en avez l’occasion, passez par Nizhniy Novgorod, une ville recélant des siècles d’histoire, aux particularités architecturales étonnantes, qui vous enivre du brouillard émergeant de la colossale Volga (du moins en hiver…).
[1] Selon la tradition, les trains à grande vitesse russes portent des noms d’élégants oiseaux fendant l’air : « Sapsan » veut ainsi dire faucon pèlerin, « Lastotchka » hirondelle, et ont été proposés les noms « Galoup’ » (colombe), « Snegyr’ » (bouvreuil), « Tchaïka » (mouette), « Strizh » (martinet noir) ou encore le célèbre « Soloviei » (rossignol).
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Kazan
La Russie a le don d’étonner par sa diversité ; si le discours habituel tend à décrire le pays comme une entité monolithique, le voyageur sera surpris de l’étonnante mosaïque culturelle, religieuse et ethnique qui s’offre à lui. La division administrative même du pays, qui pourra faire l’objet d’un autre post, met en lumière le choix de la pluralité par les autorité russes. La ville de Kazan, capitale du Tatarstan, une république au régime administratif particulier parmi les 85 sujets de la Fédération de Russie, ne fait pas exception. Elle étonne (et détonne) de prime abord par son atmosphère beaucoup plus orientale et musulmane. Les tatars sont un peuple turc musulman dispersé en Eurasie, mais dont la concentration est particulièrement élevée dans la région de Kazan. Il exista un khanat, entité ou royaume turc/mongol, de Kazan ; il fut démantelé par l’action d’Ivan le Terrible, dont la puissante Russie ne tolérait pas l’esclavage des siens à l’époque.
Au sein du kremlin de la ville, une immense tour de briques tranchant avec le blanc des ramparts attire l’œil : c’est la tour Soyoumbiké (Сююмбике́). Cette souveraine tatare, gouvernant le khanat à l’arrivée du tsar russe, aurait été contrainte d’épouser l’homme afin de laisser la vie sauve à ses sujets et limiter l’impact destructeur du siège. Voilà comment la souveraine aurait réagi : elle aurait accédé à la demande, tout en faisant promettre Ivan le Terrible de lui construire une tour, après quoi seulement elle l’épouserait. Le tsar donna suite à sa requête, ravi de voir qu’elle s’inclinait avec si peu d’acharnement. Mais une fois la tour construite, Soyoumbiké se rendit au sommet, seulement pour s’en jeter dans un ultime élan d’indépendance.
Le kremlin de Kazan renferme d’autres trésors : le palais présidentiel (la dénomination de président est maintenant remplacée par « tête », « dirigeant » de république, avec la réforme de 2020), la cathédrale de l’Annonciation, et surtout, la mosquée Koul-Charif. Les domes azurés de cette dernière donne un ton surréaliste à l’ensemble, et elle constitue le point d’intérêt numéro un des touristes aujourd’hui. Il faut visiter le musée de l’art musulman au sous-sol, et gravir les escaliers pour admirer le cœur de l’édifice depuis un somptueux balcon. On peut aussi visiter la salle centrale en payant, et à condition de se déchausser, évidemment.
Entre deux visites, il vaut la peine de se restaurer à Kazan : il existe une chaîne de fast-food spécialement tatare, répondant au doux nom de Tioubetei (Тюбэтей). La cuisine tatare est particulièrement riche, sûrement peu du goût des végétariens ; les deux spécialités locales (du moins dont j’ai retenu le nom) sont l’echpochmak (Эчпочмак), une sorte de beignet triangulaire à base de levure, frit et garni de pommes de terre ou de viande, et le tchak-tchak (чак-чак), un dessert local à base de morceaux de pâte fris et mélangés à du sirop de miel. A vrai dire, ce sont des plats déclinés dans tout le monde eurasiatique au sud de la Russie. Enfin, il vaut la peine de faire un détour par le café Peski, un petit endroit intimiste et convivial offrant des cafés à la turque préparé sur du sable chaud, ainsi que le restaurant Sultanat pour une ambiance festive 100% tatare.
Autre précision pratique : le taxi est un moyen de transport très bon marché et efficace, grâce à l’application Yandex Taxi, qu’il vous faut télécharger si vous souhaitez voyager facilement en Russie. De plus, il vous amènera plus facilement au Temple de toutes les religions, petite attraction un peu à l’extérieur de la ville tout à fait singulière. Il s’agit de l’œuvre d’un seul homme, Ildar Masnaveevitch Khanov. Le temple-musée ressemble plus à un méli-mélo d’objets appartenant à divers cultes, disposés dans des salles improvisées, exhibant de temps en temps les toiles de l’architecte, qui apparemment s’adonnait volontiers à d’autres loisirs. L’extérieur est sans doute plus impressionnant que l’intérieur, l’édifice contemplant de ses couleurs vives la Volga en face.
Dernier point d’intérêt remarquable : le Ministère de l’Agriculture, en bas du kremlin. Vous conviendrez que d’ordinaire, on ne visite que peu les Ministères, mais la façade de celui-ci est à couper le souffle. Digne des plus beaux panthéons avec ses colonnes ioniques blanches, l’arbre en métal forgé sur la porte monumentale de son entrée laisse admiratif. Du reste, vous pourrez prolonger votre visite en longeant les quais de la Volga, et en traversant le jardin qui borde l’édifice.
N’étant que restée deux jours à Kazan, je n’ai malheureusement pas pu profiter pleinement des atouts de la capitale du Tatarstan ; néanmoins, j’espère que ce bref guide servira les plus chanceux touristes qui s’y rendront.
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Moscou (3) : Kropotkinskaia, Cathédrale du Christ-Sauveur et Bibliothèque Lénine
Si vous sortez à la station du métro de Moscou Kropotkinskaia, vous arriverez dans le quartier de la Cathédrale du Christ Sauveur et de la Bibliothèque Lénine, zone qui précède le kremlin et la Place Rouge.
La station fut très certainement nommée en l’honneur Piotr Alekseevitch Kropotkine, penseur russe de l’anarchie, qui fut notamment emprisonné en France. Il poursuit dans la voie tracée par Proudhon, Fourier et Bakounine, qui s’opposaient à un Etat centralisé et exploiteur, prônant ainsi la collectivisation des moyens de production par les ouvriers et un système politico-économique basé sur un fédéralisme autogestionnaire. Une ville du kraï de Krasnodar a d’ailleurs été renommée Kropotkine en Russie.
Dès que vous aurez monté les escaliers, un monument grandiose se dressera devant vous : c’est la Cathédrale du Christ Sauveur, siège du patriarcat de Moscou et donc endroit préféré du patriarche Kirill. Et dès l’entrée dans la cathédrale, sa somptuosité se montre à la hauteur de « toute la Russie » (ou « toutes les Russies » selon l’expression ancienne) : dorures, fresques, marbre, colonnes, couleurs et scintillantes icônes ornent l’intérieur de la cathédrale. On prend également conscience de la hauteur du monument (106 mètres), qui peut presque faire concurrence aux colossales sœurs staliniennes. Si vous descendez sous terre, vous trouverez une crypte tout aussi vaste que l’enceinte principale.
La cathédrale vous paraîtra incroyablement bien conservée, et pour cause : elle date en fait de 2000. Eltsine avait ordonné par décret sa reconstruction à l’identique de la précédente qui avait été détruite sous l’ère stalinienne, pour laisser alors place à une piscine. Tout commença en 1812, avec le général Piotr Kikin qui émit l’idée d’ériger un temple en l’honneur de la victoire sur Napoléon lors de la Première Grande Guerre Patriotique. L’empereur Alexandre 1, visiblement emballé, signa un Manifeste Suprême qui fut le point de départ de la construction. La cathédrale était un centre de la vie culturelle et religieuse, comme en témoigne l’Ouverture de 1812 de Tchaikovsky, jouée de manière exclusive dans le temple en 1882.
Puis, la tempête bolchévique passe et arrache tout sur son passage, littéralement : Kirov propose en 1922 la construction d’un pharaonique Palais des Soviets sur le territoire de la cathédrale, ce qui résulte en la destruction de l’édifice en 1931. La légende raconte que, lorsque le premier ouvrier monta sur le toit pour en enlever la croix, il tomba et se tua, signe de mauvais augure.
Quoi qu’il en soit, ce Palais des Soviets ne vit jamais le jour : les conditions géologiques du terrain étaient tout bonnement incompatibles avec ce projet fou. A la place, une piscine géante nommée « Moscou » creusa le sol saint. Elle exista jusqu’en 1994, énorme infrastructure de 130 mètres de diamètre et pouvant contenir un volume de 25 000 m3 d’eau.
Et c’est ainsi que renaquit de ses cendres révolutionnaires le temple du Christ Sauveur, à l’identique. Il devint la plus grande cathédrale de l’église orthodoxe russe, et peut désormais accueillir jusqu’à 10 000 personnes. Donc n’hésitez pas à y passer, même en pleine période touristique, l’espace ne manquera pas…
En continuant un peu sur la rue Mokhovaia, vous tomberez également sur la Bibliothèque d’Etat de Russie, ou Bibliothèque Lénine. Il est difficile de la rater : ses immenses colonnes noires se dressent face à un petit jardin, comme un coin de sérénité dans la jungle urbaine. Inutile de mentionner qu’avec le nom du leader et père spirituel de tous les soviétiques, cette bibliothèque est la plus grande du pays et l’une des plus grandes du monde, en cinquième position après les Archives canadiennes, la Bibliothèque publique de New York, la British Library et la Bibliothèque du Congrès. Elle fut fondée contre toutes attentes non pas par les soviétiques, mais bien en 1862, première bibliothèque entièrement gratuite et ouverte au public. Bien qu’ayant abandonné officiellement son nom de Lénine en 1995, les gens l’appellent encore de la sorte par coutume (et facilité). Une loi fédérale régule le statut et l’activité de la bibliothèque, et ordonne par habitude soviétique qu’une copie de chaque livre publié se trouve dans l’enceinte.
Les étudiants peuvent y faire une carte gratuitement, y compris ceux en échange. Ce fut mon cas, et après avoir rempli un questionnaire et fait une photo expresse, je bénéficiai de la belle carte électronique au logo prestigieux. Il est cependant difficile de la visiter sans ce pass, puisque des portails lecteurs de carte permettent l’entrée. Petit moins : on est fouillés comme à l’entrée d’un concert, soit très scrupuleusement. Encore une fois, cela s’adresse moins aux touristes qu’aux étudiants : vous ne pouvez pas entrer avec un sac à dos, il est recommandé de prendre ses affaires de travail à la main, et attention à ne pas amener de livre qui pourrait exister dans les étagères léniniennes. En effet, une amie s’est fait interpeller car elle n’avait pas de preuve de la provenance de son manuel, et était suspectée de l’emporter avec elle en sortant. Conclusion : venez lire sur place, ou avec un ordinateur. Mais les conditions de travail en valent largement la peine, la vue sur les tours du kremlin rendant un cours d’économie plus agréable…
Voilà pour ce quartier de Moscou qui mérite tout autant d’attention que la Place Rouge et le kremlin !
#moscou#kropotkin#bibliothèque lénine#lenin library#cathédrale christ sauveur#cathedral of christ the saviour#culture#Religion
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L’école en Russie
Comme dans chaque pays du monde, le rapport des élèves à l’institution qu’est l’école est différent en Russie. Je voulais m’attarder sur les subtilités, le système et les détails propre à l’éducation russe, du detskyy sad (jardin d’enfants) à l’enseignement supérieur. Je tiens à remercier une amie russe qui, lorsque j’étais en prépa, m’avait expliqué en détails le fonctionnement des établissements primaires, secondaires et supérieurs.
Un peu d’histoire
Vous entendrez ou lirez peut-être le mot gymnazia au détour d’un article ou d’un documentaire sur le système éducatif russe ; cela peut être considéré comme l’équivalent des lycées prestigieux du XVIIIè où étaient notamment enseignées des disciplines littéraires et le latin. Ces établissements étaient perçus comme le summum de la culture, en témoigne la trajectoire de l’écrivain renommé Arkadi Gaïdar, qui suivit ce cursus. Du côté bolchévique, d’éphémères rabfak (abréviation de rabotchiy fakultet, faculté ouvrière) furent créées peu de temps après la révolution pour donner une chance aux prolétaires d’accéder à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, les Russes ont adopté le triptyque de la primaire, du secondaire et du supérieur.
Trajectoire d’un enfant
L’enfant russe ne va pas aussi tôt à l’école que son compère français. Mon amie russe s’étonnait de la précocité des petite, moyenne et grande sections ; là-bas, c’est à 5-6 ans que commence réellement la formation. De plus, les Russes, qui sont logiques comme le reste du monde, comptent les classes de manière croissante : de la première à la quatrième classe en primaire, puis de la cinquième à la onzième classe en secondaire. Il faut savoir qu’il n’est pas rare qu’un élève garde les mêmes camarades durant toute sa scolarité, ce qui peut mener à des situations incroyables : certains enfants s’étant connus en primaire ont fini par se côtoyer et se marier après leurs études.
A l’issue de la onzième classe, l’élève passe un examen national sanctionné par une mention, le ЕГЭ (Examen national unique) ; celui-ci comporte des épreuves obligatoires comme les mathématiques, le russe et la littérature, puis des matières que l’élève peut choisir.
Les notes
En primaire et secondaire, les notes vont de 1 à 5, 5 étant la meilleure. Il est courant également d’introduire un système de récompense des meilleurs élèves, en leur attribuant par exemple des médailles faites de différents matériaux. Pour les meilleurs de l’ЕГЭ, une somme d’argent peut également être versée, comme ce fut le cas pour mon amie qui s’acheta un bijou. Cependant, dans l’enseignement supérieur (du moins dans l’école où je fais mon année), le système de notation se rapporte à une gradation en pourcentages, 60% étant la moyenne pour valider. Le tout est sanctionné par une lettre potentiellement accompagnée d’un + ou – , inscrite à côté de la matière dans le зачетная книга (zatchetnaja kniga). Ce petit carnet un peu old-school dresse l’inventaire des cours choisis par l’étudiant, et l’appréciation qu’il en a retiré à l’issue du semestre.
Les universités
Forcément, je vais me concentrer sur les universités russes, dans la mesure où il s’agit de mon plus proche environnement. Tout d’abord, chaque université russe a un hymne. Oui oui, vous avez bien lu ; il ne s’agit pas seulement d’une lubie moscovite, mais bien d’un phénomène répandu dans le pays. Chaque université semble former une unité de sens englobante, censée fédérer les étudiants : avec l’hymne vient le slogan officiel, le logo, et plus traditionnels, la myriade de clubs et associations. Sur ce plan, je trouve les facs russes très proches du modèle américain, cherchant à produire du tissu social et des références partagées au sein de ce groupe. Concernant le MGIMO, université dans laquelle j’étudie, on y trouve évidemment une bibliothèque, mais aussi un musée de l’histoire de l’établissement, le magasin officiel avec merchandising (oui oui), une poliklinika (clinique médicale dotée de plusieurs spécialistes où les étudiants sont examinés gratuitement, et qui peut fournir des polices d’assurance), une pharmacie et pléthore de cafés. A vérifier si son rival officiel, le MGU, dispose de tous ces attributs.
Rapports élèves-professeurs
En tant que Français, on se fait beaucoup d’idées sur l’éducation russe, qu’elle soit institutionnelle ou domestique (je vous épargne les clichés). Ce que je peux seulement affirmer, c’est le lien assez fort qu’entretiennent les élèves avec leurs professeurs. Il est fréquent par exemple dans les facs que le professeur d’une classe crée un groupe Whatsapp pour chatter avec ses élèves à propos de potentiels retards, des devoirs, voire même de plaisanter. Un élève m’a une fois confié, rongé par un quiproquo ave son professeur : « La confiance entre le prof et un élève, c’est super important. »
Le 1er septembre, c’est le день знаний ou dien znaniy, soit le « Jour de la Connaissance » : tous les établissements d’éducation le célèbre, et pour cause, c’est la rentrée. Petite fille de 6 ans, lycéen de 16 ou étudiant de 21, tous se jettent dans les mâchoires de l’école. En ce jour, il est commun que les élèves (surtout des petites classes) offrent des fleurs à leurs enseignants. On chante, on danse, c’est un peu une kermesse d’inauguration chaque année.
Les établissements scolaires et universitaires fêtent aussi abondamment d’autres occasions, comme le 23 février et le 8 mars. Je consacrerai un autre post aux fêtes et jours fériés russes, mais il me démangeait de vous décrire ces deux jours à l’université. Le 23 février est le День защитника Отечества (Dien Zachitnika Otchestva), ou « Jour du Défenseur de la Patrie » ; d’accord, je vous l’accorde, cela fait très soviétique. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas seulement une journée célébrant la défense du pays, mais aussi par extension les hommes, la masculinité, bref, toute forme de virilité. Les petits garçons peuvent même s’habiller en soldats, on relate les exploits des héros, des concerts reprenant des thèmes guerriers ont lieu. Et le 8 mars… c’est la deuxième variante. Je vous laisse imaginer l’atmosphère qui règne en ce jour d’une des fêtes les plus populaires en Russie : « la Journée de la Femme ». Bouquets aux senteurs exacerbées et aux couleurs vives sont au menu du jour, et toute forme de célébration des qualités féminines – ces dernières étant plutôt unanimement admises dans le pays – est bienvenue.
L’école se termine en général fin juin, ou milieu juillet ; les Russes disposent de grandes vacances d’été, comme nous. Cependant, ils savourent les jours de fête comme ceux que j’ai présentés, dans la mesure où les semaines françaises entièrement banalisées (Toussaint, Pâques, Hiver) n’existent pas. Inutile de dire que mes collègues et moi natifs du pays de Molière furent un peu déçus par l’absence totale de « vacances », à l’exception de Nouvel An et Noël. Mais étant étrangers, il est facile de négocier avec les professeurs, qui ont un niveau d’exigence un peu moins élevé…
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Le Transsibérien : Vladivostok
Après trois jours de train, nous apercevons quelque chose qui nous a manqué pendant le voyage : la mer. Nous nous trouvons au bout du monde, enfin, de notre monde : nous sommes à une centaine de kilomètres de la Corée du Nord, avec laquelle la Russie a une frontière de 19 kilomètres ; la Chine est notre voisine, et le Japon est à deux heures de vol. La ville est baignée par la baie de Zolotoï Rog, qui veut dire « Corne d’Or ». On peut y observer des phoques, et les gens se garent volontiers sur la glace en hiver pour jouer et pêcher, provoquant même certains accidents (cf. la trentaine de voiture ayant sombré dans les eaux).
Vladivostok domine l’Orient, littéralement ; son symbole est le tigre de l’Amour, prédateur connu vivant dans la région du fleuve au nom si poétique. Là encore, on est déboussolé par le mélange culturel devenu propre à la Russie, pays de diversité : on ne pense pas systématiquement au tigre en songeant à la patrie de Pouchkine. Mais comme on m’a reprise, ici, ce n’est plus la Sibérie : c’est l’Extrême-Orient. Tout, absolument tout, est traduit en trois langues : anglais, chinois et coréen. Les enseignes, restaurants et magasins sont à écrasante majorité lié au monde oriental : nourriture japonaise, cosmétique coréenne, médecine et thé chinois. Il existe à Vladivostok le seul restaurant nord-coréen de Russie, et probablement du monde ; les serveuses y ont ce look élégant un peu old-school des années soixante, au sourire paisible mais au visage assez fermé, et silencieux. Il vaut le détour.
Le quartier du Nouvel Arbat est très agréable, tout d’abord parce qu’il est piéton : les rues sont décorées d’illuminations bleues, et on y trouve tous les restaurants et cafés branchés de la ville. Cette dernière est en relief, s’étalant des hauteurs jusqu’à la baie ; le style des bâtiments y est irrémédiablement plus européen qu’ailleurs en Russie, paradoxalement. Mais la pléiade de voitures japonaises nous rappelle la proximité avec le monde asiatique. Il y a peu d’églises orthodoxes, une première depuis notre périple, et elles sont récentes. Si toutes les autres places principales russes étaient en lien étroit avec Lénine et les bolchéviques, Vladivostok se démarque par son attachement à sa flotte légendaire du Pacifique, et ses marins héroïques. On peut visiter un sous-marin S-56 (C-56 en cyrillique) transformé en musée, et prendre conscience de l’enjeu de la défense des frontières. L’île Russkiy, à laquelle on peut accéder grâce à l’un des deux immenses ponts suspendus rappelant San Francisco, abrite des canons et une forteresse, ainsi qu’un aquarium et un centre universitaire à vocation internationale. Le phare, au bout de la péninsule, est un point de vue incroyable, à partir duquel s’ouvre à nous la Mer du Japon et ses phoques. Et son vent marin qui fait trembler la terre.
Le musée Arseniev du Primoryé (le krai, soit la division administrative de Vladivostok, qui signifie littoral) éclaire le visiteur sur le passé de la région. Les peuples locaux étaient mandchouriens et coréens, la ville se trouvant dans le royaume de Balhae à l’époque. Ce royaume englobait la Corée du Nord, la Manchourie et le krai du Primoryé, entre le septième et dixième siècle après J.C. Ce royaume, à sa chute, est intégré chez les Khitans, puis dans le royaume des Jin chinois. Ce n’est qu’à la fin du XIXè siècle que la région est transférée à la Russie par la Convention de Pékin.
Vous en conviendrez donc, Vladivostok est une ville fascinante de par son métissage culturel multiséculaire et sa position unique. En vous privant de toute possibilité de la mettre dans une case – russe, chinoise, européenne, soviétique – Vladivostok vous fait bel et bien croire que vous êtes au bout du monde.
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Le Transsibérien : Oulan-Oudé
Nous poursuivons notre périple en Bouriatie, vers la capitale, Oulan-Oudé. Lors de mon arrivée, le soleil se couche et embrasse de ses rayons rouges la myriade de petites maisons de bois au toits recouverts de neige. En effet, Oulan-Oudé a gardé pour la majorité le style architectural russe ancien, et ne possède que très peu de gratte-ciels et gros centres commerciaux. Cela n’en reste pas moins une ville moderne et très bien équipée, qui a son lot d’histoire.
Ce qui marque, c’est le savant mélange de cultures qui y existe : les Bouriates sont historiquement chamanistes, une branche de l’animisme, mais qui s’est fondue dans un bouddhisme prégnant de la région. Staline y a fait construire le plus grand temple bouddhiste de Russie, à une quarantaine de kilomètres de la ville ; un deuxième se trouve sur les hauteurs de la capitale, érigé par un lama célèbre en Bouriatie. Ajoutée à cela l’orthodoxie omniprésente et quelques musulmans, et les locaux se targuent de la paisible coexistence des communautés.
La cuisine bouriate nous suit depuis notre arrivée à Irkoutsk, avec ses spécialités : les bouzzas/bouzzis, pelmenis locaux, le khouchouur, beignet frit de viande, diverses soupes… Les Bouriates ont du mal à imaginer une vie sans viande, et pour cause : le froid est parfois tel, que c’est le meilleur moyen de se réchauffer.
Le vent nous transperce : même en pleine ville, et en hiver jugé « chaud » par les habitants, nous n’osons pas sortir nos mains à l’air libre, et nos joues rougissent sous le froid en quelques secondes. La place centrale des Soviets est décorée des habituelles sculptures de glace fréquentes à cette époque de l’année, mais surtout arbore fièrement ce pour quoi Oulan-Oudé est connue : la plus grosse tête de Lénine. Unique au monde, elle pèse environ quarante tonnes pour une hauteur totale (avec socle) de sept mètres. Sa construction dans les années 70 fit débat, dans la mesure où l’on avait toujours représenté le leader bolchévique de toute sa hauteur ; mais l’architecte argua du fait que ce que les gens reconnaissent, c’était bien son visage. Depuis, les habitants ont tenté de la décorer à quelques occasions, en rencontrant à chaque fois les protestations et le véto du parti communiste local.
Le théâtre national d’Oulan-Oudé borde cette place, dans son style unique ; son auteur insista pour marier les traits uniques de chacune des cultures dans l’architecture. Ainsi, en regardant attentivement, on reconnaît la forme d’une yourte qui orne le toit, au-dessus d’un blason dédié à Lénine et d’étoiles rouges. L’intérieur reprend cette mécanique, avec ses fresques réalistes soviétiques ponctuées de représentants du peuple bouriate ; les vitraux sont décorés de chasseurs en costumes traditionnels, et les plafonds sont peints des couleurs et motifs rappelant la vie nomade des steppes. Et le temps de la visite, nous repartons déjà pour la gare.
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Le Transsibérien : le Lac Baikal, Olkhon et Khoujir
Je venais d’achever mon récit sur la présence chinoise dans la région du Baikal et ô combien les Russes n’aiment pas ça. Et dès notre arrivée à Irkoutsk, le ressentiment de nos compagnons de voyage s’est avéré justifié. La petite ville sibérienne, aux allures baroques avec ses immeubles colorés habillés de moulages blancs, est littéralement prise d’assault par les touristes, en grande partie chinois. On dirait que se sont greffées à une petite bourgade toutes les grandes infrastructures des machines à tourisme : plusieurs aéroports, un trafic routier hallucinant, une myriade de taxis aux abords de la petite gare vert d’eau, d’immenses complexes hôteliers construits à partir de rien… Cela entache évidemment l’image que l’on se fait de la belle Sibérie sauvage bordant le célèbre lac Baikal.
Mais notre voyage est bien organisé. Loin de la foule déchaînée, nous prenons une navette pour l’île d’Olkhon, plus grand bout de terre du lac, en direction du village le plus peuplé, Khoujir. La route est sinueuse, voire tout à fait brutale, et surtout fraîche. Mais en sortant se dégourdir les jambes au bord d’une petite izba de bois servant de café, on prend conscience de l’étendue des plaines blanches, du silence, de la vie qui s’adapte à ce paysage qui nous apparaît hostile. Des chevaux broutent au loin, sauvages, tandis que de vagues clôtures délimitent des champs gelés qui ne sont probablement plus exploités. La route continue.
Olkhon est une véritable île dans la mesure où il faut prendre un aéroglisseur (ou un bateau) pour s’y rendre. Ni une ni deux, après quatre heures de route, nous montons à bord de cet engin hors du commun, dont l’hélice fait un bruit fou pour pousser le coussin sur la glace du Baikal. Même mécanique une fois sur la terre ferme, avec quarante minutes de bus, toujours entrecoupées de soubresauts sur la route sans asphalte. On ne se rend plus compte du confort que représente une voie goudronnée de nos jours, je peux vous l’assurer.
Il fait nuit noire. Les phares du vieux bus soviétique éclairent à peine la terre friable et pâle de la route. Soudain, de faibles lumières apparaissent, et on distingue la fumée de cheminées. Nous débarquons dans un petit gîte tout de bois fait, spécialement pour les touristes, mais avec un certain charme. Le froid est perçant : il s’infiltre dans le moindre de vos vêtements, referme ses griffes sur vos pieds, et resserre son étreinte comme deux bras qui vous enlacent et ne vous lâchent plus. Et cet hiver est considéré comme « chaud ».
Nous sommes arrivées en pleine période de fête orthodoxe, le 18 janvier, le krechénié. Signifiant « baptême », il est bien connu des occidentaux puisqu’il incarne de manière un peu clichée l’habitant russe et ce dont il est capable. En effet, pour se baptiser, il convient de creuser un trou dans la glace de la taille d’un cercueil (je regrette la comparaison, mais elle est vraiment parlante), le délimiter par des poutres de bois, et se plonger dans l’eau noire glacée. L’ambiance est un peu sectaire : il fait toujours nuit, les voitures des habitants sont disposées en cercles, leurs phares éclairant le « bain », moteurs tournant à fond, et vaillants croyants comme badauds reproduisent l’anneau autour de l’eau. Des pompiers sont tout de même là. Les hommes d’abord défilent, un à un, réprimant toute hésitation, à moitié nus ; ils plongent plusieurs fois dans l’eau noire, effectuant le signe de croix orthodoxe, et sortent, le corps fumant sous le froid. De jeunes garçons sont même poussés à effectuer le rituel, signe d’un passage à l’âge adulte ou d’un renouveau. Puis, deux femmes se prêtent à la même renaissance. Le baptême est terminé, et les gens rentrent chez eux après avoir empli bouteilles, seaux et gourdes de l’eau bénite.
Le lendemain matin, le soleil rougit l’horizon montagneux de l’île. Peu à peu, le ciel se réchauffe et prend une sublime teinte céruléenne, constellée de nuages épais d’un blanc immaculé. Nous descendons sur le lac gelé, recouvert d’une épaisse couche de neige, pour marcher jusqu’au rocher du Chaman. La seule chose que je peux qualifier, c’est le sentiment que l’on ressent là, sur la glace, marchant près des grottes égayées de stalactites et n’apercevant au loin que le bleu du ciel fusionnant avec le lac. Sérénité. Il y a rarement si peu de bruit, avec seul le vent qui souffle, le froid qui vous rappelle de ne pas vous arrêter, et les corbeaux en haut des collines nues qui tournent autour des monuments bouriates. Pourtant, la glace demeure un lieu de vie : un chien nous suit, maître des lieux, trottant allègrement sur un terrain qu’il connaît. Une procession orthodoxe descend aussi de la colline, vers la berge. A un moment, nous croisons une voiture arrêtée et une jeune femme qui nous interpelle : ils sont coincés. En effet, les plaques de glace entrent souvent en collision et « coupent », comme nous a appris un chauffeur. Cela signifie qu’elles forment des pics qui montent à la verticale, et fragilisent les frontières entre les deux zones. Le châssis de la voiture a dû taper dedans, sans compter l’état de la voiture au départ. Après mûre réflexion, elle nous encourage finalement à continuer, nous assurant qu’elle allait se débrouiller avec ses amis.
Nous continuons. Nous voulions aller jusqu’à un autre rocher, mais ma jambe commence à faiblir. Les distances, sur la glace, ne semblent jamais se réduire. Je mets le cap vers un ensemble de maisons de bois en hauteur avec une amie, pour me reposer. Après quelques pas supplémentaires et une montée ardue dans la neige, nous réalisons que ce n’est qu’un camp de vacances – vide en hiver.
Nous marchons des heures pour trouver un signe de vie. Je passe par la forêt, incroyablement paisible sous le soleil d’hiver, voyant au loin des vaches broutant ce qu’il reste d’herbe. Nous rejoignons une route, sans doute la principale, qui mène vers d’autres baraquements. Un chien nous guide, aboyant et courant vers le plus proche village, Kharantsi. Là encore, personne. C’est un sentiment assez perturbant. Nous sommes tellement habitués à la vie, grouillante, aux services et aux gens à disposition tout de suite, là, immédiatement. Trouver quelqu’un qui nous renseigne, peu importe l’heure, le jour, le lieu. Ici, sur cette île, sans réseau et sans téléphone qui s’est éteint sous le froid, on ne peut compter que sur son sens débrouillard – et le mien n’était pas très aiguisé.
On réapprend à suivre son instinct : on cherche les routes, les voitures, les cheminées, les animaux. Quelques autres vaches, chiens et deux petits garçons qui courent nous mettent sur la bonne voie. Ils nous indiquent avec une bienveillance candide le chemin d’un hôtel. Mais ce dernier était fermé, encore une fois, en hiver. Marcher huit kilomètres pour une néophyte était déjà une épreuve, et là, dans la neige, l’effort est encore plus grand.
De manière inespérée, nous tombons sur une femme devant sa porte. Nous nous résignons à lui demander d’appeler un taxi pour nous. De prime abord fermée, le visage basané aux traits bouriates, la quarantaine, elle nous invite à l’intérieur. Nous découvrons le club du village, où, autour d’une table de ping pong, sont assis une vieille femme, une jeune fille, et un garçon. Ils sont tous bouriates, à l’exception du dernier. Ils piquent de la laine pour créer de superbes peluches. La jeune fille nous invite à essayer, professeure patiente ; elle a seize ans, va à l’école de Khoujir, et prévoit évidemment de poursuivre des études à Irkoutsk, centre d’éducation supérieure le plus proche. Le temps de quelques bavardages, et le taxi est là. Tous nous font signe de garder le petit cœur rouge de laine raté en guise de souvenir. L’un de mes plus beaux souvenirs, sans aucun doute. Et nous retrouvons notre paradis artificiel touristique de Khoujir, où la devanture est traduite en trois langues : russe, anglais et chinois.
La journée suivante est beaucoup moins ensoleillée. Et beaucoup plus froide. Un car soviétique, le fameux OUAZ, nous prend en cours de route et s’arrête récupérer d’autres touristes. Nous visitons le nord de l’île, jusqu’au cap le plus avancé : Mys Khoboi. Les cars se suivent un à un, se garant en grappes sur les points d’intérêt pour laisser leurs clients réinventer leur Instagram. Je ne fis pas exception, évidemment. Mais il y a des moments où il faut simplement, purement regarder l’horizon lointain, et écouter le vent souffler. De toutes façons, vos doigts brûlent au bout de cinq minutes à l’air pur.
Notre chauffeur s’arrête aux rochers nommés les Trois Frères pour préparer le repas : il m’explique que la légende veut qu’un roi ordonna à ses trois fils de récupérer sa fille en fugue. Ils la trouvèrent sur le cap Mys Khoboi, tout au Nord ; mais la fille refusa de rentrer et conclut un marché avec ses frères.
Le temps d’autres récits épiques, le repas est prêt : une soupe faite de maquereau, de pommes de terres et de carottes. Le bol de métal fume, tout comme le thé ; le pain et les prianikis, petits gâteaux durs à la cannelle, gèlent au bout de quelques secondes. On a tendance à manger vite, effectivement. Il brave la glace, sûr de lui, pour nous emmener de manière imprévue plus au nord, où le froid a cristallisé l’eau transformée en cristaux bleus translucides. J’apprends qu’il conduit les touristes à temps partiel, et s’apprêtent à retourner à Irkoutsk pour travailler en tant qu’électricien. L’excursion est déjà finie.
Le Nord n’ayant plus de secret pour moi (en toute ironie, bien sûr), nous réitérons l’expérience au sud le lendemain. Le soleil est revenu, et la différence est sensible. Notre nouveau chauffeur est beaucoup plus bavard, et parle volontiers de sa culture bouriate, et ses liens avec le peuple russe. Il s’appelle Serguei, a deux fils, dont l’un travaille à Irkoutsk. Il est né dans un petit village au milieu des collines, et sa rangée de dents en or brille dans le rétroviseur. Sa peau raidie par le froid et tannée par le soleil nous laisse penser qu’il a entre 50 et 60 ans, tout de camouflage vêtu, un petit bonnet sur la tête, pas de gants, et des bottes en renne. Il plaisante volontiers sur notre incapacité à résister au froid, fumant cigarette sur cigarette.
Dès le début, il nous lance que nous mangerons de l’omul, le poisson phare du lac Baikal, lointain cousin du saumon. N’est-ce pas interdit d’en pêcher ? Ou avez-vous une autorisation ? lui demande-t-on. Il nous répond hilare en un mot, contraband. Au moins, les choses sont claires. Serguei lâche aussi, au cours d’une discussion sur les chamanes, quelque chose qui nous a marquées :
« Tu peux mentir au gouvernement, aux impôts. Mais pas à la personne (tchelovek). La personne c’est sacré. Donc tous ces pseudos-chamans de nos jours qui prennent de la thune (babki), ce ne sont pas des vrais. Tout se monnaye, tout est publicité. Pour être chamane, il faut que ça soit dans tes gènes, dans ta famille. Le chamane n’est ni à gauche, à droite, il est digne et honnête, et il te connaît mieux que toi-même. C’est pour ça qu’il te soigne. »
Mais les véritables chamanes se font rares de nos jours ; il y a quelques années, un russe ethnique était parvenu à devenir chamane, mais il parlait parfaitement bouriate. Des femmes chamanes existent aussi, de temps en temps. Mais de manière générale, la pratique fait plus parler les curieux que les locaux. Je demande à un moment la signification des petites constructions de galets à proximité des sites visités ; il me répond, sardonique, que c’est l’œuvre de touristes un peu trop impliqués.
Serguei n’aime pas les touristes chinois. Et par extension, du coup, les Chinois. Avec notre faible privilège de Françaises russophones, nous parvenons à gagner ses faveurs, et il nous fait découvrir des lieux à la beauté insoupçonnée, et à l’abri des centaines de curieux. L’omul est délicieux, surtout lorsqu’on le mange face à un désert de glace au-dessus duquel se découpent les collines presque mauves. Il insiste pour nous montrer la glace la plus transparente, où les plus belles bulles furent prises dans la glace à l’arrivée de l’hiver. Véritables œufs d’un blanc pur, parfois d’un mètre de diamètre, elles sont le rêve de tout touriste du Baikal. La glace bleu sombre, lézardée de failles et fissures, laisse parfois transparaître les galets du fond de l’eau. La profondeur n’est « que » de 350 mètres. Nous nous trouvons dans la Petite Mer. Mais plus loin, sur la côte est, dans la Grande Mer, les entrailles du Baikal se creusent jusqu’à 1600 mètres de profondeur. A un instant, on entend un bruit qui suscite une réaction immédiate de notre corps : la glace bouge, se fend sous les dizaines de couches, et renvoie un son sourd, profond, que j’ai comparé aux basses d’un cinéma. Le bruit fait le tour de la zone, vous encercle, et son amplitude vous fait prendre conscience de votre insignifiance face à la nature, sans vous assourdir, loin de là. Serguei se permet un commentaire poétique à la vue de nos têtes peu rassurées : le Baikal respire.
Raconter la totalité de ce que l’on ressent en traversant les plaines bleues, ouvertes sur le lac, est impossible : c’est quelque chose qu’il faut vivre soi-même. Cependant, j’ai tenté quelque peu de le faire, pour vous convaincre de l’expérience qu’est le lac Baikal.
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Le Transsibérien : Novosibirsk
Novosibirsk est, selon beaucoup de guides qui souhaitent mettre en avant leur ville, le centre de la Russie. Notre guide personnelle, Lioudmila, a évidemment déconstruit ce mythe, ou du moins l’a expliqué : la ville peut être considérée comme le centre de la Russie en prenant le parallèle qui traverse le pays, et donc en minimisant le poids de la Sibérie centrale et orientale jusqu’au Kamtchatka. Cette même ville est extrêmement récente : construite à la fin du XIXè sous les ordres d’Alexandre III et son oukaz visant à exploiter l’un des plus grands ponts ferroviaires de Sibérie, elle fête à peine ses 125 ans. En effet, cela se ressent du point de vue architectural : on est frappés, en sortant de la belle gare anis, de découvrir une ville presque entièrement constituée de gratte-ciels constructivistes avec, pour une ville russe, peu d’églises. Novossibirsk était déjà peu peuplée à ses débuts, et le communisme a détruit la plupart des édifices religieux, nous raconte Lioudmila avec émotion. Elle est fervente croyante et pratiquante, et nous fait part de son soulagement de voir la jeunesse russe se réintéresser à la religion, le tout sous les flocons devant un monastère couleur or. On pourrait en effet croire à tort que Novossibirsk manque un peu de la spiritualité de ses collègues de l’Ouest ; mais elle est riche d’une culture sibérienne à la croisée des continents et d’une histoire séculaire. Cette culture est notamment relatée en couleurs par le peintre Rerik, dont le musée à l’ambiance intimiste vous plonge dans un voyage questionnant l’être, le monde et la nature.
Le français y est particulièrement populaire : si, de manière générale en Russie, la langue a gardé un prestige et un rayonnement que même nous, indigènes, ignorons, elle irradie d’élégance et nous suit dans notre voyage aussi. Le milieu des chauffeurs de taxi est un peu le premier cristallisateur de cette prise de conscience : il y avait deux types de situations. Soit le chauffeur nous écoutait silencieusement déblatérer en français, puis timidement nous faisait confirmer à la fin de la course qu’il avait bien identifié la langue sur un sourire ; soit il était totalement réceptif et entamait une discussion qui se résumait aux mots suivants :
« Vous êtes françaises ?
- Oui, en effet.
- Ah, c’est la langue de l’amour.
- C’est ce qu’on dit.
- Ma femme adore la France. Elle a déjà voyagé à Paris. »
Cet intérêt étendu jusqu’en Sibérie me fascinera toujours. Outre les clichés et l’obsession parisienne des Russes, ils sont sincèrement convaincus de l’élégance, du prestige et de la culture exhalée par le moindre mot en français, à la manière d’un parfum Chanel. La curiosité suscitée par nos bavardages francophones m’étonne et m’amuse beaucoup. A Novosibirsk, devant le théâtre national, une femme s’est adressée à nous dans un français impeccable alors que nous nous évertuions à prendre un selfie.
Ce théâtre est d’ailleurs le plus grand de Russie. Non, ce n’est pas le Bolshoi, ou le Marinski, mais bien le NOVAT de Novosibirsk qui peut accueillir le plus grand nombre de spectateurs, aux équipements techniques hors du commun. La salle principale peut contenir jusqu’à 1 790 spectateurs, véritable Colisée sibérien; c’est la fierté de la ville. Les habitants parlent même de la mauvaise foi moscovite lorsqu’ils plaisantent sur le fait que le Bolshoi pourrait tenir entièrement dans leur théâtre.
En Sibérie, le symbole qui se fraie un chemin sur les écussons et armoiries est la zibeline ; on retrouve aussi les couleurs verte, bleue et blanche : vert pour la forêt, bleu pour l’Ob, et blanc pour la neige.
Encore une fois, le temps de saisir l’identité de la ville, et nous voilà déjà repartis. Direction Irkoutsk, désormais monstre touristique de Sibérie grâce (ou à cause… ?) de son célèbre lac Baikal. Rêve de beaucoup de touristes, la petite bourgade s’est transformée en véritable hub doté de toutes les infrastructures pour accueillir les nuées de curieux venus du monde entier. Chose plus ou moins mal perçue par les Russes : en discutant avec nos amis d’un soir, nous avons appris que l’écosystème était évidemment menacé et que les Asiatiques représentaient la plus grande part de touristes en été, assaillant les îles dans vans et cars de voyage…
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Le Transsibérien : Tobolsk
Nous débarquons à Tobolsk, et admirons un paysage gelé féérique ; la forêt de conifères est couverte de son manteau blanc, et l’horizon est sculpté par les vallées qui se découpent sur un ciel matinal à l’épaisse brume. La ville est très étendue et peu haute, ce qui change des autres métropoles russes ; on y voit les traces d’un passé ancien, à commencer par le magnifique kremlin sous la neige en haut d’une colline. Ce kremlin a d’ailleurs des liens étroits avec son homologue moscovite, dans la mesure où l’une des flèche fut donnée en cadeau à la petite ville. Vladimir Poutine gratifia également Tobolsk d’une visite officielle, ce qui nous conforte dans l’idée d’une ancienne capitale sibérienne prestigieuse.
Serguei nous sert de guide, et nous présente l’église de l’Intercession de style kieven, rénovée dans les années 2000 par la Société des Artistes de Tobolsk. Il a lui-même participé au processus en peignant une icône présente sur l’iconostase. Le kremlin est aussi égayé par la Cour des Marchands, qui y ont construit une auberge aujourd’hui hôtel pour les voyageurs. Il y a plus de 300 000 touristes chaque année à Tobolsk, et la moitié sont des Russes venus en pèlerinage. Nous visitons la cour intérieure, escaladons les remparts très glissants, et apprenons que la cloche fut forgée par les prisonniers de guerre suédois capturés par Pierre le Grand. Elle pèse environ 25 tonnes tout en étant positionnée de biais, pour demeurer droite au cas où le terrain glisserait. L’architecte de cette merveille, Remezov, aurait dédié sa vie toute entière au kremlin : la légende veut qu’après sa mort, il eût demandé à ses disciples d’extraire ses os, de les faire bouillir et d’en confectionner une chaux pour fortifier les murs de la forteresse. A l’époque, c’est le seul kremlin de pierre avec celui de Moscou, ce qui en dit long sur le rayonnement de la ville sibérienne, qui tenait une place particulière dans l’estime des tsars.
En effet, Tobolsk était particulièrement appréciée de Pierre le Grand. Cette tradition se perpétua, de manière un peu moins joviale aussi : la ville abritait les prisons les plus austères de Russie, et le régime soviétique s’appropria à merveille cet héritage macabre en y envoyant de farouches dissidents, qui y endurèrent toutes les tortures les plus imaginatives. Les geôles de Tobolsk étaient donc réputées, du XVIIè siècle à l’ère de la police politique du XXè siècle. Aujourd’hui, un musée a remplacé la sordide fonction du bâtiment.
Quelques mètres plus loin, on trouve le Palais des Décrets, également transformé en musée retraçant l’histoire de la ville et de ses gouverneurs. Là encore, le rôle clé de Tobolsk apparaît en transparence dans tous ces édifices, vitaux pour le pouvoir de l’époque. On voit également les symboles de la ville et de la région, comme la zibeline, un petit mammifère à la fourrure prisée, qui reviendra au cours de notre voyage en Sibérie.
L’influence du tsar se fait sentir jusque dans la maison dont il disposait pour prendre congé, et où a aussi séjourné l’entourage de sa famille (dont le précepteur Pierre Gilliard). La maison Kuklin, d’un luxe évident, expose les chambres des enfants, la salle à manger, la salle de cours de la tragiquement célèbre famille. Le musée présente également les étapes qui menèrent au transfert des derniers Romanov à Ekaterinbourg.
Tobolsk est une petite perle qu’il vaut la peine de visiter, surtout lorsque l’hiver dépose son manteau blanc sur les murs immaculés du kremlin. Son symbole est un ange, car sa position et ses éléments géographiques (comme sa forêt environnante) semble représenter des ailes, un cœur et une auréole. Néanmoins, il apparaît évident que la ville a perdu de sa superbe par rapport à l’époque dorée des tsars ; peuplée de moins de 100 000 habitants, on a pourtant l’impression d’être seul au monde (bien que nous fûmes de passage en saison basse, c’est le moins qu’on puisse dire). Sa position d’abord éloignée du chemin de fer du Transsibérien l’a pénalisée ; la gare se trouve à une quinzaine de kilomètres de la ville, ce qui est beaucoup par rapport aux autres villes que nous avons pu voir. Cependant, son calme hivernal est un baume à l’��me incomparable ; et on se laisse volontiers envoûter par la vue saisissante du kremlin, de son escalier magique, et de l’immense forêt couvrant les collines dans un froid sec et revigorant.
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Le Transsibérien : Ekaterinbourg
Nous arrivons dans un sale état à la gare de Ekaterinbourg. Il faut dire que deux jours de train pour des néophytes comme nous est une sacrée expérience. Sauvées par un chauffeur de taxi bienveillant très intéressé par la culture française, nous arrivons à 6h du matin dans notre AirBnB soviétique, accueillies par notre hôte très impliquée, Natalia. L’appartement est spacieux, fonctionnel et il a ce charme des années 70, avec son tapis à motif un peu kitsch qui contraste avec le minimalisme du reste du mobilier.
La ville est moderne, autant dans son architecture que dans son histoire : fondée en 1723 par Vassili Tatichev, elle est la capitale de l’oblast de Sverdlovsk, et est renommée pour son industrie minière exploitant les richesses de l’Oural. Elle prit même le nom de Sverdlovsk durant l’ère soviétique, en hommage au bolchévique Sverdlov qui aurait donné l’ordre de fusiller la famille impériale.
Ekaterinbourg est donc tiraillé entre son passé soviétique avec son style très constructiviste, sa statue de Lénine et autres signes de la bonne élève de l’URSS, et l’hommage perpétuel qu’elle rend à l’autocratie, comme rongée par la culpabilité d’avoir été la dernière ville que vit l’ultime tsar de Russie. Fusillés dans la cave de la maison Ipatiev, Nicolas II et ses proches bénéficient désormais d’un musée à l’endroit de la bâtisse, qui fut détruite pour y reconstruire l’Eglise sur le Sang Versé. A l’intérieur, on y trouve des fresques de la famille impériale au complet, auréolée de lumière et habillée de tissus vaporeux, à la façon d’anges. Ils furent après tout canonisés en 2000 par le Concile de l’Eglise orthodoxe russe, non sans quelque controverse. Mais cet événement est d’autant plus intéressant dans la mesure où il cristallise cette hésitation propre à la Russie moderne, renouant férocement avec ses racines orthodoxes, mais gardant à l’esprit les progrès qu’apporta l’Union Soviétique. En guise d’exemple, notre guide nous avait arrêtées sur une petite place boisée du palais des Kharitonov, et nous avait demandé de suivre ses gestes. Elle montra dans un premier temps l’église de l’Ascension, d’un bleu azur avec ses coupoles dorées, symbole de la foi orthodoxe ; puis elle orienta sa main vers un monument face à nous, sur la place, dédié aux Komsomols de l’Oural ; enfin, elle nous fit contempler dans un dernier mouvement de tête la jungle urbaine à nos pieds, et le gratte-ciel Eltsine qui en émerge. Une autre tour mérite le détour, nommée après le chanteur Vyssotski, qui me rappelle fortement un Yves Montand soviétique. La guide conclut : « On peut revivre l’histoire de Ekaterinbourg, simplement en regardant autour de soi. »
La capitale de l’Oural dispose aussi d’un quartier littéraire d’origine, c’est-à-dire composé de petites maisons sibériennes de bois, aux toits égayés de dentelle et aux jalousies finement travaillées. Un monument à Pouchkine y est érigé, et l’on marche joyeusement à ses côtés dans une neige bien plus belle et soyeuse qu’à Moscou.
Comme je l’ai mentionné, la ville est fière de l’un de ses prodiges, Eltsine. Né dans la campagne de l’oblast, il fit ses études à l’Institut Polytechnique de l’Oural de Ekaterinbourg, et gravit peu à peu les échelons du parti pour atteindre l’impensable, officialisant la chute de l’URSS, et devenant premier président de la Fédération de Russie. Un Centre Eltsine fut construit dans le centre-ville en 2009 par une agence américaine, à la façon d’une bibliothèque universitaire. Plus qu’un monument, c’est un complexe ultra-moderne et épuré aux dizaines de boutiques de niche, avec salle de concert, terrasse où se déroulent moultes réjouissances et surtout, le musée dédié à l’ « artisan de la liberté ». Ce centre peut tout à fait ne pas attirer les touristes de prime abord, dans la mesure où il impliquerait d’avoir un tant soit peu d’intérêt pour le président et sa vie. Et là, surprise : très honnêtement, c’est l’un des meilleurs musées que j’ai fait en Russie, voire de toute ma vie. Intelligemment construit, interactif, ponctué d’écrans, jeux et objets d’époque, mais sans tomber dans le tout digitalisé (ce qui est le cas d’un autre musée sur l’histoire russe), il dresse un portrait fascinant de la Russie à travers les époques à l’aune du prisme de la vie de Eltsine.
Enfin, le thème de la frontière entre l’Europe et l’Asie est central pour Ekaterinbourg. A quelques kilomètres de la ville, il existe une borne frontière entre les deux continents, en bordure d’autoroute ; on pourrait passer un peu vite devant en direction de Tcheliabinsk, et pourtant. La construction célèbre notamment l’amitié des peuples, et affiche les symboles de chacun : un coq pour l’Europe avec des couleurs comme le rouge, le blanc et le bleu, et un dragon pour l’Asie, avec du jaune et du cyan. Il est vrai que Ekaterinbourg est à quelques centaines de kilomètres de la frontière kazakh. Cette limite aurait été théorisée par Tatichev, homme de science qui se serait basé sur la différence minéralogique entre les deux plateaux, et en aurait déduit l’existence d’une frontière naturelle intercontinentale. Les couples ont pour habitude de se rejoindre là-bas, d’y sabrer le champagne pour d’heureuses noces, et d’organiser des bals sur une petite estrade de bois prévue à cet effet. C’est un petit coin bohème un peu mal placé, à côté d’un axe routier. On touche également les deux côtés du monument pour rééquilibrer son énergie intérieure et voir ses vœux exaucés, chose non étonnante pour les Russes, férus de spiritualité.
En parlant de spiritualité, nous visitons également le monastère pour femmes Alexandre Nevski, dont les murs crème se fondent parfaitement dans le ciel ivoire d’hiver ; les coupoles dorées sont recouvertes de neige. Là, dans ce temple vide mais chaleureux, une femme nous reprend à l’ordre : les visites guidées sont interdites. Et à peine une minute plus tard, elle comprend avec enchantement que nous sommes touristes étrangères, et endosse joyeusement le rôle de guide pour nous décrire l’endroit. Les fresques, uniques en leur genre, sont le fruit de longues heures de travail des femmes du monastère. L’icône centrale, de Sainte-Catherine (qui n’est pas l’impératrice, Catherine I, mais une sainte à part entière !) eut une histoire mouvementée : après avoir été dérobée, elle serait apparue à des pêcheurs dans le lac Ladoga. Plutôt capricieuse, elle aurait influencé la construction du monastère selon sa volonté, pour finalement accueillir des pèlerins de toute la Russie.
Voilà les moments mémorables de mon séjour à Ekaterinbourg, bien sûr trop court pour saisir la ville dans son entièreté. Mais mon impression de notre première étape du Transsibérien n’en fut pas moins forte, évidemment.
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Le rapport aux femmes et la galanterie
J’ai déjà en filigrane abordé ce thème via le post dédié au terme « diévouchka ». Mais pour moi, cet aspect de la société russe vaut bien plusieurs lignes, tant son impact est visible pour une étrangère comme moi.
Il n’est en aucun cas ici question de juger du degré d’avancement, de progressisme ou de modernisation d’une culture, concept relativement polémique en plus d’être flou. Je me contenterai de constater des choses qui m’ont frappée, et d’esquisser une explication qui ne se voudra nullement universelle ou faisant autorité dans quelconque domaine.
Les Russes sont galants. Très galants, voire intrusifs pour qui n’y est pas habitué(e). Ils se ruent devant vous pour vous ouvrir les lourdes portes du métro ; ils se saisissent de vos plateaux à la cantine ; ils se chargent de vos encombrantes courses à votre place ; et surtout, ils payent les additions. Le concept de galanterie envers une dame est tellement ancré dans la société russe que les serveurs, dans le cas d’un couple dînant, vont naturellement vers l’homme pour le paiement.
On m’a déjà dit que refuser est impoli, et je le conçois ; mais au-delà de l’offense du cadeau, les Russes s’étonnent qu’une femme ne se laisse pas « entretenir », « pouponner », « chouchouter ». Cela découle sûrement d’une conception assez étroite du rôle de la femme, malheureusement encore assez prégnante, qui se fait belle et assume son devoir du paraître. Je n’irai pas jusqu’à dire que la société russe est bâtie sur un écart tel entre les perspectives de carrière d’hommes et de femmes que même ces dernières usent de ce rôle à leurs fins, mais presque. Je vous renvoie ici au documentaire diffusé par Arte « Séduction à la russe » de 2012, qui met fabuleusement en lumière le cercle vicieux dans lequel s’est enfermé chaque genre pour atteindre son but.
Cela m’amène au fait suivant : les femmes russes le savent, l’ont intégré en grande majorité, et pour beaucoup, en usent inconsciemment (faute d’alternatives ?). Sans généraliser à outrance, beaucoup sont celles qui désirent se faire belles, trouver un mari et assumer une fonction matrimoniale le plus rapidement possible. Les femmes plus âgées à qui j’ai pu parler, lorsque l’on abordait le sujet de la professionalisation, avaient du mal à concevoir que je veuille être, par exemple, diplomate. Je serais plus volontiers la femme du diplomate. De surcroît, j’ai tenté d’expliquer le concept de misogynie à l’une de mes interlocutrices : elle ne comprenait pas qu’une haine des femmes existe. Impossible ici de séparer l’objectif (la misogynie, observable via des indicateurs) du subjectif/sentimental (la haine des femmes).
Mais les deuxièmes victimes de cet ordre sexué sociétal russe exacerbé (désignation farfelue) sont bien les hommes. Du fait de l’existence de ces cadres de références partagés par tous, et des attentes comportementales requises par la gent masculine envers les femmes, un déséquilibre se crée aussi. Leurs représentants (qui encore une fois ne servent pas d’échantillons généralisables) avec qui j’ai conversé m’avouent, souvent malgré eux, qu’il endossent un rôle supplémentaire pas forcément souhaité. D’abord, un homme, ça ne pleure pas ; mais ça tend son épaule à la femme qui pleure. Un homme, ça conduit, ça a une voiture, pour emmener une femme dans le besoin. Un homme, ça se montre fort et ça défend sa copine, sa femme, au risque de se mêler de ses affaires. L’homme protecteur, fort, calme et actif à la fois, physiquement et mentalement apte à se défendre, possédant généralement des affinités avec l’armée (rappelons que le service militaire est toujours en vigueur), voilà un vrai homme.
Cette polarisation à outrance des rôles de genre continue de creuser le fossé entre deux catégories de la population qui ont parfois, je pense, du mal à se comprendre. Les hommes continuent d’attendre des femmes qu’elles se laissent « entretenir » en échange de leur beauté, quitte à y laisser beaucoup d’argent ; les femmes continuent d’attendre des hommes une protection aussi bien corporelle que matérielle. De ce fait, les hommes continuent de considérer les femmes comme des profiteuses douées seulement de leurs atouts physiques, et les femmes perçoivent les hommes comme des brutes immatures. Dans les deux cas, il y a du vrai, et du faux. Education, usage de normes culturelles pour s’accomplir ou trouver une situation stable, devoir envers la famille et réputation sociale ; il ne s’agit en rien de réformer, mais simplement de constater. Et si la galanterie fait plaisir l’espace d’un instant, elle devient vite hypocrite et envahissante ; on lui préfère alors une « politesse » plus neutre et générale…
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Cuisine russe (1), Pelmeni, Bortsch et Sirniki
Lorsque l’on s’intéresse à une culture, on peut difficilement éviter de passer par la case cuisine, et de s’en délecter joyeusement. Pour ma part, j’ai toujours eu un faible pour ces classiques de la cuisine slave qui prennent différentes appellations en fonction des régions mais demeurent tout aussi délicieux. Nombre des mets proposés et régulièrement préparés par les familles font appel à des produits laitiers, une bonne dose de viande et une ribambelle de légumes qui collent bien au corps pour lutter contre le froid. Qui plus est, les plats sont rarement épicés, voire pas du tout, ce qui est de mon goût mais peut-être pas de tous. En tous cas, il est certain que le régime russe n’est pas des plus appropriés pour perdre quelques kilos ; mais à quoi bon, quand cela ravit vos papilles ?
Souvent, le symbole la nourriture russe est une assiette de pelmeni (Пельме́ни), avec un « i » car on préfère tout de même en avoir plusieurs (le singulier étant pielmien). Petites enveloppes de pâte renfermant viande ou poisson, les pelmeni sont cuits à la vapeur avec un peu d’huile et beaucoup de patience ; en effet, leur pliage si particulier requiert une concentration et un effort particuliers. Leur nom viendrait du komi, langue parlée dans l’Oural, qui les auraient alors désignés comme « oreilles de pain » (piel et nian), chose cohérente au vu de leur forme. Ils auraient été incorporés à la cuisine russe à la fin du XIV et au début du XV siècle.
Les Russes n’ont évidemment pas le monopole de la raviole avec farce cuite à la vapeur ; et il est intéressant de trouver les variantes de nombreuses régions du monde semblables aux pelmeni : ravioli italiens, jiaozi chinois, gyoza japonais, manty d’Asie Centrale, khinkali géorgiens, pierogi polonais, vareniki ukrainiens… Les goûts et les formes diffèrent, mais l’esprit reste le même. A noter donc que les pierogi, vareniki et pelmeni désignent donc de manière générale la même chose, mais dans trois régions différentes.
Bien qu’on puisse désormais en manger partout, même en « fast-food », les pelmeni demeurent un repas de fête ; on en prépare pour le Nouvel An et Noël ou autre occasion impliquant une certaine quantité d’invités.
Vient ensuite un autre monument de la cuisine russe : le bortsch (борщ), à l’ortographe haut-perchée quand une seule lettre cyrillique doucement prononcée « sh » suffit. Eh bien voilà, le bortsch n’est pas russe. Du moins, il est communément admis qu’il vient d’Ukraine, et dans sa forme la plus connue, c’est-à-dire tout de rouge vêtu. La betterave, ingrédient phare de cette préparation, est accompagnée d’ail, d’oignon, de concentré de tomate, de pommes de terre et de morceaux de bœuf. Néanmoins, il existe autant de versions que de diversité dans l’espace slave : bortsch au poisson, blanc, vert, avec énormément de légumes ou pas, avec énormément d’aneth ou pas.
Aparté : la cuisine russe use et abuse de l’ukrop, qui est en fait de l’aneth.
Quoi qu’il en soit, voilà la vérité dévoilée sur l’identité de cette soupe qui vous rassasie pour de nombreuses heures.
Il conviendra de terminer avec les sirniki (Сы́рники), petites délicatesses à base de fromage frais (de syr, « fromage » en russe). Ils se consomment au dessert et, là encore, peuvent servir de repas entier tant ils sont riches. Mélangez tvorog, farine et œufs, faites frire, et voilà. Le tvorog est somme toute le nom d’un produit laitier qu’on a fait cailler, tantôt considéré comme fromage frais, tantôt comme produit fermenté. Ajoutez un peu de miel et de la crème, et le tour est joué.
Si j’a choisi ces trois plats, c’est notamment, outre leur notoriété, pour l’accompagnement légendaire qu’ils ont tous en commun : la smetana. Oui, il est vrai que les slaves donnent des noms slaves à des produits dont nous disposons aussi chez nous ; mais on n’aurait tort de coller nos étiquettes sur ces ingrédients. Si vous demandez à un russe de décrire du tvorog ou de la smetana, il vous répondra : « Eh bien, c’est comme du fromage frais, de la crème, mais pas vraiment. C’est du tvorog et de la smetana, quoi. »
En effet, la smetana ne correspond pas à la crème épaisse que nous avons, par sa texture et son goût : traduite à mon humble avis à tort en « crème aigre », elle est plus neutre, fraîche et gourmande, allant avec du salé aussi bien que du sucré.
Bon appétit ! Приятного аппетита !
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Moscou (2), VDNKh
Cette partie de Moscou est relativement méconnue du grand public et des touristes. Pourtant, j’ai été frappée de la monumentalité de ce parc-cité qui vous fait miroiter la possibilité d’un millénarisme soviétique. L’appellation VDNKH vient de Выставка Достижений Народного Хозяйства, qui veut littéralement dire « Exposition des Réalisations de l’Economie Nationale/du Peuple ». L’arrêt de métro est encore nommé de la sorte, alors que légalement, le parc a pris le nom de « Centre d’exposition panrusse » depuis la fin de l’URSS. L’idée d’une telle construction viendrait de l’initiative du pouvoir central, en 1934, d’organiser une exposition anniversaire des vingt ans du régime soviétique, qui témoignerait des bienfaits de la collectivisation. Après le choix du lieu (qui ne fut pas si aisé), fut organisé un concours d’architecture du plan général et des pavillons. En effet, vous le remarquerez sur place, se dressent de toutes parts de majestueux panthéons modernes ornés du nom du pays qu’ils représentent.
La majorité de ces pavillons fut construite entre 1950 et 1954, lors de la reconstruction du parc post-Seconde Guerre mondiale. Le pavillon central se dresse au loin et domine le parc de sa silhouette élancée, un monument à Lénine émergeant à ses pieds. Il y a deux allées, la Principale et la Centrale, ainsi que deux places, celle de l’Amitié des Peuples et celle de l’Industrie. L’arc, posant d’entrée de jeu les dimensions pharaoniques du complexe, fut construit de 1951 à 1954. La fontaine de l’Amitié des Peuples trône sur la place éponyme, tout d’or étincelante, représentant des jeunes femmes de chaque république soviétique. Chaque pavillon est censé accueillir les réalisations d’une des républiques filles de l’Union Soviétique, un peu à la manière des Expositions Universelles parisiennes. Enfin, leur rôles n’étaient pas figés ; le pavillon de la Sibérie aurait muté en représentant de l’Arménie, et celui de l’Estonie en pavillon du Kyrgyzstan.
Ce qui marque, c’est la maquette de la fusée « Vostok » (Est en russe) qui trône en face du musée de l’Espace, entouré d’autres éléments du domaine aérospatial soviétique : l’avion IaK-42, l’hélicoptère Mi-8t, et le chasseur SOu-27.
Notons qu’il existe un VDNKH à Kiev, construit sur le même modèle que le VDNKH moscovite et ouvert en 1958. De surcroît, le monument de l’Amitié Sino-Soviétique de Shanghai (désormais Centre des Expositions de Shanghai) fut calqué sur le Pavillon Central moscovite, dont s’inspira l’architecte Victor Andreev dans un esprit architectural typiquement stalinien.
L’élément qui est sans doute le plus connu, mais qui n’est pas à strictement parler dans le parc, est la statue gigantesque de l’Ouvrier et la Kolkhozienne de Vera Mukhina. Elle apparaît systématiquement dans la séquence introductive des œuvres de la société de production cinématographique soviétique Mosfilm, et constitue son logo officiel depuis 1947.
Enfin, le parc étant immense (ma première impression fut réellement d’être dans un Disneyland soviétique, même si l’expression est malvenue), vous y trouverez volontiers de quoi grignoter et boire, une minuscule église et un aquarium. En ce qui concerne l’église, je n’ai pas d’informations à donner, si ce n’est qu’elle nous était fermée lors de ma visite et qu’elle était loin d’être le principal point d’intérêt du parc. Quant à l’aquarium, au doux nom de Moskvarium, il se distingue du reste des bâtiments par son style ultra-moderne en verre polissé sombre.
Voilà pour mon expérience au VDNKH de Moscou. Il ne s’agit peut-être que de moi et mon ignorance personnelle, mais je n’avais jamais entendu parler d’un tel parc, sûrement dans l’ombre de la cathédrale de notre cher Basile-le-Bienheureux. Mais y entrer vous fait véritablement voyager dans le temps et perdre tous vos repères européens en termes de dimensions.
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Rostov Veliki
La ville de Rostov-la-Grande (Ростов Великий) fait partie de l’Anneau d’Or, qui doit son nom au dynamisme économique de la région au Moyen-Âge. En effet, en dehors de la capitale, cet agrégat de villes (dont les plus connues sont Serguiev-Possad, Iaroslav, Ivanovo, Kostroma, Pereslav-Zalesski, Souzdal et Vladimir) servait de point de référence pour le commerce de fourrure et autres marchandises vers la Sibérie ; la richesse architecturale de ces villes s’exprime à travers une pléiade de kremlins. En effet, il en existe une multitude (désignant une forteresse, qui se dit aussi krépostj, крепость) et non pas seulement celui de Moscou, bien qu’il demeure le plus connu de tous. Veliki est l’adjectif qui qualifie la ville et qui signifie « grand », « prestigieux ». Elle n’est pas à confondre avec Rostov-sur-le-Don, à 1000 km au sud de Moscou.
Le meilleur moyen de transport pour atteindre l’Anneau d’Or est bien entendu le train. La compagnie officielle ferroviaire russe s’appelle RZD (РЖД, Российские железные дороги). Leur site permet de prendre des billets en ligne ; faites attention à bien avoir votre passeport ou le document qui a servi à acheter le billet. De plus, il est interdit de prendre des billets pour quelqu’un d’autre ; ces derniers sont strictement nominatifs (je parle en connaissance de cause).
Mon arrivée à Rostov était mystique, à l’image de mon séjour : la gare est minuscule, dénudée. Derrière nous, l’immensité des plaines russes gelées à perte de vue ; devant, une myriade d’isbas aux couleurs vives bordant une route en relativement mauvais état. Il faut l’admettre, la ville, centre industriel important à proximité de Moscou, a souffert de la tertiarisation de l’économie ; et malgré son sublime kremlin, nous étions les seules touristes à ce moment-là.
Je me souviens avoir lu dans un article (dont je ne retrouve malheureusement ni le nom, ni l’auteur) que régnait à Rostov une atmosphère particulière, quasi-sacrée, sorte de protection surnaturelle qui conservait par magie les édifices religieux. Notre périple nocturne dans la ville aux rues vides, baignées de lumière orange, troublées par le lointain son des restaurants, restera marqué dans ma mémoire. Sur un ciel d’encre émergent soudain les délicates coupoles grises du kremlin, au-dessus de vieux cafés et de boutiques vétustes. L’accès au lac Néro est plongé dans les ténèbres, et nous devons emprunter des sentiers herbeux (et parfois tortueux) pour finalement arriver sur les berges. La nuit fond sur l’eau, et il est impossible de distinguer l’horizon du lac de l’obscurité.
Le lendemain, dès 7h, nous partons pour le monastère Saint-Jacques de Rostov (Спасо-Яковлевский монастырь) ; toujours dans un calme absolu, l’entrée est bordée de vastes espaces verts et de camions vendant des produits laitiers du monastère. Les édifices religieux orthodoxes sont définitivement des lieux pleins de vie, et le monastère ne fait pas exception. L’odeur de l’encens, la chaleur, la lumière des bougies qui dansent sur l’or des icônes – il y a quelque chose de plus spirituel que dans le catholicisme.
Nous nous arrêtons ensuite dans un petit café – Aliocha Popovitch – aux lambris chaleureux et au thé succulent. En hiver, les Russes boivent du thé noir ; et en été, du thé vert. Nous avons vue sur le kremlin que nous prévoyons de visiter à travers le verre glacé des fenêtres. Quelques minutes plus tard, nous entrons dans l’enceinte de la forteresse blanche : il est possible, pour les étudiants comme moi, de visiter gratuitement toutes les salles de l’édifice. Dans tous les cas, la vie à Rostov est évidemment bien moins chère qu’à Moscou, que ce soit en termes de nourriture, services ou logement.
L’entrée du kremlin est située sous de triomphantes portes, au bout d’une cour de sable fin. Pénétrer dans la forteresse vous ouvre un tout autre paysage : les dalles claires sont égayées par la végétation orange d’automne, et par les chuchotements intéressés d’un groupe d’écoliers. C’est un véritable microcosme encore plus paisible que la ville, déjà tranquille. Il est d’usage, lors de chaque visite, de laisser son manteau souvent épais à la garderob (гардероб, littéralement du français garde-robe), mais qu’il convient de traduire en vestiaire. Rostov est apparemment connue dans toute la Russie pour ses émaux et leur travail. Nous n’avons pas le temps de profiter des somptueuses salles d’exposition qu’il est déjà l’heure de partir.
Je ne sais pas si mon complexe de supériorité de touriste parle ici, mais je ne peux m’empêcher de remarquer que les gens sont d’une gentillesse sans bornes. Notre hôte AirBnB qui nous a amenées en voiture, la vendeuse de la superette du coin qui nous a offert des pirojkis, les babushkas gardant les salles qui s’étonnent de la présence de jeunes touristes dans le coin…
Voilà Rostov Veliki. Sa simplicité n’a d’égal que son authenticité et sa magie silencieuse. Vous n’irez peut-être pas en boîte là-bas ; mais le repos et la beauté que vous y trouverez ne vous laisseront pas indifférent.
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Diévouchka (Девушка)
Au niveau de l’apport intellectuel de ce post, on a un peu chuté par rapport à l’histoire multiséculaire de la Place Rouge moscovite. Néanmoins, il voudrait aborder un point sociétal/culturel/qu’importe, en soit, un morceau de la culture russe.
Diévouchka
Signifiant « jeune fille » en russe, c’est bien plus qu’un mot, que sept lettres cyrilliques. C’est une manière de s’adresser à une certaine catégorie de la gent féminine, communément admise en Russie et partagée autant par les hommes que par les femmes. C’est simple : vous êtes une femme dont l’âge est compris entre 17 et 25 ans ? Ou quand bien même sortiriez-vous de la fourchette, votre physique repousse l’empreinte du temps ?
Alors vous êtes une diévouchka.
Et ce qui est intéressant, c’est qu’absolument tout le monde vous appellera comme cela. De surcroît, vous serez autorisé(e) – voire on attendra de vous – à faire de même vis-à-vis de cette catégorie d’individus.
En France, il est plutôt impoli de s’adresser à une jeune femme de la sorte ; le « mademoiselle » a acquis une connotation relativement controversée, depuis la loi en vigueur et surtout dans les rues. En effet, pourquoi ne pas également appeler nos charmants compères « damoiseaux » ?
Le mot diévouchka et sa puissance sémantique ont engendré des variantes plus ou moins familières : vous entendrez à la radio sur des airs de boîte les appellations diétka (детка), diévotchka (девочка), ou diétotchka (деточка). Cela est probablement dû à la passion qu’ont les Russes de « mignoniser » les substantifs en ajoutant pléthore de suffixes chuintants, avec une gradation en termes de familiarité.
Etant moi-même une diévouchka, j’ai d’abord été déstabilisée par cette apostrophe un peu familière. Puis j’ai vu que dans les restaurants, cafés, dans la rue, pour un service (même dans le cadre professionnel), toutes ces femmes étaient des diévouchkas. Et ne s’en offensaient pas. D’un autre côté, c’est probablement la part de la population la plus populaire en Russie. Quoi qu’il en soit, si vous entendez quelqu’un héler ce mot à votre égard, ce n’est ni par provocation, ni par intéressement grossier (en général). Il s’agit simplement de votre nom là, en cet instant, pour un inconnu qui a besoin de vous.
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Moscou (1), la Place Rouge
On entre enfin dans le vif du sujet. Non pas que la Russie se réduise à Moscou ; au contraire, il me semble que, comme dans tout pays, la capitale est bien différente de la « province ». Les Russes le disent eux-mêmes, les Moscovites sont à part.
Je ne pourrai jamais, en l’espace d’un seul post, raconter Moscou. Ou même en l’espace d’un blog ou d’un livre. Cette ville est démesurée en termes de distances et d’ambition : à mon arrivée, j’ai pu traverser une à une les couronnes qui ornent le cœur historique, déjà gigantesque, et qui ne font que tripler la surface à parcourir. On ne peut tout simplement pas raisonner en termes piétons à Moscou : chaque voyage urbain se fait en bus, métro, ou taxi. D’un autre côté, le réseau de transport moscovite est incroyablement efficace et simple à comprendre, en plus d’être abordable (38 roubles pour les transports en commun, soit un peu plus de 50 cts).
Quoi qu’il en soit, il faut s’habituer à lever la tête pour espérer voir le sommet des immeubles ; dès que l’on s’écarte du centre, les hauteurs vertigineuses de style khrouchtchevien se découpent sur le ciel. Malgré tout, on ne se sent jamais écrasé par la monumentalité de l’architecture : les nombreux parcs, ainsi que la superficie de la ville (2 542 km2 ) alimentent un certain sentiment de liberté.
La Place Rouge, le GUM, Notre-Dame-de-Kazan et Saint-Basile :
Il serait absolument insensé de ne pas mentionner ces véritables monuments touristiques en premier. Toutefois, leur notoriété est à mon sens justifiée. Passer les Portes de la Résurrection, découvrir l’immense espace bordé des murs du Kremlin, avec leurs sapins contrastant le rouge des briques, admirer comme point de fuite la célèbre cathédrale de Basile-le-Bienheureux ; tout cela procure une sensation indescriptible.
A gauche, le GUM (ГУМ), dont l’acronyme signifie « Magasin Principal Universel », propose une myriade de produits peu abordables, et toutes les plus grandes enseignes du luxe (souvent françaises) y trouvent refuge. Bosco, la somptueuse marque sportive nationale habillant les athlètes russes, est également présente. Habituellement, les touristes (et je ne fis pas exception) prennent une glace dans ce temple de la consommation princière. Mais le simple fait de flâner dans les allées sculptées du magasin apporte toute la satisfaction matérialiste du monde.
Si vous tournez la tête vers la droite, vous verrez une pyramide de marbre lisse sombre qui tranche avec le reste du style de la place : c’est le mausolée de Lénine. Il est gratuit et ouvert le matin, il convient de venir tôt pour faire la queue.
Une église se trouve également avant le GUM, appelée Cathédrale de l’Icône de Notre-Dame de Kazan. Ses couleurs acidulées et sa coupole dorée accrochent immédiatement le regard, et l’extérieur en devient presque plus beau que l’intérieur, bien qu’on ne puisse dénier la richesse interne des églises orthodoxes. On ne se doute même pas qu’elle fut détruite sous Staline. La figure de Notre-Dame de Kazan revient fréquemment dans l’histoire religieuse russe, et même l’histoire russe tout court ; j’avais par exemple pu visiter une cathédrale éponyme à Saint-Pétersbourg. Elle aurait fréquemment été invoquée lors d’épisodes militaires clés de la Russie pour sauver la patrie des invasions (Pojarski et le Temps des Troubles, Koutouzov face à Napoléon).
En parlant de Pojarski, il convient de faire entrer en scène le monument qui lui est dédié à lui et son allié marchand de Nizhni Novgorod, Minine. Ce monument se trouve au pied de la cathédrale de Basile-le-Bienheureux. Le 4 novembre, on fête l’Unité nationale (День народного единства) qui résonne avec la résistance populaire formée par les deux hommes face aux invasions polonaises.
Saint-Basile est sans doute le monument iconique (sans mauvais jeu de mots) de la ville de Moscou. Ses volutes et courbes psychédéliques sur fond rouge sont uniques au monde. La cathédrale fut construite sous Ivan le Terrible ; l’identité et la nationalité du, voire des architecte(s), est floue et débattue. Quoi qu’il en soit, la légende veut que le cruel tsar, jalousement possessif de ce bijou, ordonna de faire crever les yeux de ses auteurs pour éviter qu’ils reproduisent ailleurs pareille merveille. Je pense qu’on ne peut faire meilleure publicité pour un point d’intérêt touristique…
Par manque de culture poétique russe en lien avec la Place Rouge, je vous laisse en faisant un pont avec la chanson française :
« La Place Rouge était vide
Devant moi marchait Nathalie.
Il avait un joli nom, mon guide
Nathalie... »
(Gilbert Bécaud)
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Présentation : “On ne peut que croire en la Russie”
Comme le souligne explicitement la description au-dessous du titre original de « Chroniques russes », ce tumblr sera consacré à l’expérience slave que je teste actuellement.
J’utilise aussi le mot expérience pour condenser en un terme ce qu’une variété de noms ne saurait capturer : culture, nourriture, us et coutumes, langues, mentalités, histoire. Loin de revendiquer le monopole de la vulgarisation du monde russe sur blog (des milliers l’ont fait avant moi), je partagerai mes sentiments et ce que j’apprends à titre purement personnel, désintéressé et « naïf ». Je n’ai aucune légitimité académique quant à ma manière d’appréhender les choses que je découvrirai. Cette plateforme n’a que deux humbles vocations : continuer d’écrire en français, et partager des infos sur une région du monde qui me fascine.
J’essaierai de centrer chaque post sur un thème, un endroit ou un voyage ; en somme, ce qui a attisé ma curiosité. Mes commentaires n’auront que pour seul but de retranscrire ce que j’ai lu sur le sujet, et de sporadiquement faire des comparaisons avec la France.
A tout lecteur (si lecteur il y a), philosophez sur les vers suivants et bonne lecture !
“Умом Россию не понять, Аршином общим не измерить: У ней особенная стать — В Россию можно только верить.”
(Фёдор Ива́нович Тю́тчев)
“On ne peut comprendre la Russie par la raison,
Ni la mesurer,
Elle a sa particularité,
On ne peut que croire en la Russie.”
(Fiodor Tiouttchev)
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