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Cabin Fever
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D. Desario - Malbouffe, Soul Food, et Encre Digitale
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cbnfvrr · 4 years ago
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Où Diable - sur Tokyo Modern Pictorial
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Où diable Issei Suda veut-il en venir ? À son meilleur, le japonais pratique une photographie dérangée, empruntant à l’inquiétante étrangeté : celle des kimonos féminins qu’embrasse la nuit, des sourires qui vous glacent le sang, celles des plantes que l’on rêve tropicales et des enfants frappés de télékinésie - sensibles les uns aux autres comme ces chiens qui perçoivent les sons suraigus. En tant que photographe, il n’est jamais vraiment dans le(s) temps et ses images sont comme autant de pas de coté : à dire vrai, Issei Suda semble ailleurs en bas de chez lui.
Dans Tokyo Modern Pictorial émergent et se confondent des courants pourtant distincts. il y a d’abord cet intérêt de chaque instant pour la signalétique urbaine, pour ce que la ville compte de lignes de force et de stimuli contradictoires - comme si le photographe interrogeait l’air de rien le devenir cryptographique de nos environnements marqués au fer fluorescent des néons, bardés d’inscriptions publicitaires, anthropophages. Vient ensuite une veine plus vernaculaire et moins abstraite, celle de photos prises comme on sortirait d’une tranchée au son du canon : regards interloqués, scènes de la vie quotidienne, haïku façon passage piéton - Suda documente sa nation l’oeil torve, à la recherche de quelque chose d’autre. Cette altérité se manifeste lorsque, alors que le photographe décadre, plonge en avant, le réel tourne au vinaigre et l’opacité des noirs affronte la lumière : Issei Suda fut peut-être le plus grand raconteur d’histoires de terreur que compta la photographie nippone, et de ses images transparaissent ectoplasmes et esprits frappeurs que la technique s’attache à révéler. Naissent dès lors des clichés qui égarent les regards, désarçonnent la critique et son canon - Issei Suda donne dans le bizarre et sa production la plus intéressante de se faire jour lorsque les trois catégories susmentionnées involuent les unes à travers les autres pour donner à voir des images un peu ivres, toujours graves. Le photographe prend ses photos sur le mode de l’interstice, rêve à des dimensions parallèles en forme d’arrière-cours et de contre-allées : chez lui subsiste constamment la tentation - à moins que ce ne soit en fait une possibilité salvatrice, comme d’autres survivent puisqu’ils savent le suicide à porté de main - de l’abstraction comme épine dorsale à l’oeuvre tout entière. Ses images nous trahissent et sont comme autant de pièges élaborés avec minutie, car le photographe - comme le boucher du prince Wen-houei qui savait dépecer un boeuf sans que jamais la lame de son couteau n’effleure ni les os ni la chair de l’animal - opère le regard leste et trace au quotidien une perspective nouvelle alors qu’il se balade dans son quartier natal à la manière d’un funambule. Comme si tout Suda était concentré dans le visage fragmenté de cette femme qu’il découpe et subtilise au néant, derrière une paire d’yeux clôt, par-delà l’émail sur les dents d’une hôtesse de bar. 
En fait, puisqu’est venu le temps des adieux, d’Issei Suda l’on peut dire qu’il passa de son vivant maître dans l’art de perdre pied : une élégance qui sut le distinguer de nombre de ses contemporains, un état d’âme que sa disparition en 2019 ne saurait venir perturber. 
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cbnfvrr · 4 years ago
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De sexe et de stupeur, le Monde entier à la merci de Daido Moriyama
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Cet été a eu lieu à Tokyo une éni��me exposition consacré à l’infatigable Daido Moriyama. Le catalogue édité pour l’occasion est un petit ouvrage qui ressemble un peu à ces bibles que l’on retrouve coincé derrière la tête de lit d’une chambre anonyme, au fond d’un tiroir autrement vide, ou simplement à coté du poste de télévision, sous cette télécommande qui permet de faire défiler inlassablement canaux hertziens et minutes qu’on voudrait déjà écoulées, tandis que les langues, les sons, les images, font et défont le dehors dans une vaine tentative de prouver son existence - notre existence en fait -, et ce faisant n’adressent que son manque de substance. Le livre est nommé Tokyo: ongoing et c’est un moyen comme un autre de prendre quelques nouvelles de Moriyama, désormais jeune octogénaire.
Il y a cette photo, prise à Austin, au Texas, dans laquelle figure le Point de vue du Gras de Niépce - notre plus vieux souvenir du monde -, un jeu d’ombre, puis une horloge : le temps qui passe est déjà passé et les américains disent qu’une horloge cassée est tout de même à l’heure deux fois dans la journée. Il semble que ce soit là le mode sur lequel fonctionne le photographe nippon, et ce depuis le début des années 1960 lorsque, confronté au fait qu’il ne serait jamais marin, Daido rentra en photographie comme d’autre passent la porte d’un bouge parce qu’ils crurent y entendre le rire d’une femme, parce que la nuit est glaciale et sans issue aucune. Vinrent ensuite soixante ans passés dans la rue - à Shinjuku et ailleurs -, la dope puis le succès mais toujours l’errance, et l’on ne saurait que faire des trilliards d’images amassées, puis entassées dans des livres selon le principe du flux tendu, ici fait esthétique : elles ont toutes l’air d’avoir étés abandonnées sous la pluie, collées à la surface d’enseignes lumineuses ou de poteaux téléphoniques, de bancs de métro, sur le formica des comptoirs. Rien n’échappe à Moriyama. Il zoome, re-cadre, décadre, passe de la couleur au noir et blanc le temps d’un click - et c’est à se demander si ici-bas tout ne se vaudrait finalement pas, à questionner les États généraux de l’indifférenciable indifférencié. Le japonais fait feu de tout bois, et ses livres où les photos sont placées les unes face aux autres, comme des enfants ou des coqs qu’on ferait se battre en cage, ressemblent à une vue alien de la planète terre. C’est en quelque sorte l’antithèse de ce disque en or projeté à travers les cieux en 1977, sa part maudite. Reste à savoir ce qui guide le photographe : vous lui poseriez la question qu’il n’y répondrait pas, fumant une cigarette, le regard déjà loin. D’entre les pages jaunies de Tokyo : ongoing émane quelque chose d’animal, d’un peu effrayant - disons que le livre a son centre de gravité très bas, que Moriyama a su s’échapper du monde en le faisant prisonnier, en le traitant comme cette inconnue au goût acide qui se réveille à vos côtés un matin tout en nuances de gris : la méthode Moriyama, où prendre en photo une couleur simplement parce qu’elle a su l’émouvoir. Mais « méthode », ici particulièrement, prend les atours du vulgaire, crache au visage de l’ineffable. La méthode Moriyama n’existe pas et c’est tant mieux, d’où l’analogie du chien errant : Daido l’insaisissable. Peut-être un jour vous rendrez vous compte que, de dos, vous voilà devenus personnage de l’une de ses images - il s’agit d’exister sous une forme intéressante, de le séduire. Tokyo court-toujours, où le jeûne du cannibale.
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cbnfvrr · 4 years ago
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Netflix & Think : notes sur Uncut Gems
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Il y a cette phrase de Baudrillard, peut-être - sans doute - dans L’Échange symbolique et la mort. Celle qui dit quelque chose comme l’argent-fait-flux-devenu-nouveau-soleil-autour-duquel-orbite-notre-modernité. Il faudra relire tout ça. Le dernier film des frères Safdie prend fin quelque part dans le Connecticut, quelque part dans l’espace atomisé d’un casino indien : le Mohegan Sun d’Uncasville, Mystic Country. Le soleil, de nouveau. Celui qui, parce que toujours allumé, ne permet plus de distinguer la nuit du jour, les 1 des 0. Julia, vénus callipyge à la fesse tatouée façon cénotaphe de fortune, s’en évade grâce à l’intervention de Wayne Diamond : Deus ex machina à lui tout seul - littéralement -, le vieux fardé à la muppet désarçonne la caméra et incarne tout entier l’univers qu’investit Uncut Gems. Où l’onomastique faite phénoménologie. 
Le film, son programme, est introduit puis annoncé lors de sa séquence-titre, ce travelling avant en forme de valse hallucinée qui marie pierres précieuses et coloscopie. Ensuite ? Il ne s’agira plus que de cela : Adam Sandler pris au piège de perpétuels allers-retours, un va-et-vient de rues encombrées - celles de New York filmée comme Tokyo - et d’espaces clôt anxiogènes. Et nuit et jour qui se succèdent (qui s’épuisent ?) sans que l’on ne les distinguent vraiment l’un de l’autre, d’où ce questionnement de poindre comme une aube alors que le regard se perd entre reflets et éclats lumineux : celui de savoir qui a tué le soleil. Sans doute est-ce là ce qu’adresse le film alors qu’il joue à subvertir les idoles, leurs images. Comme si Joshua et Ben Safdie ménageait deux heures durant un interstice révélateur, espace en négatif d’où fleurit - sous les spotlights - une pensée réellement critique : joie de voir les scènes - celles des parquets du basketball professionnel, des dîners rituels d’une certaine bourgeoisie juives, etc … - se télescoper les unes à travers les autres de façon à dessiner le plan inédit d’une Amérique urbaine qui, si elle semble éminemment personnelle aux cinéastes, est avant tout le produit de multitudes d’écrans tous placés les uns face aux autres. Et là, ce Scorsese post-moderne pose aussi la question d’un ailleurs, peut-être celui du cinéma américain une fois le réel évanoui. Les Safdie n’embrassent en aucun cas le cynisme comme valeur refuge, mais oeuvrent plutôt à inventer une mystique aux chiffres et aux flux - à faire, en quelques sortes, chemin inverse : de la morgue à l’allégresse nous voilà passés de l’autre coté, assez à l’aise dans le siècle pour renouer avec une magie, celle du jackpot, pour faire se combiner les symboles en un horizon nouveau sur la crête duquel file, déjà au loin, cette idée : et si le joueur était, le temps d’un instant, plus grand que le Jeu ?
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cbnfvrr · 5 years ago
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Tout doit disparaître - The Deuce, ou la fiction chez David Simon
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« The pourers are rigged, huh? [ … ] I mean, if every drink is pre-measured, how you gonna give a regular an honest pour? »
Dans un hommage posthume à Jean Baudrillard, Sylvère Lotringer écrit « Si l’Amérique n’existait pas, il l’aurait inventée. Et je pense parfois que c’est ce qu’il a fait ». Et Dieu d’être un écrivain de seconde zone. Les États-Unis d’Amérique ne sont peut être qu’une expérience à ciel ouvert, la seule qui soit digne d’intérêt. David Simon en étend la matière à loisir sans pour autant la distordre : l’ouragan Katrina, Saddam Hussein, ou le Deepthroath de Damiano sont autant d’éléments folkloriques, autour desquels vient s’enrouler la fiction, jeu rétro-temporel révélateur dans le cas de The Deuce dont l’épilogue était comme une injonction à écrire ce papier esquissé mentalement à force de re-visionnages. 
Initialement vendue par HBO comme une série télévisée narrant l’essor de la pornographie, The Deuce - nommée ainsi d’après le surnom donné à un segment de la 42ème Rue new-yorkaise - raconte en fait la Bataille pour New York, épisode tragique de la modernité contenant tout les autres en son sein. Ou comment la rue, artère au sens propre comme figuré, lieu de vie canalisant un urbanisme au potentiel monstre (les « sidewalks of New York » que chantera Debbie Harry en conclusion du show, reprenant là une chanson populaire écrite à la fin du XIXème siècle) est devenue en l’espace de quelques décennies le « lieu de l’intimité solitaire, où chacun suit le fil de sa propre expérience », dixit l’urbaniste italien Marco d’Eramo. L’ultime séquence du programme donc, celle dans laquelle un Vincent Martino au crépuscule de sa vie arpente, comme dans une vaine tentative de retrouver la sensation propre à la première prise, un Time Square de science-fiction, est une vignette symbolique faisant écho à la Fin de l’Histoire de Fukuyama. Les trois saisons de la série peuvent d’ailleurs être lues à l’aune de leurs chromaties respectives, et la dominante bleue attribuée au XXIème siècle, façon formol embaumant le cadavre du monde, parachève graphiquement la victoire des énergies cool où « non-coercitives » venue conclure une dernière saison par-dessus laquelle planait déjà l’ombre d’un Ange Exterminateur au regard vide, celui de la prophylaxie.
The Deuce compte donc trois saisons, se déroulant à quelques années d’intervalles les unes des autres, respectivement aux environs de 1972, 1978, et 1985. En fait, le bornage temporel est délimité par deux commissions d’enquête évoquées en filigrane au cours de certains épisodes de la série : En 1967, la police d’Atlanta perquisitionne la demeure d’un nommé Robert Eli Stanley à la recherche de preuve quant à son activité suspectée, il serait bookmaker. Pourtant, en lieu et place des documents espérés, les flics locaux, épaulés par des agents fédéraux, repartent avec trois pellicules contenant « orgies successives, actes sexuels et sodomie », comme autant de museaux plein d’écumes gardant la porte des Enfers. La législation géorgienne condamnera Stanley à un an de prison conformément à une loi interdisant la possession d’obscénités. Néanmoins, et ici l’anecdote fait l’Histoire, la Cour suprême des États-Unis se saisira du cas en 1969, invalidant la sentence prononcée puisque les premier et quatorzième amendements de la Constitution empêchaient de faire de la possession de tels documents un crime. Selon Thurgood Marshall, premier afro-américain à avoir siégé à la Cour suprême, alors décisionnaire : « a State has no business telling a man, sitting alone in his own house, what books he may read or what films he may watch. Our whole constitutional heritage rebels at the thought of giving government the power to control men's minds ». Suite à quoi, une enquête sur la pornographie sera mise en place par l’administration Johnson et son rapport publié en 1970, sorte de bombe à retardement démocrate, statuera que ce potentiel onzième art ne présentait aucun danger ni n’incitait la jeunesse à la délinquance. Évidemment, Nixon, désormais au pouvoir, rejettera ses conclusions, condamnant sa « faillite morale ». Mais la messe était dite, le Mal était fait. Quinze ans durant, Cerbère aurait d’autres os à ronger. Marilyn Chambers, John Holmes, et tout leurs avatars marcheraient sur Terre impunies, l’âme en paix comme en peine. 
Reste qu’en 1986 le vent s’était refroidie : le rapport Meese, commandité deux ans plus tôt par Ronald Reagan dans l’intention de réparer l’erreur faite en 1970, mit en relation la consommation de matériaux pornographique avec la perpétration de crimes sexuels et, peut-être plus dangereux encore, les toujours suspects « comportements asociaux ». Par le truchement d’une acrobatie réthorique audacieuse et perverse, que traite d’ailleurs frontalement la série dans sa dernière saison, l’administration républicaine s’était adjoint les forces de Women Against Pornography, collectif féministe à la radicalité éprouvée, dont certains membres viendront témoigner devant la commission en évoquant les droits civils comme rempart face aux violences faites aux femmes le long des kilomètres de ruban vidéo écoulés par Sony et son Betamax, position que corroborera l’autobiographie de Linda Lovelace parue en 1980, sobrement intitulée Ordeal. Libertés créatives restreintes, démocratisation des technologies permettant la captation vidéo, c’en était fini de l’âge d’or porno au mi-temps des années 1980. À croire que le monde n’était plus assez chic. 
David Simon, épaulé notamment par George Pelecanos (crédité en tant que co-créateur du show), se saisit donc de ce fragment temporel au baroque exacerbé pour poursuivre son grand oeuvre télévisuelle, sorte de mise à jour de l’Americana, porte dérobée vers un territoire sans cesse au-devant de l’Histoire. Les États-Unis, ce sont 9,834 millions de kilomètres au carré, et au moins autant de signes à décrypter, d’impulsions à saisir. Si, perdu dans la grisaille de Baltimore, un canapé orange et décrépi, sorte de Radeau de la Méduse nouvelle version, figurait une amorce thématique évidente, le Deuce et sa foultitude de signaux explose instantanément le champs des possible, et c’est aussi ça de faire le trajet jusqu’à la grande ville. Disons que New York « encode » bien davantage que le réel, c’est une vision du futur hanté par l’Antiquité, la plus vieille ville du monde à bien des égards. La portion de 42ème Rue faisant la jointure entre les Septième et Huitième Avenues ressuscite Subure : Disney cherchera à se l’approprier dans les années 1990 pour y développer des salles de réalités virtuelles et édifier des bâtiments emblèmes de sa « culture », tandis que Jim Carroll se rappelait à cette même période y avoir grandi effrayé par la bombe : « l’ancien point de radiation maximum au sol pour là où les Russes devaient lâcher leurs missiles était là 42ème Rue ». 
Subure, ses roses et leurs épines donc : Simon investit ce territoire historique et géographique en délocalisant son plateau de tournage par-delà Harlem, en bordure de New York, là où les passions anthropophages déchaînées en haut des tours n’ont pas vraiment frappées. De ses années en tant que journaliste, il a notamment conservé un certain sens de l’allégeance : chez lui la fiction est un devoir. En fait, avec ses scénaristes, il pratique le roman à clé - ce qui nous intéresse ici. La « réalité » telle que l’entend David Simon n’a pas à voir avec l’esthétique, elle n’est pas corollaire d’une valeur-signe (ce à quoi nombres de biopics et autres productions audio-visuelles de ces quinze dernières années l’ont réduite), mais agit comme mètre-étalon, matière vitale qu’incise le scénario pour en révéler le relief, pour jouer avec le plein et le délié de l’Histoire. Dans The Deuce, se croiseront évidemment Warhol, les Dark Brothers, ou encore le sinistre Robert DiBernardo, mais plus que ces figures aux apparitions parfois totémiques, ou du moins servant la temporalité du récit, c’est la connivence qu’instille la série avec ses spectateurs par le moyen de sa galerie de personnages qui fait son épaisseur thématique : ici, il est question d’images rémanentes (où « afterimage », la langue anglaise étant toujours plus explicite). Si Vincent Martino incarne la figure du passeur, sorte de Virgile inculte qui pratiquerait l’art martial et poétique des comptoirs, le suivre dans les entrailles de Time Square c’est croiser cohorte d’individus qui sont autant d’invitations à prolonger le récit, en combler les ellipses, puisque qu’ici la fiction est de Polichinelle : à titre d’exemple, la trajectoire du personage campé par Maggie Gyllenhaal reflète celle d’une personnalité comme Candida Royalle tandis qu’Andrea Dworkin nous apparaît à demi-mot le temps d’un épisode de l’ultime saison et que le personnage de Bobby Dwyer semble préfigurer la légèreté morale d’un Dennis Hof, entrepreneur à succès propriétaire de bordels franchisés. Pour emprunter à Chris Carter - qui lui aussi su faire de la télévision une arme -  sa formule : « the truth is out there », une sentence que David Simon, qu’il soit épaulé par Burns, Price, ou Pelecanos, à toujours pris au mot (il faudra un jour revenir sur ce qui est sans doute son fait d’arme le plus radical : l’adaptation du Generation Kill d’Evan Wright). Si l’analogie avec le créateur de X-Files ne mérite d’être filée puisque Carter se repaît de ces non-dits que l’imagination vampirise là où David Simon s’attache lui à ce que la fiction ne dépasse jamais l’objectivité des faits, le voir délaisser le contemporain pour habiter le canon encore tiède du revolver dont jaillit le passé que notre présent nie permet la réflexion quant au rôle de la fiction face à l’Histoire, quant à la place de la culture populaire dans notre mémoire collective. Simon pratique la série feuilletonnante avec une noblesse d’exécution et une attention au détail pour ainsi dire jamais vu jusque là, The Deuce ayant pour ambition d’inscrire comme partie prenante de son arc narratif une histoire secrète la plupart du temps stylisée à outrance, évidée d’une substance que le spectateur alerte retrouve ici faite forme et fond, substrat alchimique amalgamant rapports de police et romans noir, musique pop et activisme politique. En fait, l’on peut dire d’un tel projet (en mettant d’ailleurs l’accent sur le fait qu’il soit ici question d’une série télé, à savoir l’opium d’un peuple en mal de frissons et d’altérités - ce que déguisent le plus souvent la violence et les cliffhangers) qu’il travaille à redonner à l’Histoire la plus immédiate son sens plein et protéiforme, foutraque même. L’histoire alors qu’elle se vit, celle d’avant les grilles de lecture et le zeitgeist vendu au détail.
En scénariste responsable, David Simon rend à la fiction son pouvoir magique, sa capacité à fendre écrans de fumée et autres filtres aliénants - à s’opposer constamment au monde tel qu’il est représenté par la matière froide dont sont fait les algorithmes. Dans son « Homme unidimensionnel » paru en 1964, Herbert Marcuse décrit l’art et, dans son cas, la littérature, de la façon suivante  : « They were essentially alienation, sustaining and protecting the contradiction - the unhappy consciousness of the divided world, the defeated possibilities, the hopes unfulfilled, and the promises betrayed. A rational, cognitive force, revealing a dimension of man and nature which was repressed and repelled in reality ». Derrière son comptoir, même Vincent Martino s’y retrouverait. 
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cbnfvrr · 5 years ago
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Once Upon A Time In Hollywood : le cinéma-vérité selon Quentin Tarantino
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De Tarantino on peut dire qu’il est sans doute le dernier à avoir su ouvrir un passage vers de nouveaux horizons cinématographiques, à avoir inspiré une nouvelle (et ultime ?) façon de faire des films et de les penser. Pulp Fiction fut notre boîte de Pandore remplie ras-la-gueule de dope et de flingues, un tube cathodique qui aurait eu à vomir un demi-siècle d’image sainte californienne. Super film, aux conséquences désastreuses. Du reste, QT à lui continué à creuser son sillon, après l’enfance de l’Art est venu son adolescence et grandir en public n’a rien de sain, faut-il le rappeler. Le cinéaste est en mission et le contemporain fait place à l’Histoire : il lui faut abattre un Adolf Hitler bien assez mort comme ça, tourner Jim Crow en ridicule … À quoi bon s’était-on dit l’air désabusé. C’est donc avec un plaisir rare que l’on découvre un Tarantino enfin revenu de ses excès, rentrant la mine goguenarde dans l’âge adulte avec son conte de fée rétro. Un film qui lui semblait prédestiné, comme ce fut le destin de Sharon Tate que de mourir dans une tentative d’exorcisme par le sang de l’utopie hippie, et celui de Charlie Manson de figurer une idole des jeunes négative en couverture de Life Magazine.
Le neuvième film de Quentin Tarantino est une grosse farce absurde, le premier grand film de son auteur. Les rapports sismologiques sont formels, la dernière fois qu’une telle chose s’était produite sur un écran de cinéma fut sans doute lorsque Robert Altman se mit en tête de conjurer l’assassinat de JFK dans Nashville (1975). Il était alors question de construire tout un film autour du fameux 313ème photogramme, celui sur lequel le cerveau de Kennedy jaillissait de son crâne pour venir tacher le cuir de la Lincoln Continental dans le film amateur tourné un 22 novembre par Abraham Zapruder. Ici, il n’est pas tant question de persistance rétinienne que d’imaginaire collectif : Tarantino s’appuie constamment sur le réel dans sa version jaunie et patinée, à savoir l’Histoire récente que raconte autant les rapports de police que la culture populaire. Le soleil angeleno brille et le script de QT ne saurait existé sans son ombre, les faits tels qu’ils sont désormais objectivement reconnus. Dès lors se pose la question du pouvoir amoral de la caméra, de l’impact qu’à le médium cinéma sur la Mémoire : dure de savoir si Tarantino maqueraute le passé ou lui fait l’amour. Disons qu’il baise (là où avant il se masturbait). Once Upon A Time In Hollywood bénéficie sans doute de l’une des plus belles fins de cinéma, en ça qu’elle est un acte métaphysique qui dit tout en ne racontant rien : un gag visuel ultra-violent devant lequel il serait odieux de rire. En fait, Tarantino, en pleine possession de ses moyens de metteur en scène, s’amuse à jouer avec le retour-image du siècle dernier et sa volonté d’absoudre un passé collectif par la vengeance, et donc la violence, trouve enfin ici un intérêt en ce qu’il est question de faire illusion, au sens le plus littéral du terme. Alors que s’amorce la conclusion du métrage, que l’avion de Rick Dalton et Cliff Booth atterrit à LAX, démarre une énième piste musical : cette fois il s’agit d’un single des Stones daté de 1966, évidemment nommé « Out Of Time », morceau dans lequel Jagger pleure sa « poor discarded baby » qu’il juge désormais obsolète. Alors que les enseignes lumineuses cartographiant Los Angeles s’allument une à une sous nos yeux, façon Voie lactée électrifiée, Tarantino donne sa définition du cinéma en mettant en scène une hallucination de groupe au cours de laquelle un acteur hollywoodien un brin red-neck et sa doublure cascade vont soigner la brutalité par la sauvagerie, et tout ça en état de légitime défense. Évidemment, c’est du cinoche. Le fils de Tate ne viendra jamais au monde, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt sont des acteurs jouant le rôle d’autres acteurs : “Rien n’est vrai, tout est permis”, Once Upon A Time In Hollywood est plus potache que cathartique, c’est un film vertigineux et brillant. Sans doute là pour nous rappeler à ces paroles de l’illustre Friedrich Nietzche : “que soient maudites toutes les hypothèses ayant permis la croyance en un monde vrai”. 2019, année érotique ?
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cbnfvrr · 5 years ago
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« Selling garbage to garbage men », The Wolf Of Wall Street ou l’état extatique des choses.
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Le récit de la vie de Jordan Belfort tel qu’il est mis en scène par Martin Scorsese ne supporte pas l’arrêt sur image ni la somnolence, les trous d’air comme le bruit blanc. À vrai dire, lorsque Marty cherche à signifier le basculement de son intrigue, c’est justement par un bref instant de silence qu’il découpe son métrage, alors que Belfort et l’agent du FBI à ses trousses se sondent l’un et l’autre du regard. Preuve si il en faut qu’il n’est pas question ici de viser à l’épure afin de jouir d’une pureté cinématographique fantasmée mais bien d’épuiser l’information par les signes, le fond par la forme. Note d’intention qui aura valu à certains bien des railleries (Paul Verhoeven et son monstrueux Showgirls au mi-temps des années 1990) mais qui semble aujourd’hui résonné avec l’époque, tant sur le plan du box-office que sur celui de la critique. 
L’histoire du Loup de Wall Street est celle d’un train qui déraille mais ne finit pas dans le décor, c’est l’histoire récente de la finance comme celle du cinéma. Celle de notre entrée dans le présent siècle : un monde sous-tendus par des valeurs fantômes, qui s’évertue à faire passer pour réalité le reflet d’un reflet aperçu parmi les fragments d’un miroir. Le film qu’en tire Scorsese est en cela exemplaire et éreintant, le new-yorkais faisant mine de poser l’éternel question visant à déterminer ce qui sépare l’idiot du visionnaire, le sublime du grotesque, et ce trois heures durant. D’une certaine manière, ce qui est ici capté par l’image, s’en faisant dès lors le principal carburant, c’est la vitesse. D’abord comme pur concept, puis en tant que dynamique (le fameux train qui aurait fait la nique au destin que l’univers, dans son entendement rationnel, lui prédisait), tout ça devant évidement se finir au creux d’une vague de synthèse démesurée. Le regard du spectateur n’a plus sa place dans un tel cinéma : la mise en scène jubilatoire, l’usage de voix-off, les divers sauts dans le temps afin d’expliciter chaque éléments de l’intrigue, les personnages que les acteurs incarnent comme ces figurines aux visages disproportionnées que l’on aperçoit parfois à l’avant des bagnoles, … C’est bien l’écran qui nous dévisage à mesure que les images projetées nous dictent la marche à suivre, nous indiquent comment interpréter ce qui s’est à peine produit. Scorsese trouve en Jordan Belfort, stock broker inspiré de son état, le trait d’union entre Mick Jagger et Ace Rothstein permettant la mise en orbite de ses obsessions de metteur en scène mais c’est comme si il avait industrialisé sa méthode, définit une formule encapsulant son cinéma. Selon Kafka, au cinéma “la rapidité des mouvements et la succession précipitée des images vous condamnent à une vision superficielle et de façon continue. [Les images] submergent la conscience”. En fait, au visionnage de The Wolf Of Wall Street on ne peut s’empêcher de se demander si ce n’est pas là un film définitivement moderne, en cela qu’il saurait exister dans un espace abstrait et apparement vide : un territoire que le regard justement ne peut violer, où public et réalisateur ne font plus vraiment partie de l’équation cinéma. Un peu comme dans cette scène du Player d’Altman où Larry Levy, jeune producteur aux dents longues, propose de se débarrasser purement et simplement des scénaristes. À la question de savoir d’où proviendront les histoires futures, il répond “Anywhere, anywhere. Doesn’t matter. Anywhere.” Cette anywhere, c’est la surface conceptuelle mentionnée plus haut, sur laquelle se réfléchissent l’infiniment grand comme l’infiniment petit, la mythologie et les brèves de comptoir, la “plus petite unité de sens” commune à tous. C’est bien parce qu’il se situe juste après cet « au-delà » que le Loup est digne d’intérêt. Comme si Martin Scorsese s’était sacrifié pour la cause afin de nous livrer cet instantané polaire de ce que son camarade Paul Schrader appelle le « post-cinéma ».
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cbnfvrr · 6 years ago
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L’auteur de ces lignes aurait lui aussi aimé rouler en direction de la Centerville sortie de terre, quelque part dans le New Jersey, alors que The Dead Don’t Die se tournait. Arriver sur les lieux, constater le délire de cables et d’optiques caractéristique d’un movie set. Et la poussière noire de se glisser à travers chaque interstices du réel, et ce jusqu’à maintenir à flot l’illusion vernaculaire dont la caméra fera cinéma. Nuée poussiéreuse qui pollue l’atmosphère sans être jamais salissante, particules assassinées inoffensive mais pourtant lourdes de sens … quelque chose à changé.
À mesure que la violence se déploie au cours de The Dead Don’t Die, revient ce questionnement, sorte de caution morale déguisée en farce (à moins que ce ne soit l’inverse) : Qu’est-on occupé à tuer ? nos concitoyens revenus à la vie, une horde de zombies anonyme, ou bien le cadavre désincarné de ces mêmes voisins ? Doit-on s’amuser du meurtre puisque l’on s’attaque à ce qui est finalement déjà mort ? Jarmusch s’était emparé de la brutalité comme thématique dans Dead Man, la violence devenait art primitif américain, son western dichrome un manifeste transcendantaliste qui tirait le premier. Que reste-t-il de cette posture outrancière aujourd’hui ? Il est plus probable que ce soit le zombie de Jim Jarmusch qui est réalisé The Dead Don’t Die … Si l’image pèche par simplicité, que penser de ces deux cadavres aux viscères déchiquetées que l’on nous présente trois fois de suite, par des plans identiques, étendus sur le plancher d’un diner. Ne manque que ces rires pré-enregistrés propres aux sitcoms en fond sonore. Etonnamment trivial de la part d’un cinéastes vieillissant dont les trois derniers longs-métrages témoignaient d’une maitrise sans cesse réaffirmée. Où situer le film dont il est question ici par rapport au Only Lovers Left Alive de 2013 ? Ces deux métrages ne sauraient exister dans la même orbite. Là où le premier était un film somme, sorte de testament auteuriste soignant sa dépression par la culture, mettant en scène l’ « orgie perpétuelle » chère à Gustave Flaubert, le second se vautre dans un humour facile, dans une métaphysique bravache. Il était déjà question de zombies dans Only Lovers Left Alive, et le titre même du film renvoyait à la distinction fondamentale entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas (notons au passage que tout ça n’a rien à voir avec ce qui est vivant et ce qui ne l’est plus), pour autant à aucun moment Jarmusch ne sombrait dans la citation stérile de Romero, les zombies d’alors n’apparaissent jamais vraiment à l’écran, trop occupés à terraformer à outrance leur planète-cercueil, ayant désertés leurs villes, comme si l’Humanité entière s’était finalement résorber. Aujourd’hui, les zombies errent dans les rues à la recherche du sacro-saint wi-fi. Tout ça est par moment franchement embarrassant. Néanmoins, si l’on présuppose que critiquer un système est totalement vain puisque la critique est de fait une émanation même dudit système, un horizon désolé  mais salvateur se dessine : aligner un tel casting, d’ailleurs l’argument marketing permettant la vente du projet, que l’on décimera ensuite tour à tour sans même prendre la peine de dûment l’exploiter, c’est faire profession de foi nihiliste. 2019 oblige, dévorer Selena Gomez, c’est plus no future qu’une apparition de John Lydon ou autre édenté arborant fièrement le coeur de Bouddha. Inconsciemment, Zombie Jim semble mettre en scène la victoire du signifiant sur le signifié, le capital du cool et le fan-service d’ « auteur ». Il théorise par l’absurde un procès d’auto-cannibalisme à mesure qu’il parodie son cinéma - rappelons que dans tout ça, c’est Eszter Balint, héroïne de Stranger Than Paradise, qui meure la première. 
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cbnfvrr · 6 years ago
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Dernière pellicule avant l’Armaggedon - Elmo Tide enfin publié
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« Robert Frank and Fellini go to the carnival », voilà qui introduit l’oeuvre paranormale et granuleuse d’Elmo Tide au dos de la première monographie à lui être consacrée. La sentence se rêve définitive, et l’est sûrement. Dès lors, reste-t-il quelque chose à dire de Tide et ses images ?
Sans doutes pas. D’ailleurs l’ouvrage, comme le photographe, se révèle peu loquace : tout texte en est absent - cette qualité indicible propre au mystère d’en être préservée, Dieu merci. Pour autant, certains connaissent les images d’Elmo Tide depuis une dizaine d’années maintenant, par le biais d’un compte Flickr et de quelques 300 photos postées au fils des ans. Ceux d’entre eux ayant tentés d’approcher le photographe auront échoués, alors aborder les images elle-mêmes semble être la meilleure des alternatives. L’ouvrage en question est constitué de photographies prises à partir d’un An 0 que l’on se risquerait à situer au passage à l’an 2000 justement, mais là encore, toute certitude est à exclure. Elmo Tide photographie des foules désordonnées et des lieux étrangement vides, les regards absents comme ceux que la brutalité du monde exorbite. À croire qu’il serait davantage scénographe que photographe, marionnettiste d’un satyricon hyperréel qui n’existe plus que pour lui-même et au dessus duquel pleuvent sans cesse ces météores qui nous font si peur. Il témoigne d’une obsession pour l’uniforme, et son corollaire plus contemporain : le déguisement, à travers une série de clichés hallucinés et hallucinant, qui assertent une fois de plus de la fantastique capacité qu’ont les États-Unis à être constamment à la hauteur de leur mythe. Los Angeles et la Bay Area deviennent ici un terrain de jeu et d’étude, oscillant sans cesse entre le rêve et son cauchemar. Et une mystique du simulacre d’être mise à nue par l’objectif d’Elmo Tide, objectif argentique à l’âpreté désarmante qui fait le jeu du photographe puisque c’est de la tension constante entre la rusticité de la technique employée et l’actualité effrénée de ses sujets que naît le caractère extrêmement singulier du freak show jamais cynique auquel Tide nous convie. On imagine le photographe spectateur d’une parade qui ne saurait avoir de fin, faisant la part belle aux aspirations déçues et aux espoirs en suspens, une perspective américaine dynamitée qu’il traverse à la recherche de ce qui s’apparente sans doute à un éros malade, né aux confins du sacré et du profane : en fait, il y a quelque chose dans les déambulations hypnotiques d’Elmo Tide qui nous rappelle à l’image de Dieu clandestine peinte par Bataille dans Madame Edwarda. Même description d’une réalité distordue, même sentiment d’être enfermé dehors - sans pouvoir distinguer les chiens des loups. Mais cette fois-ci l’obscurité perd en densité comme en symbolique puisque les néons et les phares de bagnoles font irruption, disruptent le magique, affirment le réel : Tide pratique un vaudou post-subprimes, s’amuse du siècle, de son naufrage esthétique … travaille en fait à révéler à travers ses images ce qui reste de la poussière d’étoiles échappées d’un drapeau bien connu, qui vire ici au noir et blanc.
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cbnfvrr · 6 years ago
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“Smoking a cig and dying”, le testament d’Abel Ferrara
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4:44 Last Day On Earth est une expérience courte mais gratifiante, un peu à la manière d’une apocalypse, où la version hardcore d’une épiphanie. C’est un film à ranger parmi ceux que réalisent de vieilles gloires souterraines dont quelques faits d’arme depuis longtemps passé éclipsent les travaux les plus récents, à savoir, la plupart du temps, des bizarreries jusqu’au-boutistes et fauchées, des pellicules qui tendent à verser dans une érudition de dernière minute comme unique remède à la vulgarité du siècle nouveau. Des films formidables en somme, qui peuvent servir de leçons, à défaut de manuel de survie, pour peu que notre regard en saisisse la pleine substance.
Disons que Ferrara parle ici de deux choses : du dehors et du dedans, et du rapport que chacun entretient avec les images. 4:44, c’est un film pour la fin des temps, un film qui overdose. Un film dans lequel l’héroïne semble la cure la plus appropriée à la folie que déchaine les flux de l’ère Internet, au coeur desquels se massent des foules décapitées. Le cinéaste filme un loft new-yorkais, fort Alamo assiégé par des enseignes transnationales, point de jonction entre un ciel remuant et la ville qui se débat, dans lequel vivent Shanyn Leigh et Willem Dafoe, deux figures qui échangent leurs énergies, qui semblent vouloir se compléter en un yin-yang suicidaire. Leigh, c’est l’énième réincarnation d’un oracle, piégé cette fois ci dans le corps d’une femme-enfant ingénue et sensuelle, là où Dafoe joue le rôle du dope fiend zen, dans le sillage duquel survivent le kid aux semelles de vent et son amant, le New-York de Richard Hell et Tom Verlaine (on gardera d’ailleurs le souvenir ému de ces quelques secondes incendiaires durant lesquelles Abel Ferrara dit adieu à tout ce qu’était son cinéma le temps d’une travelling sur Ludlow Street). Des personnages qui ne sont pas égaux face aux images donc : Skye maitrise son univers, le monde qu’elle habite mentalement elle le projette hors d’elle dans un big-bang de pigments et de formes. Elle est peintre. Cisco, c’est Ferrara : il est agité, excité, en prise avec des démons télévisuels et médiatiques, addict. Les images l’assaillent et il en redemande, à bien y regarder l’on distingue l’orage informatique qui ne quitte pas le sommet de son crâne sur certains plans prophétiquement gardés au montage. Il incarne l’impossible duel entre le passé et son futur, le désespoir exorbité que reflète des écrans devenus miroir. Si Johnny Thunders nous avait prévenu dès 1978 qu’il ne fallait pas essayer de prendre nos souvenirs à bras le corps, Abel Ferrara filme un monde immatériel que seule la caméra peut capter, et semble nous dire au passage que c’est au médium cinéma de prendre en charge le contemporain et sa profusion de canaux numériques se superposant au plan terrestre que les corps habitent. 4:44 Last Day On Earth est peuplé de fantôme hertziens, d’images aux provenances diverses qui vont et viennent par dessus l’intrigue comme des nappes de sons phréatiques, comme d’imposantes baleines faites de 1 et de 0 qui chanterait toutes les couleurs de la solitude, puisque selon Ferrara les Hommes vont et meurent seuls : l’amitié est destructrice et l’amour charnel à l’honnêteté désarmante d’un painkiller. Il nous entraine dans un petit enfer fait de visio-conférences larmoyantes, de compagnons d’infortune ressuscités, d’astres verdâtres et de bêtes aux deux visages. Tant de signes à peine dissimulés qui sondent un instant intime et globale, celui de la fin du monde programmée. Un moment dont s’empare Ferrara pour livrer un film bâtard et esseulé, fulgurant et éparpillé. Un film qui délaisse la fiction pour faire dans la cartomancie, un précis nihiliste et religieux.
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cbnfvrr · 6 years ago
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KILL THE ICE-CREAM MAN! - John Carpenter : USA année 0
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Assault On Precinct 13 est un film dont l’aura survivaliste perdure malgré les années, un film qui fascine, notamment de par la présence crépusculaire de deux de ses acteurs principaux : Darwin Joston et Laurie Zimmer, deux acteurs improvisés aux noms vaguement étranges, le premier fut un comédien de théâtre raté vite reconverti comme chauffeur sur les tournages hollywoodiens tandis que la seconde crut peut être le temps d’un instant fugace - quoique son regard couleur cendre en laisse douter - à une carrière de movie star qui ne fut jamais. Apparement, elle serait ensuite devenue enseignante. 
Pourtant, plus que son casting, ou quelques autres qualités cinématographiques, ce qui fait le coeur du premier véritable long-métrage de Carpenter, c’est sa demi-heure introductive : avant que le soleil ne s’écrase sous la ligne d’horizon californienne, Big John filme une journée à Los Angeles, et se faisant fige un instant de l’histoire récente de L.A, et des États-Unis par la même. Assault On Precinct 13 existe dans ce contre-temps retors des seventies qui voit la décennie enterrer le cadavre violacé de la contre-culture et brûler un cierge au veau d’or synthétique que sera son futur le plus immédiat, les hippies astiquent leurs flingues et pactisent par le sang à l’heure où les différents mouvements héritiers de la lutte pour les droits civiques des années 1960 s’entre-déchirent sur fond de misère social, deviennent des entités versées dans l’illégal ... les premiers gangs contemporains en fait (la rumeur veut parfois que “Crip” soit l’acronyme criminogène de “Continual Revolution In Progress” par exemple). D’où la légion quasi-zombifiée qui encerclera le treizième precinct où sont retranchés Carpenter et sa caméra. Le temps n’est plus à la réflexion, ni à l’organisation, pas même à la discussion en fait, Los Angeles a virée dingue et, trois ans avant que George Miller ne s’y colle, Big John filme un proto-Mad Max rugueux dans lequel aucun héros, même taré, ne surgit des décombres : quoique qu’il arrive l’inénarrable Napoleon Wilson finira assis sur la chaise électrique. Dès lors, faisons un bond de presque quinze ans dans le future : canicule infernale sur South Central en avril 1989, mais tout est cool, la Première Dame termine son déjeuner alors que face à elle, on aperçoit à travers un nuage de poussière la lueur rémanente des feux de reculs situés à l’arrière des tanks que le SWAT utilise pour démolir les maisons suspectées de servir à écouler les tonnes de cracks qui fondent quotidiennement sur la ville. Poésie reaganienne si il en est, art performance ou opération de com’ : c’est selon. « Nancy » naïvement brodé sur le coupe-vent caractéristique des polices américaines, la femme du président se ballade parmi les ruines, remarque les impacts de balles, voit des gens allongés sur le sol, se plaint de l’ameublement hasardeux des lieux … pour en conclure : « These people in here are beyond the point of teaching and rehabilitating. There’s no life, and that’s very discouraging. » La détente, c’est Daryl Gates qui l’a pressé, sans sourciller si l’on en croit le pedigree du bonhomme, lui qui sera à la tête de la police angelena entre 1978 et 1992 et qui, après avoir contribué à la formation des premières unités du SWAT suite aux émeutes de Watts en 1965, aura transformé son effectif en un groupe para-militaire décidé à faire de Los Angeles un Vietnam asphalté. Un type pour qui les consommateurs de drogue, même occasionnels, « devraient être abattus ». Vous étiez pourtant prévenus : Just Say No disait Nancy ... Cette réthorique droitière, c’est la matrice même dont naît Assault : une jeunesse muette hante les rues sapée façon indigène, et le vendeur de glace itinérant échappé d’une Amérique suburbaine rêvée garde un calibre sous le tableau de bord de son camion. L.A brûle-t-elle ? Ça ne tardera pas en tout cas, et le film de Carpenter de préfigurer cette dérive autoritaire du pouvoir en entérinant le malaise social qui fait son chemin depuis longtemps déjà au sein d’une société éminemment communautaire et hiérarchisée, tout ça le temps d’un plan âpre mais juicy : le meurtre d’une fillette qui surprend son monde par sa brutalité placide que d’autres auraient confinés au domaine du cauchemar mis-en-scène. Pas John Carpenter, qui pratique là un cinéma aux desseins parfois difficile à cerner, reprends ses motifs au Nouvel Hollywood pour tendre vers un vigilante movie anar’ dans lequel le spectateur ne trouvera pas de compas moral, même émoussé, permettant de guider sa compréhension du métrage mais bien un choeur aux voies enrouées par la poudre à canon, une horde sauvage de seconde zone faite de flics et de voyous qui ne comprennent à aucun moment l’engrenage politique et social qui s’enraye autour du precinct 13.
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cbnfvrr · 6 years ago
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Bangkok Nites - Jardin des Délices reloaded
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Kuzoku, trois syllabes tranchantes pour désigner une tribu d’ascendance divine venue s’échouer dans le caniveau. Des personnages imaginés par feu Taku Ikawa, cinéaste et romancier qui fut, aux cotés de Toranosuke Aizawa et Katsuya Tomita, l’un des co-fondateurs de la cellule ciné-dissidente du même nom en 2001. Kuzoku, une assertion qui, une fois explicitée, permet déjà d’entrevoir ce qui compose la matière dont est faite le cinéma de Tomita, devenu en l’espace d’une petite vingtaine d’années et de quatre long-métrages la tête de proue du collectif. Une matière informe et radical, fruit d’une collaboration de chaque instants avec Aizawa, qui irrigue un cinéma à la fois primaire et mystique, syncrétique et essentiel.
Bangkok Nites, dernier film en date du duo, en incarne sans doutes la forme la plus aboutie. Sorte d’ouroboros tiers-mondiste, itinéraire kaléidoscopique à travers un Asie du Sud-Est que « Dieu a oublié » selon la formule consacrée par les vestes de treillis brodées, le film se veut dérive lancinante au coeur d’un enfer que Jérôme Bosch n’aurait su imager. Il s’ouvre sur une citation à Apocalypse Now alors que Bangkok, « résidence du Bouddha d’Émeraude », nous apparaît depuis les hauteurs d’un building grand standing révélée par la nuit. Référence-clef si il en est, le blockbuster (au sens premier et martial du terme) psychédélique imaginé par Milius d’après Joseph Conrad illustre l’entrée dans la modernité brutale de cette région du monde en faisant du choc des civilisations une fête macabre et, en tant que production américaine, permet a Katsuya Tomita une profession de foi méta - son film sera un essai documentaire se jouant de la fiction, comme si le cinéaste revendiquait son droit de réponse (et ce dans un film adoptant certains des préceptes chères au Nouvel Hollywood) en remettant en question le don d’ubiquité propre à l’Empire. D’ailleurs, croiser le regard de Tomita et son scénariste ne trompe pas, l’affabilité toute japonaise qui régit les manières des deux quarantenaires peine à masquer le caractère voyou qui les anime - une âme sans doute nourrie aux mêmes feux que celle qui produisit les pinku-eigas délinquants de Koji Wakamatsu et Masao Adachi un demi-siècle plus tôt. La méthode Tomita donc, c’est d’abord faire de l’entreprise cinématographique un geste courageux, et de fait profondément authentique : être brave, c’est voir le monde dans son entièreté, saisir le vulgaire et l’onirique, les cocktails translucides et la jungle millénaire. Lui et Toranosuke Aizawa ont vécu la Cité des Anges quatre ans durant, parcourant principalement la rue Thaniya, segment du quartier rouge réservé aux japonais, à la recherche de ce que deviendra leur film. Apparaît alors Subenja Pongkorn, martyre besogneuse qui incarne le personnage autour duquel s’articule la structure narrative du métrage puisque le voyage de la jeune Luck jusqu’à la capitale est ici effectué à rebours le temps d’un retour à Isan, province miséreuse et méprisée située au Nord-Est du pays. De là seront abordées Vientiane ou Diên Biên Phu, les fantômes puis les monstres - là où le passé existe, abonde. Katsuya Tomita, pour la première fois acteur dans l’un de ses films, est un homme en marche, une figure vagabonde dont la trajectoire de vie erratique trouve résonance dans le paysage scarifié de cette région du monde entièrement vendue au rêve libéral de l’Occident. Il est ici question de percer à jour « l’utopie totale » (pour reprendre les mots de l’un des personnages du film) que préfigurèrent les programmes Rest & Relaxation mis en place par l’armée américaine à l’époque de la guerre du Vietnam, et dont la capitale thaïlandaise se veut l’épicentre : perdu au coeur de friches asservies et multicolores, Tomita filme une tragédie avec au lèvres le sourire de celui qui n’as plus ni espoirs ni craintes. En résulte un film mutant qui ne saurait être décrypté à l’aune d’un quelconque mouvement, de quelconques écoles - à la rigueur, la filiation avec Werner Herzog semble une évidence, notamment lorsque se pose la question des moyens déployés pour faire un film, mener à bien un projet, accomplir une mission. Le cinéma de Tomita n’est pas cinéphile, c’est celui d’un ex-chauffeur routier en mission selon qui un métrage se construit au fil de rencontres : ici la star d’un bordel, là-bas un vétéran américain resté profiter du soleil … Émerge dès lors une esthétique de l’imprévu, sorte de réalisme-magique contrefait. La caméra est embarquée et laisse le réel nous stupéfaire à mesure que les scènes se tournent : quelque unes des images captées par Tomita saisissent la rétine, la plupart sont vulgaires et désuètes - un peu comme la vie la vraie. Bangkok Nites est une franche réussite visuel en ça qu’il fait esthétique d’une réalité que la fiction au cinéma semble le plus souvent récuser par nombres d’artifices. Le cinéaste et son équipe embrasse le numérique, son voyeurisme haute-définition, pour produire des images désarmantes - en fait, l’on pourrait arguer que depuis Saudade, Katsuya Tomita s’efforce à opérer une mise-à-jour du « cinéma direct » alors qu’il questionne le potentiel pernicieux de l’outil caméra et renvoie au Diable son rictus. Il capte les fragments d’un temps présent ordonné ensuite au montage, le simulacre devenu ordinaire de par son omniprésence. Se créer ainsi un équilibre désarçonnant puisqu’il est difficile, de prime abord, d’y distinguer la voix d’un auteur, de saisir le ton du métrage : Bangkok Nites existe de par les témoignages qu’il entremêle, c’est un voyage initiatique qui arriverait trop tard, une prière électrique et désespérée. Tomita et Aizawa ne filment pas des cicatrices, ils tracent le contour de plaies impalpables mais béantes, faites fondations de villes impossibles et de territoires outragés. Bangkok Nites, où la seule science-fiction que nous méritions.
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cbnfvrr · 6 years ago
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Pop léviathan
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20th Century Boys est un manifeste, l’apogée personnelle d’un auteur ayant réussi l’espace de 24 volumes à télescoper passé et futur dans un kaléidoscope narratif canonisant Tezuka, Otomo, et les autres tout en posant les bases d’un courant alternatif se jetant dans l’océan de la bande-dessinée nippone. Une nouvelle donne mêlant shonen et seinen, fait d’actualité et embardée nekketsu. 20th Century Boys est un succès fou, 25 millions d’exemplaires vendus, on entend parfois qu’Urasawa habiterait depuis un château au milieu de Tokyo. Démiurge cartoonesque et maitre du suspens, le mangaka ne saurait pourtant être résumé à l’incroyable efficacité de sa formule, arrivée à maturation avec la série, puisque se cache entre les pages de ses récits mise-en-garde dystopique et contes philosophiques rétro. Exégèse de comptoir :
Chez Naoki Urasawa, l’enfance est un paradis corrompu, un été éternel masquant une implacable matrice. C’est de l’innocence enfantine que naîtront les monstres de demain, et c’est vers cette même période que nos personnages devront sans cesse se retourner pour résoudre les énigmes du présent. L’enfance, c’est aussi l’emprise de la culture populaire sur le quotidien : la télévision transforme les catcheurs en demi-dieux, les revues de bande-dessinées deviennent évangiles feuilletonesques. Et puis le temps fait son office, liquide révélateur transformant les négatifs doux-amer en panorama désabusé, car 20th Century Boys, au moins dans sa première partie, parle surtout du temps qui passe sans que l’on s’en aperçoive, des amis disparus et des rêves qu’on rangent au fond des tiroirs. Pris au piège des flux ultra-rapide et super-cynique qui font le monde contemporain, les références pop un brin fanées passent bientôt de madeleine de Proust à signe de ralliement. Dès lors, Urasawa traite d’activisme. La secte créée par le mystérieux Ami semble se propager dans la société japonaise en proposant à ses fidèles d’échanger conscience morale et esprit critique contre une foi sans bornes en la personne du gourou, ce que l’on vend ici c’est en fait la disparition du sentiment de culpabilité chez les adeptes : « croyez en moi qui croie en vous, et finissez-en avec les tourments qu’impose la conscience de soi et des autres ». Se créer alors une norme que l’on voit se développer à mesure que le manga avance dans sa chronologie, et donc forcément des voix égarées, distinctes de la masse : le mangaka a choisi ses héros, ce seront des adolescentes en échec scolaire, des prêtres voyous, des travestis débonnaires, et des sans-abris rêveurs. C’est de cette pluralité de voix formant au fil des pages un choeur marginal que naît l’appréciation de 20th Century Boys en tant que réel corpus littéraire et plus seulement fix en rebondissements quotidiens. Urasawa décompose sa trame scénaristique en kyrielle de récits annexes, se permettant ainsi de multiplier les genres fictionnels abordés : sa série meurt et renaît sans cesse, de l’anticipation on passe à la fable post-apocalyptique, puis vient un temps le western, tout ça entremêlé de tranches-de-vie … L’auteur se permet d’abandonner ces héros à leurs destins, avant de les rappeler au devant de la scène sous d’autres formes, dans d’autres vies. Quant au Japon lui-même, ses différentes facettes se voient superposer dans le temps, ses images d’Épinal distordues. Les souvenirs se heurtent au présent, le futur s’écrit sur un ton passé. En fait, Naoki Urasawa prend soin de donner corps à son propos par la forme que prend son récit, et choisir de raconter telle histoire en bande-dessinée c’est déjà faire profession de foi. Que la culture dite « populaire », celle qui appartient à tous, que chacun s’approprie sans même s’en rendre compte comme un salaryman laisserait son exemplaire de Shonen Sunday sur un banc du métro tokyoite après l’avoir lu, soit le vecteur d’un savoir puissant mais invisible, c’est ce qu’affirme chaque volume de la série. Face à la bête aux regard vide que dompte Ami, à un monde polaire et uniforme, Naoki Urasawa oppose une pensée tour à tour désinvolte, ludique, naïve, et même comique, mais toujours critique par essence. Une pensée qui part à l’aventure, rue dans les brancards plus qu’à son tour, et s’incarne finalement dans les périples individuels de chacun des personnages du manga. Lire 20th Century Boys, c’est accepter le « réalisme épique » comme gouvernail face à la tempête, entrevoir que le quotidien et l’épopée sont ici coureurs de relais siamois.
« Pour une autre lecture de l’oeuvre phare d’Urasawa » aurait pu être le sous-titre de ces quelques notes prises à la faveur d’une relecture estival de la série. Son statut de création récente et de succès en librairie agissant sans doute comme une épaisse brume masquant les vraies fondations de l’imaginaire que nous offre Naoki Urasawa durant près des 5000 pages qui composent 20th Century Boys.
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cbnfvrr · 6 years ago
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Puta’s fever
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« Hollywood ou le paradis du cowboy », l’analogie est de Barry Gifford, extraite de Bad Day for the Leopard Man, sixième récit composant la saga sudiste de Sailor et Lula. Gifford, qui a trainé ses guêtres dans quelques contre-allées hollywoodiennes, notamment lorsqu’il collaborait avec David Lynch, décrit l’usine à rêves en ces mots : « Ou bien les têtes de bétail arrivaient jusqu’au marché, ou bien elles n’arrivaient jamais. Qu’elles aient été volées, qu’elles soient mortes de soif, que le train ait déraillé, peu importait. Pas d’excuses, pas de prisonniers. C’était la loi du tout ou rien ». Quelques lignes sur un ton passé, mais pourtant prophétique : Harvey Weinstein devait tressaillir sur son trône l’an passé avant d’en être définitivement privé quelques semaines plus tard, rattrapé par plus de deux décennies passées, entre autres, à étouffer les accusations d’agressions sexuelles à son encontre. Crever l’oeil de l’Empire, pourquoi pas ? Mais à quoi bon ? Des questions que l’ont réservera à d’autres, puisque il est ici question de revenir sur Death Proof, film mineur mais sympathique de Quentin Tarantino, désormais matrice glaciale nous permettant de pénétrer un marché de la chair qui voudrait se racheter une conduite et oublier ses sorties de routes.
Death Proof, c’est le pendant tarantinesque de la formule double trouble cuisinée par Dimension Film en 2007 : cachetonnant sur le succès des récents Kill Bill et Sin City, les frangins Weinstein laissent libre cours aux esprits déviants mais bankable de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino pour remettre l’esthétique pulp aux goût du jour. En résultera une sulfateuse unijambiste chez Rodriguez et le chassé-croisé assassin qui nous intéresse ici. Une fois de plus, la focale mute lorsque tous les éléments du dossier sont rassemblés : en 2007, les derniers films en date pour Tarantino sont Kill Bill I et II, saga vengeresse consacrant la collaboration entre QT et celle qui est alors sa muse, Uma Thurman. Toutefois, 2018 nous apprendra, par l’entremise d’une tribune du New York Times consacrée à l’actrice, que la fin de tournage lui aura laissée le goût amer d’un lit d’hôpital après que le réalisateur l’ait convaincue de se mettre au volant d’une voiture sur les pistes mexicaine pour les besoins d’un ultime plan, véhicule qui finira encastré dans un arbre sans que l’on se sache jamais trop pourquoi. Ajoutez à cela le fait qu’Uma Thurman révèle elle aussi avoir été agressée par Harvey Weinstein, lui qui a fait de Tarantino à la fois son protégé et son champion et vous obtenez  dès lors un fallacieux triangle, pentacle de fortune dont les sommets se nomment luxure, culpabilité, et box-office. Et Death Proof de se muer en un objet filmique moins innocent qu’il n’y parait. Métrage fétichiste et cathartique ou note d’excuse de la part de QT ? Death Proof, c’est d’abord Kurt Russell, genre de Jack l’Éventreur sur quatre roue motrices, qui écume les honky tonk du coin à la recherche de victimes féminines et débauchées. De fait, le personnage de Stuntman Mike apparaît comme l’exultation d’une somme de frustration toute masculine, le moteur dopé à la testostérone il rôde à la recherche de jeunes filles qu’il cherche à posséder par le meurtre, affirmant son existence via l’emprise qu’il exerce sur les autres. Tarantino fait de son « tueur au frein à main » l’icône d’une masculinité toxique, et dans son sillage existent les autres mâles du film : que ce soit Eli Roth et son comparse qui cherchent à faire boire nos héroïnes pour mieux s’en attirer les faveurs ou le red-neck à qui l’on monnaye le personnage de Mary-Elizabeth Winstead contre un tour en Challenger 60. En fait, ce que Quentin Tarantino s’attache à décrire au travers de dialogues plus fins qu’il pourrait nous sembler, c’est le grand capital des courbes, l’économie des corps. Death Proof ou le règne animal. En effet, lorsqu’on s’y attarde le film se lit comme une suite de transactions entre des personnages assujettis à leurs pulsions : un lap-dance contre un poème, six minutes d’embrassade à condition que les louvoiement désireux cessent ensuite, … ou de gel des actifs : Abernathy refuse de s’offrir à celui qu’elle convoite puisqu’elle deviendrait dès lors une concubines de plus à ses yeux et non sa régulière. De fait, si les femmes sont les victimes du film et que l’on peut en faire une lecture féministe un peu primitive dans laquelle ces dernières s’émancipent par la violence, on constate qu’elle ne valent au final guère mieux aux yeux de la morale consacrée puisque lorsque il leur est donné la chance de se venger, elles se lancent elles aussi dans une croisade aveugle et destructrice, expiant par le métal la chair humiliée.
Le segment grindhouse de Tarantino se révèle donc comme un document lourd de sens une fois éclairé à la lumière des événements ayant récemment fait trembler le tout-Hollywood : le cinéaste sonde un univers où chacun est réduit à n’être qu’un bien de consommation pris au piège d’un système capitaliste, nous renvoyant alors à ce que Pasolini appelait en son temps la « relation sadique entre le pouvoir et les corps humains », ciment de l’industrie cinématographique pour toujours et à jamais ?
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cbnfvrr · 6 years ago
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Escape From L.A, où le cinéma-kamikaze de John Carpenter
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De John Carpenter, on retient le plus souvent le titre honorifique de Maître de l’Horreur que le succès public de certains de ces films a pu lui valoir. Pour autant, il serait malencontreux d’oublier qu’une part importante de son oeuvre verse dans l’exploration de sociétés dystopiques dans lesquelles le communautarisme semble la seule issue et où l’horreur, justement, est inscrite en filigrane, passant d’apothéose à fondation. Ces films sont le produit de cet esprit rebelle et adolescent que Carpenter s’évertua à cultiver tout en sachant qu’il ne le « mènerait pas loin dans la vie », une dynamique qui s’incarne sans doute le plus évidemment à travers They Live, pamphlet stéroïdé sorti en 1988. Pourtant, c’est un métrage mineur et sans cesse moqué depuis sa sortie qui se veut être le coup de boutoir définitif porté par Big John contre Hollywood, les États-Unis, et un futur qui, en 1996, ne fait déjà plus rêver grand monde : Escape From L.A, suite oubliée d’un classique plus que jamais révéré méritait bien une cure de réhab.
Dès le milieu des années 1980, Carpenter songe à une suite possible aux aventures de Snake Plissken, sorte de repris de justice apatride à la ligne de chance balafrée. Néanmoins, il faudra attendre la seconde moitié des nineties pour que le projet se mette réellement en branle, notamment sous l’impulsion de Kurt Russell qui a fait du personnage son rôle favori et est désespéré d’enfiler à nouveau le treillis moulant de Snake dans ce qui sera sa cinquième collaboration avec le réalisateur ... Et puis en cette fin de siècle, Big John se sait malade, se croit mourant, pense que Escape From L.A sera son dernier film, son leg testamentaire façon colis piégé. Co-écrit par les deux hommes, cette suite déserte un New York autrefois sauvage et désormais propice à la gentrification pour situer son intrigue à Los Angeles, ville encore meurtrie par les émeutes ayant fait suite à l’acquittement des agresseurs de Rodney King et en proie aux assaut répétés de secousses sismiques semblant annoncer l’arrivée prochaine du messianique Big One. Quant à l’intrigue elle-même : le film est construit comme un miroir déformant de son prédécesseur et peut à nouveau compter sur quelques seconds rôles à l’aura mythique chez toute une frange de cinéphiles, on y croisera tour à tour Peter Fonda, Steve Buscemi, et Pam Grier. Pour autant, le résultat d’Escape From L.A. au box-office sera en tout point catastrophique puisque les recettes ne rembourseront pas plus de la moitié de son budget. Cette année là, les américains préféreront Independance Day, Space Jam, ou encore le premier Mission Impossible réalisé par De Palma. À l’heure de lier les conséquences à leurs causes, on citera l’écart démesuré entre les fonds alloués à Carpenter et ses ambitions filmiques (l’esthétique en résultant étant un hybride mutant et farcesque entre un actionner daté et des cinématiques de Playstation 1), le fait que le film fasse suite à une aventure vieille de quinze ans, et l’impression que Kurt Russell, quarante-cinq ans au compteur, était sans doute moins vendeur que Tom Cruise et Will Smith à l’approche du nouveau millénaire. Toutefois, John Carpenter n’en démordra pas et affirmera quelques années plus tard que cette suite était meilleure que le film originel : « ten times better. It's got more to it. It's more mature. It's got a lot more to it », invoquant dès lors le passage du temps comme ultime salvation d’un film incompris.
Welcome to Moral America. Voilà ce que propose Carpenter et Russell en orchestrant le retour de Snake Plissken, décrire une Amérique puritaine à en vomir, que l’on ne filme jamais mais qui s’incarne pourtant en une sorte de créature de Frankenstein géographique lorsque l’on découvre l’île prison qu’est devenue Los Angeles en 2013 : véritable terre promise pour mécréant, le territoire regroupe les étoiles que les États-Unis tâchent de faire disparaitre de leur drapeau, prostituées, délinquants, libres penseurs en tout genre et produits de l’immigrations économiques en ont fait leur dark paradise, comme Taslima le confiera à Snake, elle qui fut jugée coupable d’être musulmane dans le Dakota. Notre héros apparaît dès lors en digne héritier de Max Rockatansky, dépassé par un monde qu’il ne comprend pas, pion d’un système dont l’échelle de grandeur lui échappe, il ne pourra jamais vraiment faire face à ceux qui sont ses réels ennemis et sera tourné en ridicule tout au long du film : Carpenter fait souffrir son héros, l’embarque dans une aventure qui aurait dû être celle d’un jeune premier athlétique et débonnaire là où Kurt Russell est misanthrope, désabusé, et prisonnier d’un film qui va trop vite pour lui. Pourtant, Snake Plissken est un homme, un vrai, l’incarnation de cet American spirit fantôme théorisé dans l’action par Ford, Hawkes, et consorts, dans des films qui sont la matrice dont dérive le cinéma de Carpenter, que l’on imagine gamin, un colt en plastique à la ceinture, sur le tournage halluciné de ce film qui devait être le dernier. Il semble de fait que la trajectoire de Snake soit l’un des manifestes du film : pourquoi se battre quand nos actions semblent sans conséquences aucunes ? Car c’est par cet état d’affrontement perpétuel que l’on reste maître de nous-même, parce que nous-même, le corps et l’âme qu’il renferme, notre identité réduite à sa plus pure essence, c’est bien là notre ultime possession à l’heure des méga-consortiums et des drones assassins pilotés à distance. Snake Plissken, porte-étendard d’un existentialisme désœuvré ? Peut-être, lorsqu’il se révolte par sa simple survie aux embuches que des forces lointaines dressent sans cesse sur son chemin. Ici, le déterminé Cuervo Jones, ersatz d’Ernesto Guevara donnant dans l’internationalisme voyou qui, après avoir séduit la fille du président via un réseau social (quand on vous dit que Big John se rêve prophète), la convainc de voler une arme d’envergure planétaire et de le rejoindre à L.A pour qu’enfin le tiers-monde fasse triompher la justice sociale et puisse réorganiser l’ordre mondial. Tout ça pendant que le président américain parcoure la bible à la recherche du salut de son engeance, forcément.
Visionner Escape From L.A. en 2018, c’est effectivement donner raison à Carpenter et Russell lorsqu’ils faisaient du passage du temps leur allié, puisque la satire grasse et l’hyperbole écoeurante que représentait le film à sa sortie ont peu à peu muées en un manifeste anti-système prémonitoire et radical, le second volet des déboires de Snake Plissken devenant dès lors, par le truchement d’un obscure acte psycho-magique, une incarnation façon série Z de la maxime d’Oscar Wilde voulant que « la vie imite l’art bien plus que l’art n’imite la vie ».
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cbnfvrr · 7 years ago
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Les héros du peuples sont immortels - le jeu de lumière chez Ferrara
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Le 19 septembre 1990 sortait au cinéma les Affranchis de Martin Scorsese, jalon de marque dans la carrière du réalisateur, tant sur le plan critique que publique (depuis 2000, le film est conservé à la bibliothèque du congrès américain pour son importance « culturelle, historique, et esthétique »). Marty y peint la fresque baroque d’une honorable société à l’agonie, figeant un pan de la culture italo-américaine sur pellicule. Un long-métrage façon testament en somme, dernier coup d’oeil dans le rétro avant la mise en bière d’une culture trop enracinée dans l’histoire du XXème siècle pour espérer voir l’aube du troisième millénaire. Joie de la synchronicité, une semaine plus tard sortait aux États-Unis le King Of New York d’Abel Ferrara, film post-punk et cocaïné résolument tourné vers l’avenir (et qui aura coûté moins d’un quart du budget alloué au Scorsese magnifique), officiant dans un registre entre neiges éternelles et abysses pré-apocalyptique.
Christopher Walken qui adresse la caméra d’un regard avant de sortir de la douche, d’enfiler un costume sombre entouré de sexy sicaires calibrées, dans une suite luxueuse modèle de narco-architecture. Tout ça avant qu’une bande de jeunes noirs aux silhouettes clinquantes (donc menaçantes) n’interrompent la renaissance de ce Lazare païen dans une scène qui se révèle en fait n’être que retrouvailles et joies exacerbées, on ira même jusqu’a y danser. Art antique et signes de gangs, sommets et trottoirs. On ne s’y trompera plus, Ferrara est un rôdeur à l’oeil aiguisé, passé maître dans l’art du clair-obscur. À l’entendre, King Of New York naît d’un vendredi soir passé devant Terminator (premier du nom, évidemment) à une époque où Sammy The Bull n’as pas encore signé la fin du Dapper Don, John Gotti. La folie des années 80 n’est pas encore dissipée et les mafiosos de tous bords semblent avoir fait voeu d’hybris. L’heure est au spectacle, on déifie les show-man, brûles des cierges sur l’autel du libéralisme total. La face cachée de cette orgie électro-luminescente, ce sont les gamines qui tapinent, les hôpitaux qu’on ferment, l’infra-monde dont se repaît Frank White derrière les vitres de sa limousine : il apparaît dès lors dans un halo de lumière blafarde, véritable vampire qui aurait bu le sang vicié de sa ville jusqu’à l’écoeurement, comme on s’inocule un poison pour y être immunisé. Gotham a besoin d’un sauveur, mi-Joker mi-Batman, Frank incarne la providence. Startuper avant la mode et en prise avec son temps, il théorise l’air de ne pas y penser un capitalisme rédempteur puisque né dans une cité qui se lit en négatif : les armes, la drogue, l’influence, et les corps … tout s’achètent alors autant arroser l’arroseur en devenant le maître d’un jeu distordu. Ceux qui se perdront sur l’échiquier, c’est les flics à ses trousses. Persuader de faire le bien, ils sont en fait des agents de l’ordre véreux qui est en place. Pour eux, White est le grand sorcier sur la montagne, une obsession rampante. Chaque personnages du film est en proie à une frénésie mortelle, comme si tous se savaient acteurs d’une tragédie urbaine et salissante, alors les policiers deviennent escadron insubordonné, vestige du vieux monde : « I thought we were what’s right » dira l’un d’entre eux, mais right is wrong lorsque la pièce est truquée, magic happens. Comme souvent chez Ferrara et St. John (son scénariste d’alors), il n’est sans doute question que de rédemption au final. Frank White ne verse pas dans le divin, pourtant, il se sait en mission. Le compte à rebours est lancé, par qui et depuis quand ? Chacun aura sa version des faits.
D’aucuns auraient rêvé à voir Frank disparaître dans la foule, à la sortie du métro où il a abattu Bishop, vieux de la vieille honorable mais malheureux dommage collatéral. Pour autant, Abel Ferrara sait qu’une utopie n’est rien de plus que « ce qui ne se rencontre en aucun lieu », alors lui et Nicholas St-John se doivent de faire mourir leur champion, dans un haïku couleur néons en forme de taxi jaune bravant les eaux du Styx. New York New York.
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cbnfvrr · 7 years ago
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La musique à Joe
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2018, et bien vieillir dans le rap reste une énigme. Joe Lucazz, son statut d’éternel rookie assumé aidant peut-être, semble pourtant apporter un semblant de réponse en livrant la suite de son premier véritable effort solo sorti il y a trois ans. Visite guidées des chiottes pailletées de la capitale.
Quand Lucazzi rappe, on imagine le cadavre du Che, amputée des deux mains, occupé à jongler avec une grenade dégoupillé : la rime se veut asymétrique, imprévisible, profondément singulière. Une esthétique du chaos érodée par le temps et construites autour de références sans cesses réaffirmées : treize pistes claires-obscures, durant lesquelles James Gandolfini rallume son cigare. Ici, le bitume récite Audiard et porte sa casquette de prolo à l’envers. Écrire la nuit pour y voir plus clair, telle est le crédo de Joe, ce « pauvre devenu riche puis pauvre à nouveau », produit du commerce triangulaire désormais faune suburbain. Les séquelles de cette trajectoire millénaire et distordue hante sa musique depuis toujours, une plaie faite fondation d’un univers né entre l’Ouest de l’Afrique, L’Est du New Jersey, et une France fantasmée, dont la synthèse n’a jamais été si maitrisée que sur le dytique No Name : un rap arrivé à maturation mais bien vivant, politique en ayant l’air de ne pas y penser, que l’on doit sans doute beaucoup à la rencontre avec Pandemik Muzik, duo de producteurs chargé de tempéré un lyrics parfois frigorifique en esquissant les contours d’un cabaret enfumé où résonne des sonorités qui nous rappelle à un passé glorieux. No Name version 2.0 apparaît dès lors comme la jonction entre une musique noir américaine révérée et une identité nourrie d’influences multiples, à la fois chant du cygne et renaissance, fin de piste et décollage imminent, en témoigne les featurings du disque, qui par leurs présence retracent ce qui ressemble davantage à 20 ans d’une errance sereine qu’à une carrière dans ce microcosme injuste et schizophrène qu’est  le rap français.
En ayant trop vu pour douter de son style, Joe choisit le corner d’en face pour faire sa place. Le respect qu’il accorde à ses mots comme auréole, il livre ici treize titres d’une musique devenue adulte, loin d’un jeu tombé pour délinquance juvénile. No Name 2.0, c’est Slim Charles qui descends Method. Spoiler.
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cbnfvrr · 7 years ago
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Virgin suicide
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Quelques années avant sa disparition, Roberto Bolano écrivait que la création se devait d’être une « étrange pluie, faite de sang, de larmes, de sperme, et de sueur ». Lady Bird, premier film entièrement réalisé par Greta Gerwig, n’est rien de tout ça. Pourtant, le plébiscite critique et publique qui lui fut réservé en fait un objet d’étude digne d’intérêt pour quiconque s’interrogerait quant aux impasses culturels que bâtit la présente décennie.
In 2002, an artistically inclined seventeen-year-old girl comes of age in Sacramento, California. Voilà pour la description du métrage selon IMDB, et par là même apparaît le noeud du problème discuté ici : l’expérience de visionnage ne fait réellement que se conformer au programme annoncé par ce pitch. Le film nous transporte dans une Californie méconnue puisque Sacramento et ses institutions scolaires catholiques apparaissent comme une portion de « Middle West perdu au coeur de la Bay Area », selon les dires de notre personnage principal, et se veut en partie autobiographique. Ce que l’on appelle aujourd’hui un feel-good movie en somme, avec ses héros pas particulièrement marginaux mais pas réellement part de la norme non plus, son humour offbeat resurgissant ça et là (dans ce qui deviennent de fait les vrais bons moments du film), et sa photo façon polaroid. On assiste durant une heure et demie au déroulement de cette dernière année de lycée comme on prendrait part à une soirée diapositive chez un inconnu, tenté par la nostalgie mais ne sachant quoi penser de ces images à la fois universelles et désuètes, vu cent fois chacune mais dans des teintes différentes. Puisque l’impression générale à la sortie de la salle tient vraiment de cela, de la succession de figures imposées réalisées comme on rayerait ses notes d’une liste de course, le sentiment d’avoir accompli une tâche nécessaire mais sans prestige ni transcendance. Le film de Greta Gerwig travaille en fait à superposer une imagerie pop pré-existante, vidée du sens qu’elle a pu avoir en d’autres occasions, pour composer le puzzle de l’alpha teen-movie des années 2010. Dans Lady Bird, l’Irak sous les bombes américaines n’est qu’un marqueur temporel, et la teinture rose pastel de Christine McPherson est sa seule réelle propension artistique.
Notre troisième oeil grand ouvert verra dès lors dans les début derrière la caméra de Greta Gerwig un grand film de notre temps, lorgnant vers un passé apparemment moins cynique tout en se révélant incapable de s’extirper d’une douce torpeur bien trop accueillante. La morale de l’histoire réside sans doute dans la nature même du personnage qu’incarne Timothée Chalamet, de prophète de l’Apocalypse il deviendra un énième bourreau des coeurs placide et désabusé. Lady Bird, l’épaule où pleurent les enfants gâtés.
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