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Cabin Fever
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D. Desario - Malbouffe, Soul Food, et Encre Digitale
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cbnfvrr · 4 years ago
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OĂč Diable - sur Tokyo Modern Pictorial
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OĂč diable Issei Suda veut-il en venir ? À son meilleur, le japonais pratique une photographie dĂ©rangĂ©e, empruntant Ă  l’inquiĂ©tante Ă©trangetĂ© : celle des kimonos fĂ©minins qu’embrasse la nuit, des sourires qui vous glacent le sang, celles des plantes que l’on rĂȘve tropicales et des enfants frappĂ©s de tĂ©lĂ©kinĂ©sie - sensibles les uns aux autres comme ces chiens qui perçoivent les sons suraigus. En tant que photographe, il n’est jamais vraiment dans le(s) temps et ses images sont comme autant de pas de cotĂ© : Ă  dire vrai, Issei Suda semble ailleurs en bas de chez lui.
Dans Tokyo Modern Pictorial Ă©mergent et se confondent des courants pourtant distincts. il y a d’abord cet intĂ©rĂȘt de chaque instant pour la signalĂ©tique urbaine, pour ce que la ville compte de lignes de force et de stimuli contradictoires - comme si le photographe interrogeait l’air de rien le devenir cryptographique de nos environnements marquĂ©s au fer fluorescent des nĂ©ons, bardĂ©s d’inscriptions publicitaires, anthropophages. Vient ensuite une veine plus vernaculaire et moins abstraite, celle de photos prises comme on sortirait d’une tranchĂ©e au son du canon : regards interloquĂ©s, scĂšnes de la vie quotidienne, haĂŻku façon passage piĂ©ton - Suda documente sa nation l’oeil torve, Ă  la recherche de quelque chose d’autre. Cette altĂ©ritĂ© se manifeste lorsque, alors que le photographe dĂ©cadre, plonge en avant, le rĂ©el tourne au vinaigre et l’opacitĂ© des noirs affronte la lumiĂšre : Issei Suda fut peut-ĂȘtre le plus grand raconteur d’histoires de terreur que compta la photographie nippone, et de ses images transparaissent ectoplasmes et esprits frappeurs que la technique s’attache Ă  rĂ©vĂ©ler. Naissent dĂšs lors des clichĂ©s qui Ă©garent les regards, dĂ©sarçonnent la critique et son canon - Issei Suda donne dans le bizarre et sa production la plus intĂ©ressante de se faire jour lorsque les trois catĂ©gories susmentionnĂ©es involuent les unes Ă  travers les autres pour donner Ă  voir des images un peu ivres, toujours graves. Le photographe prend ses photos sur le mode de l’interstice, rĂȘve Ă  des dimensions parallĂšles en forme d’arriĂšre-cours et de contre-allĂ©es : chez lui subsiste constamment la tentation - Ă  moins que ce ne soit en fait une possibilitĂ© salvatrice, comme d’autres survivent puisqu’ils savent le suicide Ă  portĂ© de main - de l’abstraction comme ïżœïżœpine dorsale Ă  l’oeuvre tout entiĂšre. Ses images nous trahissent et sont comme autant de piĂšges Ă©laborĂ©s avec minutie, car le photographe - comme le boucher du prince Wen-houei qui savait dĂ©pecer un boeuf sans que jamais la lame de son couteau n’effleure ni les os ni la chair de l’animal - opĂšre le regard leste et trace au quotidien une perspective nouvelle alors qu’il se balade dans son quartier natal Ă  la maniĂšre d’un funambule. Comme si tout Suda Ă©tait concentrĂ© dans le visage fragmentĂ© de cette femme qu’il dĂ©coupe et subtilise au nĂ©ant, derriĂšre une paire d’yeux clĂŽt, par-delĂ  l’émail sur les dents d’une hĂŽtesse de bar. 
En fait, puisqu’est venu le temps des adieux, d’Issei Suda l’on peut dire qu’il passa de son vivant maĂźtre dans l’art de perdre pied : une Ă©lĂ©gance qui sut le distinguer de nombre de ses contemporains, un Ă©tat d’ñme que sa disparition en 2019 ne saurait venir perturber. 
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cbnfvrr · 4 years ago
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De sexe et de stupeur, le Monde entier Ă  la merci de Daido Moriyama
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Cet Ă©tĂ© a eu lieu Ă  Tokyo une Ă©niĂšme exposition consacrĂ© Ă  l’infatigable Daido Moriyama. Le catalogue Ă©ditĂ© pour l’occasion est un petit ouvrage qui ressemble un peu Ă  ces bibles que l’on retrouve coincĂ© derriĂšre la tĂȘte de lit d’une chambre anonyme, au fond d’un tiroir autrement vide, ou simplement Ă  cotĂ© du poste de tĂ©lĂ©vision, sous cette tĂ©lĂ©commande qui permet de faire dĂ©filer inlassablement canaux hertziens et minutes qu’on voudrait dĂ©jĂ  Ă©coulĂ©es, tandis que les langues, les sons, les images, font et dĂ©font le dehors dans une vaine tentative de prouver son existence - notre existence en fait -, et ce faisant n’adressent que son manque de substance. Le livre est nommĂ© Tokyo: ongoing et c’est un moyen comme un autre de prendre quelques nouvelles de Moriyama, dĂ©sormais jeune octogĂ©naire.
Il y a cette photo, prise Ă  Austin, au Texas, dans laquelle figure le Point de vue du Gras de NiĂ©pce - notre plus vieux souvenir du monde -, un jeu d’ombre, puis une horloge : le temps qui passe est dĂ©jĂ  passĂ© et les amĂ©ricains disent qu’une horloge cassĂ©e est tout de mĂȘme Ă  l’heure deux fois dans la journĂ©e. Il semble que ce soit lĂ  le mode sur lequel fonctionne le photographe nippon, et ce depuis le dĂ©but des annĂ©es 1960 lorsque, confrontĂ© au fait qu’il ne serait jamais marin, Daido rentra en photographie comme d’autre passent la porte d’un bouge parce qu’ils crurent y entendre le rire d’une femme, parce que la nuit est glaciale et sans issue aucune. Vinrent ensuite soixante ans passĂ©s dans la rue - Ă  Shinjuku et ailleurs -, la dope puis le succĂšs mais toujours l’errance, et l’on ne saurait que faire des trilliards d’images amassĂ©es, puis entassĂ©es dans des livres selon le principe du flux tendu, ici fait esthĂ©tique : elles ont toutes l’air d’avoir Ă©tĂ©s abandonnĂ©es sous la pluie, collĂ©es Ă  la surface d’enseignes lumineuses ou de poteaux tĂ©lĂ©phoniques, de bancs de mĂ©tro, sur le formica des comptoirs. Rien n’échappe Ă  Moriyama. Il zoome, re-cadre, dĂ©cadre, passe de la couleur au noir et blanc le temps d’un click - et c’est Ă  se demander si ici-bas tout ne se vaudrait finalement pas, Ă  questionner les États gĂ©nĂ©raux de l’indiffĂ©renciable indiffĂ©renciĂ©. Le japonais fait feu de tout bois, et ses livres oĂč les photos sont placĂ©es les unes face aux autres, comme des enfants ou des coqs qu’on ferait se battre en cage, ressemblent Ă  une vue alien de la planĂšte terre. C’est en quelque sorte l’antithĂšse de ce disque en or projetĂ© Ă  travers les cieux en 1977, sa part maudite. Reste Ă  savoir ce qui guide le photographe : vous lui poseriez la question qu’il n’y rĂ©pondrait pas, fumant une cigarette, le regard dĂ©jĂ  loin. D’entre les pages jaunies de Tokyo : ongoing Ă©mane quelque chose d’animal, d’un peu effrayant - disons que le livre a son centre de gravitĂ© trĂšs bas, que Moriyama a su s’échapper du monde en le faisant prisonnier, en le traitant comme cette inconnue au goĂ»t acide qui se rĂ©veille Ă  vos cĂŽtĂ©s un matin tout en nuances de gris : la mĂ©thode Moriyama, oĂč prendre en photo une couleur simplement parce qu’elle a su l’émouvoir. Mais « mĂ©thode », ici particuliĂšrement, prend les atours du vulgaire, crache au visage de l’ineffable. La mĂ©thode Moriyama n’existe pas et c’est tant mieux, d’oĂč l’analogie du chien errant : Daido l’insaisissable. Peut-ĂȘtre un jour vous rendrez vous compte que, de dos, vous voilĂ  devenus personnage de l’une de ses images - il s’agit d’exister sous une forme intĂ©ressante, de le sĂ©duire. Tokyo court-toujours, oĂč le jeĂ»ne du cannibale.
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cbnfvrr · 4 years ago
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Netflix & Think : notes sur Uncut Gems
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Il y a cette phrase de Baudrillard, peut-ĂȘtre - sans doute - dans L’Échange symbolique et la mort. Celle qui dit quelque chose comme l’argent-fait-flux-devenu-nouveau-soleil-autour-duquel-orbite-notre-modernitĂ©. Il faudra relire tout ça. Le dernier film des frĂšres Safdie prend fin quelque part dans le Connecticut, quelque part dans l’espace atomisĂ© d’un casino indien : le Mohegan Sun d’Uncasville, Mystic Country. Le soleil, de nouveau. Celui qui, parce que toujours allumĂ©, ne permet plus de distinguer la nuit du jour, les 1 des 0. Julia, vĂ©nus callipyge Ă  la fesse tatouĂ©e façon cĂ©notaphe de fortune, s’en Ă©vade grĂące Ă  l’intervention de Wayne Diamond : Deus ex machina Ă  lui tout seul - littĂ©ralement -, le vieux fardĂ© Ă  la muppet dĂ©sarçonne la camĂ©ra et incarne tout entier l’univers qu’investit Uncut Gems. OĂč l’onomastique faite phĂ©nomĂ©nologie. 
Le film, son programme, est introduit puis annoncĂ© lors de sa sĂ©quence-titre, ce travelling avant en forme de valse hallucinĂ©e qui marie pierres prĂ©cieuses et coloscopie. Ensuite ? Il ne s’agira plus que de cela : Adam Sandler pris au piĂšge de perpĂ©tuels allers-retours, un va-et-vient de rues encombrĂ©es - celles de New York filmĂ©e comme Tokyo - et d’espaces clĂŽt anxiogĂšnes. Et nuit et jour qui se succĂšdent (qui s’épuisent ?) sans que l’on ne les distinguent vraiment l’un de l’autre, d’oĂč ce questionnement de poindre comme une aube alors que le regard se perd entre reflets et Ă©clats lumineux : celui de savoir qui a tuĂ© le soleil. Sans doute est-ce lĂ  ce qu’adresse le film alors qu’il joue Ă  subvertir les idoles, leurs images. Comme si Joshua et Ben Safdie mĂ©nageait deux heures durant un interstice rĂ©vĂ©lateur, espace en nĂ©gatif d’oĂč fleurit - sous les spotlights - une pensĂ©e rĂ©ellement critique : joie de voir les scĂšnes - celles des parquets du basketball professionnel, des dĂźners rituels d’une certaine bourgeoisie juives, etc 
 - se tĂ©lescoper les unes Ă  travers les autres de façon Ă  dessiner le plan inĂ©dit d’une AmĂ©rique urbaine qui, si elle semble Ă©minemment personnelle aux cinĂ©astes, est avant tout le produit de multitudes d’écrans tous placĂ©s les uns face aux autres. Et lĂ , ce Scorsese post-moderne pose aussi la question d’un ailleurs, peut-ĂȘtre celui du cinĂ©ma amĂ©ricain une fois le rĂ©el Ă©vanoui. Les Safdie n’embrassent en aucun cas le cynisme comme valeur refuge, mais oeuvrent plutĂŽt Ă  inventer une mystique aux chiffres et aux flux - Ă  faire, en quelques sortes, chemin inverse : de la morgue Ă  l’allĂ©gresse nous voilĂ  passĂ©s de l’autre cotĂ©, assez Ă  l’aise dans le siĂšcle pour renouer avec une magie, celle du jackpot, pour faire se combiner les symboles en un horizon nouveau sur la crĂȘte duquel file, dĂ©jĂ  au loin, cette idĂ©e : et si le joueur Ă©tait, le temps d’un instant, plus grand que le Jeu ?
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cbnfvrr · 5 years ago
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Tout doit disparaĂźtre - The Deuce, ou la fiction chez David Simon
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« The pourers are rigged, huh? [ 
 ] I mean, if every drink is pre-measured, how you gonna give a regular an honest pour? »
Dans un hommage posthume Ă  Jean Baudrillard, SylvĂšre Lotringer Ă©crit « Si l’AmĂ©rique n’existait pas, il l’aurait inventĂ©e. Et je pense parfois que c’est ce qu’il a fait ». Et Dieu d’ĂȘtre un Ă©crivain de seconde zone. Les États-Unis d’AmĂ©rique ne sont peut ĂȘtre qu’une expĂ©rience Ă  ciel ouvert, la seule qui soit digne d’intĂ©rĂȘt. David Simon en Ă©tend la matiĂšre Ă  loisir sans pour autant la distordre : l’ouragan Katrina, Saddam Hussein, ou le Deepthroath de Damiano sont autant d’élĂ©ments folkloriques, autour desquels vient s’enrouler la fiction, jeu rĂ©tro-temporel rĂ©vĂ©lateur dans le cas de The Deuce dont l’épilogue Ă©tait comme une injonction Ă  Ă©crire ce papier esquissĂ© mentalement Ă  force de re-visionnages. 
Initialement vendue par HBO comme une sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e narrant l’essor de la pornographie, The Deuce - nommĂ©e ainsi d’aprĂšs le surnom donnĂ© Ă  un segment de la 42Ăšme Rue new-yorkaise - raconte en fait la Bataille pour New York, Ă©pisode tragique de la modernitĂ© contenant tout les autres en son sein. Ou comment la rue, artĂšre au sens propre comme figurĂ©, lieu de vie canalisant un urbanisme au potentiel monstre (les « sidewalks of New York » que chantera Debbie Harry en conclusion du show, reprenant lĂ  une chanson populaire Ă©crite Ă  la fin du XIXĂšme siĂšcle) est devenue en l’espace de quelques dĂ©cennies le « lieu de l’intimitĂ© solitaire, oĂč chacun suit le fil de sa propre expĂ©rience », dixit l’urbaniste italien Marco d’Eramo. L’ultime sĂ©quence du programme donc, celle dans laquelle un Vincent Martino au crĂ©puscule de sa vie arpente, comme dans une vaine tentative de retrouver la sensation propre Ă  la premiĂšre prise, un Time Square de science-fiction, est une vignette symbolique faisant Ă©cho Ă  la Fin de l’Histoire de Fukuyama. Les trois saisons de la sĂ©rie peuvent d’ailleurs ĂȘtre lues Ă  l’aune de leurs chromaties respectives, et la dominante bleue attribuĂ©e au XXIĂšme siĂšcle, façon formol embaumant le cadavre du monde, parachĂšve graphiquement la victoire des Ă©nergies cool oĂč « non-coercitives » venue conclure une derniĂšre saison par-dessus laquelle planait dĂ©jĂ  l’ombre d’un Ange Exterminateur au regard vide, celui de la prophylaxie.
The Deuce compte donc trois saisons, se dĂ©roulant Ă  quelques annĂ©es d’intervalles les unes des autres, respectivement aux environs de 1972, 1978, et 1985. En fait, le bornage temporel est dĂ©limitĂ© par deux commissions d’enquĂȘte Ă©voquĂ©es en filigrane au cours de certains Ă©pisodes de la sĂ©rie : En 1967, la police d’Atlanta perquisitionne la demeure d’un nommĂ© Robert Eli Stanley Ă  la recherche de preuve quant Ă  son activitĂ© suspectĂ©e, il serait bookmaker. Pourtant, en lieu et place des documents espĂ©rĂ©s, les flics locaux, Ă©paulĂ©s par des agents fĂ©dĂ©raux, repartent avec trois pellicules contenant « orgies successives, actes sexuels et sodomie », comme autant de museaux plein d’écumes gardant la porte des Enfers. La lĂ©gislation gĂ©orgienne condamnera Stanley Ă  un an de prison conformĂ©ment Ă  une loi interdisant la possession d’obscĂ©nitĂ©s. NĂ©anmoins, et ici l’anecdote fait l’Histoire, la Cour suprĂȘme des États-Unis se saisira du cas en 1969, invalidant la sentence prononcĂ©e puisque les premier et quatorziĂšme amendements de la Constitution empĂȘchaient de faire de la possession de tels documents un crime. Selon Thurgood Marshall, premier afro-amĂ©ricain Ă  avoir siĂ©gĂ© Ă  la Cour suprĂȘme, alors dĂ©cisionnaire : « a State has no business telling a man, sitting alone in his own house, what books he may read or what films he may watch. Our whole constitutional heritage rebels at the thought of giving government the power to control men's minds ». Suite Ă  quoi, une enquĂȘte sur la pornographie sera mise en place par l’administration Johnson et son rapport publiĂ© en 1970, sorte de bombe Ă  retardement dĂ©mocrate, statuera que ce potentiel onziĂšme art ne prĂ©sentait aucun danger ni n’incitait la jeunesse Ă  la dĂ©linquance. Évidemment, Nixon, dĂ©sormais au pouvoir, rejettera ses conclusions, condamnant sa « faillite morale ». Mais la messe Ă©tait dite, le Mal Ă©tait fait. Quinze ans durant, CerbĂšre aurait d’autres os Ă  ronger. Marilyn Chambers, John Holmes, et tout leurs avatars marcheraient sur Terre impunies, l’ñme en paix comme en peine. 
Reste qu’en 1986 le vent s’était refroidie : le rapport Meese, commanditĂ© deux ans plus tĂŽt par Ronald Reagan dans l’intention de rĂ©parer l’erreur faite en 1970, mit en relation la consommation de matĂ©riaux pornographique avec la perpĂ©tration de crimes sexuels et, peut-ĂȘtre plus dangereux encore, les toujours suspects « comportements asociaux ». Par le truchement d’une acrobatie rĂ©thorique audacieuse et perverse, que traite d’ailleurs frontalement la sĂ©rie dans sa derniĂšre saison, l’administration rĂ©publicaine s’était adjoint les forces de Women Against Pornography, collectif fĂ©ministe Ă  la radicalitĂ© Ă©prouvĂ©e, dont certains membres viendront tĂ©moigner devant la commission en Ă©voquant les droits civils comme rempart face aux violences faites aux femmes le long des kilomĂštres de ruban vidĂ©o Ă©coulĂ©s par Sony et son Betamax, position que corroborera l’autobiographie de Linda Lovelace parue en 1980, sobrement intitulĂ©e Ordeal. LibertĂ©s crĂ©atives restreintes, dĂ©mocratisation des technologies permettant la captation vidĂ©o, c’en Ă©tait fini de l’ñge d’or porno au mi-temps des annĂ©es 1980. À croire que le monde n’était plus assez chic. 
David Simon, Ă©paulĂ© notamment par George Pelecanos (crĂ©ditĂ© en tant que co-crĂ©ateur du show), se saisit donc de ce fragment temporel au baroque exacerbĂ© pour poursuivre son grand oeuvre tĂ©lĂ©visuelle, sorte de mise Ă  jour de l’Americana, porte dĂ©robĂ©e vers un territoire sans cesse au-devant de l’Histoire. Les États-Unis, ce sont 9,834 millions de kilomĂštres au carrĂ©, et au moins autant de signes Ă  dĂ©crypter, d’impulsions Ă  saisir. Si, perdu dans la grisaille de Baltimore, un canapĂ© orange et dĂ©crĂ©pi, sorte de Radeau de la MĂ©duse nouvelle version, figurait une amorce thĂ©matique Ă©vidente, le Deuce et sa foultitude de signaux explose instantanĂ©ment le champs des possible, et c’est aussi ça de faire le trajet jusqu’à la grande ville. Disons que New York « encode » bien davantage que le rĂ©el, c’est une vision du futur hantĂ© par l’AntiquitĂ©, la plus vieille ville du monde Ă  bien des Ă©gards. La portion de 42Ăšme Rue faisant la jointure entre les SeptiĂšme et HuitiĂšme Avenues ressuscite Subure : Disney cherchera Ă  se l’approprier dans les annĂ©es 1990 pour y dĂ©velopper des salles de rĂ©alitĂ©s virtuelles et Ă©difier des bĂątiments emblĂšmes de sa « culture », tandis que Jim Carroll se rappelait Ă  cette mĂȘme pĂ©riode y avoir grandi effrayĂ© par la bombe : « l’ancien point de radiation maximum au sol pour lĂ  oĂč les Russes devaient lĂącher leurs missiles Ă©tait lĂ  42Ăšme Rue ». 
Subure, ses roses et leurs Ă©pines donc : Simon investit ce territoire historique et gĂ©ographique en dĂ©localisant son plateau de tournage par-delĂ  Harlem, en bordure de New York, lĂ  oĂč les passions anthropophages dĂ©chaĂźnĂ©es en haut des tours n’ont pas vraiment frappĂ©es. De ses annĂ©es en tant que journaliste, il a notamment conservĂ© un certain sens de l’allĂ©geance : chez lui la fiction est un devoir. En fait, avec ses scĂ©naristes, il pratique le roman Ă  clĂ© - ce qui nous intĂ©resse ici. La « rĂ©alité » telle que l’entend David Simon n’a pas Ă  voir avec l’esthĂ©tique, elle n’est pas corollaire d’une valeur-signe (ce Ă  quoi nombres de biopics et autres productions audio-visuelles de ces quinze derniĂšres annĂ©es l’ont rĂ©duite), mais agit comme mĂštre-Ă©talon, matiĂšre vitale qu’incise le scĂ©nario pour en rĂ©vĂ©ler le relief, pour jouer avec le plein et le dĂ©liĂ© de l’Histoire. Dans The Deuce, se croiseront Ă©videmment Warhol, les Dark Brothers, ou encore le sinistre Robert DiBernardo, mais plus que ces figures aux apparitions parfois totĂ©miques, ou du moins servant la temporalitĂ© du rĂ©cit, c’est la connivence qu’instille la sĂ©rie avec ses spectateurs par le moyen de sa galerie de personnages qui fait son Ă©paisseur thĂ©matique : ici, il est question d’images rĂ©manentes (oĂč « afterimage », la langue anglaise Ă©tant toujours plus explicite). Si Vincent Martino incarne la figure du passeur, sorte de Virgile inculte qui pratiquerait l’art martial et poĂ©tique des comptoirs, le suivre dans les entrailles de Time Square c’est croiser cohorte d’individus qui sont autant d’invitations Ă  prolonger le rĂ©cit, en combler les ellipses, puisque qu’ici la fiction est de Polichinelle : Ă  titre d’exemple, la trajectoire du personage campĂ© par Maggie Gyllenhaal reflĂšte celle d’une personnalitĂ© comme Candida Royalle tandis qu’Andrea Dworkin nous apparaĂźt Ă  demi-mot le temps d’un Ă©pisode de l’ultime saison et que le personnage de Bobby Dwyer semble prĂ©figurer la lĂ©gĂšretĂ© morale d’un Dennis Hof, entrepreneur Ă  succĂšs propriĂ©taire de bordels franchisĂ©s. Pour emprunter Ă  Chris Carter - qui lui aussi su faire de la tĂ©lĂ©vision une arme -  sa formule : « the truth is out there », une sentence que David Simon, qu’il soit Ă©paulĂ© par Burns, Price, ou Pelecanos, Ă  toujours pris au mot (il faudra un jour revenir sur ce qui est sans doute son fait d’arme le plus radical : l’adaptation du Generation Kill d’Evan Wright). Si l’analogie avec le crĂ©ateur de X-Files ne mĂ©rite d’ĂȘtre filĂ©e puisque Carter se repaĂźt de ces non-dits que l’imagination vampirise lĂ  oĂč David Simon s’attache lui Ă  ce que la fiction ne dĂ©passe jamais l’objectivitĂ© des faits, le voir dĂ©laisser le contemporain pour habiter le canon encore tiĂšde du revolver dont jaillit le passĂ© que notre prĂ©sent nie permet la rĂ©flexion quant au rĂŽle de la fiction face Ă  l’Histoire, quant Ă  la place de la culture populaire dans notre mĂ©moire collective. Simon pratique la sĂ©rie feuilletonnante avec une noblesse d’exĂ©cution et une attention au dĂ©tail pour ainsi dire jamais vu jusque lĂ , The Deuce ayant pour ambition d’inscrire comme partie prenante de son arc narratif une histoire secrĂšte la plupart du temps stylisĂ©e Ă  outrance, Ă©vidĂ©e d’une substance que le spectateur alerte retrouve ici faite forme et fond, substrat alchimique amalgamant rapports de police et romans noir, musique pop et activisme politique. En fait, l’on peut dire d’un tel projet (en mettant d’ailleurs l’accent sur le fait qu’il soit ici question d’une sĂ©rie tĂ©lĂ©, Ă  savoir l’opium d’un peuple en mal de frissons et d’altĂ©ritĂ©s - ce que dĂ©guisent le plus souvent la violence et les cliffhangers) qu’il travaille Ă  redonner Ă  l’Histoire la plus immĂ©diate son sens plein et protĂ©iforme, foutraque mĂȘme. L’histoire alors qu’elle se vit, celle d’avant les grilles de lecture et le zeitgeist vendu au dĂ©tail.
En scĂ©nariste responsable, David Simon rend Ă  la fiction son pouvoir magique, sa capacitĂ© Ă  fendre Ă©crans de fumĂ©e et autres filtres aliĂ©nants - Ă  s’opposer constamment au monde tel qu’il est reprĂ©sentĂ© par la matiĂšre froide dont sont fait les algorithmes. Dans son « Homme unidimensionnel » paru en 1964, Herbert Marcuse dĂ©crit l’art et, dans son cas, la littĂ©rature, de la façon suivante  : « They were essentially alienation, sustaining and protecting the contradiction - the unhappy consciousness of the divided world, the defeated possibilities, the hopes unfulfilled, and the promises betrayed. A rational, cognitive force, revealing a dimension of man and nature which was repressed and repelled in reality ». DerriĂšre son comptoir, mĂȘme Vincent Martino s’y retrouverait. 
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cbnfvrr · 5 years ago
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Once Upon A Time In Hollywood : le cinéma-vérité selon Quentin Tarantino
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De Tarantino on peut dire qu’il est sans doute le dernier Ă  avoir su ouvrir un passage vers de nouveaux horizons cinĂ©matographiques, Ă  avoir inspirĂ© une nouvelle (et ultime ?) façon de faire des films et de les penser. Pulp Fiction fut notre boĂźte de Pandore remplie ras-la-gueule de dope et de flingues, un tube cathodique qui aurait eu Ă  vomir un demi-siĂšcle d’image sainte californienne. Super film, aux consĂ©quences dĂ©sastreuses. Du reste, QT Ă  lui continuĂ© Ă  creuser son sillon, aprĂšs l’enfance de l’Art est venu son adolescence et grandir en public n’a rien de sain, faut-il le rappeler. Le cinĂ©aste est en mission et le contemporain fait place Ă  l’Histoire : il lui faut abattre un Adolf Hitler bien assez mort comme ça, tourner Jim Crow en ridicule 
 À quoi bon s’était-on dit l’air dĂ©sabusĂ©. C’est donc avec un plaisir rare que l’on dĂ©couvre un Tarantino enfin revenu de ses excĂšs, rentrant la mine goguenarde dans l’ñge adulte avec son conte de fĂ©e rĂ©tro. Un film qui lui semblait prĂ©destinĂ©, comme ce fut le destin de Sharon Tate que de mourir dans une tentative d’exorcisme par le sang de l’utopie hippie, et celui de Charlie Manson de figurer une idole des jeunes nĂ©gative en couverture de Life Magazine.
Le neuviĂšme film de Quentin Tarantino est une grosse farce absurde, le premier grand film de son auteur. Les rapports sismologiques sont formels, la derniĂšre fois qu’une telle chose s’était produite sur un Ă©cran de cinĂ©ma fut sans doute lorsque Robert Altman se mit en tĂȘte de conjurer l’assassinat de JFK dans Nashville (1975). Il Ă©tait alors question de construire tout un film autour du fameux 313Ăšme photogramme, celui sur lequel le cerveau de Kennedy jaillissait de son crĂąne pour venir tacher le cuir de la Lincoln Continental dans le film amateur tournĂ© un 22 novembre par Abraham Zapruder. Ici, il n’est pas tant question de persistance rĂ©tinienne que d’imaginaire collectif : Tarantino s’appuie constamment sur le rĂ©el dans sa version jaunie et patinĂ©e, Ă  savoir l’Histoire rĂ©cente que raconte autant les rapports de police que la culture populaire. Le soleil angeleno brille et le script de QT ne saurait existĂ© sans son ombre, les faits tels qu’ils sont dĂ©sormais objectivement reconnus. DĂšs lors se pose la question du pouvoir amoral de la camĂ©ra, de l’impact qu’à le mĂ©dium cinĂ©ma sur la MĂ©moire : dure de savoir si Tarantino maqueraute le passĂ© ou lui fait l’amour. Disons qu’il baise (lĂ  oĂč avant il se masturbait). Once Upon A Time In Hollywood bĂ©nĂ©ficie sans doute de l’une des plus belles fins de cinĂ©ma, en ça qu’elle est un acte mĂ©taphysique qui dit tout en ne racontant rien : un gag visuel ultra-violent devant lequel il serait odieux de rire. En fait, Tarantino, en pleine possession de ses moyens de metteur en scĂšne, s’amuse Ă  jouer avec le retour-image du siĂšcle dernier et sa volontĂ© d’absoudre un passĂ© collectif par la vengeance, et donc la violence, trouve enfin ici un intĂ©rĂȘt en ce qu’il est question de faire illusion, au sens le plus littĂ©ral du terme. Alors que s’amorce la conclusion du mĂ©trage, que l’avion de Rick Dalton et Cliff Booth atterrit Ă  LAX, dĂ©marre une Ă©niĂšme piste musical : cette fois il s’agit d’un single des Stones datĂ© de 1966, Ă©videmment nommĂ© « Out Of Time », morceau dans lequel Jagger pleure sa « poor discarded baby » qu’il juge dĂ©sormais obsolĂšte. Alors que les enseignes lumineuses cartographiant Los Angeles s’allument une Ă  une sous nos yeux, façon Voie lactĂ©e Ă©lectrifiĂ©e, Tarantino donne sa dĂ©finition du cinĂ©ma en mettant en scĂšne une hallucination de groupe au cours de laquelle un acteur hollywoodien un brin red-neck et sa doublure cascade vont soigner la brutalitĂ© par la sauvagerie, et tout ça en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense. Évidemment, c’est du cinoche. Le fils de Tate ne viendra jamais au monde, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt sont des acteurs jouant le rĂŽle d’autres acteurs : “Rien n’est vrai, tout est permis”, Once Upon A Time In Hollywood est plus potache que cathartique, c’est un film vertigineux et brillant. Sans doute lĂ  pour nous rappeler Ă  ces paroles de l’illustre Friedrich Nietzche : “que soient maudites toutes les hypothĂšses ayant permis la croyance en un monde vrai”. 2019, annĂ©e Ă©rotique ?
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cbnfvrr · 5 years ago
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« Selling garbage to garbage men », The Wolf Of Wall Street ou l’état extatique des choses.
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Le rĂ©cit de la vie de Jordan Belfort tel qu’il est mis en scĂšne par Martin Scorsese ne supporte pas l’arrĂȘt sur image ni la somnolence, les trous d’air comme le bruit blanc. À vrai dire, lorsque Marty cherche Ă  signifier le basculement de son intrigue, c’est justement par un bref instant de silence qu’il dĂ©coupe son mĂ©trage, alors que Belfort et l’agent du FBI Ă  ses trousses se sondent l’un et l’autre du regard. Preuve si il en faut qu’il n’est pas question ici de viser Ă  l’épure afin de jouir d’une puretĂ© cinĂ©matographique fantasmĂ©e mais bien d’épuiser l’information par les signes, le fond par la forme. Note d’intention qui aura valu Ă  certains bien des railleries (Paul Verhoeven et son monstrueux Showgirls au mi-temps des annĂ©es 1990) mais qui semble aujourd’hui rĂ©sonnĂ© avec l’époque, tant sur le plan du box-office que sur celui de la critique. 
L’histoire du Loup de Wall Street est celle d’un train qui dĂ©raille mais ne finit pas dans le dĂ©cor, c’est l’histoire rĂ©cente de la finance comme celle du cinĂ©ma. Celle de notre entrĂ©e dans le prĂ©sent siĂšcle : un monde sous-tendus par des valeurs fantĂŽmes, qui s’évertue Ă  faire passer pour rĂ©alitĂ© le reflet d’un reflet aperçu parmi les fragments d’un miroir. Le film qu’en tire Scorsese est en cela exemplaire et Ă©reintant, le new-yorkais faisant mine de poser l’éternel question visant Ă  dĂ©terminer ce qui sĂ©pare l’idiot du visionnaire, le sublime du grotesque, et ce trois heures durant. D’une certaine maniĂšre, ce qui est ici captĂ© par l’image, s’en faisant dĂšs lors le principal carburant, c’est la vitesse. D’abord comme pur concept, puis en tant que dynamique (le fameux train qui aurait fait la nique au destin que l’univers, dans son entendement rationnel, lui prĂ©disait), tout ça devant Ă©videment se finir au creux d’une vague de synthĂšse dĂ©mesurĂ©e. Le regard du spectateur n’a plus sa place dans un tel cinĂ©ma : la mise en scĂšne jubilatoire, l’usage de voix-off, les divers sauts dans le temps afin d’expliciter chaque Ă©lĂ©ments de l’intrigue, les personnages que les acteurs incarnent comme ces figurines aux visages disproportionnĂ©es que l’on aperçoit parfois Ă  l’avant des bagnoles, 
 C’est bien l’écran qui nous dĂ©visage Ă  mesure que les images projetĂ©es nous dictent la marche Ă  suivre, nous indiquent comment interprĂ©ter ce qui s’est Ă  peine produit. Scorsese trouve en Jordan Belfort, stock broker inspirĂ© de son Ă©tat, le trait d’union entre Mick Jagger et Ace Rothstein permettant la mise en orbite de ses obsessions de metteur en scĂšne mais c’est comme si il avait industrialisĂ© sa mĂ©thode, dĂ©finit une formule encapsulant son cinĂ©ma. Selon Kafka, au cinĂ©ma “la rapiditĂ© des mouvements et la succession prĂ©cipitĂ©e des images vous condamnent Ă  une vision superficielle et de façon continue. [Les images] submergent la conscience”. En fait, au visionnage de The Wolf Of Wall Street on ne peut s’empĂȘcher de se demander si ce n’est pas lĂ  un film dĂ©finitivement moderne, en cela qu’il saurait exister dans un espace abstrait et apparement vide : un territoire que le regard justement ne peut violer, oĂč public et rĂ©alisateur ne font plus vraiment partie de l’équation cinĂ©ma. Un peu comme dans cette scĂšne du Player d’Altman oĂč Larry Levy, jeune producteur aux dents longues, propose de se dĂ©barrasser purement et simplement des scĂ©naristes. À la question de savoir d’oĂč proviendront les histoires futures, il rĂ©pond “Anywhere, anywhere. Doesn’t matter. Anywhere.” Cette anywhere, c’est la surface conceptuelle mentionnĂ©e plus haut, sur laquelle se rĂ©flĂ©chissent l’infiniment grand comme l’infiniment petit, la mythologie et les brĂšves de comptoir, la “plus petite unitĂ© de sens” commune Ă  tous. C’est bien parce qu’il se situe juste aprĂšs cet « au-delà » que le Loup est digne d’intĂ©rĂȘt. Comme si Martin Scorsese s’était sacrifiĂ© pour la cause afin de nous livrer cet instantanĂ© polaire de ce que son camarade Paul Schrader appelle le « post-cinĂ©ma ».
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cbnfvrr · 5 years ago
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L’auteur de ces lignes aurait lui aussi aimĂ© rouler en direction de la Centerville sortie de terre, quelque part dans le New Jersey, alors que The Dead Don’t Die se tournait. Arriver sur les lieux, constater le dĂ©lire de cables et d’optiques caractĂ©ristique d’un movie set. Et la poussiĂšre noire de se glisser Ă  travers chaque interstices du rĂ©el, et ce jusqu’à maintenir Ă  flot l’illusion vernaculaire dont la camĂ©ra fera cinĂ©ma. NuĂ©e poussiĂ©reuse qui pollue l’atmosphĂšre sans ĂȘtre jamais salissante, particules assassinĂ©es inoffensive mais pourtant lourdes de sens 
 quelque chose Ă  changĂ©.
À mesure que la violence se dĂ©ploie au cours de The Dead Don’t Die, revient ce questionnement, sorte de caution morale dĂ©guisĂ©e en farce (Ă  moins que ce ne soit l’inverse) : Qu’est-on occupĂ© Ă  tuer ? nos concitoyens revenus Ă  la vie, une horde de zombies anonyme, ou bien le cadavre dĂ©sincarnĂ© de ces mĂȘmes voisins ? Doit-on s’amuser du meurtre puisque l’on s’attaque Ă  ce qui est finalement dĂ©jĂ  mort ? Jarmusch s’était emparĂ© de la brutalitĂ© comme thĂ©matique dans Dead Man, la violence devenait art primitif amĂ©ricain, son western dichrome un manifeste transcendantaliste qui tirait le premier. Que reste-t-il de cette posture outranciĂšre aujourd’hui ? Il est plus probable que ce soit le zombie de Jim Jarmusch qui est rĂ©alisĂ© The Dead Don’t Die 
 Si l’image pĂšche par simplicitĂ©, que penser de ces deux cadavres aux viscĂšres dĂ©chiquetĂ©es que l’on nous prĂ©sente trois fois de suite, par des plans identiques, Ă©tendus sur le plancher d’un diner. Ne manque que ces rires prĂ©-enregistrĂ©s propres aux sitcoms en fond sonore. Etonnamment trivial de la part d’un cinĂ©astes vieillissant dont les trois derniers longs-mĂ©trages tĂ©moignaient d’une maitrise sans cesse rĂ©affirmĂ©e. OĂč situer le film dont il est question ici par rapport au Only Lovers Left Alive de 2013 ? Ces deux mĂ©trages ne sauraient exister dans la mĂȘme orbite. LĂ  oĂč le premier Ă©tait un film somme, sorte de testament auteuriste soignant sa dĂ©pression par la culture, mettant en scĂšne l’ « orgie perpĂ©tuelle » chĂšre Ă  Gustave Flaubert, le second se vautre dans un humour facile, dans une mĂ©taphysique bravache. Il Ă©tait dĂ©jĂ  question de zombies dans Only Lovers Left Alive, et le titre mĂȘme du film renvoyait Ă  la distinction fondamentale entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas (notons au passage que tout ça n’a rien Ă  voir avec ce qui est vivant et ce qui ne l’est plus), pour autant Ă  aucun moment Jarmusch ne sombrait dans la citation stĂ©rile de Romero, les zombies d’alors n’apparaissent jamais vraiment Ă  l’écran, trop occupĂ©s Ă  terraformer Ă  outrance leur planĂšte-cercueil, ayant dĂ©sertĂ©s leurs villes, comme si l’HumanitĂ© entiĂšre s’était finalement rĂ©sorber. Aujourd’hui, les zombies errent dans les rues Ă  la recherche du sacro-saint wi-fi. Tout ça est par moment franchement embarrassant. NĂ©anmoins, si l’on prĂ©suppose que critiquer un systĂšme est totalement vain puisque la critique est de fait une Ă©manation mĂȘme dudit systĂšme, un horizon dĂ©solé  mais salvateur se dessine : aligner un tel casting, d’ailleurs l’argument marketing permettant la vente du projet, que l’on dĂ©cimera ensuite tour Ă  tour sans mĂȘme prendre la peine de dĂ»ment l’exploiter, c’est faire profession de foi nihiliste. 2019 oblige, dĂ©vorer Selena Gomez, c’est plus no future qu’une apparition de John Lydon ou autre Ă©dentĂ© arborant fiĂšrement le coeur de Bouddha. Inconsciemment, Zombie Jim semble mettre en scĂšne la victoire du signifiant sur le signifiĂ©, le capital du cool et le fan-service d’ « auteur ». Il thĂ©orise par l’absurde un procĂšs d’auto-cannibalisme Ă  mesure qu’il parodie son cinĂ©ma - rappelons que dans tout ça, c’est Eszter Balint, hĂ©roĂŻne de Stranger Than Paradise, qui meure la premiĂšre. 
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cbnfvrr · 6 years ago
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DerniĂšre pellicule avant l’Armaggedon - Elmo Tide enfin publiĂ©
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« Robert Frank and Fellini go to the carnival », voilĂ  qui introduit l’oeuvre paranormale et granuleuse d’Elmo Tide au dos de la premiĂšre monographie Ă  lui ĂȘtre consacrĂ©e. La sentence se rĂȘve dĂ©finitive, et l’est sĂ»rement. DĂšs lors, reste-t-il quelque chose Ă  dire de Tide et ses images ?
Sans doutes pas. D’ailleurs l’ouvrage, comme le photographe, se rĂ©vĂšle peu loquace : tout texte en est absent - cette qualitĂ© indicible propre au mystĂšre d’en ĂȘtre prĂ©servĂ©e, Dieu merci. Pour autant, certains connaissent les images d’Elmo Tide depuis une dizaine d’annĂ©es maintenant, par le biais d’un compte Flickr et de quelques 300 photos postĂ©es au fils des ans. Ceux d’entre eux ayant tentĂ©s d’approcher le photographe auront Ă©chouĂ©s, alors aborder les images elle-mĂȘmes semble ĂȘtre la meilleure des alternatives. L’ouvrage en question est constituĂ© de photographies prises Ă  partir d’un An 0 que l’on se risquerait Ă  situer au passage Ă  l’an 2000 justement, mais lĂ  encore, toute certitude est Ă  exclure. Elmo Tide photographie des foules dĂ©sordonnĂ©es et des lieux Ă©trangement vides, les regards absents comme ceux que la brutalitĂ© du monde exorbite. À croire qu’il serait davantage scĂ©nographe que photographe, marionnettiste d’un satyricon hyperrĂ©el qui n’existe plus que pour lui-mĂȘme et au dessus duquel pleuvent sans cesse ces mĂ©tĂ©ores qui nous font si peur. Il tĂ©moigne d’une obsession pour l’uniforme, et son corollaire plus contemporain : le dĂ©guisement, Ă  travers une sĂ©rie de clichĂ©s hallucinĂ©s et hallucinant, qui assertent une fois de plus de la fantastique capacitĂ© qu’ont les États-Unis Ă  ĂȘtre constamment Ă  la hauteur de leur mythe. Los Angeles et la Bay Area deviennent ici un terrain de jeu et d’étude, oscillant sans cesse entre le rĂȘve et son cauchemar. Et une mystique du simulacre d’ĂȘtre mise Ă  nue par l’objectif d’Elmo Tide, objectif argentique Ă  l’ñpretĂ© dĂ©sarmante qui fait le jeu du photographe puisque c’est de la tension constante entre la rusticitĂ© de la technique employĂ©e et l’actualitĂ© effrĂ©nĂ©e de ses sujets que naĂźt le caractĂšre extrĂȘmement singulier du freak show jamais cynique auquel Tide nous convie. On imagine le photographe spectateur d’une parade qui ne saurait avoir de fin, faisant la part belle aux aspirations déçues et aux espoirs en suspens, une perspective amĂ©ricaine dynamitĂ©e qu’il traverse Ă  la recherche de ce qui s’apparente sans doute Ă  un Ă©ros malade, nĂ© aux confins du sacrĂ© et du profane : en fait, il y a quelque chose dans les dĂ©ambulations hypnotiques d’Elmo Tide qui nous rappelle Ă  l’image de Dieu clandestine peinte par Bataille dans Madame Edwarda. MĂȘme description d’une rĂ©alitĂ© distordue, mĂȘme sentiment d’ĂȘtre enfermĂ© dehors - sans pouvoir distinguer les chiens des loups. Mais cette fois-ci l’obscuritĂ© perd en densitĂ© comme en symbolique puisque les nĂ©ons et les phares de bagnoles font irruption, disruptent le magique, affirment le rĂ©el : Tide pratique un vaudou post-subprimes, s’amuse du siĂšcle, de son naufrage esthĂ©tique 
 travaille en fait Ă  rĂ©vĂ©ler Ă  travers ses images ce qui reste de la poussiĂšre d’étoiles Ă©chappĂ©es d’un drapeau bien connu, qui vire ici au noir et blanc.
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cbnfvrr · 6 years ago
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“Smoking a cig and dying”, le testament d’Abel Ferrara
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4:44 Last Day On Earth est une expĂ©rience courte mais gratifiante, un peu Ă  la maniĂšre d’une apocalypse, oĂč la version hardcore d’une Ă©piphanie. C’est un film Ă  ranger parmi ceux que rĂ©alisent de vieilles gloires souterraines dont quelques faits d’arme depuis longtemps passĂ© Ă©clipsent les travaux les plus rĂ©cents, Ă  savoir, la plupart du temps, des bizarreries jusqu’au-boutistes et fauchĂ©es, des pellicules qui tendent Ă  verser dans une Ă©rudition de derniĂšre minute comme unique remĂšde Ă  la vulgaritĂ© du siĂšcle nouveau. Des films formidables en somme, qui peuvent servir de leçons, Ă  dĂ©faut de manuel de survie, pour peu que notre regard en saisisse la pleine substance.
Disons que Ferrara parle ici de deux choses : du dehors et du dedans, et du rapport que chacun entretient avec les images. 4:44, c’est un film pour la fin des temps, un film qui overdose. Un film dans lequel l’hĂ©roĂŻne semble la cure la plus appropriĂ©e Ă  la folie que dĂ©chaine les flux de l’ùre Internet, au coeur desquels se massent des foules dĂ©capitĂ©es. Le cinĂ©aste filme un loft new-yorkais, fort Alamo assiĂ©gĂ© par des enseignes transnationales, point de jonction entre un ciel remuant et la ville qui se dĂ©bat, dans lequel vivent Shanyn Leigh et Willem Dafoe, deux figures qui Ă©changent leurs Ă©nergies, qui semblent vouloir se complĂ©ter en un yin-yang suicidaire. Leigh, c’est l’éniĂšme rĂ©incarnation d’un oracle, piĂ©gĂ© cette fois ci dans le corps d’une femme-enfant ingĂ©nue et sensuelle, lĂ  oĂč Dafoe joue le rĂŽle du dope fiend zen, dans le sillage duquel survivent le kid aux semelles de vent et son amant, le New-York de Richard Hell et Tom Verlaine (on gardera d’ailleurs le souvenir Ă©mu de ces quelques secondes incendiaires durant lesquelles Abel Ferrara dit adieu Ă  tout ce qu’était son cinĂ©ma le temps d’une travelling sur Ludlow Street). Des personnages qui ne sont pas Ă©gaux face aux images donc : Skye maitrise son univers, le monde qu’elle habite mentalement elle le projette hors d’elle dans un big-bang de pigments et de formes. Elle est peintre. Cisco, c’est Ferrara : il est agitĂ©, excitĂ©, en prise avec des dĂ©mons tĂ©lĂ©visuels et mĂ©diatiques, addict. Les images l’assaillent et il en redemande, Ă  bien y regarder l’on distingue l’orage informatique qui ne quitte pas le sommet de son crĂąne sur certains plans prophĂ©tiquement gardĂ©s au montage. Il incarne l’impossible duel entre le passĂ© et son futur, le dĂ©sespoir exorbitĂ© que reflĂšte des Ă©crans devenus miroir. Si Johnny Thunders nous avait prĂ©venu dĂšs 1978 qu’il ne fallait pas essayer de prendre nos souvenirs Ă  bras le corps, Abel Ferrara filme un monde immatĂ©riel que seule la camĂ©ra peut capter, et semble nous dire au passage que c’est au mĂ©dium cinĂ©ma de prendre en charge le contemporain et sa profusion de canaux numĂ©riques se superposant au plan terrestre que les corps habitent. 4:44 Last Day On Earth est peuplĂ© de fantĂŽme hertziens, d’images aux provenances diverses qui vont et viennent par dessus l’intrigue comme des nappes de sons phrĂ©atiques, comme d’imposantes baleines faites de 1 et de 0 qui chanterait toutes les couleurs de la solitude, puisque selon Ferrara les Hommes vont et meurent seuls : l’amitiĂ© est destructrice et l’amour charnel Ă  l’honnĂȘtetĂ© dĂ©sarmante d’un painkiller. Il nous entraine dans un petit enfer fait de visio-confĂ©rences larmoyantes, de compagnons d’infortune ressuscitĂ©s, d’astres verdĂątres et de bĂȘtes aux deux visages. Tant de signes Ă  peine dissimulĂ©s qui sondent un instant intime et globale, celui de la fin du monde programmĂ©e. Un moment dont s’empare Ferrara pour livrer un film bĂątard et esseulĂ©, fulgurant et Ă©parpillĂ©. Un film qui dĂ©laisse la fiction pour faire dans la cartomancie, un prĂ©cis nihiliste et religieux.
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cbnfvrr · 6 years ago
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KILL THE ICE-CREAM MAN! - John Carpenter : USA année 0
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Assault On Precinct 13 est un film dont l’aura survivaliste perdure malgrĂ© les annĂ©es, un film qui fascine, notamment de par la prĂ©sence crĂ©pusculaire de deux de ses acteurs principaux : Darwin Joston et Laurie Zimmer, deux acteurs improvisĂ©s aux noms vaguement Ă©tranges, le premier fut un comĂ©dien de thĂ©Ăątre ratĂ© vite reconverti comme chauffeur sur les tournages hollywoodiens tandis que la seconde crut peut ĂȘtre le temps d’un instant fugace - quoique son regard couleur cendre en laisse douter - Ă  une carriĂšre de movie star qui ne fut jamais. Apparement, elle serait ensuite devenue enseignante. 
Pourtant, plus que son casting, ou quelques autres qualitĂ©s cinĂ©matographiques, ce qui fait le coeur du premier vĂ©ritable long-mĂ©trage de Carpenter, c’est sa demi-heure introductive : avant que le soleil ne s’écrase sous la ligne d’horizon californienne, Big John filme une journĂ©e Ă  Los Angeles, et se faisant fige un instant de l’histoire rĂ©cente de L.A, et des États-Unis par la mĂȘme. Assault On Precinct 13 existe dans ce contre-temps retors des seventies qui voit la dĂ©cennie enterrer le cadavre violacĂ© de la contre-culture et brĂ»ler un cierge au veau d’or synthĂ©tique que sera son futur le plus immĂ©diat, les hippies astiquent leurs flingues et pactisent par le sang Ă  l’heure oĂč les diffĂ©rents mouvements hĂ©ritiers de la lutte pour les droits civiques des annĂ©es 1960 s’entre-dĂ©chirent sur fond de misĂšre social, deviennent des entitĂ©s versĂ©es dans l’illĂ©gal ... les premiers gangs contemporains en fait (la rumeur veut parfois que “Crip” soit l’acronyme criminogĂšne de “Continual Revolution In Progress” par exemple). D’oĂč la lĂ©gion quasi-zombifiĂ©e qui encerclera le treiziĂšme precinct oĂč sont retranchĂ©s Carpenter et sa camĂ©ra. Le temps n’est plus Ă  la rĂ©flexion, ni Ă  l’organisation, pas mĂȘme Ă  la discussion en fait, Los Angeles a virĂ©e dingue et, trois ans avant que George Miller ne s’y colle, Big John filme un proto-Mad Max rugueux dans lequel aucun hĂ©ros, mĂȘme tarĂ©, ne surgit des dĂ©combres : quoique qu’il arrive l’inĂ©narrable Napoleon Wilson finira assis sur la chaise Ă©lectrique. DĂšs lors, faisons un bond de presque quinze ans dans le future : canicule infernale sur South Central en avril 1989, mais tout est cool, la PremiĂšre Dame termine son dĂ©jeuner alors que face Ă  elle, on aperçoit Ă  travers un nuage de poussiĂšre la lueur rĂ©manente des feux de reculs situĂ©s Ă  l’arriĂšre des tanks que le SWAT utilise pour dĂ©molir les maisons suspectĂ©es de servir Ă  Ă©couler les tonnes de cracks qui fondent quotidiennement sur la ville. PoĂ©sie reaganienne si il en est, art performance ou opĂ©ration de com’ : c’est selon. « Nancy » naĂŻvement brodĂ© sur le coupe-vent caractĂ©ristique des polices amĂ©ricaines, la femme du prĂ©sident se ballade parmi les ruines, remarque les impacts de balles, voit des gens allongĂ©s sur le sol, se plaint de l’ameublement hasardeux des lieux 
 pour en conclure : « These people in here are beyond the point of teaching and rehabilitating. There’s no life, and that’s very discouraging. » La dĂ©tente, c’est Daryl Gates qui l’a pressĂ©, sans sourciller si l’on en croit le pedigree du bonhomme, lui qui sera Ă  la tĂȘte de la police angelena entre 1978 et 1992 et qui, aprĂšs avoir contribuĂ© Ă  la formation des premiĂšres unitĂ©s du SWAT suite aux Ă©meutes de Watts en 1965, aura transformĂ© son effectif en un groupe para-militaire dĂ©cidĂ© Ă  faire de Los Angeles un Vietnam asphaltĂ©. Un type pour qui les consommateurs de drogue, mĂȘme occasionnels, « devraient ĂȘtre abattus ». Vous Ă©tiez pourtant prĂ©venus : Just Say No disait Nancy ... Cette rĂ©thorique droitiĂšre, c’est la matrice mĂȘme dont naĂźt Assault : une jeunesse muette hante les rues sapĂ©e façon indigĂšne, et le vendeur de glace itinĂ©rant Ă©chappĂ© d’une AmĂ©rique suburbaine rĂȘvĂ©e garde un calibre sous le tableau de bord de son camion. L.A brĂ»le-t-elle ? Ça ne tardera pas en tout cas, et le film de Carpenter de prĂ©figurer cette dĂ©rive autoritaire du pouvoir en entĂ©rinant le malaise social qui fait son chemin depuis longtemps dĂ©jĂ  au sein d’une sociĂ©tĂ© Ă©minemment communautaire et hiĂ©rarchisĂ©e, tout ça le temps d’un plan Ăąpre mais juicy : le meurtre d’une fillette qui surprend son monde par sa brutalitĂ© placide que d’autres auraient confinĂ©s au domaine du cauchemar mis-en-scĂšne. Pas John Carpenter, qui pratique lĂ  un cinĂ©ma aux desseins parfois difficile Ă  cerner, reprends ses motifs au Nouvel Hollywood pour tendre vers un vigilante movie anar’ dans lequel le spectateur ne trouvera pas de compas moral, mĂȘme Ă©moussĂ©, permettant de guider sa comprĂ©hension du mĂ©trage mais bien un choeur aux voies enrouĂ©es par la poudre Ă  canon, une horde sauvage de seconde zone faite de flics et de voyous qui ne comprennent Ă  aucun moment l’engrenage politique et social qui s’enraye autour du precinct 13.
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cbnfvrr · 6 years ago
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Bangkok Nites - Jardin des DĂ©lices reloaded
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Kuzoku, trois syllabes tranchantes pour dĂ©signer une tribu d’ascendance divine venue s’échouer dans le caniveau. Des personnages imaginĂ©s par feu Taku Ikawa, cinĂ©aste et romancier qui fut, aux cotĂ©s de Toranosuke Aizawa et Katsuya Tomita, l’un des co-fondateurs de la cellule cinĂ©-dissidente du mĂȘme nom en 2001. Kuzoku, une assertion qui, une fois explicitĂ©e, permet dĂ©jĂ  d’entrevoir ce qui compose la matiĂšre dont est faite le cinĂ©ma de Tomita, devenu en l’espace d’une petite vingtaine d’annĂ©es et de quatre long-mĂ©trages la tĂȘte de proue du collectif. Une matiĂšre informe et radical, fruit d’une collaboration de chaque instants avec Aizawa, qui irrigue un cinĂ©ma Ă  la fois primaire et mystique, syncrĂ©tique et essentiel.
Bangkok Nites, dernier film en date du duo, en incarne sans doutes la forme la plus aboutie. Sorte d’ouroboros tiers-mondiste, itinĂ©raire kalĂ©idoscopique Ă  travers un Asie du Sud-Est que « Dieu a oubliĂ© » selon la formule consacrĂ©e par les vestes de treillis brodĂ©es, le film se veut dĂ©rive lancinante au coeur d’un enfer que JĂ©rĂŽme Bosch n’aurait su imager. Il s’ouvre sur une citation Ă  Apocalypse Now alors que Bangkok, « rĂ©sidence du Bouddha d’Émeraude », nous apparaĂźt depuis les hauteurs d’un building grand standing rĂ©vĂ©lĂ©e par la nuit. RĂ©fĂ©rence-clef si il en est, le blockbuster (au sens premier et martial du terme) psychĂ©dĂ©lique imaginĂ© par Milius d’aprĂšs Joseph Conrad illustre l’entrĂ©e dans la modernitĂ© brutale de cette rĂ©gion du monde en faisant du choc des civilisations une fĂȘte macabre et, en tant que production amĂ©ricaine, permet a Katsuya Tomita une profession de foi mĂ©ta - son film sera un essai documentaire se jouant de la fiction, comme si le cinĂ©aste revendiquait son droit de rĂ©ponse (et ce dans un film adoptant certains des prĂ©ceptes chĂšres au Nouvel Hollywood) en remettant en question le don d’ubiquitĂ© propre Ă  l’Empire. D’ailleurs, croiser le regard de Tomita et son scĂ©nariste ne trompe pas, l’affabilitĂ© toute japonaise qui rĂ©git les maniĂšres des deux quarantenaires peine Ă  masquer le caractĂšre voyou qui les anime - une Ăąme sans doute nourrie aux mĂȘmes feux que celle qui produisit les pinku-eigas dĂ©linquants de Koji Wakamatsu et Masao Adachi un demi-siĂšcle plus tĂŽt. La mĂ©thode Tomita donc, c’est d’abord faire de l’entreprise cinĂ©matographique un geste courageux, et de fait profondĂ©ment authentique : ĂȘtre brave, c’est voir le monde dans son entiĂšretĂ©, saisir le vulgaire et l’onirique, les cocktails translucides et la jungle millĂ©naire. Lui et Toranosuke Aizawa ont vĂ©cu la CitĂ© des Anges quatre ans durant, parcourant principalement la rue Thaniya, segment du quartier rouge rĂ©servĂ© aux japonais, Ă  la recherche de ce que deviendra leur film. ApparaĂźt alors Subenja Pongkorn, martyre besogneuse qui incarne le personnage autour duquel s’articule la structure narrative du mĂ©trage puisque le voyage de la jeune Luck jusqu’à la capitale est ici effectuĂ© Ă  rebours le temps d’un retour Ă  Isan, province misĂ©reuse et mĂ©prisĂ©e situĂ©e au Nord-Est du pays. De lĂ  seront abordĂ©es Vientiane ou DiĂȘn BiĂȘn Phu, les fantĂŽmes puis les monstres - lĂ  oĂč le passĂ© existe, abonde. Katsuya Tomita, pour la premiĂšre fois acteur dans l’un de ses films, est un homme en marche, une figure vagabonde dont la trajectoire de vie erratique trouve rĂ©sonance dans le paysage scarifiĂ© de cette rĂ©gion du monde entiĂšrement vendue au rĂȘve libĂ©ral de l’Occident. Il est ici question de percer Ă  jour « l’utopie totale » (pour reprendre les mots de l’un des personnages du film) que prĂ©figurĂšrent les programmes Rest & Relaxation mis en place par l’armĂ©e amĂ©ricaine Ă  l’époque de la guerre du Vietnam, et dont la capitale thaĂŻlandaise se veut l’épicentre : perdu au coeur de friches asservies et multicolores, Tomita filme une tragĂ©die avec au lĂšvres le sourire de celui qui n’as plus ni espoirs ni craintes. En rĂ©sulte un film mutant qui ne saurait ĂȘtre dĂ©cryptĂ© Ă  l’aune d’un quelconque mouvement, de quelconques Ă©coles - Ă  la rigueur, la filiation avec Werner Herzog semble une Ă©vidence, notamment lorsque se pose la question des moyens dĂ©ployĂ©s pour faire un film, mener Ă  bien un projet, accomplir une mission. Le cinĂ©ma de Tomita n’est pas cinĂ©phile, c’est celui d’un ex-chauffeur routier en mission selon qui un mĂ©trage se construit au fil de rencontres : ici la star d’un bordel, lĂ -bas un vĂ©tĂ©ran amĂ©ricain restĂ© profiter du soleil 
 Émerge dĂšs lors une esthĂ©tique de l’imprĂ©vu, sorte de rĂ©alisme-magique contrefait. La camĂ©ra est embarquĂ©e et laisse le rĂ©el nous stupĂ©faire Ă  mesure que les scĂšnes se tournent : quelque unes des images captĂ©es par Tomita saisissent la rĂ©tine, la plupart sont vulgaires et dĂ©suĂštes - un peu comme la vie la vraie. Bangkok Nites est une franche rĂ©ussite visuel en ça qu’il fait esthĂ©tique d’une rĂ©alitĂ© que la fiction au cinĂ©ma semble le plus souvent rĂ©cuser par nombres d’artifices. Le cinĂ©aste et son Ă©quipe embrasse le numĂ©rique, son voyeurisme haute-dĂ©finition, pour produire des images dĂ©sarmantes - en fait, l’on pourrait arguer que depuis Saudade, Katsuya Tomita s’efforce Ă  opĂ©rer une mise-Ă -jour du « cinĂ©ma direct » alors qu’il questionne le potentiel pernicieux de l’outil camĂ©ra et renvoie au Diable son rictus. Il capte les fragments d’un temps prĂ©sent ordonnĂ© ensuite au montage, le simulacre devenu ordinaire de par son omniprĂ©sence. Se crĂ©er ainsi un Ă©quilibre dĂ©sarçonnant puisqu’il est difficile, de prime abord, d’y distinguer la voix d’un auteur, de saisir le ton du mĂ©trage : Bangkok Nites existe de par les tĂ©moignages qu’il entremĂȘle, c’est un voyage initiatique qui arriverait trop tard, une priĂšre Ă©lectrique et dĂ©sespĂ©rĂ©e. Tomita et Aizawa ne filment pas des cicatrices, ils tracent le contour de plaies impalpables mais bĂ©antes, faites fondations de villes impossibles et de territoires outragĂ©s. Bangkok Nites, oĂč la seule science-fiction que nous mĂ©ritions.
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cbnfvrr · 6 years ago
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Pop léviathan
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20th Century Boys est un manifeste, l’apogĂ©e personnelle d’un auteur ayant rĂ©ussi l’espace de 24 volumes Ă  tĂ©lescoper passĂ© et futur dans un kalĂ©idoscope narratif canonisant Tezuka, Otomo, et les autres tout en posant les bases d’un courant alternatif se jetant dans l’ocĂ©an de la bande-dessinĂ©e nippone. Une nouvelle donne mĂȘlant shonen et seinen, fait d’actualitĂ© et embardĂ©e nekketsu. 20th Century Boys est un succĂšs fou, 25 millions d’exemplaires vendus, on entend parfois qu’Urasawa habiterait depuis un chĂąteau au milieu de Tokyo. DĂ©miurge cartoonesque et maitre du suspens, le mangaka ne saurait pourtant ĂȘtre rĂ©sumĂ© Ă  l’incroyable efficacitĂ© de sa formule, arrivĂ©e Ă  maturation avec la sĂ©rie, puisque se cache entre les pages de ses rĂ©cits mise-en-garde dystopique et contes philosophiques rĂ©tro. ExĂ©gĂšse de comptoir :
Chez Naoki Urasawa, l’enfance est un paradis corrompu, un Ă©tĂ© Ă©ternel masquant une implacable matrice. C’est de l’innocence enfantine que naĂźtront les monstres de demain, et c’est vers cette mĂȘme pĂ©riode que nos personnages devront sans cesse se retourner pour rĂ©soudre les Ă©nigmes du prĂ©sent. L’enfance, c’est aussi l’emprise de la culture populaire sur le quotidien : la tĂ©lĂ©vision transforme les catcheurs en demi-dieux, les revues de bande-dessinĂ©es deviennent Ă©vangiles feuilletonesques. Et puis le temps fait son office, liquide rĂ©vĂ©lateur transformant les nĂ©gatifs doux-amer en panorama dĂ©sabusĂ©, car 20th Century Boys, au moins dans sa premiĂšre partie, parle surtout du temps qui passe sans que l’on s’en aperçoive, des amis disparus et des rĂȘves qu’on rangent au fond des tiroirs. Pris au piĂšge des flux ultra-rapide et super-cynique qui font le monde contemporain, les rĂ©fĂ©rences pop un brin fanĂ©es passent bientĂŽt de madeleine de Proust Ă  signe de ralliement. DĂšs lors, Urasawa traite d’activisme. La secte crĂ©Ă©e par le mystĂ©rieux Ami semble se propager dans la sociĂ©tĂ© japonaise en proposant Ă  ses fidĂšles d’échanger conscience morale et esprit critique contre une foi sans bornes en la personne du gourou, ce que l’on vend ici c’est en fait la disparition du sentiment de culpabilitĂ© chez les adeptes : « croyez en moi qui croie en vous, et finissez-en avec les tourments qu’impose la conscience de soi et des autres ». Se crĂ©er alors une norme que l’on voit se dĂ©velopper Ă  mesure que le manga avance dans sa chronologie, et donc forcĂ©ment des voix Ă©garĂ©es, distinctes de la masse : le mangaka a choisi ses hĂ©ros, ce seront des adolescentes en Ă©chec scolaire, des prĂȘtres voyous, des travestis dĂ©bonnaires, et des sans-abris rĂȘveurs. C’est de cette pluralitĂ© de voix formant au fil des pages un choeur marginal que naĂźt l’apprĂ©ciation de 20th Century Boys en tant que rĂ©el corpus littĂ©raire et plus seulement fix en rebondissements quotidiens. Urasawa dĂ©compose sa trame scĂ©naristique en kyrielle de rĂ©cits annexes, se permettant ainsi de multiplier les genres fictionnels abordĂ©s : sa sĂ©rie meurt et renaĂźt sans cesse, de l’anticipation on passe Ă  la fable post-apocalyptique, puis vient un temps le western, tout ça entremĂȘlĂ© de tranches-de-vie 
 L’auteur se permet d’abandonner ces hĂ©ros Ă  leurs destins, avant de les rappeler au devant de la scĂšne sous d’autres formes, dans d’autres vies. Quant au Japon lui-mĂȘme, ses diffĂ©rentes facettes se voient superposer dans le temps, ses images d’Épinal distordues. Les souvenirs se heurtent au prĂ©sent, le futur s’écrit sur un ton passĂ©. En fait, Naoki Urasawa prend soin de donner corps Ă  son propos par la forme que prend son rĂ©cit, et choisir de raconter telle histoire en bande-dessinĂ©e c’est dĂ©jĂ  faire profession de foi. Que la culture dite « populaire », celle qui appartient Ă  tous, que chacun s’approprie sans mĂȘme s’en rendre compte comme un salaryman laisserait son exemplaire de Shonen Sunday sur un banc du mĂ©tro tokyoite aprĂšs l’avoir lu, soit le vecteur d’un savoir puissant mais invisible, c’est ce qu’affirme chaque volume de la sĂ©rie. Face Ă  la bĂȘte aux regard vide que dompte Ami, Ă  un monde polaire et uniforme, Naoki Urasawa oppose une pensĂ©e tour Ă  tour dĂ©sinvolte, ludique, naĂŻve, et mĂȘme comique, mais toujours critique par essence. Une pensĂ©e qui part Ă  l’aventure, rue dans les brancards plus qu’à son tour, et s’incarne finalement dans les pĂ©riples individuels de chacun des personnages du manga. Lire 20th Century Boys, c’est accepter le « rĂ©alisme Ă©pique » comme gouvernail face Ă  la tempĂȘte, entrevoir que le quotidien et l’épopĂ©e sont ici coureurs de relais siamois.
« Pour une autre lecture de l’oeuvre phare d’Urasawa » aurait pu ĂȘtre le sous-titre de ces quelques notes prises Ă  la faveur d’une relecture estival de la sĂ©rie. Son statut de crĂ©ation rĂ©cente et de succĂšs en librairie agissant sans doute comme une Ă©paisse brume masquant les vraies fondations de l’imaginaire que nous offre Naoki Urasawa durant prĂšs des 5000 pages qui composent 20th Century Boys.
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cbnfvrr · 6 years ago
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Puta’s fever
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« Hollywood ou le paradis du cowboy », l’analogie est de Barry Gifford, extraite de Bad Day for the Leopard Man, sixiĂšme rĂ©cit composant la saga sudiste de Sailor et Lula. Gifford, qui a trainĂ© ses guĂȘtres dans quelques contre-allĂ©es hollywoodiennes, notamment lorsqu’il collaborait avec David Lynch, dĂ©crit l’usine Ă  rĂȘves en ces mots : « Ou bien les tĂȘtes de bĂ©tail arrivaient jusqu’au marchĂ©, ou bien elles n’arrivaient jamais. Qu’elles aient Ă©tĂ© volĂ©es, qu’elles soient mortes de soif, que le train ait dĂ©raillĂ©, peu importait. Pas d’excuses, pas de prisonniers. C’était la loi du tout ou rien ». Quelques lignes sur un ton passĂ©, mais pourtant prophĂ©tique : Harvey Weinstein devait tressaillir sur son trĂŽne l’an passĂ© avant d’en ĂȘtre dĂ©finitivement privĂ© quelques semaines plus tard, rattrapĂ© par plus de deux dĂ©cennies passĂ©es, entre autres, Ă  Ă©touffer les accusations d’agressions sexuelles Ă  son encontre. Crever l’oeil de l’Empire, pourquoi pas ? Mais Ă  quoi bon ? Des questions que l’ont rĂ©servera Ă  d’autres, puisque il est ici question de revenir sur Death Proof, film mineur mais sympathique de Quentin Tarantino, dĂ©sormais matrice glaciale nous permettant de pĂ©nĂ©trer un marchĂ© de la chair qui voudrait se racheter une conduite et oublier ses sorties de routes.
Death Proof, c’est le pendant tarantinesque de la formule double trouble cuisinĂ©e par Dimension Film en 2007 : cachetonnant sur le succĂšs des rĂ©cents Kill Bill et Sin City, les frangins Weinstein laissent libre cours aux esprits dĂ©viants mais bankable de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino pour remettre l’esthĂ©tique pulp aux goĂ»t du jour. En rĂ©sultera une sulfateuse unijambiste chez Rodriguez et le chassĂ©-croisĂ© assassin qui nous intĂ©resse ici. Une fois de plus, la focale mute lorsque tous les Ă©lĂ©ments du dossier sont rassemblĂ©s : en 2007, les derniers films en date pour Tarantino sont Kill Bill I et II, saga vengeresse consacrant la collaboration entre QT et celle qui est alors sa muse, Uma Thurman. Toutefois, 2018 nous apprendra, par l’entremise d’une tribune du New York Times consacrĂ©e Ă  l’actrice, que la fin de tournage lui aura laissĂ©e le goĂ»t amer d’un lit d’hĂŽpital aprĂšs que le rĂ©alisateur l’ait convaincue de se mettre au volant d’une voiture sur les pistes mexicaine pour les besoins d’un ultime plan, vĂ©hicule qui finira encastrĂ© dans un arbre sans que l’on se sache jamais trop pourquoi. Ajoutez Ă  cela le fait qu’Uma Thurman rĂ©vĂšle elle aussi avoir Ă©tĂ© agressĂ©e par Harvey Weinstein, lui qui a fait de Tarantino Ă  la fois son protĂ©gĂ© et son champion et vous obtenez  dĂšs lors un fallacieux triangle, pentacle de fortune dont les sommets se nomment luxure, culpabilitĂ©, et box-office. Et Death Proof de se muer en un objet filmique moins innocent qu’il n’y parait. MĂ©trage fĂ©tichiste et cathartique ou note d’excuse de la part de QT ? Death Proof, c’est d’abord Kurt Russell, genre de Jack l’Éventreur sur quatre roue motrices, qui Ă©cume les honky tonk du coin Ă  la recherche de victimes fĂ©minines et dĂ©bauchĂ©es. De fait, le personnage de Stuntman Mike apparaĂźt comme l’exultation d’une somme de frustration toute masculine, le moteur dopĂ© Ă  la testostĂ©rone il rĂŽde Ă  la recherche de jeunes filles qu’il cherche Ă  possĂ©der par le meurtre, affirmant son existence via l’emprise qu’il exerce sur les autres. Tarantino fait de son « tueur au frein Ă  main » l’icĂŽne d’une masculinitĂ© toxique, et dans son sillage existent les autres mĂąles du film : que ce soit Eli Roth et son comparse qui cherchent Ă  faire boire nos hĂ©roĂŻnes pour mieux s’en attirer les faveurs ou le red-neck Ă  qui l’on monnaye le personnage de Mary-Elizabeth Winstead contre un tour en Challenger 60. En fait, ce que Quentin Tarantino s’attache Ă  dĂ©crire au travers de dialogues plus fins qu’il pourrait nous sembler, c’est le grand capital des courbes, l’économie des corps. Death Proof ou le rĂšgne animal. En effet, lorsqu’on s’y attarde le film se lit comme une suite de transactions entre des personnages assujettis Ă  leurs pulsions : un lap-dance contre un poĂšme, six minutes d’embrassade Ă  condition que les louvoiement dĂ©sireux cessent ensuite, 
 ou de gel des actifs : Abernathy refuse de s’offrir Ă  celui qu’elle convoite puisqu’elle deviendrait dĂšs lors une concubines de plus Ă  ses yeux et non sa rĂ©guliĂšre. De fait, si les femmes sont les victimes du film et que l’on peut en faire une lecture fĂ©ministe un peu primitive dans laquelle ces derniĂšres s’émancipent par la violence, on constate qu’elle ne valent au final guĂšre mieux aux yeux de la morale consacrĂ©e puisque lorsque il leur est donnĂ© la chance de se venger, elles se lancent elles aussi dans une croisade aveugle et destructrice, expiant par le mĂ©tal la chair humiliĂ©e.
Le segment grindhouse de Tarantino se rĂ©vĂšle donc comme un document lourd de sens une fois Ă©clairĂ© Ă  la lumiĂšre des Ă©vĂ©nements ayant rĂ©cemment fait trembler le tout-Hollywood : le cinĂ©aste sonde un univers oĂč chacun est rĂ©duit Ă  n’ĂȘtre qu’un bien de consommation pris au piĂšge d’un systĂšme capitaliste, nous renvoyant alors Ă  ce que Pasolini appelait en son temps la « relation sadique entre le pouvoir et les corps humains », ciment de l’industrie cinĂ©matographique pour toujours et Ă  jamais ?
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cbnfvrr · 6 years ago
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Escape From L.A, oĂč le cinĂ©ma-kamikaze de John Carpenter
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De John Carpenter, on retient le plus souvent le titre honorifique de MaĂźtre de l’Horreur que le succĂšs public de certains de ces films a pu lui valoir. Pour autant, il serait malencontreux d’oublier qu’une part importante de son oeuvre verse dans l’exploration de sociĂ©tĂ©s dystopiques dans lesquelles le communautarisme semble la seule issue et oĂč l’horreur, justement, est inscrite en filigrane, passant d’apothĂ©ose Ă  fondation. Ces films sont le produit de cet esprit rebelle et adolescent que Carpenter s’évertua Ă  cultiver tout en sachant qu’il ne le « mĂšnerait pas loin dans la vie », une dynamique qui s’incarne sans doute le plus Ă©videmment Ă  travers They Live, pamphlet stĂ©roĂŻdĂ© sorti en 1988. Pourtant, c’est un mĂ©trage mineur et sans cesse moquĂ© depuis sa sortie qui se veut ĂȘtre le coup de boutoir dĂ©finitif portĂ© par Big John contre Hollywood, les États-Unis, et un futur qui, en 1996, ne fait dĂ©jĂ  plus rĂȘver grand monde : Escape From L.A, suite oubliĂ©e d’un classique plus que jamais rĂ©vĂ©rĂ© mĂ©ritait bien une cure de rĂ©hab.
DĂšs le milieu des annĂ©es 1980, Carpenter songe Ă  une suite possible aux aventures de Snake Plissken, sorte de repris de justice apatride Ă  la ligne de chance balafrĂ©e. NĂ©anmoins, il faudra attendre la seconde moitiĂ© des nineties pour que le projet se mette rĂ©ellement en branle, notamment sous l’impulsion de Kurt Russell qui a fait du personnage son rĂŽle favori et est dĂ©sespĂ©rĂ© d’enfiler Ă  nouveau le treillis moulant de Snake dans ce qui sera sa cinquiĂšme collaboration avec le rĂ©alisateur ... Et puis en cette fin de siĂšcle, Big John se sait malade, se croit mourant, pense que Escape From L.A sera son dernier film, son leg testamentaire façon colis piĂ©gĂ©. Co-Ă©crit par les deux hommes, cette suite dĂ©serte un New York autrefois sauvage et dĂ©sormais propice Ă  la gentrification pour situer son intrigue Ă  Los Angeles, ville encore meurtrie par les Ă©meutes ayant fait suite Ă  l’acquittement des agresseurs de Rodney King et en proie aux assaut rĂ©pĂ©tĂ©s de secousses sismiques semblant annoncer l’arrivĂ©e prochaine du messianique Big One. Quant Ă  l’intrigue elle-mĂȘme : le film est construit comme un miroir dĂ©formant de son prĂ©dĂ©cesseur et peut Ă  nouveau compter sur quelques seconds rĂŽles Ă  l’aura mythique chez toute une frange de cinĂ©philes, on y croisera tour Ă  tour Peter Fonda, Steve Buscemi, et Pam Grier. Pour autant, le rĂ©sultat d’Escape From L.A. au box-office sera en tout point catastrophique puisque les recettes ne rembourseront pas plus de la moitiĂ© de son budget. Cette annĂ©e lĂ , les amĂ©ricains prĂ©fĂ©reront Independance Day, Space Jam, ou encore le premier Mission Impossible rĂ©alisĂ© par De Palma. À l’heure de lier les consĂ©quences Ă  leurs causes, on citera l’écart dĂ©mesurĂ© entre les fonds allouĂ©s Ă  Carpenter et ses ambitions filmiques (l’esthĂ©tique en rĂ©sultant Ă©tant un hybride mutant et farcesque entre un actionner datĂ© et des cinĂ©matiques de Playstation 1), le fait que le film fasse suite Ă  une aventure vieille de quinze ans, et l’impression que Kurt Russell, quarante-cinq ans au compteur, Ă©tait sans doute moins vendeur que Tom Cruise et Will Smith Ă  l’approche du nouveau millĂ©naire. Toutefois, John Carpenter n’en dĂ©mordra pas et affirmera quelques annĂ©es plus tard que cette suite Ă©tait meilleure que le film originel : « ten times better. It's got more to it. It's more mature. It's got a lot more to it », invoquant dĂšs lors le passage du temps comme ultime salvation d’un film incompris.
Welcome to Moral America. VoilĂ  ce que propose Carpenter et Russell en orchestrant le retour de Snake Plissken, dĂ©crire une AmĂ©rique puritaine Ă  en vomir, que l’on ne filme jamais mais qui s’incarne pourtant en une sorte de crĂ©ature de Frankenstein gĂ©ographique lorsque l’on dĂ©couvre l’üle prison qu’est devenue Los Angeles en 2013 : vĂ©ritable terre promise pour mĂ©crĂ©ant, le territoire regroupe les Ă©toiles que les États-Unis tĂąchent de faire disparaitre de leur drapeau, prostituĂ©es, dĂ©linquants, libres penseurs en tout genre et produits de l’immigrations Ă©conomiques en ont fait leur dark paradise, comme Taslima le confiera Ă  Snake, elle qui fut jugĂ©e coupable d’ĂȘtre musulmane dans le Dakota. Notre hĂ©ros apparaĂźt dĂšs lors en digne hĂ©ritier de Max Rockatansky, dĂ©passĂ© par un monde qu’il ne comprend pas, pion d’un systĂšme dont l’échelle de grandeur lui Ă©chappe, il ne pourra jamais vraiment faire face Ă  ceux qui sont ses rĂ©els ennemis et sera tournĂ© en ridicule tout au long du film : Carpenter fait souffrir son hĂ©ros, l’embarque dans une aventure qui aurait dĂ» ĂȘtre celle d’un jeune premier athlĂ©tique et dĂ©bonnaire lĂ  oĂč Kurt Russell est misanthrope, dĂ©sabusĂ©, et prisonnier d’un film qui va trop vite pour lui. Pourtant, Snake Plissken est un homme, un vrai, l’incarnation de cet American spirit fantĂŽme thĂ©orisĂ© dans l’action par Ford, Hawkes, et consorts, dans des films qui sont la matrice dont dĂ©rive le cinĂ©ma de Carpenter, que l’on imagine gamin, un colt en plastique Ă  la ceinture, sur le tournage hallucinĂ© de ce film qui devait ĂȘtre le dernier. Il semble de fait que la trajectoire de Snake soit l’un des manifestes du film : pourquoi se battre quand nos actions semblent sans consĂ©quences aucunes ? Car c’est par cet Ă©tat d’affrontement perpĂ©tuel que l’on reste maĂźtre de nous-mĂȘme, parce que nous-mĂȘme, le corps et l’ñme qu’il renferme, notre identitĂ© rĂ©duite Ă  sa plus pure essence, c’est bien lĂ  notre ultime possession Ă  l’heure des mĂ©ga-consortiums et des drones assassins pilotĂ©s Ă  distance. Snake Plissken, porte-Ă©tendard d’un existentialisme dĂ©sƓuvrĂ© ? Peut-ĂȘtre, lorsqu’il se rĂ©volte par sa simple survie aux embuches que des forces lointaines dressent sans cesse sur son chemin. Ici, le dĂ©terminĂ© Cuervo Jones, ersatz d’Ernesto Guevara donnant dans l’internationalisme voyou qui, aprĂšs avoir sĂ©duit la fille du prĂ©sident via un rĂ©seau social (quand on vous dit que Big John se rĂȘve prophĂšte), la convainc de voler une arme d’envergure planĂ©taire et de le rejoindre Ă  L.A pour qu’enfin le tiers-monde fasse triompher la justice sociale et puisse rĂ©organiser l’ordre mondial. Tout ça pendant que le prĂ©sident amĂ©ricain parcoure la bible Ă  la recherche du salut de son engeance, forcĂ©ment.
Visionner Escape From L.A. en 2018, c’est effectivement donner raison Ă  Carpenter et Russell lorsqu’ils faisaient du passage du temps leur alliĂ©, puisque la satire grasse et l’hyperbole Ă©coeurante que reprĂ©sentait le film Ă  sa sortie ont peu Ă  peu muĂ©es en un manifeste anti-systĂšme prĂ©monitoire et radical, le second volet des dĂ©boires de Snake Plissken devenant dĂšs lors, par le truchement d’un obscure acte psycho-magique, une incarnation façon sĂ©rie Z de la maxime d’Oscar Wilde voulant que « la vie imite l’art bien plus que l’art n’imite la vie ».
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cbnfvrr · 6 years ago
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Les héros du peuples sont immortels - le jeu de lumiÚre chez Ferrara
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Le 19 septembre 1990 sortait au cinĂ©ma les Affranchis de Martin Scorsese, jalon de marque dans la carriĂšre du rĂ©alisateur, tant sur le plan critique que publique (depuis 2000, le film est conservĂ© Ă  la bibliothĂšque du congrĂšs amĂ©ricain pour son importance « culturelle, historique, et esthĂ©tique »). Marty y peint la fresque baroque d’une honorable sociĂ©tĂ© Ă  l’agonie, figeant un pan de la culture italo-amĂ©ricaine sur pellicule. Un long-mĂ©trage façon testament en somme, dernier coup d’oeil dans le rĂ©tro avant la mise en biĂšre d’une culture trop enracinĂ©e dans l’histoire du XXĂšme siĂšcle pour espĂ©rer voir l’aube du troisiĂšme millĂ©naire. Joie de la synchronicitĂ©, une semaine plus tard sortait aux États-Unis le King Of New York d’Abel Ferrara, film post-punk et cocaĂŻnĂ© rĂ©solument tournĂ© vers l’avenir (et qui aura coĂ»tĂ© moins d’un quart du budget allouĂ© au Scorsese magnifique), officiant dans un registre entre neiges Ă©ternelles et abysses prĂ©-apocalyptique.
Christopher Walken qui adresse la camĂ©ra d’un regard avant de sortir de la douche, d’enfiler un costume sombre entourĂ© de sexy sicaires calibrĂ©es, dans une suite luxueuse modĂšle de narco-architecture. Tout ça avant qu’une bande de jeunes noirs aux silhouettes clinquantes (donc menaçantes) n’interrompent la renaissance de ce Lazare paĂŻen dans une scĂšne qui se rĂ©vĂšle en fait n’ĂȘtre que retrouvailles et joies exacerbĂ©es, on ira mĂȘme jusqu’a y danser. Art antique et signes de gangs, sommets et trottoirs. On ne s’y trompera plus, Ferrara est un rĂŽdeur Ă  l’oeil aiguisĂ©, passĂ© maĂźtre dans l’art du clair-obscur. À l’entendre, King Of New York naĂźt d’un vendredi soir passĂ© devant Terminator (premier du nom, Ă©videmment) Ă  une Ă©poque oĂč Sammy The Bull n’as pas encore signĂ© la fin du Dapper Don, John Gotti. La folie des annĂ©es 80 n’est pas encore dissipĂ©e et les mafiosos de tous bords semblent avoir fait voeu d’hybris. L’heure est au spectacle, on dĂ©ifie les show-man, brĂ»les des cierges sur l’autel du libĂ©ralisme total. La face cachĂ©e de cette orgie Ă©lectro-luminescente, ce sont les gamines qui tapinent, les hĂŽpitaux qu’on ferment, l’infra-monde dont se repaĂźt Frank White derriĂšre les vitres de sa limousine : il apparaĂźt dĂšs lors dans un halo de lumiĂšre blafarde, vĂ©ritable vampire qui aurait bu le sang viciĂ© de sa ville jusqu’à l’écoeurement, comme on s’inocule un poison pour y ĂȘtre immunisĂ©. Gotham a besoin d’un sauveur, mi-Joker mi-Batman, Frank incarne la providence. Startuper avant la mode et en prise avec son temps, il thĂ©orise l’air de ne pas y penser un capitalisme rĂ©dempteur puisque nĂ© dans une citĂ© qui se lit en nĂ©gatif : les armes, la drogue, l’influence, et les corps 
 tout s’achĂštent alors autant arroser l’arroseur en devenant le maĂźtre d’un jeu distordu. Ceux qui se perdront sur l’échiquier, c’est les flics Ă  ses trousses. Persuader de faire le bien, ils sont en fait des agents de l’ordre vĂ©reux qui est en place. Pour eux, White est le grand sorcier sur la montagne, une obsession rampante. Chaque personnages du film est en proie Ă  une frĂ©nĂ©sie mortelle, comme si tous se savaient acteurs d’une tragĂ©die urbaine et salissante, alors les policiers deviennent escadron insubordonnĂ©, vestige du vieux monde : « I thought we were what’s right » dira l’un d’entre eux, mais right is wrong lorsque la piĂšce est truquĂ©e, magic happens. Comme souvent chez Ferrara et St. John (son scĂ©nariste d’alors), il n’est sans doute question que de rĂ©demption au final. Frank White ne verse pas dans le divin, pourtant, il se sait en mission. Le compte Ă  rebours est lancĂ©, par qui et depuis quand ? Chacun aura sa version des faits.
D’aucuns auraient rĂȘvĂ© Ă  voir Frank disparaĂźtre dans la foule, Ă  la sortie du mĂ©tro oĂč il a abattu Bishop, vieux de la vieille honorable mais malheureux dommage collatĂ©ral. Pour autant, Abel Ferrara sait qu’une utopie n’est rien de plus que « ce qui ne se rencontre en aucun lieu », alors lui et Nicholas St-John se doivent de faire mourir leur champion, dans un haĂŻku couleur nĂ©ons en forme de taxi jaune bravant les eaux du Styx. New York New York.
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cbnfvrr · 6 years ago
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La musique Ă  Joe
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2018, et bien vieillir dans le rap reste une Ă©nigme. Joe Lucazz, son statut d’éternel rookie assumĂ© aidant peut-ĂȘtre, semble pourtant apporter un semblant de rĂ©ponse en livrant la suite de son premier vĂ©ritable effort solo sorti il y a trois ans. Visite guidĂ©es des chiottes pailletĂ©es de la capitale.
Quand Lucazzi rappe, on imagine le cadavre du Che, amputĂ©e des deux mains, occupĂ© Ă  jongler avec une grenade dĂ©goupillĂ© : la rime se veut asymĂ©trique, imprĂ©visible, profondĂ©ment singuliĂšre. Une esthĂ©tique du chaos Ă©rodĂ©e par le temps et construites autour de rĂ©fĂ©rences sans cesses rĂ©affirmĂ©es : treize pistes claires-obscures, durant lesquelles James Gandolfini rallume son cigare. Ici, le bitume rĂ©cite Audiard et porte sa casquette de prolo Ă  l’envers. Écrire la nuit pour y voir plus clair, telle est le crĂ©do de Joe, ce « pauvre devenu riche puis pauvre Ă  nouveau », produit du commerce triangulaire dĂ©sormais faune suburbain. Les sĂ©quelles de cette trajectoire millĂ©naire et distordue hante sa musique depuis toujours, une plaie faite fondation d’un univers nĂ© entre l’Ouest de l’Afrique, L’Est du New Jersey, et une France fantasmĂ©e, dont la synthĂšse n’a jamais Ă©tĂ© si maitrisĂ©e que sur le dytique No Name : un rap arrivĂ© Ă  maturation mais bien vivant, politique en ayant l’air de ne pas y penser, que l’on doit sans doute beaucoup Ă  la rencontre avec Pandemik Muzik, duo de producteurs chargĂ© de tempĂ©rĂ© un lyrics parfois frigorifique en esquissant les contours d’un cabaret enfumĂ© oĂč rĂ©sonne des sonoritĂ©s qui nous rappelle Ă  un passĂ© glorieux. No Name version 2.0 apparaĂźt dĂšs lors comme la jonction entre une musique noir amĂ©ricaine rĂ©vĂ©rĂ©e et une identitĂ© nourrie d’influences multiples, Ă  la fois chant du cygne et renaissance, fin de piste et dĂ©collage imminent, en tĂ©moigne les featurings du disque, qui par leurs prĂ©sence retracent ce qui ressemble davantage Ă  20 ans d’une errance sereine qu’à une carriĂšre dans ce microcosme injuste et schizophrĂšne qu’est  le rap français.
En ayant trop vu pour douter de son style, Joe choisit le corner d’en face pour faire sa place. Le respect qu’il accorde Ă  ses mots comme aurĂ©ole, il livre ici treize titres d’une musique devenue adulte, loin d’un jeu tombĂ© pour dĂ©linquance juvĂ©nile. No Name 2.0, c’est Slim Charles qui descends Method. Spoiler.
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cbnfvrr · 7 years ago
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Virgin suicide
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Quelques annĂ©es avant sa disparition, Roberto Bolano Ă©crivait que la crĂ©ation se devait d’ĂȘtre une « Ă©trange pluie, faite de sang, de larmes, de sperme, et de sueur ». Lady Bird, premier film entiĂšrement rĂ©alisĂ© par Greta Gerwig, n’est rien de tout ça. Pourtant, le plĂ©biscite critique et publique qui lui fut rĂ©servĂ© en fait un objet d’étude digne d’intĂ©rĂȘt pour quiconque s’interrogerait quant aux impasses culturels que bĂątit la prĂ©sente dĂ©cennie.
In 2002, an artistically inclined seventeen-year-old girl comes of age in Sacramento, California. VoilĂ  pour la description du mĂ©trage selon IMDB, et par lĂ  mĂȘme apparaĂźt le noeud du problĂšme discutĂ© ici : l’expĂ©rience de visionnage ne fait rĂ©ellement que se conformer au programme annoncĂ© par ce pitch. Le film nous transporte dans une Californie mĂ©connue puisque Sacramento et ses institutions scolaires catholiques apparaissent comme une portion de « Middle West perdu au coeur de la Bay Area », selon les dires de notre personnage principal, et se veut en partie autobiographique. Ce que l’on appelle aujourd’hui un feel-good movie en somme, avec ses hĂ©ros pas particuliĂšrement marginaux mais pas rĂ©ellement part de la norme non plus, son humour offbeat resurgissant ça et lĂ  (dans ce qui deviennent de fait les vrais bons moments du film), et sa photo façon polaroid. On assiste durant une heure et demie au dĂ©roulement de cette derniĂšre annĂ©e de lycĂ©e comme on prendrait part Ă  une soirĂ©e diapositive chez un inconnu, tentĂ© par la nostalgie mais ne sachant quoi penser de ces images Ă  la fois universelles et dĂ©suĂštes, vu cent fois chacune mais dans des teintes diffĂ©rentes. Puisque l’impression gĂ©nĂ©rale Ă  la sortie de la salle tient vraiment de cela, de la succession de figures imposĂ©es rĂ©alisĂ©es comme on rayerait ses notes d’une liste de course, le sentiment d’avoir accompli une tĂąche nĂ©cessaire mais sans prestige ni transcendance. Le film de Greta Gerwig travaille en fait Ă  superposer une imagerie pop prĂ©-existante, vidĂ©e du sens qu’elle a pu avoir en d’autres occasions, pour composer le puzzle de l’alpha teen-movie des annĂ©es 2010. Dans Lady Bird, l’Irak sous les bombes amĂ©ricaines n’est qu’un marqueur temporel, et la teinture rose pastel de Christine McPherson est sa seule rĂ©elle propension artistique.
Notre troisiĂšme oeil grand ouvert verra dĂšs lors dans les dĂ©but derriĂšre la camĂ©ra de Greta Gerwig un grand film de notre temps, lorgnant vers un passĂ© apparemment moins cynique tout en se rĂ©vĂ©lant incapable de s’extirper d’une douce torpeur bien trop accueillante. La morale de l’histoire rĂ©side sans doute dans la nature mĂȘme du personnage qu’incarne TimothĂ©e Chalamet, de prophĂšte de l’Apocalypse il deviendra un Ă©niĂšme bourreau des coeurs placide et dĂ©sabusĂ©. Lady Bird, l’épaule oĂč pleurent les enfants gĂątĂ©s.
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