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Robinson à Babylone
Une semaine seulement après l’avoir quitté, Camille et moi retrouvons donc la chaleur de four et les embouteillages de Bangkok. Les thaïs la surnomment Krung Thep, « la Cité des Anges » mais la mégalopole me parait loin d’être un paradis après notre séjour paisible dans la petite ville côtière de Khao lak.
Les retrouvailles sont chaleureuses avec Martine, la mère de Camille venue nous accompagner pour les 15 derniers jours de notre voyage. Nous discutons et échangeons les nouvelles dans le skytrain qui nous ramène de l’aéroport au centre-ville.
Camille et moi sommes impatients de partager avec elle quelques uns de nos coups de coeur en Thaïlande. Nous l’emmenons de gargotes de rue en temples bouddhistes, dégustant ici un fameux pad thaï arrosé de citron vert, admirant là un magnifique bouddha couché de plusieurs dizaines de mètres de long… Martine s’acclimate rapidement aux 15°C supplémentaires et au gigantisme de la ville. Elle nous donne même son avis sur la ligne de bus à prendre pour se rendre à telle ou telle destination !
Nous décidons tous trois de ne pas nous attarder en ville et mettons le cap vers la campagne en prenant un bus pour Kanchanaburi, située à 2 heures de Bangkok.
Nous sommes le 13 avril et c’est Songkarn, le nouvel an Thaï. Partout dans le pays on fête le passage en l’an 2560 du calendrier bouddhiste…en s’aspergeant d’eau ! Durant trois jours, les rues se transforment en champs de batailles où enfants et adultes se livrent à une joyeuse guérilla, armés de pistolets à eau, de seaux et de tuyaux d’arrosages. Même les pompiers s’y mettent. Chaque véhicule passant dans la rue est copieusement arrosé. Nous sommes rapidement mit au parfum de la coutume locale en passant en tuk-tuk – un taxi sans toit, donc – au milieu de ce festival. Ce sont de pleins seaux d’eau qu’on nous jette littéralement au visage ! Une tradition pour le moins rafraichissante…
Nous visitons les chutes d’Erawan, des cascades qui dégringolent de la montagne sur 7 niveaux. Le lieu est très populaire et véritablement pris d’assaut par les familles thaïs en cette période de vacances du nouvel an. Si l’eau est moins claire qu’au Laos, nous ne boudons pas une petite baignade par cette chaleur. C’est en effet le pic de la saison sèche : toutes les campagnes d’Asie du Sud-Est rôtissent sous le soleil d’Avril. Dans un mois, déjà, tomberont les premières averses de la mousson…
Pourtant, ce ne sont pas ses cascades qui ont rendu célèbre Kanchanaburi mais bien la rivière Kwai et son fameux pont, immortalisés par le septième art. Nous apprenons rapidement qu’il faut dire « Koué » pour désigner le cours d’eau, « Kwaï » n’étant pas la prononciation correcte et s’avèrant même être un gros mot en thaï.
Nous prenons nos billets pour le train qui emprunte encore quotidiennement la voix ferrée et enjambe la rivière. Si le pont a été reconstruit après la guerre, c’est toujours la même ligne de chemin de fer que celle qui fut construite sous l’occupation japonaise. Plusieurs milliers de prisonniers ont trouvé la mort sur le chantier de cet ouvrage, d’où son surnom de « Death Railway », le train de la mort. Nous prenons place sur les bancs en bois du wagon et le convoi s’ébranle aussitôt, cheminant à une allure de sénateur à travers la campagne thaïlandaise. De temps à autre, il ondule à flancs de falaise sur des ponts construits au-dessus de la rivière. En contrebas on aperçoit les habitations sur pilotis et les bateaux des villageois. Les fenêtres et les portes du wagon sont ouvertes sur la voie, permettant aux voyageurs de se pencher pour admirer le paysage mais gare aux bambous que frôle le train…
Kanchanaburi nous a offert un agréable intermède après le bruit et la fureur de la ville. Le temps est venu de décider, en triumvirat cette fois, de notre prochaine destination. Nous envisageons un temps Phuket mais la réputation de tourisme de masse de la presqu’île nous décourage. Nous décidons finalement avec Martine de nous diriger vers la province de Krabi, séparée de Phuket par un bras de mer hérissé de pitons rocheux similaires à ceux de la baie d’Halong vietnamienne.
Le bus de nuit met 12 heures pour couvrir les quelques 800 kilomètres qui nous séparent de la côte. Il n’en a pas fallut beaucoup plus à Martine pour franchir les 10 000 kilomètres de Paris à Bangkok en avion ! La route serpente au milieu de massifs karstiques couverts de jungle et bordés par une mer turquoise. Nous déchantons un peu en arrivant à Ao Nang, l’une des cités balnéaires qui jalonnent le littoral de la région. Le béton s’est développé comme une gangrène depuis la plage jusque dans les terres et ce ne sont partout que magasins de souvenirs, salons de massage, restaurants et resorts. On nous assure pourtant que ce n’est qu’un village à côté de ses grandes sœurs Phuket Town et Pattaya…
Des légions de touristes en maillots de bain effectuent la migration quotidienne depuis leur hôtel jusqu’à la grande plage pour y tremper leur viande blanche dans l’eau salée avant de l’y faire griller sur le sable chaud et ainsi la récupérer rouge à l’issue du processus. Sur la promenade, des lady boys en robes de soirée distribuent des prospectus pour un cabaret. Curieuses, Camille et Martine vont y jeter un coup d’oeil et assistent à un spectacle sans grâce dansé par des travestis à l’air maussade, dans un quartier de bars glauques où la clientèle masculine ne vient pas que pour la bière…
Les infrastructures touristiques ont peut-être colonisé les environs mais elles n’entament pas pour autant notre détermination à nous imprégner de la beauté de la nature tropicale. Nous réservons une journée de bateau autour de Phi Phi Leh, une île à 40 kilomètres au large d’Ao Nang. Nous sommes accompagnée par Petra, moniteur de plongée suédoise qui connait les fonds marins locaux comme sa poche, depuis 10 ans qu’elle y palme avec toujours le même plaisir.
Le bateau avance lentement sur son tapis azur. Soudain, des falaises karstiques surgissent de la surface à l’horizon, comme les remparts de quelque château fort. Nous nous rapprochons encore et la couleur apparait par touches : le gris-brun de la roche , le vert de la couverture végétale et les milles et une nuances de bleu de la mer. Les cailloux dévoilent peu à peu leur grottes, leurs promontoires et leurs baies. Lieux entre deux mondes, n’appartenant ni tout à fait l’océan, ni tout à fait à la terre. L’eau est suffisamment claire pour que l’on puisse compter les galets par 5 mètres de fond depuis la surface.
Splendide baie, falaises majestueuses et cocotiers : Phi Phi Don pourrait être l’île déserte de ceux qui se rêvent pirates ou robinsons... si ce n’était pour sa transformation par l’industrie du tourisme. A présent, des centaines de bateaux mouillent dans son port et la terre est complètement envahie par les mêmes commerces que l’on trouve à Ao Nang. En ce qui me concerne, je n’apprécie pas ces Babylones, fut elles insulaires, qui sacrifient la nature et la beauté sur l’autel du consumérisme…
Phi Phi Leh, située à quelques kilomètres à peine, présente au moins l’avantage de n’avoir ni ville, ni construction d’importance. Là s’arrête la liste de ses qualités car pour le reste, impossible de s’y tromper : les environs sont eux aussi envahis de touristes ! Il faut même payer un obscur droit d’entrée de 400 baht (12 €) pour pouvoir mettre les pieds sur les lieux où ont été tournés le film La Plage. La taxe doit prétendument servir à l’entretien de l’île mais il est permit d’avoir des doutes sur la destination de cette manne quotidienne de plusieurs milliers d’euros au vu de la propreté toute relative de l’eau et de la plage. Plus loin, un guide thaï jette des chips aux singes sauvages pour permettre à ses clients de faire des photos des primates… Quant à nous, nous mettons cap sur une zone plus tranquille de l’île, pas fâchés d’opter pour le monde du silence au lieu de celui de la foule.
Le baptème de plongée bouteille sera pour un prochain voyage : aujourd’hui nous repartons taquiner les poissons tropicaux avec palmes, masque et tuba dans une eau à 31°C... Sur le trajet, nous apercevons des touristes chinois, reconnaissables à leurs gilets de survie qu’ils gardent même dans leur bateau. Ces aventuriers d’eau douce jouent les carpettes de mer dans des baies tranquilles, filmant sous la surface avec leur gopro tout en gardant les cheveux au sec. Ils regarderont plus tard leur vidéo et se montreront plein de fierté les poissons qu’ils n’ont pas vu…
De notre côté, nous palmons le long des falaises de Maya Walls, qui rappellent les reliefs du Machu Picchu. Nous plongeons en free diving jusqu’à des profondeurs honorables… Je passe ainsi la barre des 9 mètres au bout de quelques apnées. Nous avons aussi la chance de nager auprès de requins à pointe noire, d’impressionnantes mais inoffensives bestioles qui s’approchent des récifs qui entourent l’île. L’expérience, une fois de plus, est magique.
De retour sur le continent après cette journée mémorable, nous plions bagages pour abandonner Ao Nang et ses faux airs de Cap d’Agde. Nous prenons le ferry en partance pour les îles Koh Lanta. Nous atteignons d’abord Lanta Noi, l’île Nord, depuis laquelle nous rejoignons par la route Lanta Yai, sa sœur du Sud, par un pont. Nous prenons nos quartiers dans un bungalow de bambou au toit en feuillage à 30 mètres du rivage. C’est donc en cabane que nous finissons notre voyage, en sirotant des cocktails et autres jus de coco les pieds dans le sable et face au soleil couchant.
Célèbre en France pour l’émission éponyme, Koh Lanta n’a rien de l’île déserte que d’aucuns croiraient trouver. Ce n’est d’ailleurs pas là que le programme télévisé a été tourné, mais sur une île voisine, Koh Rok.
Lanta est une vaste terre de 26 kms de long, facilement accessible depuis le continent. Elle a ses routes, ses villes et ses villages, sans oublier son quota d’hotels. L’île, peuplée à 99% de musulmans, évoque parfois le Proche-Orient avec ses femmes voilées, ses mosquées et ses appels à la prière. Nous occupons les jours suivants à explorer sa côte, imprimant nos rétines de ces paysages grandioses et tâchant d’en profiter jusqu’à la dernière seconde.
Le jour du départ arrive pourtant et il est déjà temps de reprendre la direction de Bangkok, non sans jeter un dernier regard à la Mer d’Andaman. De retour à la ville durant le week-end, nous accompagnons Martine à l’aéroport : pas d’adieu déchirants pour autant, puisque nous lui emboiterons le pas par un vol différent 24 heures plus tard…
Un long voyage est toujours un moment particulier dans une vie. Il est vécu différemment par chacun et influence chacun différemment.
Durant ces 4 mois, nous avons fait de nombreuses rencontres qui nous ont marqués. Ces différentes hommes et ces femmes nous ont initié à leurs cultures et leurs modes de vie. Ils nous ont ouvert l’esprit et nous ont souvent inspiré par leurs leçons : qu’il s’agisse du courage des paysans, de la gentillesse des gens de peu ou de la résilience de familles malmenées par le destin. Ce voyage est enfin l’occasion de jeter un œil différent sur notre propre pays, qui a ses vices mais aussi ses qualités... liberté d’expression, accès à l’éducation ou à la santé ne sont pas des droits acquis partout.
Nous espérons que ce blog vous aura permis de voyager un peu à nos côtés. A présent, il ne nous reste plus qu’à compter les heures avant d’avoir la joie de vous retrouver : famille et amis resteront toujours notre destination préférée !
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Chaussez vos palmes et attachez vos masques : dans cette dernière vidéo nous vous emmenons titiller les poissons de la Mer d'Andaman !
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Goin’ down south
Au poste frontière de Myawaddy, nous tombons sur le même douanier qu’à l’aller il y a 15 jours. Il est tellement content que nous l’ayons reconnu qu’il nous offre son petit-déjeuner ! Nous retraversons le pont qui sépare les deux pays et foulons pour la deuxième fois le sol du Royaume de Thaïlande.
Nous prenons un bus sans attendre pour Sukhothai, ville inscrite à l’UNESCO pour ses temples anciens. S’il est vrai que nous commençons à saturer des pagodes et des bouddhas, Sukhothai nous permet de faire une étape sur la longue route vers Bangkok. Nous apprécions tout de même la visite de son grand parc ombragé parsemé de temples de briques et de bouddhas en méditation. Nous retrouvons aussi les groupes de touristes chinois et leurs perches à selfie, qui ne nous avaient pas manqués. Cela nous fait mesurer notre chance d’avoir pu visiter la Birmanie avant que celle-ci ne figure au programme des tours-opérateurs sino-coréens.
Camille et moi repartons le surlendemain pour un long voyage en bus vers les plages du sud de la Thaïlande, via la capitale Bangkok où nous faisons une halte de 2 jours. Embouteillages monstres sur des 3x3 voies à deux niveaux, bruit incessant, chaleur étouffante : cette jungle urbaine n'est pas tellement notre tasse de thé ! Nous n’en plongeons pas moins résolument dans la gueule béante du monstre tels des Jonas téméraires. Bangkok est véritablement immense et se subdivise en quartiers grands comme de petites villes.Il n’est pas question de vélo ici mais nous trouvons rapidement nos marques et apprenons à jongler entre le métro aérien et les bus de cette mégalopole de 10 millions d’habitants.
Dans les centres commerciaux dernier cri et climatisés du centre-ville, on peut acheter aussi bien une voiture que manger un plat de pâtes italiennes hors de prix. Les thaïs aux portefeuilles les mieux garnis font la queue devant les magasins de luxe, admis au compte-goutte par des vigiles en costumes pour avoir l’honneur de s’acheter un sac à main valant plusieurs SMIC français. À l’étage des Rolls Royce, une femme promène son chien en poussette. Comme le dit Tesson, tout cela «dit quelque chose sur la mondialisation… » ! Il est vrai qu’on se demande parfois s’il ne vaut pas mieux être un chien en Thaïlande qu’un campagnard miséreux dans les pays voisins : les cliniques vétérinaires semblent mieux pourvues ici que nombre de dispensaires de brousse croisés sur notre parcours.
Bien sûr, Bangkok n’est pas entièrement dépourvue de charme avec ses temples grandioses, ses marchés, ses restaurants branchés et ses gargotes populaires. Elle offre tout et n’importe quoi à qui a la patience de chercher et sait s’orienter dans ses dédales faits d'avenues, de ruelles et de canaux. En ce qui nous concerne, c’est sans regret que nous la quittons pour partir vers le Sud du pays et les plages…
Nous arrivons à Khao Lak une douzaine d’heures de bus plus tard. Cette petite ville se trouve à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Phuket. Elle est bordée à l’Est par des reliefs couverts de jungle. A l’opposé, les vagues de la mer d’Andaman viennent mourir sur de magnifiques plages de sables blanc bordées de cocotiers. Chaque jour en début d’après-midi, de gros nuages s’accumulent au-dessus des montagnes et dégringolent vers la côte pour éclater en d’impressionnants orages. Nous commençons chaque jour sous un soleil éclatant pour le finir en contemplant un ciel zébré d'éclairs et accompagné de trombes d’eau tiède.
On chercherait en vain les stigmates du tsunami de décembre 2004 dans le paysage. Rares sont les traces de ce jour d’enfer où une vague de plus de 15 mètres à déferlé sur le littoral, ravageant tout sur son passage et tuant plusieurs milliers de personnes. Seuls quelques signes discrets témoignent de la réalité de la catastrophe, à l’image de ce navire de la marine érigé en mémorial à l’endroit où il fut projeté par les eaux, à 2 kilomètres à l’intérieur des terres. Un petit musée et quelques stands évoquent la tragédie avec une collection de photos insoutenables montrant des corps gonflés et des paysages de fin du monde.
Pour la première fois depuis le début de notre voyage, nous nous autorisons à ne pas courir après musées et pagodes. Nous déambulons dans cet archétype du rêve d’évasion à l’occidentale, nos journées seulement rythmées par les ballades aux alentours de la ville, les sorties à la plage et mes entraînements au club de jiu jitsu voisin.
Nous décidons de partir faire du snorkeling sur les îles Similan, réputées comme l’un des meilleurs spots de plongée d’Asie. Nous embarquons dans un speed boat dont les trois moteurs Honda rugissent et propulsent l’embarcation à près de 30 nœuds. Après une heure trente de trajet, l’archipel surgit finalement, ilots de verdure au beau milieu de l’océan. Nous accostons sur de magnifiques plages d’un sable blanc et fin comme de la farine. C’est l’œuvre des poissons-perroquets qui se nourrissent des coraux et rejettent dans leur déjection cette fine poudre : un seul de ces poissons peut produire jusqu’à 16 kilos de sable par an ! L’eau a une couleur turquoise digne des cartes postales les plus insolentes, du genre qui font pester ceux qui les reçoivent.
Nous reprenons le bateau qui nous dépose à quelques encablures de là dans une petite baie, belle à en devenir peintre. Nous enfilons palmes, masque et tuba et sautons dans l’eau translucide. Sous nos pieds, des récifs de coraux parsèment le fond par 3 à 6 mètres, parfaitement visibles grâce à la clarté de l’eau. D’innombrables poissons évoluent en toute tranquillité, en solo ou en bancs. Nous descendons en apnée parmi les coraux, suivant les poissons-trompettes et débusquant les poissons-clowns dans leurs anémones. Hypnotisés par ce spectacle, nous ne voyons pas le temps passer et réalisons soudain qu’on nous hèle depuis le bateau : tout le monde est remonté à bord et ils n’attendent plus que nous pour repartir…
Nous faisons une pause repas sur une plage sublime mais hélas infestée de chinois. « Et encore, ce n’est rien aujourd’hui ! », nous précise notre guide belge comme pour nous rassurer. C’est l’après-midi et il pleut surement à Khao Lak, pourtant il fait un temps radieux sur les îles Similan. Nous faisons une deuxième session en PMT sur un autre spot avant de rentrer. C’est tout aussi magique mais nous ne croisons toujours pas de bêbête à carapace, ce dont Camille rêvait pourtant. Une visite au centre de conservation des tortues nous permet tout de même d’observer des spécimens allant de quelques centimètres à plus d’un mètre d’envergure.
Nous restons près d’une semaine à Khao Lak, savourant chaque minute de cette pause après 3 mois sur la route. Nous repartons tout de même pour Bangkok le cœur léger pour y retrouver Martine, la mère de Camille, qui doit nous accompagner pour nos quinze derniers jours en Thaïlande…
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Sur la route des empires perdus
Le bus quitte Kinmon pour tracer à travers la végétation rase et roussie de la plaine birmane. Ça et là, de modestes maisons en bois, aux toits de tôle rouillée ou de feuillages séchés, attestent de la présence d’êtres humains dans cette brousse surchauffée. Sur l’écran de télé du bus, les psalmodies enregistrées d’un moine grassouillet ont laissé place à des clips musicaux mièvres dans lesquels des adolescents aux hormones en ébullition se déclarent leur flamme avec du rap birman.
Aux abords des villes, j’aperçois quelques femmes aux visages barbouillés de tanaka, portant du bois vers dieu sait où, et des enfants pelleter des gravats en bordure de route pour le compte de dieu sait qui. Quelques grands-mères aux visages ridés comme des cartes en reliefs attendent le chaland accroupies près d’un tas de pastèques, en tirant d’un air absent sur leur cheroot, le cigare local. Des hommes devisent près des commerces sans prendre la peine d’avoir l’air occupé, ponctuant leurs discussions de grands bruits de gorge suivis de ces crachats rougeâtres qui trahissent les consommateurs de bétel.
Nous atteignons Rangoun en fin d’après-midi. Un taxi nous conduit le long de longues avenues embouteillées et sans âme bordées d’immeubles décrépis et d’hôtels de luxe. Sur les portails des écoles publiques, des panneaux annoncent « Drug free School » (école sans drogue) et l’on frémit à l’idée qu’une telle précision soit nécessaire. Non loin du lac près duquel Aung San Suu Kyi fut longtemps assignée à résidence, on aperçoit de grands parcs à l’allure soviétique qui n’invitent pas vraiment à la promenade. Là, des femmes aux larges chapeaux arrosent les pelouses, toujours d’un vert insolent malgré le soleil assassin.
Camille et moi posons nos valises dans une petite guesthouse surplombant un marché de quartier. Descendre dans la rue en contrebas, c’est plonger dans un tourbillon d’odeurs, d’éclats de voix et de musique crachée par des haut-parleurs poussifs. Les marchandes assises sur leur tabourets en plastique arrosent des poissons chats aux yeux vitreux avec l’eau de glaçons depuis longtemps fondus. L’air bruisse du crépitement de l’huile bouillante, résonne des cris des vendeuses ambulantes et des coups de klaxon des taxis pressés. On longe de petites échoppes de fringues, d’électronique chinoise et d’alimentation, surplombées de bâtiments aux façades noirâtres.
Nous nous levons tôt pour profiter d’une température clémente, avant de nous abriter dans la pénombre entre 11h et 16h, quand la ville n’est plus qu’une immense pierrade brûlante. Nous arpentons le centre-ville et ses rues parallèles à l’américaine, depuis là 49ème jusqu’à Chinatown. De temps à autres, un grand édifice d’époque coloniale témoigne des jours fastes de l’Empire Britannique, sur lequel le soleil jamais ne se couchait. Les derniers gouverneurs à moustache et complet-veston ont vidé les lieux il y a longtemps déjà. En chemin, nous croisons une kyrielle de visages hétéroclites: femmes hindous arborant le 3ème œil de Shiva, musulmans désœuvrés aux barbes fournies, jeunes serveurs tatoués caressant leur mèche blonde et grands-pères maigrichons faisant les cyclo-pousses, en danseuse sur leurs vieux clous.
Nos premiers pas à Rangoun sont déroutants. Certains passants pressés ne rechignent pas à se frayer un chemin dans la foule à grands coups d’épaules. Sur les avenues, les voitures ne laissent passer personne et pilent sur les derniers mètres quand un malotru à l’audace de traverser sur un passage clouté. Les birmans des campagnes nous avaient habitués à plus de douceur…
Cela ne nous dissuade pas pour autant de sillonner la ville pour en visiter quelques uns des mieux les plus emblématiques. Ainsi de la pagode Shwedagon, qui est à Rangoun ce que la cathédrale Notre-Dame est à Paris. Elle est réputée pour être l’une des plus belles d’Asie. Après nous être débarrassés de nos paires de tongs comme l’impose la loi, nous passons un contrôle de sécurité à l’ambiance détendue : le portique sonne mais l’on ne me fouille même pas. C’est pourtant dans ce lieu saint que 21 sud-coréens avaient perdu la vie en 1983 dans un attentat perpétré par des nord-coréens décidemment pas très Coubertin. Heureusement pour les birmans, je ne porte pas d’autre arme que la boucle métallique de ma ceinture.
L’ascenseur dépose les fidèles sur l’esplanade qui coiffe la colline. Partout où se porte le regard, ce ne sont que pagodes et stupas, boiseries ouvragées et façades rutilantes. Le gigantesque stupa central frappe par sa démesure : 98 m de haut et 43 m de diamètre, le tout recouvert de 700 kg d’or et coiffé d’un parasol incrusté de pierres précieuses... Selon la légende, l’édifice renferme 8 cheveux du Bouddha, ce qui ne laisse pas d’interroger sur la fascination des birmans pour les reliques capillaires de l’Eveillé.
Les mille flammes des bougies votives tremblotent dans la brise matinale tandis que le soleil se lève et fait étinceler les parois du monument. Des petits groupes de jeunes nonnes âgées d’une dizaine d’années récitent des sutras devant les autels. Celles que j’appelle affectueusement les nonnettes offrent à l’œil un contraste rafraichissant avec leurs toges roses au milieu de ce paysage de blanc et d’or. Leurs crânes rasés témoignent de leur renoncement au monde et aussi, parfois, d’une infection par la teigne : ce champignon du cuir chevelu reconnaissable à ses petits cercles blancs.
Nous faisons également un tour au musée national, dont les 5 étages renferment des milliers d’objets d’art et d’artisanat birmans, depuis l’ère préhistorique jusqu’à l’époque moderne.
Les jours passent et notre séjour dans l’ancienne capitale touche à sa fin. Urbanisme laid, marchés foisonnant de couleurs, pagodes magnifiques et circulation infernale : Rangoun, c’est tout cela à la fois. Cette ville ne renferme pas de pépites cachées, pas plus qu’elle ne dissimule ses tares. Comme une fille de joie n’ayant rien à cacher, elle offre aux regards curieux ses attraits comme ses verrues, au premier coup d’œil.
Nous embarquons à nouveau dans un bus pour le Nord. Quelques neufs heures de trajet plus tard, nous faisons nos premiers pas ankylosés sur l’asphalte de la gare routière de Nyaung U.
Sur l’immense plaine de l’ancien Royaume de Bagan, des centaines de temples dressent leurs stupas dans un ciel sans nuage. Ces monuments de brique ont été édifiés entre le Xème et le XIIème siècle et forment, à l’image d’Angkor, un tissu denses de complexes religieux. Pédaler d’un temple à l’autre donne l’impression de se trouver sur une planète mystérieuse désertée de ces habitants. Sur les sentiers sablonneux, nous ne croisons pas grand monde à part quelques birmans en scooter.
A Bagan, les temples restent considérés comme des lieux de culte, y compris les édifices en ruines. Certains monastères comptent encore quelques bonzes, comme celui qui nous accueille dans une petite pagode perdue au milieu de la brousse. Elle n’apparait pas sur les cartes touristiques de la région et il y passe peu de visiteurs occidentaux. Le moine, affable et anglophone, saute sur cette occasion de pouvoir discuter avec des étrangers. Nous parlons un moment de nos voyages respectifs, de la vie monastique et de Bagan. Il nous indique gentiment sur notre carte où se trouvent les plus beaux temples ainsi que ceux depuis lesquels on peut admirer couchers et levers de soleil.
Suivant ses conseils, nous nous rendons le soir même dans l’un de ces temples. A l’intérieur, derrière une bienveillante statue de Bouddha, un petit escalier étroit et sombre mène au pied du stupa, sur le toit. La vue est à couper le souffle. Devant nous, la plaine est comme hérissée de ces constructions qui se détachent comme autant d’ombres chinoises sur l’horizon. Le soleil n’est plus qu’un disque rouge orangé, rendu pastel par le ciel trouble de la saison sèche. Il descend lentement pour finalement disparaitre derrière les montagnes au loin, par-delà la rivière.
Le lendemain, nous repartons sur les pistes pour explorer d’autres temples. Il faut se lever tôt car la température frôle les 40°C en journée. Le bitume se met alors à fondre par endroits, ses grandes plaques noirâtres miroitant sur les routes au soleil de midi.
Nous marquons un arrêt auprès d’un temple esseulé, guidés par le hasard. Dans l’enceinte, chèvres, cochons et poulets gambadent tranquillement, cherchant leur pitance dans les ordures qui jonchent le sol. Une femme âgée et pliée en deux sort soudain en criant d’une cabane délabrée et nous fait sursauter. Il s’avère en fait qu’elle n’en a pas après nous mais après les cochons trop téméraires, qu’elle chasse des environs de sa cuisine en agitant un bâton de bambou. Un enfant d’environ 5 ans, crasseux et déguenillé, sort du logement à sa suite. Il vient nous voir, une écuelle de riz dans les mains et le sourire aux lèvres. La grand-mère nous salue de loin, s’accroupit près d’un feu et se met à jouer d’un harmonica, s’interrompant de temps à autres pour gueuler sur les poulets. La scène a quelque chose d’improbable.
Le petit garçon, lui, est tout content d’avoir des invités et ne demande qu’à jouer. Il grimpe sur mon dos et éclate de rire quand je me lève pour trotter avec ce petit paquet sur le dos. Nous communiquons par signes mais il n’est pas toujours facile de se comprendre. Je demande plusieurs fois son prénom à l’enfant mais à chaque fois il me jette un regard interloqué et se jette sur moi en criant « Yaaaa !! ». Je décide donc de l’appeler « Ya ». Nous restons jouer avec lui un moment sous le regard attendri de la grand-mère, assis tous les quatre sur le parvis du temple, dans un joyeux désordre de jouets épars et de crottes de chèvres. J’ai un peu le cœur gros quand nous quittons finalement la mamie courbée et le gamin en haillons pour continuer nos visites.
Sur les pistes de Bagan, les birmans sont tous sourires quand ils nous voient passer sur nos vélos. Leurs visages recouverts de tanaka s’éclairent tandis qu’ils nous disent bonjour à l’unisson en secouant les mains. Le soir, nous poussons jusqu’à la ville distante de 3 kilomètres pour y manger. La cuisine birmane n’a vraiment rien d’exceptionnel mais nous parvenons à dégotter quelques mets sympathiques : currys jaunes, poulet à l’ananas ou aux noix de cajou et même un succulent riz gluant sucré à la fraise, puisque c’est la saison.
Un autre jour, lever à 5h pour assister au lever de soleil, là encore depuis le sommet d’un temple. L’édifice est fermé mais le gardien birman nous ouvre la grille et nous guide à l’intérieur. Nous restons sans voix devant le spectacle qui nous est offert. Le ciel rougit à l’Est, s’éclaircit peu à peu jusqu’à ce que le soleil apparaisse enfin et embrase les murs de briques des ruines alentours. Des montgolfières traversent le ciel au-dessus de nos têtes, comme un lâcher de ballons pour fêter le retour de l’astre solaire. Leurs passagers sont des touristes aisés ayant déboursé 300$ pour assister au lever depuis les airs.
Nous partons en direction de la vieille ville fortifiée de Bagan, tressautant sur une piste qui serpente entre ruines et palmiers. Nous retournons au temple où nous avions rencontré « Ya » pour la première fois. Nous sommes accueillis par un vieillard édenté fumant le cigare qui nous explique par mimes que la grand-mère est partie à la ville. Nous trouvons le petit garçon assis sur le porche de la cabane. En nous voyant, il saute sur ses deux pieds et accourt vers nous. Nous lui offrons des petites voitures achetées la veille dans une boutique de la ville et à en juger par son large sourire, nous avons tapé dans le mille. Nous remettons aussi un gâteau au grand-père, qui insiste pour nous montrer sa collection de photos : suite hétéroclite de clichés polaroids laissés par des touristes de passage et de photos jaunies de membres de la famille.
Près de Nyaung U, nous croisons le chemin d’une procession de villageois. De jeunes garçons habillés comme des princes passent à cheval, précédés d’une ribambelle d’enfants plus jeunes marchant en file indienne. Des chars à bœufs aux couleurs vives ferment la marche, sur fond de musique traditionnelle. Nous suivons la processions jusqu’au village, où nous faisons réparer les pneus de nos vélos, lâchement crevés par les aiguilles d’un arbuste local qui parsèment la piste. Une fois dans le hameau, toute la troupe se disperse après cette cérémonie traditionnelle dont la signification nous est inconnue. Ici, personne n’est en mesure de nous en expliquer la signification en anglais. En revanche, on y répare les chambres à air avec dextérité et l’on y sert un riz frit décent, que nous mangeons sous le regard bienveillant d’un portrait d’Aung San Suu Kyi.
Notre séjour à Bagan touche à sa fin, en même temps que la partie birmane de notre voyage. Ce pays encore peu touristique nous a ensorcelé avec ses habitants souriants, ses magnifiques pagodes et ses bouddha mystérieux. C’est presque à regret que nous le quittons. Nous hésitons un moment à pousser jusqu’au golfe du Bengale ou au lac Inlé, mais décidons finalement de prendre la route pour la frontière thaïlandaise, qui nous attend à 18 heures de bus de Bagan. Retour au Siam, donc, pour un dernier visa, un dernier pays et un dernier mois de voyage… le terme de notre périple se rapproche mais nous comptons bien en profiter jusqu’au dernier grain de riz !
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Chroniques birmanes
Une courte visite au consulat du Myanmar à Chiang Mai nous apprend que les formalités pour obtenir un visa sont dignes de celles d’une administration soviétique. Pour obtenir le précieux sésame, il nous faut en effet prouver que nous comptons bien entrer dans le pays. Or, les compagnies de bus thaïlandaises ne délivrent pas de ticket pour les villes birmanes... Suivant les conseils de voyageurs rencontrés au Laos, nous décidons finalement d’effectuer la démarche sur internet ce qui s’avère beaucoup plus rapide et surtout bien plus simple .
Nous arrivons mercredi à Mae Sot, la ville frontalière. Le check point est un capharnaüm invraisemblable de bicoques à touche-touche et de bureaux exigus où officient des douaniers en marcel. Nos passeports sont tamponnés sans encombre et nous sommes libres de traverser à pied le pont qui sépare les deux états. Scène ubuesque, les véhicules empruntant le pont changent de sens de circulation à mi-chemin. Contrairement à la Thaïlande, on roule en effet à droite en Birmanie, avec application immédiate dès la ligne de démarcation.
En revanche cette conduite à droite s’agrémente d’un inattendu….volant à droite lui aussi ! Une particularité qui remonte aux années 70, quand la dictature de Ne Win décida de tirer un trait sur la circulation à gauche héritée du colonisateur britannique, mais sans revoir tout le système. Dans la voiture qui nous conduit a Hpa An, nous faisons l’expérience un brin stressante de la conduite birmane. Le conducteur n’a en effet aucune visibilité lorsqu’il double, contrairement à son passager qui lui voit tout et serre les fesses. Ce qui n’empêche pas ces pilotes de dépasser allègrement les camions dans les virages, avec force coups de klaxons pour signaler leur présence. En Birmanie, l’avertisseur sonore est un langage universel qui peut aussi bien signifier : « Il y a quelqu’un ? » , « Pousse-toi », « Attention, j’arrive », « Serre à droite ! » ou simplement « Coucou ».
Sur la route qui mène de Miyawaddy à Hpa An, nous sommes arrêtés à 3 checkpoints. Des hommes aux sourires rougis par le bétel y contrôlent nos passeports, sans que l’on sache vraiment comment ils s’y prennent au milieu de nulle part et sans ordinateur. Nous ne posons pas de questions et l’on ne nous demande pas un centime.
Nous arrivons finalement a Hpa An à 20h30, pour atterrir dans une guesthouse miteuse. On y facture 10$ la nuit sur des matelas crasseux jetés à même une planche de bois, avec salle de bain séparée (ce qui n’est en fait pas un mal quand on a constaté l’odeur des lieux). Nos sacs déposés, nous sortons dans les rues faiblement éclairées à la recherche d’une gargote où manger, pour nous apercevoir qu’à 21h, tous les commerces ou presque ont fermé leurs portes. Camille et moi dinons donc dans notre chambre de pain de mie, de thon en boîte et de vache qui rit achetés in extremis à la supérette locale. La vache qui rit, un luxe ? Non, le fameux fromage est présent dans toute l’Asie car il s’agit du seul qui ne souffre pas d’une chaleur excessive… Après ce repas de bivouac, nous allons nous coucher pour mettre, littéralement, les puces à têter.
La Birmanie fut rebaptisée Myanmar par la junte en 1989, en même temps que Rangoun perdit son titre de capitale et fut rebaptisée Yangon. Le pouvoir déménagea pour des raisons qui restent encore floues et investit Naypyidaw, nouvelle capitale créée ex nihilo. Depuis 2011, le pouvoir a cependant entamé une transition démocratique, avec l’élection d’un président civil proche d’Aung San Suu Kyi en 2016. Ce gage de bonne volonté a poussé la communauté internationale à lever la plupart des sanctions qui pesaient sur la Birmanie. Dans les faits, les militaires sont encore étroitement associés au pouvoir et la dame de Rangoun forcée de faire des concessions.
Le développement du tourisme est le reflet de cette ouverture récente du pays : celui-ci a reçu 3 millions de visiteurs en 2015, contre 300 000 en 2010. Le pays reste toutefois l’un des plus pauvres au monde et les infrastructures touristiques peinent encore à suivre le mouvement. Les logements, en particulier, sont encore peu nombreux et chers. Les coupures d’électricités sont fréquentes : il est rare que le générateur diesel passe plus de 48 heures sans tourner. Cependant, c’est pour nous l’occasion de visiter le pays avant sa transformation inévitable par l’afflux de touristes.
Le lendemain, nous découvrons Hpa An en plein jour. Circulation chaotique, rues poussiéreuses et chiens efflanqués rasant les murs avec des regards anxieux : un tableau qui nous rappellent un peu le Cambodge des campagnes. Les birmans présentent une large palette de couleurs de peaux, du cuivre clair au brun foncé. Le pays accueille une multitude d’ethnies différentes et d’influences diverses, de par sa position au carrefour de la Chine, de l’Inde et de l’Asie du Sud Est. La langue des birmans nous oblige à oublier le peu que nous ayons appris au Laos et en Thaïlande. Elle n’est pas tonale et fait davantage penser à un dialecte africain avec ses sonorités en « a » et en « é ». L’alphabet est tout aussi déroutant avec ses successions de cercles ouverts selon des angles différents qui donnent à chaque panneau officiel les allures d’un test de vision de médecine du travail.
Si les jeunes thaïs s’habillent en converses et en t-shirts à l’effigie d’Iron Maiden, leurs homologues birmans ont encore un style vestimentaire très traditionnel. Hommes et femmes, dès l’adolescence, portent le « longyi », une longue pièce de tissu nouée autour de la taille et qui tombe comme une jupe. Le haut est laissé à l’appréciation de chacun : chemise ou t-shirt, l’essentiel étant de cacher les épaules et toute peau nue qui aurait le parfum du scandale. Autre signe distinctif, de nombreux birmans étalent sur leur visage du « tanaka », une pâte écru obtenue en frottant l’écorce de l’arbre éponyme sur une pierre avec un peu d’eau. Cette crème aurait de nombreuses vertus : anti-transpirante, anti-UV, adoucissante… mais elle revêt surtout une fonction esthétique et culturelle. On l’applique généralement avec les mains, en large ronds sur les joues et le front. Ceux qui ont une âme d’artiste utilisent une brosse à dents pour dessiner des motifs plus travaillés. Après 2 mois et demi de voyage, nous constatons avec bonheur que nous sommes encore dépaysables !
Nous décidons d’explorer les environs de Hpa An. À cette fin, nous avisons un chauffeur de tuk-tuk qui accepte de nous emmener. Notre discussion donne quelque chose comme ceci :
NOUS : Combien pour y aller ?
LUI : 10 000 kyats (environ 7,50 $).
NOUS : Ah… 8000, ça va ?
LUI : Non ! 10 000.
NOUS : 9000 ?
LUI : 10 000.
NOUS : Bon, d’accord, 10 000…
La Birmanie reste un pays relativement cher pour les backpackers, avec des commerçants durs en affaires. Après cette belle démonstration de nos talents de négociateurs, nous partons en cahotant vers Kyaik-Ka-Lat (prononcer « Tchaike Ka Latte »), une pagode située au milieu des rizières à quelques kilomètres de là. Il s’agit en fait d’un piton rocheux surgissant au milieu de la plaine et coiffé à son sommet d’un stupa, cette construction en forme de cloche si caractéristique dédiée au Bouddha. La vision de cette pagode au sommet d’une falaise karstique façon Avatar est tout bonnement surréaliste.
Nous sommes les seuls touristes étrangers sur place et nous remportons un franc succès. On nous avait prévenus : les birmans considèrent comme le summum de la cool attitude de se prendre en photo aux côtés d’occidentaux ! Nous récoltons d’abord les regards interloqués des passants, qui nous fixent comme si nous étions des éléphants blancs. Puis viennent les sourires et, pour peu qu’on les encourage un peu, une salve de « Mingala ba ! » (bonjour). Les groupes d’ados nous observent du coin de l’œil en pouffant, jusqu’à ce qu’un téméraire finisse par venir nous demander si nous acceptons de faire une photo, souvent avec chaque membre du groupe l’un après l’autre, facebook oblige ! Certains n’ont pas le courage de nous aborder mais se refusent tout de même à laisser passer leur chance et nous filment ou nous photographient à « l’insu de notre plein gré »…
Nous croisons de nombreux moines en toges bordeaux, ainsi que des nonnes de tous âges aux crânes rasés et vêtues de rose pastel. La Birmanie est un pays où la religion, un bouddhisme mêlé d’animisme, occupe une place centrale dans la vie des habitants. Au pied de la falaise, nous nous recueillons quelques instants. Un moine nous attache des bracelets de chance et nous asperge d’eau bénite en récitant des formules de protection.
De Hpa An, nous prenons le bus jusqu’à Kinmon. Cette bourgade se situe au pied de l’un des lieux les plus sacrés de Birmanie : le Rocher d’or. C’est un pèlerinage que chaque birman essaie de faire au moins une fois dans sa vie. Il y règne une atmosphère digne de Lourdes un jour de fête catho : des milliers de touristes birmans s’y pressent afin de réaliser l’ascension de la montagne et aller prier auprès de la fameuse roche. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les randonneurs passionnés pour partir à pied à l’assaut des flancs escarpés de la montagne. Les autres, comme nous, s’entassent à 50 dans des camions transformés en bus qui les amènent au sommet sans effort mais pas sans risque.
Après une heure d’ascension sur des pentes vertigineuses, l’horizon s’ouvre enfin. Les camions se vident et une marée humaine se répand le long du sentier qui chemine sur la ligne de crête. De chaque côté, des marchands du temple vendent des répliques en miniature du rocher d’or et des t-shirts attestant du pèlerinage. On se déchausse à l’entrée du site, bien avant d’arpenter la grande esplanade carrelée du lieu saint. Soudain, le voilà : immense bloc de pierre scintillant flanqué d’un stupa, en équilibre au bord de la falaise. Il donne l’impression qu’il s’en faudrait d’un cheveu pour qu’il ne dégringole dans la vallée. C’est d’ailleurs la légende entourant le lieu : on raconte que c’est grâce aux pouvoirs d’un cheveu de Bouddha conservé sur place que le rocher reste en place.
En se rapprochant du monument, la ferveur des birmans s’intensifie et devient presque palpable. La chaleur des feux votifs, la lueur vacillante des cierges, l’odeur de l’encens et le tintement des clochettes à prières invitent à s’abimer dans un état second. Nous ne partageons pas la foi des locaux dans la parole du Bouddha mais impossible d’être insensible à cette atmosphère si particulière.
Au pied du bloc en équilibre, l’ambiance est incroyable. Seuls les hommes peuvent s’approcher au plus près du rocher. Ils collent des feuilles d’or sur la pierre puis s’agenouillent en silence, les mains levées à hauteur du visage. Il y a quelque chose d’un peu païen et d’archaïque dans cette image d’hommes agenouillés devant un bloc de pierre, avec les montagnes en toile de fond. J’ai une réminiscence de la scène de 2001, L’Odyssée de l’Espace, dans laquelle les hominidés se prosternent devant le monolithe.
C’est encore un peu léthargiques que nous quittons le Rocher d’Or et son promontoire pour redescendre à Kinmon. Une bonne nuit de sommeil nous y attend avant de partir en direction de Rangoun, capitale déchue mais vrai centre économique et culturel du pays.
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Virée chez l’oncle Siam
Le plan initial consistait à prendre le bateau depuis Luang Prabang pour remonter le Mékong durant deux jours jusqu’à Houei Sai. Si le voyage promettait d’être riche en souvenirs, il risquait en revanche de laisser nos portemonnaies bien moins garnis qu’au départ. À regret, c’est donc en bus que nous rejoignons la frontière, la route étant deux fois moins chère que le fleuve.
En dépit de cette petite entorse à notre programme, nos premiers pas en Thaïlande se déroulent sous les meilleurs auspices. Le passage de frontière est de loin le plus simple que nous ayons vécu : un coup de tampon, un sourire du douanier Thaï qui nous souhaite bon vent et nous voilà pourvus de nos deux visas gratuits d’un mois. De l’autre côté, une passagère rencontrée dans le bus nous explique avoir un petit business de transport et nous propose de nous déposer à Chiang Rai, la première « grande » ville, dans son minivan. Le prix ? « Ce que vous voulez ! ». Pour un peu sa gentillesse nous paraitrait suspecte… pourtant il n’en est rien et au terme des 3 heures de route, il faudra pratiquement la forcer pour qu’elle accepte la somme très modeste de 200 bahts (soit à peine 5 euros).
La première chose qui nous frappe dans ce nouveau pays, c’est tout à la fois la qualité de ses routes, la modernité de ses infrastructures et le bon état des habitations. La différence de niveau de vie entre la Thaïlande et les autres pays de notre parcours crève les yeux. A Chiang Rai, Nous arrivons dans une ville endormie, dont la plupart des commerces sont fermés. Apparemment, la pause dominicale est prise très au sérieux ici. Le portrait du Roi est partout, des restaurants aux magasins, mais aussi dans la rue, sur d’immenses panneaux d’affichages à l’entrée des villes, etc… Un deuil national d’un an a été décrété après le décès du monarque en octobre dernier, après 70 ans de règne.
Ici aussi, la religion est au cœur de la vie de la population. Comme au Laos, les pagodes sont innombrables, à l’image des moines. Au jeu des différences, on note que les bonzes thaïs semblent tout de même bien mieux nourris ! Certains ont même carrément des problèmes de poids. Ils ont aussi un air un peu rock’n roll avec tous leurs « sak yant », ces tatouages sacrés faits à la pointe de bambou et supposés apporter chance et protection à leurs porteurs.
Nous décidons de mettre à profit notre passage éclair dans la ville pour aller visiter l’une de ses plus célèbres pagodes, le Wat Phra Keo. C’est là que, selon la légende, fut découvert le Bouddha d’émeraude exposé dans le temple du même nom à Bangkok. D’après ce qu’on raconte, la foudre aurait frappé le stupa de la pagode, révélant la statue cachée à l’intérieur de celui-ci… statue d’ailleurs en jade et non pas en émeraude. Vous vous y perdez ? Nous aussi, parfois.
Le temple, plutôt agréable, abrite dans son enceinte un musée, un bassin peuplé de tortues et de poissons-chats et même un petit jardin d’orchidées.
Avant de poursuivre notre itinéraire, je rends une visite express au club de jiu jitsu de Chiang Rai où je suis chaleureusement accueilli. Le cours technique est intéressant et l’ambiance détendue, c’est donc un vrai plaisir que d’échanger avec cette bande de passionnés.
Nous poursuivons ensuite notre itinéraire à travers le Nord de la Thaïlande en mettant le cap sur Chiang Mai, la deuxième agglomération du pays après Bangkok. Le tuk-tuk nous fait traverser la vieille ville, chaotique et brûlante comme si on l’avait faite revenir à la poêle. Chaque rue est une succession ininterrompue de restaurants, laveries, salons de tatouage et de massage, loueurs de motos, cafés et supermarchés. Starbucks, Burger King, KFC, McDonald’s, Hard Rock Café : la civilisation, quoi. Le choc est rude après le Laos !
Nous louons des vélos pour vadrouiller plus librement et nous nous habituons assez vite à la conduite à gauche. Il y a plus de 300 pagodes à Chiang Mai mais notre compteur à visite de lieux saints frôle le rouge après le Laos. Nous décidons de lever le pied pour ne pas nous en lasser trop tôt. Nous alternons donc avec des ballades au marché de nuit et au Musée, quelques séances de jiu-jitsu et bien entendu la découverte de la cuisine locale, bonne et pas chère. Nous avons un petit faible pour le Pad Thai, un plat de nouilles agrémenté de germes de soja, cacahuètes, morceaux de poulet émincé, etc…
La langue des thaïs est assez proche du lao et emprunte parfois des sonorités au khmer. Nous reconnaissons ici et là quelques mots, comme « merci » qui se dit « kop koune krap » (« aukoune tchrane » en cambodgien) ou « kalouna » qui signifie s’il vous plait en thaï comme en lao. Pour le reste…disons qu’il y a du pain sur la planche. Le thaï est une langue tonale, ce qui signifie qu’il ne suffit pas d’avoir une prononciation phonétiquement correcte mais savoir également si chaque mot doit être pourvu d’un ton haut, bas, descendant ou ascendant, etc… il y ainsi une célèbre phrase ici qui illustre cette particularité : « mai mai mai mai mai ?». Ce qui, énoncé correctement, signifie quelque chose comme : « Le bois neuf ne brûle pas, n’est-ce pas ? » Nous avons fait le deuil de revenir bilingue.
Notre découverte de la culture thaïe n’est pas limitée à l’architecture et à la gastronomie et nous sommes déterminés à en découvrir tous les aspects… Enfin, non, pas tous : que les connaisseurs se rassurent, nous ne manifestons pas une curiosité exceptionnelle sur la vie nocturne des ladyboys thaïs. En revanche, nous ne pouvions pas manquer d’aller voir un match de Boxe Thaïe, ce sport national où coups de coude et coups de genoux ne sont pas seulement autorisés mais encouragés !
Nous prenons donc nos billets pour une soirée de combats de boxe thaïe devant avoir lieu dans une petite salle de la vieille ville, le Taphae Stadium . En fait de stade on débarque dans un hangar flanqué d’un ring au milieu, autour duquel sont alignées des chaises. Le public est exclusivement composé d’occidentaux et après nous être fait servir une bière au double de son prix par une serveuse faisant la gueule nous sommes comme pris d’un doute : s’agit-il d’une simple attraction pour touristes en mal de sensations ?
Les lumières baissent. Deux jeunes thaïs entrent sur le ring et entament une danse rituelle sur fond de musique traditionnelle. Une façon de s’attirer la bénédiction des dieux en priant pour un succès rapide et un combat sans blessures. La cloche sonne, les hostilités commencent. Les boxeurs thaïs ne s’échauffent pas avant le combat, aussi les deux premiers rounds servent généralement à se mettre dans le bain tout en jaugeant l’adversaire. A la troisième reprise, par contre, ça ne rigole plus. Les deux combattants se jettent l’un sur l’autre comme deux tigres en furie. Les coups de pieds pleuvent et alternent avec coups de coudes et de genoux, droites, gauches et fauchages spectaculaires. L’air résonne des coups de fouet de leurs frappes et du bruit mat de la chair contre la chair. Les coachs trépignent au pied du ring et hurlent leurs conseils.
Nous ne sommes peut-être pas dans le bouge le plus authentique de la ville mais il n’y a pas de doute à avoir, ces deux la y vont pour de vrai. L’un des boxeurs commence à reculer sous les assauts de l’autre. On le voit peu à peu baisser sa garde. On devine que pour lui ces quelques secondes passent comme des heures et que ses gants semblent peser des tonnes. La cloche sonne in extremis, sonnant la pause. Les boxeurs rejoignent leurs coins respectifs et leur staff se précipite sur le ring : ils n’ont que quelques secondes pour leur rincer la bouche, inspecter les petites plaies, masser les muscles endoloris et prodiguer des conseils au précieux à leur poulain. C’est déjà la quatrième reprise. Les deux combattants s’avancent, un peu hagards mais résolus à combattre jusqu’à n’en plus pouvoir. Le boxeur rouge, en difficulté avant la pause, peine de plus en plus. Il parvient à gagner quelques secondes mais il reçoit encore deux coups parfaitement ajustés de la part de son adversaire et voilà soudain qu’il s’écroule, KO. Il revient à lui presque immédiatement, mais c’est trop tard : l’autre exulte déjà, debout sur les cordes du ring. La soirée se prolonge avec d’autres combats, tout aussi impressionnants pour les novices que nous sommes.
C’est déjà la mi-mars et le thermomètre dépasse allègrement les 35° à Chiang Mai. Il fait si chaud durant la journée que la peau pique et brûle dès qu’elle est exposée aux rayons meurtriers du soleil. Le soir, il fait encore une chaleur étouffante dans les rues de la vieille ville alors que les pierres libèrent la chaleur emmagasinée. Pour nous rafraîchir un peu Camille et moi traversons la ville à la recherche d’une piscine pour faire trempette. Refoulés à la réception des hôtels de luxe c’est finalement à la piscine municipale que nous allons nous baigner. Le sud du pays et ses plages de rêve devront pourtant attendre car la suite de notre voyage doit d'abord nous emmener dans le pays voisin, la Birmanie. Encore un sacré décalage en perspective...
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Audio
Curieux de savoir à quoi ressemble les chants des moines bouddhistes de Luang Prabang ?
Dans cet enregistrement sonore, nous vous proposons de vous joindre à nous pour écouter les bonzes réciter les sutras dans le sanctuaire de leur pagode pour la prière de la fin de journée.
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Des pagodes et des bonzes
La chaleur est délirante. Le bus, une boîte de conserve grinçante qui gémit dans les virages, roule vitres et porte ouvertes pour apporter un peu d’air à ses passagers, ainsi que beaucoup de poussière. Je me mouche : le papier est gris. Je comprends mieux pourquoi tant de gens portent des masques.
Si Vientiane est bien la capitale du Laos et l’une de ses cités les plus peuplées, cela reste en proportion de ce petit pays dont la population n’excède pas les 7 millions d’habitants. Peu étendue, beaucoup moins embouteillée que Phnom Penh, la ville n’offre pas de difficultés significatives aux cyclistes du dimanche que nous sommes. En revanche elle pourrait compter parmi ces endroits que le routard qualifie volontiers de « tranquilles et au charme discret, qui ne révèlent leurs atouts qu’à ceux qui savent où regarder». Comprenez : un urbanisme tristement laid, un environnement sans particularité et pas grand-chose à y faire… C’est en tout cas le sentiment de maints voyageurs nous ayant précédé et également notre première impression, tandis que nous déambulons sur la promenade d’une banalité désarmante qui longe le fleuve.
Pour autant, la ville n’est pas sans intérêt. Nous apprécions en particulier ses nombreuses pagodes – appelées Wat -, qui forme au sein de la ville un réseau dense de centres spirituels dédiés à Bouddha. Dans l’enceinte carrée d’un Wat on trouve plusieurs bâtiments, en particulier : le monastère où logent les bonzes, et le « sim », sanctuaire où se pratique le culte. En fonction de l’importance du monastère, il peut également s’y trouver des « stupas », constructions sacrées en forme de dômes et un petit cimetière. La plupart des pagodes peuvent se visiter, moyennant parfois un droit d’entrée pour les plus prestigieuses. Il faut cependant veiller à respecter certaines règles de bienséance : avoir les genoux et les épaules couvertes, se déchausser et se découvrir avant d’entrer, ne pas tourner le dos au bouddha mais le contourner par la gauche ou encore ne pas toucher un moine quand on est une femme (au risque de lui faire perdre tous les mérites acquis !).
Le style des pagodes de Vientiane varie en fonction de leur ancienneté. Les plus récentes arborent des dragons multicolores, des nagas (serpents à 5 ou 7 têtes), des mosaïques, des peintures bariolées et des dorures à go-go : ici le kitsch n’est pas seulement assumé, il est revendiqué ! Il faut quand même avouer que c’est un peu trop pour nous. Nous préférons à ces pagodes récentes les monastères plus anciens, plus sobres et autrement plus solennels et impressionnants.
Nous visitons donc le Wat Sisaket, la pagode la plus ancienne de la ville, qui a échappé miraculeusement aux destructions de la dernière invasion siamoise. Dans les galeries qui entourent le « sim », des milliers de statues de Bouddha sont alignées : représentant l’Éveillé debout ou en attitude de méditation. À l’intérieur du sanctuaire, un grand Bouddha veille, entouré d’anciennes peintures narrant des épisodes de sa vie.
Un peu plus tard, c’est au Wat Ong Teu, dans le centre-ville, que nous nous rendons. Nous pénétrons dans le sanctuaire dont le toit à deux pans dénote agréablement dans ce quartier de restaurants et d’hôtels. Dès l’entrée, nous sommes saisis par le silence et le parfum de l’encens. Au fond de la pièce, un moine, seul, est assis en tailleur et plongé dans la lecture d’un livre. Derrière lui, un autel où trône un Bouddha en bronze véritablement gigantesque, qui doit mesurer près de 5 mètres. Wat Ong Teu signifie « temple du bouddha lourd ». Le bonze, sympathique et raisonnablement anglophone, nous propose de nous asseoir pour méditer un peu si nous le souhaitons. Une atmosphère de recueillement s’impose d’elle-même, tant le lieu est apaisant. Nous restons assis là un moment, observant quelques laotiens venus faire des offrandes au Bouddha. Le gong retentit, ses vibrations de basse emplissant l’air. Musique du fond des âges qui parle aux tripes davantage qu’aux oreilles. Conformément à notre modus operandi , nous faisons un petit don destiné à l’entretien du temple, puisque sa visite est gratuite. Le religieux en tenue safran noue alors autour de nos poignets un bracelet destiné à nous apporter bonne fortune et protection du Bouddha. En s’exécutant, il murmure des formules au-dessus du bracelet, les yeux fermés. Nous repartons dans le tourbillon de la civilisation, curieusement apaisés.
Vientiane comptait parmi les destinations où j’espérais pouvoir enfiler mon kimono pour faire un peu de jiu-jitsu. J’apprends malheureusement que le professeur du seul club du pays est en vacances et que les cours sont suspendus… il n’y aura donc pas de bagarre avant la Thaïlande !
Peu désireux de nous éterniser dans la capitale, nous réservons donc un bus de nuit pour Luang Prabang après seulement deux jours à Vientiane. 10h30 de trajet sur des routes sinueuses de montagne et nous débarquons à la gare routière, les yeux encore lourds de sommeil.
Ah ! Luang Prabang… Cette ville mythique m’attire comme un aimant depuis mes 20 ans. Prononcer son nom comme un mantra suffisait à me faire voyager, tant elle était synonyme pour moi d’aventure et d’exotisme. Ancienne capitale royale jusqu’au XVII° siècle, c’est la ville des pagodes. Il y en a littéralement à chaque coin de rue ! Luang Prabang occupe une surface grande comme le quartier de La Chaume aux Sables d’Olonne (avis aux connaisseurs). Le Mékong au Nord et la rivière Nam Khan à l’Est en font une presqu’île. En son centre, un grand parc abrite un complexe monastique construit autour d’une colline, le Mont Phousi, coiffée d’un stupa d’or. Tout autour, l’horizon est une succession de montagnes couvertes de jungle dont les pentes se confondent. Nous posons nos valises non loin de la rivière, résolus à prendre tout notre temps pour nous imprégner de l’ambiance si particulière qui semble régner ici.
Nous commençons notre exploration de Luang Prabang à pied et à vélo. C’est à nos yeux la meilleure façon de la découvrir et de nous l’approprier un peu. Nous errons dans les ruelles de la vieille ville. Des bougainvillées aux couleurs éclatantes tendent leurs branches au-dessus des murs blancs des maisons. Quelques enfants lancent leurs claquettes dans un tamarinier pour en faire tomber les fruits. Nous prenons une infusion de fleurs d’hibiscus à la terrasse de « L’étranger », une librairie-salon de thé dont la gérante québécoise avoue son penchant pour Albert Camus. De la terrasse, nous observons les allées et venues des tuks-tuks et des laotiens en scooter.
Décidemment, Il flotte ici comme un air de bout du monde, résultat sans doute d’un savant mélange de douceur de vivre laotienne et d’une atmosphère chargée d’Histoire et de spiritualité. La ville a aussi vu passer du beau monde : depuis les explorateurs français du XIX° siècle à… Pierre Desproges ! Son père était instituteur à l’école de Luang Prabang et toute la petite famille logeait dans la villa aujourd’hui reconvertie en Institut Français.
Vers 17 heures, un grondement retentit, puis un autre. Un orage ? Non, le tonnerre semble obéir à un rythme étrange... Ce sont en fait les tambours des monastères du Bane Wat Sene, au pied du Mont Phousi. Nous nous rapprochons d’un Wat. Les bonzes, petits et grands, se sont réunis dans le sanctuaire, face au Bouddha, et récitent à présent des sutras. Chant à l’unisson, hypnotique, qui monte et descend comme une vague, nous embarquant dans sa ferveur.
Nous marchons le long de la rue, nous laissant emporter par ces mélodies sacrés émanant des pagodes. Le soleil se couche derrière les collines par-delà le Mékong, la « mère des eaux » pour les laotiens. Les dragons ornant les toits des sanctuaires dressent leurs cornes dans le lavis orangé du ciel, dessinant des motifs abstraits en s’entremêlant avec les cimes des palmiers. Les rues sont calmes et la température plaisante. En remontant vers le marché de nuit, nous troquons l’odeur de l’encens pour les effluves de grillades provenant du marché de nuit. Ce sont à nouveau des découvertes culinaires en pagaille que nous promettent ses stands et ses restaurants.
Nous consacrons les journées suivantes à approfondir notre connaissance de la ville. Après être grimpé au sommet du Mont Phousi, nous visitons plusieurs Wats, ainsi que l’ancien palais royal, reconverti en musée. Nous en profitons aussi pour vivre quelques expériences insolites, comme une séance de yoga sur une terrasse surplombant la rivière, au lever du soleil. Nous assistons aussi à la cérémonie de l’offrande aux moines. Ces derniers n’ayant pas le droit de travailler, ils quittent leur monastères à l’aube pour aller mendier leur nourriture auprès de la population. Une vision hors du temps mais tout de même un peu gâchée par les chinois - toujours eux ! -, prêts à tout pour mitrailler les pauvres bonzes, y compris photographier les moinillons d’une dizaine d’années avec le flash à moins d’un mètre de distance… Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, « L.P. » tente pourtant de se protéger un peu des méfaits du tourisme : les cars y sont interdits et les appareils disgracieux comme les distributeurs de billets sont camouflés dans de petits chalets en bois qui se fondent dans le décor…
Après trois ou quatre jours à la parcourir en long et en large, nous commençons maintenant à bien connaître la ville. Nous avons nos ronds de serviette dans ses meilleurs café-boulangerie, sans pour autant délaisser les plats locaux. Nous nous régalons de currys ou de mok, fait de viande ou de poisson au lait de coco cuit dans une feuille de bananier : un régal.
Le temps est venu d’élargir un peu le cercle de nos pérégrinations. Nous partons pour des chutes d’eau situées à quelques kilomètres de la ville, en commençant par celles de Kuang Si. Le lieu, certes touristique, n’en reste pas moins magique. Les cascades se jettent d’un promontoire rocheux émergeant de la jungle, pour s’écouler en d’innombrables chutes en contrebas. Le lit de la rivière est fait de pierres calcaires, qui donnent à l’eau une couleur turquoise surréaliste. Nous regrettons seulement l’attitude un peu désinvolte de certaines touristes occidentales, dont les bikinis affriolants sont un peu anachroniques dans ce pays où les locaux se baignent tout habillés par pudeur…
Nous partons également voir les chutes de Tad Sae, malheureusement moins belles et surtout à sec. La saison sèche bat son plein et il commence à faire très chaud en journée. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons à un croisement. Quelques centaines de mètres plus loin, après un bosquet de bambous, le sentier débouche sur une clairière près de la rivière. C’est là que nous trouvons la tombe d’Henri Mouhot ainsi qu’une statue grandeur nature à son effigie. Cet explorateur français a sillonné l’Asie à une époque où celle-ci était encore largement méconnue. On lui doit notamment la « découverte » d’Angkor. Il fut aussi le premier occidental à pénétrer dans cette région du Laos, où il décéda finalement de fièvre en 1861 à l’âge de 35 ans. L’expédition d’exploration du Mekong de Lagrée et Garnier aménagea un tombeau sur le lieu de sa sépulture et Auguste Pavie, le baroudeur dinannais, la reconstruisit quelques années plus tard. Il fallait à ces hommes une sacrée trempe pour braver les rigueurs de la jungle et du climat afin de se tailler une route vers des régions encore inexplorées…
Je rends un hommage silencieux à Mouhot et à son courage et, après avoir nettoyé sa tombe, nous le laissons reposer en paix dans sa clairière au bord de la rivière.
Une semaine déjà a passé depuis notre arrivée à Luang Prabang. La ville et ses environs nous ont ensorcelés et c’est bien volontiers que nous aurions prolongé notre séjour en ces lieux. Pourtant, de nouvelles découvertes nous attendent et il nous faut, encore une fois, faire nos sacs et reprendre la route. En quittant Luang Prabang, nous faisons également nos adieux au Laos. Nous avons été marqués par ses pagodes et ses paysages de genèse, mais aussi intrigués par ses habitants, à la personnalité insaisissable. La Thaïlande, souvent aperçue sur l’autre rive du Mékong, nous tend les bras. L’aventure continue...
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Paradis perdu
En remontant le Laos vers le Nord, nous continuons notre découverte de ce pays à part et de ses habitants au comportement mystérieux. Tantôt fermés et froids, tantôt souriants et affables, ils ne cessent de nous dérouter et nous interdisent tout jugement définitif. C’est peut-être mieux ainsi : à trop vouloir faire rentrer les gens dans des cases, on se construit un peu trop vite la sienne...
Du point de vue de la physionomie, les laotiens se rapprochent des vietnamiens – qui composent d’ailleurs une bonne part de la population -, avec des traits fins et une peau souvent claire. Sur le plan culturel en revanche, c’est l’influence thaïe qui semble prédominante. Il se trouve que les laotiens comprennent sans problème la langue de leur voisin.
Nous descendons du bus à Paksé, petite ville au bord de ce Mékong que nous suivons comme un fil conducteur depuis le Vietnam, à quelques écarts près.
A Paksé, le temps semble s’écouler au ralenti. En se promenant dans la ville, on a le sentiment que tout le monde a l’air de se réveiller un lendemain de fête, à ceci près qu’on ne s’active pas davantage au fil de la journée. En début d’après-midi, les heures chaudes trouvent les laotiens assoupis dans leurs hamacs, avant un dernier regain d’activité à la fraîche… On dirait le Sud, on vous dit ! Sauf qu’ici, pas de FN : c’est le parti unique d’idéologie marxiste qui fait la loi.
Côté papilles, notre initiation à la cuisine lao se fait d’abord dans la douleur. Contrairement au Cambodge et au Vietnam, les plats sont très relevés. Après une ou deux surprises aussi douloureuses qu’enrichissantes, nous prenons donc l’habitude de commander nos plats « bo phèt », c’est-à-dire sans piment. Nous pouvons alors savourer les spécialités que sont le laap (salade de viande de poulet hachée, pousses de soja, citronnelle et cacahuètes) ou encore le fameux riz gluant, que l’on pétrit à la main pour en faire de petites boules avec lesquelles on sauce son plat… mention spéciale pour le riz gluant sucré à la mangue, un dessert délicieux mais roboratif !
Et quand le mal du pays se fait trop sentir, un plat de spaghettis et les suites pour violoncelle de Bach agissent comme des antidotes efficaces à l’overdose de riz frit et de musique pop laotienne…
A l’Est de Paksé, la plaine s’élève de quelques centaines de mètres pour former un plateau. Sur le bord des routes, le manioc sèche sur des bâches et forme de grands parterres blancs devant les habitations. Notre bus avance vaille que vaille, porte ouverte pour conjurer la chaleur, et nous atteignons finalement Tad Lo après 80 kms de route… et 2h de voyage !
Nous prenons nos quartiers dans cette petite bourgade reposante, située en plein cœur du plateau des Bolovens. La vie s’organise autour de la rivière, dans laquelle humains comme éléphants domestiques font volontiers leur toilette. En amont, nous arrivons au détour d’un sentier devant de magnifiques cascades. Contrairement aux 4000 îles, le lieu est quasi désert. L’impression d’être transporté dans un monde perdu à la Conan Doyle est totale. Les laotiens pêchent l’anguille dans le réservoir aux pieds des chutes, à l’aide de cannes en bambou ou à mains nues. Quant à nous, impossible de résister à l’envie de piquer une tête dans l’eau fraîche pour aller nager sous les cascades.
Sur les berges, trois laotiens dans la quarantaine nous abordent. En échange d’une photo polaroid de la cascade, ils nous servent un verre de lao lao, l’alcool de riz local à 50° qui a la réputation de rendre fous ceux qui ont le coude un peu leste. De fait, les trois compères ont l’air d’avoir quelques années de consommation au compteur. Nous trinquons ensemble puis Camille et moi prenons le chemin du retour.
À la guesthouse où nous logeons, toute la famille vit sous le même toit. Le soir, nous participons au « dîner familial ». Nous rejoignons d’abord nos hôtes en cuisine pour leur donner un coup de pouce puis mangeons tous ensemble, voyageurs et famille, autour des grandes tables en bois sur la terrasse. Le repas pantagruélique inclut laap, poissons grillés, nems, soupe de potiron au lait de coco, etc… Chacun partage ses anecdotes et conseils de voyage avec les autres backpackers dans une ambiance très conviviale.
La région autour de Tad Lo, bien que magnifique, est encore épargnée par le tourisme de masse. Si de nombreuses nationalités sont représentées, nous constatons avec soulagement l’absence des chinois (car pas de monument devant lesquels se prendre en selfie), des russes (pas de plage) et des américains (pas de boîtes de nuit ni de fast-food). Restent donc les bourlingueurs, souvent francophones, partis râper leurs chaussures en couple ou en famille sur ces pistes du bout du monde.
Nous décidons ensuite de nous rendre dans une plantation de café de la région, dont le gérant parle anglais et organise visites et dégustations. Malheureusement, la ferme se trouve à une vingtaine de kilomètres. C’est trop loin pour pouvoir y aller à pieds et, contrairement à la majorité des occidentaux visitant le plateau, nous n’avons pas loué de scooters. Les tuk-tuks sont rares et se limitent à de petits trajets, aussi choisissons nous par dépit un chauffeur de minivan qui propose de nous y emmener le lendemain pour l’équivalent de 12 dollars après une âpre négociation. Le matin du départ, le prix a grimpé de 6 dollars et le type ne veut pas en démordre… nous décidons donc de le planter là et d’opter pour le plan B : louer deux VTT.
Nous attaquons les premiers kilomètres des 20 à parcourir sous un cagnard de Tour de France une année de canicule. La première côte est de celles qui vous sapent le moral en quelques minutes et, malgré mes encouragements, Camille jette l’éponge et décide de faire demi-tour. Me voilà donc tout seul avec mes 3L d’eau à pédaler au ralenti sur mon ruban d’asphalte en fusion, bien parti pour aller me faire torréfier jusqu'en enfer…
Je donnerai rétrospectivement raison à Camille quand j’aurai constaté par moi-même que :
a) En fait de plateau, les Bolovens sont une succession de perfides faux-plats et de côtes à 12%.
b) Suite à une erreur de lecture de carte, il y a en fait 30 kms à parcourir, soit 60 aller-retour
c) Il n’y a pas le moindre nuage et le soleil cogne de manière tout à fait déraisonnable.
Le point positif en revanche, c’est que ma monture me vaut un capital sympathie considérable auprès des laotiens. Au Laos, tout comme au Cambodge et au Vietnam, les cyclistes sont relativement rares et appartiennent généralement à 2 catégories : les enfants ou les pauvres. Un occidental qui pédale est donc une véritable curiosité. Partout, ce ne sont que sourires, saluts de la main et « sabaïdii ! » tonitruants. Les enfants sont particulièrement déchaînés quand je leur rends leurs saluts. Les laotiens adorent chanter, aussi quand ils m’entendent fredonner sur mon vélo ils sourient jusqu’aux oreilles et redoublent de signes amicaux à mon égard. L’expérience me permet de voir la population sous un jour nouveau et me permet de renouer le temps d’une journée avec mon rêve d’ado de parcourir l’Asie à vélo.
J’arrive finalement au village de Katu et y rencontre M. Vieng, laotien âgé de 35 ans qui gère avec dynamisme son exploitation de café bio. Il est une véritable mine d’informations et explique de façon limpide tout le processus de fabrication du précieux nectar. Il fait goûter à ses visiteurs une multitude de mets exotiques rencontrés au fil de la ballade dans sa plantation. Je découvre ainsi le fruit du tamarinier, au goût acidulé, le fruit-œuf (pouteria campechiana), à l’agréable saveur de citrouille sucrée, ou encore la purée de fourmis rouges ! Si l’odeur de l’acide formique de ces dernières évoque une bouffée de vinaigre, une fois en bouche on est plutôt sur des notes de vieux citron… je ne dis pas que j’en redemande, mais ce n’est pas si mauvais !
Les fleurs de caféiers, comme je l’apprends également, sont comestibles et dénuées de caféine. Une fois séchée elle peuvent s’utiliser en infusion ou comme tabac. Dévoué corps et âme à vous faire vivre mes découvertes les plus insolites par le truchement de ce carnet de voyage, je ne pouvais faire autrement que de tester la chose. Ni une ni deux, me voilà donc à tirer sur la pipe à eau du propriétaire, pour constater que ces fleurs séchées ont un arôme qui oscille entre un tabac très doux et un léger parfum de vanille, mais sans aucun effet psychotrope…
Nous passons ensuite aux choses sérieuses avec la dégustation du café. L’arabica des Bolovens est considéré comme l’un des meilleurs du monde par les connaisseurs. Audacieuse affirmation que Camille et moi avions pu vérifier dans les coffee shops de Paksé, où nous avions goûté les meilleurs latte et expresso de notre périple asiatique. J’en profite pour en acheter quelques centaines de grammes avant d’enfourcher mon vélo pour la route du retour. Le trajet m’aura pris en tout plus de 4 heures et je peux affirmer sans rougir n’en avoir jamais autant bavé pour aller m’acheter du café !
Après Tad Lo, nous continuons notre remontée progressive vers le Nord et faisons étape à Thakhek. Tout comme Paksé, c’est une ville longée par le Mékong, assoupie et surchauffée comme une place de village provençal un dimanche après-midi de juillet. Impression encore renforcée par des réminiscences discrètes de la présence française. Outre les toits oranges des villas laotiennes, on se laisse parfois surprendre par l’odeur de pain frais d’une boulangerie ou le bruit distinctif des boules de pétanque qui s’entrechoquent dans l’arrière-cour d’un café…
A Thakhek même, les activités ne sont pas légions et consistent principalement à observer la Thaïlande de l’autre côté du fleuve en buvant un milkshake à l’ananas et à s’administrer de grandes claques quand les moustiques passent à l’offensive le soir venu. La ville est en fait le camp de base des routards qui s’y fournissent en motos de location avant de partir explorer la région. La « boucle de Thakhek », longue de 400 kms, traverse une région de falaises karstiques somptueuses, qui perforent les rizières comme des crocs majestueux.
Nous décidons pour notre part de louer les services d’un chauffeur de tuk-tuk et d’aller visiter quelques unes des nombreuses grottes de ce Périgord laotien. La plupart de ces cavités sont des lieux de culte bouddhistes et donc partiellement aménagée comme de petites pagodes miniatures. Pleins d’espoir, nous nous rendons à Tham Pa Fa, soit « La grotte aux Bouddhas ». À l’entrée, les laotiens font leur beurre et font payer le parking, le droit d’entrée, la ballade en bateau et la location de jupe si la demoiselle n’est pas assez couverte. Je me retiens de demander si ils ne vendent pas de l’air en cannette.
Nous pénétrons dans la grotte proprement dite, une belle pièce qui présente de jolies stalactites et autres concrétions. Par un trou dans le sol, on peut apercevoir au-dessous les eaux turquoises d’un petit lac souterrain, du plus bel effet. Le lieu serait magique s’il n’avait pas été complètement dénaturé, avec ajout d’escaliers en ciment, grilles, néons multicolores et caméras de surveillance… Il y avait pourtant un pas entre installer quelques bouddhas assortis d’une poignée de cierges et transformer une merveille de la nature en magasin chinois ! Nous repartons donc déçus, et sous les regards noirs d’une gardienne qui aurait sans doute apprécié que nous glissions en plus quelques billets dans les urnes prévues à cet effet.
Nous trouvons une pépite plus authentique un peu plus loin. Un escalier à flanc de falaise mène dans une grande cavité qui nous engloutit et nous révèle une salle immense, traversée de part en part de cordes tendue desquelles pendent des fanions multicolores. Quelques bouddhas disposés dans un coin sur un autel discret veillent à la tranquillité du lieu.
Tout en bas de la grotte, une rivière souterraine a creusé son chemin. On peut apercevoir quelques mètres plus loin une piscine naturelle éclairée par un puits de lumière, avant que le cours d’eau ne s’engouffre à nouveau dans la gueule béante de la montagne. Peut-être pour déboucher sur un paradis comme dans le Voyage au Centre de la Terre ?Réprimant une envie violente d’y acheminer une paire de kayaks et du matériel de spéléo, je ressors à l’air libre. Je crapahute une quinzaine de minutes dans les roches à l’extérieur à la recherche du puits, en vain. Sur le chemin du retour, je suis hanté par la vision fantasmée de ce trou au milieu de rien, avec au fond la tache bleu-vert de l’eau. Comme un œil qui regarderait le ciel.
Il est à nouveau temps de plier bagages et de reprendre la route. Notre bus s’ébroue, crache un paquet de suie puis démarre péniblement. Direction Vientiane, la capitale.
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Se mettre au vert
Après Siem Reap, nous traversons le pays pour nous rendre au Mondolkiri, province du Sud-Est du Cambodge. Le chauffeur du minivan roule à tombeaux ouverts sur les routes en lacets de cette région de collines pelées et de vallées verdoyantes. Nous arrivons finalement à Sen Monorom peu après la nuit tombée. Chef-lieu de province, l’endroit semble encore hésiter entre la grosse bourgade et la petite ville. C’est la halte incontournable pour tous les amateurs de trekking, venus marcher quelques heures ou quelques jours dans les jungles de la région. Nous nous trouvons environ à 800m au-dessus du niveau de la mer et le thermomètre chute sous les 20°C la nuit : pour la première fois de notre voyage, nous avons un peu froid et sortons les pulls ! Les cambodgiens, eux, ont carrément opté pour la doudoune et le bonnet…
Ici, tous les restaurants et guesthouses proposent des excursions. Nous décidons de partir une journée avec Thorn, un cambodgien dans la trentaine qui a créé son propre business de trekking et de rencontre avec les éléphants. Le Mondolkiri est en effet réputé pour sa population de pachydermes, domestiques comme sauvages, qui ne cesse pourtant de décliner d’année en année. En cause, la déforestation qui détruit leur habitat naturel mais aussi les croyances des bunongs, une ethnie qui vit près de la forêt. Cette dernière notion nous a laissé perplexes, aussi avons-nous demandé à Thorn de l’éclaircir pour nous.
Contrairement aux khmers bouddhistes, les bunongs sont animistes et leur vie est régulée par un certain nombre d’interdits religieux. Malheur à ceux qui les enfreindraient : ils encourraient alors le courroux des esprits et devraient alors se répandre en coûteux sacrifices d’animaux. L’une de ces règles stipule que garçons et filles ne peuvent se fréquenter avant le mariage, encore moins avoir un enfant. D’autre part, il faut savoir que les éléphants sont considérés par les bunongs comme les seuls animaux dotés d’une âme. Ils sont donc traités comme les êtres humains sur bien des aspects : ainsi, si un éléphant décède dans le village, il est inhumé et bénéficie de funérailles similaires à celles d’un villageois. Il en découle qu’éléphants mâles et femelles n’ont pas le droit de se reproduire, leur union n’étant pas légitime aux yeux des esprits… et comme la coutume bunong ne prévoit pas de mariage d’éléphants, il ne peut donc être question d’éléphanteau…CQFD. Certains ont bien essayé de faire fléchir les aînés des villages bunongs sur la question, Thorn en tête, mais sans succès jusqu’à présent. Quand un éléphant mâle entre en rut, il est temporairement mis à l’écart par les cornacs afin d’éviter l’irréparable. « Et quand les bunongs veulent un nouvel éléphant, comment font-ils ? », vous demandez-vous sans doute. C’est simple : des pisteurs aguerris s’enfoncent dans la jungle jusqu’à repérer une famille de pachydermes et, après une longue période d’observation, capturent un éléphanteau. Celui-ci est alors dressé pour obéir aux ordres de ses cornacs afin d’être ensuite partagé entre plusieurs familles et servir, en gros, de tracteur bon marché.
Si l’on décompte les éléphants vendus pour servir d’attractions à Siem Reap et ceux qui meurent de vieillesse, on comprend dès lors qu’il ne reste plus qu’une cinquantaine d’éléphants domestiques dans toute la province. Plusieurs projets d’ONG plus ou moins réglos ont vu le jour afin de protéger les mammifères et attirent de nombreux volontaires occidentaux mais aucune, à notre connaissance, n’a pu mettre en place un programme de reproduction à ce jour.
Nous nous enfonçons donc dans la jungle en compagnie de Thorn et de quelques autres touristes. Il nous emmène à la rencontre d’Happy Lucky, une belle dame de 52 ans et 2,7 tonnes, qu’il loue à un paysan bunong. Nous entendons d’abord une cloche tinter au loin, puis la voilà qui émerge des bambous. Les proportions de l’animal, l’impression de puissance phénoménale qui s’en dégage et enfin le fait de se trouver à portée de trompe : dans un monde où les starlettes habillent leurs chihuahuas, la scène est agréablement rafraichissante ! Heureusement pour nous, nous ne sommes pas face à un éléphant de guerre khmer du Xème siècle mais aux côtés d’une brave bête relativement docile qui ne présente pas de danger, tant que nous n’essayons pas de lui voler son goûter. Un peu plus tard, un touriste israélien a la sottise d’essayer de lui reprendre la canne à sucre qu’il lui avait donné et nous avons tous une petite montée d’adrénaline quand Happy Lucky esquisse un mouvement brusque dans sa direction, avant que son cornac n’intervienne pour la calmer, juste à temps. Au Mondolkiri, il semble que les différents organisateurs de treks se soient mis d’accord pour ne pas proposer aux touristes de monter les éléphants, justifiant leur choix par le désir de vouloir éviter de les transformer en attraction. Nous nous contentons donc de marcher à ses côtés, environnés par les bruits de la jungle et charmés par la présence de notre volumineuse hôte. J’ai l’impression d’avoir été téléporté dans le Monde Perdu de Conan Doyle.
C’est ensuite l’heure du bain. L’éléphant pénètre dans la rivière et nous sommes invités à la rejoindre pour aider le cornac à laver l’animal. En réalité, Happy Lucky serait bien capable de se laver toute seule, merci beaucoup, mais la promesse de pouvoir se baigner avec un éléphant est un solide argument de vente pour Thorn et ses homologues... En voyant le visage de Camille s’illuminer d’un grand sourire, je me dis pourtant que ça en valait la peine.
Nous quittons donc Sen Monorom heureux, en formulant toutefois des vœux silencieux pour la survie des éléphants du Mondolkiri.
Le minivan bondé cahote sur la route menant à la frontière. Des 2 côtés de la route, les arbustes sont rouges de poussière de latérite soulevée par motos et camions. Le monde est repeint couleur rouille. Nous croisons quelques hommes en treillis dépareillés, errant le long de la piste, une kalashnikov en bandoulière. Nous traversons une région d’arbres calcinés dressés vers le ciel au-dessus d’une terre noire comme l’enfer. Paysage de fin du monde, reflet des pratiques agricoles locales. Le même cycle se répète sans cesse: déforestation agressive, désherbage par le feu puis quelques récoltes avant que la terre ne soit abandonnée, exsangue. Morte.
Nous arrivons finalement au no man’s land qui sépare le Cambodge du Laos. Sans surprise, nous y subissons le racket ordinaire des frontières du sud-est asiatique. Le visa nous coûte chacun 10$ de plus que le montant officiel et il n’est pas question de discuter, sous peine de voir le bus partir seul et les passeports attendre indéfiniment sur un coin de bureau déserté de ses gardes de pacotille…
Premiers kilomètres en bus en République Démocratique Populaire du Laos. Nous retrouvons sans enthousiasme la faucille et le marteau et, après une visite au bureau de change, devenons millionnaires pour la deuxième fois de notre voyage : cette fois en kips, la monnaie nationale. Le bus nous dépose à Ban Nakasang, petit port endormi au cœur de la région des « 4000 îles ». Ici, le Mékong s’élargit jusqu’à devenir une vaste étendue de 13 km parsemée d’îlots innombrables, comme autant de confettis jetés dans une mare par quelque dieu dans l’enfance.
Une rapide traversée nous permet d’accoster sur Don Det. Petite île autre fois paradisiaque dont le secret s’est éventé, elle est à partiellement couverte de guesthouses, bars et restaurants. Le soleil part se coucher comme un voleur, laissant pour tout souvenir un halo pourpre au-dessus des berges. On distingue encore une heure les îlots environnants, esquissés à l’encre de chine sur la laque miroitante du fleuve. Le silence n’est alors rompu que par la musique diffuse des bars et le murmure lointain des barques à moteurs. Au loin, quelques pêcheurs manient leurs filets à la lueur d’une lampe frontale.
Camille et moi sillonnons Don Det et sa jumelle Don Khone, juchés sur des vélos de ville grinçants. Slalomant entre les poules et leurs nids, nous traversons la campagne jusqu’aux chutes du Mékong. Li Phi signifie « le gouffre aux esprits ». Les laotiens sont bouddhistes et animistes tout à la fois. Ils sont donc persuadés que des esprits les entourent de toute part. Pour les laotiens, les chutes d’eau concentrent les esprits et ils évitent en conséquence de s’y baigner. Il n’en reste pas moins que la vue de ces chutes est magnifique.
Le Mékong - qui nous avait paru jusque là un gentil monstre indolent- explose ici en trombes d’eau qui dévalent le long de roches abruptes dans un fracas assourdissant. Aux chutes de Phapheng, les plus imposantes d’Asie du Sud-Est, le Mékong n’est plus que torrents et flots en furie sur une largeur d’un kilomètre, ce qui a valu à ces chutes le surnom de Niagara d’Asie. On ne peut s’empêcher de ressentir un peu de compassion pour Doudart de Lagrée et les hommes de son expédition, partis explorer le Mékong au XIXème siècle. Les 4000 îles et leurs chutes ont porté le coup fatal à leur rêve de voir un jour un vapeur rejoindre la Chine au départ de Saïgon. Un coup dur pour l’Indochine Française qui souhaitait établir une nouvelle voie commerciale avec l’Empire du Milieu.
Nous partons ensuite pour une excursion en kayak sur le Mékong, ravis de pouvoir nous déplacer sur les flots autrement qu’accompagné par le bruit d’un moteur. Nous profitons de pouvoir nous baigner sur des plages tranquilles et aux pieds de chutes splendides. Nous apercevons même quelques dauphins d’eau douce batifoler au loin. Comme les éléphants du Mondolkiri, les dauphins du Mékong ne sont maintenant plus qu’une poignée. Qui sait s’il y en aura encore le jour où nous voudrons les montrer à nos enfants ? Une chose est sûre, ce voyage nous aura déjà ouvert les yeux sur la tragédie des espèces en voie d’extinction mieux que n’importe quel documentaire de Nicolas Hulot.
Notre séjour à Don Det s’achève en nous laissant des sentiments mitigés. Comme touts les lieux d’une vertigineuse beauté, l’île souffre d’un bouche à oreille ayant trop bien fonctionné. La moitié Nord du caillou est à présent envahie de backpackers venu s’y relaxer en buvant des BeerLao devant ses splendides couchers de soleil depuis les terrasses sur pilotis. Les cartes des restaurants parlent d’elles-mêmes : milkshakes et pizzas au cannabis ou encore formule petit-déjeuner « spéciale gueule de bois », alignant doliprane et valium aux côtés des toasts et des œufs brouillés ! Les laotiens, sans doute un peu blasés par l’afflux de touristes, nous paraissent souvent froids. Nos « sabaïdi ! » (bonjour) tombent régulièrement à l’eau, même avec les enfants, et les commerçants tirent des têtes de six pieds de long. Malgré nos efforts pour nous montrer polis et respectueux, ce premier contact avec les laotiens des îles est pour le moins compliqué et contraste sévèrement avec notre séjour cambodgien. Comme lors de notre séjour à Phu Quoc, nous traversons des paysages somptueux mais appréhendons presque d’y rencontrer des gens… Nous allons finir par nous montrer méfiants quand on nous parle d’îles paradisiaques !
Triste effet secondaire du succès de la région ou trait de caractère du peuple laotien ? Seule la suite de notre voyage nous permettra de conclure mais nous sommes bien décidés à accorder la chance qu’il mérite à ce pays, dont nous n’avons par ailleurs entendu que du bien.
Nous laissons donc les 4000 îles derrière nous et mettons cap au Nord. Dorénavant, nous longerons le Mékong pour remonter par étapes vers Vientiane, la capitale.
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Hors-série #1 : les temples
Avec ce premier hors-série, nous testons un nouveau format d’article. Nous y donnons quelques nouvelles de nous deux, dressons un petit “bilan en cours de route” et publions quelques photos supplémentaires pour vous faire patienter avant la suite...
Voilà déjà un peu plus d’un mois que nous voyageons en Asie. Nous tenons le timing que nous nous étions préalablement fixé. Après 15 jours au Vietnam, nous sommes au Cambodge où nous entamons notre remontée vers le Nord-Est du pays. Nous projetons d’entrer au Laos par voie terrestre dans environ une semaine.
Jusqu’ici, nous n’avons pas eu trop de pépins. Les plaies de Camille sont à présent complètement guéries et nous n’avons quasiment pas été malades. Nous nous sommes faits à la chaleur (ne riez pas, il fait chaud quand on pédale par 35°C ! ), ainsi qu’au rythme du voyage. Après quelques jours dans une nouvelle ville, il faut à nouveau quitter tous ses repères pour repartir vers l’inconnu... mais cette vie faite de mouvement nous va bien. Nous n’avons pas encore trop le mal du pays, même si certaines choses nous manquent parfois, comme le fromage ou la famille (dans cet ordre !).
Concernant cette première partie de notre périple, voilà une liste non exhaustive de nos coups de coeurs et des inévitables petites déceptions :
Les moins :
- La circulation infernale à Saïgon, avec ses klaxons et sa pollution.
- Le sens du business de certains vietnamiens...
- les touristes en masse à Siem Reap et le manque de savoir-vivre de certains d’entre eux.
Les plus :
- les belles rencontres de notre parcours, aupremier rang desquelles Thuy, l’institutrice vietnamienne au grand coeur.
- Le Cambodge et les cambodgiens, que nous retrouvons avec plaisir ! Nous sommes vraiment attachés à ce pays magnifique et à ses habitants dont les sourires nous donnent la patate !
- L’excellent accueil que j'ai reçu (Benjamin) dans les clubs de jiu jitsu de Saïgon et de Phnom Penh.
Un dernier petit mot, pour vous dire que nous avons été très touchés par les encouragements concernant notre blog, ainsi que par les messages de félicitations reçus après l’annonce de nos fiançailles. Un grand merci à tous ! Il nous reste encore deux mois et demi de voyage avant de vous retrouver... d'ici là, à bientôt sur le blog !
Et maintenant, le carnet photos :
Une des 5 portes de la cité d’Angkor Thom. Les experts ne savent toujours pas précisément qui ces visages représentent. Brahma, le dieu hindou ? Ou bien s’agit-il d’une façon symbolique de représenter les 4 vertus du Bouddha (bienveillance, compassion, altruisme et détachement) ? Pourrait-il s’agir encore de Jayavarman VII, ce roi du XIIème siècle qui ordonna la construction de la cité ? Les pierres gardent leur mystère mais les visages tournés vers les 4 points cardinaux continuent à veiller sur le Royaume de leurs regards bienveillants...
Les 3 tours d’Angkor Vat sont célèbres et ont fait le tour du monde. Au Cambodge, on les décline à l’infini : sur les billets de banque, le drapeau national, les cannettes de bière mais aussi en peintures, t-shirts, nappes, couvre-lits et porte-clés !
Le Beng Mealea, temple envahi par la jungle...et les touristes chinois ! Nous n’avons pas résisté à sortir du parcours officiel pour aller faire un tour en coulisses.
Ce magnifique naga (serpent mythologique à 5 têtes) a été découvert lors des fouilles au Beng Mealea. Enterré durant des siècles, il a été protégé des éléments et a pu conserver un niveau de détails incroyable...
Un des nombreux frontons rencontrés au fil de nos visites des temples. Un peu commes les vitraux de nos églises, ils représentent des scènes issues de la mythologie hindoue ou bien de la vie du Bouddha, en fonction de la période à laquelle l’édifice a été construit. Se promener dans les temples en détaillant ces gravures nous donne l'impression de lire les légendes sacrées des anciens khmers racontées en bande dessinée.
Sur ce fronton, situé au Beng Mealea, on peut voir des personnages de haut rang assis côtes à côtes. En-dessous, on distingue un homme allongé dans l’eau, au milieu des fleurs de lotus. Il s’agit peut-être d’un ermite dont la légende raconte qu’il méditait dans les eaux d’un fleuve sacré.
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Pour cette troisième vidéo, nous vous emmenons visiter le Banteay Kdei, l'un des nombreux temples d'Angkor. Prêts ? Alors c'est parti !
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Au coeur d’Angkor
C’est encore sous le charme des danseuses de Phnom Penh que nous reprenons la route pour Siem Reap, ville au Nord du pays située à 8 kilomètres des célèbres temples d’Angkor. Nous aurions pu, comme les explorateurs du passé, prendre un bateau pour traverser le Tonlé Sap, mais cela nous aurait coûté 5 fois le prix de nos billets de bus. Quant à faire le trajet depuis la ville jusqu’aux temples à dos d’éléphants, ils ne faut plus guère y compter : après un siècle, le Cambodge a beaucoup plus de goudron et beaucoup moins de pachydermes. Les quelques spécimens restants servent à promener les touristes pour 20 dollars de l’heure.
Siem Reap est le passage obligé pour les millions de visiteurs qui viennent au Cambodge pour visiter les palais des devarajas, les anciens dieux-rois khmers. La ville se développe donc à grande vitesse pour pouvoir loger, nourrir et divertir ces masses affluant chaque jour. Impossible ici de faire 100m sans passer devant au moins un hôtel : depuis les dortoirs pour routards fauchés jusqu’aux palaces 5 étoiles, l’offre est complète. Au marché, on vend des babioles importées de Chine par containers entiers : peintures des temples, sculptures modernes et fausses antiquités, vêtements contrefaits, etc… on y trouve même des plaques représentant « Tintin à Angkor », alors que le pauvre n’y a jamais mis les pieds. Hergé doit se retourner dans sa tombe !
Déambuler dans les allées du marché peut vite se révéler épuisant, à cause de la foule et des sollicitations incessantes des vendeuses. A peine sortis, ce sont les chauffeurs de tuk-tuks et les rabatteurs des restaurants qui nous alpaguent : une compétition acharnée où c’est à celui qui fera le plus de bruit et de gestes pour attirer l’attention du client potentiel. Nous percevons la transformation subie par la ville à ses nombreux hôtels en construction mais aussi à l’augmentation du coût de la vie. Dans le centre-ville, les prix des chambres, des repas et des courses en tuk-tuks sont bien souvent multipliés par 2 ou 3. Signe des temps, le prix des billets pour visiter Angkor a lui aussi grimpé de 50% ! Un pass 3 jours pour les temples coûte à présent 55€… sur ce montant, combien revient à la préservation du site ? Par chance, nous achetons les nôtres la veille de la mise en place de la nouvelle grille tarifaire, mais avec un brin de tristesse en pensant à l’avenir.
Les blessures de Camille ne sont déjà plus qu’un souvenir et nous sommes plus motivés que jamais pour profiter au maximum de notre séjour à Siem Reap. Fidèles à notre habitude, nous louons deux vélos et filons plein Nord sur le boulevard Charles de Gaulle, l’axe qui relie Siem Reap aux sites archéologiques. Après une petite demi-heure de route, nous voyons enfin les tours d’Angkor Vat apparaître au loin. C’est avec un plaisir certain que nous retrouvons ces majestueux édifices, mais avec une franche déception que nous retrouvons aussi les milliers de chinois et de coréens qui viennent eux aussi les visiter. Y en a-t-il davantage que lors de notre dernier passage ? Difficile à dire, mais nous avons une conscience aiguë de ces hordes qui se pressent et se bousculent, armées de leurs perches à selfie. Qu’on le veuille ou non, Angkor est maintenant une attraction pour tourisme de masse. Dans ces lieux sacrés où les divinités sont encore vénérées par la population, on se prend en photo devant les statues de Bouddha et on s’assoit sur les lions de pierre… Nous avons même vu une touriste française insister pour se faire prendre en photo avec des moines, avant de leur proposer des dollars en échange ! Son guide eut toutes les peines du monde à essayer de lui faire comprendre qu’elle devait d’abord se découvrir en signe de respect, et qu’elle n’avait pas le droit de toucher les bonzes, encore moins de leur donner quoi que ce soit en échange d’une photo…
Angkor Vat, le temple le plus connu du site, est donc victime de son succès. Chaque jour, au lever du soleil, des milliers de personnes s’agglutinent sur ses pelouses pour pouvoir prendre leur photo des célèbres tours. Les touristes partent ensuite à l’assaut du bâtiment, bien souvent au pas de course quand leur tour opérateur a prévu de leur faire voir le circuit complet en une seule journée ! Au pied de l’escalier qui mène au sanctuaire central, ils font la queue sur 200m, attendant leur tour de pouvoir monter au saint des saints, où certains sont surpris d’apprendre qu’on ne peut pas pénétrer en mini-short…
Allergiques à ces foules, nous nous écartons des lieux les plus connus, enchaînant les kilomètres à vélo pour retrouver nos temples favoris et en découvrir d’autres. Nous pénétrons ainsi discrètement et tout à fait illégalement au Bayon, avant le lever du soleil et l’heure d’ouverture du temple. Eclairé d’une lampe faiblarde, nous progressons dans le sanctuaire, complètement seuls. Nous profitons d’une vingtaine de minutes de paix totale avant qu’un gardien attentif ne vienne finalement nous en déloger poliment. Impossible pourtant d’oublier l’atmosphère de ces galeries désertes et le silence des lieux, uniquement rompu par les cris des chauves-souris.
Une autre fois, c’est auprès d’une des immense porte à visages d’Angkor Thom que nous nous rendons, boudée par les chinois car trop excentrée. Nous atteignons la tour à visage entourée par la forêt tandis qu’une pluie tiède se met à tomber, criblant le sentier en latérite. Sur le chemin de ronde, je reste debout de longues minutes devant l’un de ces visages de pierre géants qui sourit de manière énigmatique. L’impression de converser avec un dieu des temps anciens…
Plus tard, nous décidons de partager un tuk-tuk avec un couple de français rencontré à Phnom Penh. Direction le Beng Mealea, temple en ruines situé à 60 kms de Siem Reap. L’édifice, laissé dans sa gangue végétale, n’a pas été restauré, offrant aux visiteurs un peu du frisson de leur découverte. Seule incartade à la beauté sauvage du site, une passerelle en bois a été aménagée afin d’éviter aux touristes d’aller s’aventurer dans les pierres pour s’y tordre une cheville. Hélas, malgré notre départ matinal de Siem Reap, nous arrivons en même temps que les cars sino-coréens. Sur le chemin balisé, c’est la cohue des grands jours : chacun veut se faire tirer le portrait devant un bas-relief qu’il a à peine regardé… un peu excédé, c’est à coup d’épaules que je me fraie un chemin dans cet masse compacte d’appareils photos brandis dans toutes les directions.
Qu’à cela ne tienne, à la première occasion, nous prenons la poudre d’escampette en escaladant un mur d’enceinte. Hors du circuit officiel, plus un chat. Le temple est si grand que nous n’entendons plus que le bruit de la jungle qui nous entoure. Nous nous frayons un chemin dans les galeries éboulées, jouant les équilibristes sur les racines des fromagers, ces arbres dont les racines s’insinuent partout. Nous avançons lentement, car l’édifice n’a pas été consolidé dans ces zones interdites au public. Sur les frontons sculptés avec soin, des scènes représentent Vishnu sur Garuda, son serviteur ailé, ou encore des temps forts du Ramayana, la célèbre épopée hindoue. Des devatas - déesses gardiennes aux yeux en amande-, surveillent notre progression. Nous quittons enfin les lieux, émerveillés, après une longue balade au milieu des ruines.
Nous retournons également au Pre Rup, temple montagne en brique ocre datant du Xème siècle et dédié à Shiva. Comme en 2013, nous arrivons là-bas en fin d’après-midi, toujours un peu surpris de l’air faussement maya de cette pyramide à 5 étages. Nous trouvons un coin tranquille près de deux tours en briques abritant lingas et yonis, les attributs de la divinité. Le jour baisse peu à peu sur la plaine. C’est un moment de réflexion, sinon de recueillement, où nous mesurons le chemin parcouru tous les deux depuis notre précédente visite. Durant ces 4 années, Camille et moi avons appris à nous connaître. Partageant la même soif de découvertes, nous avons marché ensemble, mais aussi nagé, pédalé, pagayé… Au moment de souffler les bougies du quatrième anniversaire de notre histoire, que souhaiter de plus que de pouvoir cheminer encore longtemps côte à côte ?
C’est donc ici, au Pre Rup et dans le jour déclinant, que je demande Camille en mariage. Les mots se précipitent un peu dans ma bouche et la bague n’est pas de première qualité mais tant pis : Camille me dit oui et c’est tout ce qui importe…
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Musique traditionnelle live au Musée National de Phnom Penh
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Retour à Phnom Penh
Nous quittons Kampot en bus. Après 4 heures de trajet, nous arrivons à Phnom Penh. Étrange sentiment que de revenir 4 ans après dans cette capitale où nous avions vécu le temps d’un stage à l’hôpital Calmette. Les souvenirs refluent, tandis que nous traversons la ville en tuk-tuk : le centre-ville nous est resté familier, bien que la circulation soit plus importante et que de nombreux bâtiments soient sortis de terre. Nous nous rendons à la même guesthouse où nous avions séjourné…et on nous reconnait ! Les gérants et les chauffeurs de tuk-tuk du quartier n’ont pas changé, et la plupart se rappellent de ces deux barangs qui jouaient au billard ou aux échecs en fumant des Alain Delon – les cigarettes locales -, après leur journée de travail. Cette fois-ci nous ne restons qu’une semaine mais « Philippe », le manager, nous accorde tout de même la remise réservée aux habitués…
Nous commençons par aller consulter un médecin français pour deux égratignures que Camille s’était faites au Vietnam et qui tardent à cicatriser malgré nos soins. Nous savons que la moindre écorchure peut très vite s’infecter en milieu tropical, aussi préférons-nous jouer la prudence. Pour finir, rien de méchant mais Camille en est quitte pour une semaine d’antibiotique et deux petits pansements à refaire tous les jours. Heureusement, elle voyage avec son infirmier personnel !
Nous louons ensuite deux vélos pour sillonner la ville à notre rythme, une solution plus économique que les tuk-tuks et qui nous permet d’aller et venir au gré de nos envies. Nous nous réhabituons très vite aux boulevards phnom penhois, qui nous paraissent bien calmes par rapport aux grands axes embouteillés d’Hô Chi Minh Ville. Pourtant, impossible de ne pas remarquer que la ville se « saïgonise » peu à peu : trafic en augmentation, prix en hausse, projets immobiliers délirants et sans âme … tous ces changements finiront peut-être un jour par rendre cette ville méconnaissable. Nico, un expatrié français que nous avions connu en 2013, nous confirme que les chinois investissent massivement en ville, y achetant du terrain pour y construire bureaux et hôtels. Une invasion silencieuse que l’État ne semble pas vouloir ralentir, trop heureux de ces retombées financières pour penser à protéger son patrimoine.
Nous savons cependant que Phnom Penh recèle aussi des trésors, que nous découvrons ou redécouvrons avec plaisir. Ainsi du Wat Phnom, pagode bouddhiste entourée de verdure et très fréquentée par les cambodgiens. Nous retournons également au Musée National : magnifique bâtisse construit par l’Ecole Française d’Extrême-Orient pour abriter les stèles et statues découvertes dans les temples du pays, en particulier ceux d’Angkor.
Juste à côté, le Palais Royal a vue sur la rivière Tonlé Sap. Après nous être acquitté du prix d’entrée exorbitant de 10 dollars chacun, nous déambulons dans son enceinte. Si l’on ne peut observer la salle du trône qu’ à distance, il est en revanche possible de visiter la Pagode d’Argent. Son nom provient du fait qu’elle est carrelée de plus de 5000 dalles en argent massif, dont les fleurs de lys fleurent bon le protectorat français ! A l’intérieur, profusion de bouddhas richement ouvragés, dont l’un en taille réelle fait d’or et incrusté de diamants.
Le soir, nous retrouvons Nico qui a ouvert un bar dans notre quartier. Dans ce lieu décoré d’objets chinés et entouré de fresques de street art, nous discutons de tout et de rien autour d’un verre. Nico se sent bien dans sa ville d’adoption, où il vit depuis 6 ans. Il nous explique comme il est bien plus facile de créer son affaire ici qu’en France : les loyers sont modestes, les tracasseries administratives réduites au minimum et chacun peut ainsi se lancer, à condition de bénéficier d’un petit guidage par un cambodgien. Nico vient d’ailleurs de s’embarquer dans un deuxième projet avec deux amis : un lieu à mi-chemin entre le bar design, la galerie d’art et le magasin vintage, situé dans un quartier branché à deux pas du Palais Royal.
Le jour baisse alors que nous devisons tranquillement autour d’un fût en métal transformé en comptoir. Il fait encore 30°C dehors. Quelques enfants jouent en se courant après, tandis que les chauffeurs de tuk-tuks comment à boire leur paye. Une journée de plus à Phnom Penh…
Je me lève le matin à 6h pour me rendre à un cours de jiu jitsu. Je n’ai pas abandonné l’idée de m’entraîner dans chacun des pays de notre itinéraire. Le club local loue une salle au 3ème étage d’un petit immeuble de bureaux. On passe donc devant les vitres des cabinets d’avocats avec son kimono sur l’épaule. L’atmosphère est conviviale mais concentrée, chacun ayant à cœur de progresser, chaque jour un peu plus, dans la maîtrise de son art. En plus des quelques cambodgiens, on rencontre de nombreux voyageurs ou expatriés venus d’un peu partout : espagnols, kazakhs, polonais, américains, français… En fin de cours, je fais quelques combats avec les autres élèves. L’ambiance est bon enfant et chacun est soucieux de ne pas blesser l’autre. On ne me fait pas de cadeau pour autant et c’est épuisé par l’effort et la chaleur que je sors du bâtiment pour rentrer en vélo à la guesthouse.
Dans les rues, je perçois une odeur d’encens et de viande grillée. il est encore tôt, Phnom Penh s’éveille. Encore un peu sonné par l’entraînement, je croise des moines dans leur robes safran qui parcourent la ville pour mendier leur nourriture. Une sorte de joie paisible m’envahit alors que je pédale sur le boulevard Monivong, encore calme à cette heure.
De retour à la guesthouse, je manque presque de trébucher sur le cochon entier déposé devant l’autel des ancêtres. D’habitude, les khmers y déposent quelques fruits et un peu d’encens, voire du café et une cigarette, mais une telle offrande sort vraiment de l’ordinaire. Je demande à un cambodgien si l’on fête quelque chose: « Oui, le nouvel an chinois… » me répond-il, encore un peu endormi. En quittant le Vietnam un peu avant le têt, j’avais complètement oublié que le nouvel an lunaire est fêté dans toute l’Asie. C’est donc jour de fête ! Le midi, les cambodgiens de la guesthouse et des commerces alentours dressent une grande table dans la rue et nous invitent, ainsi que d’autres voyageurs de passage, à partager leur repas. Nous avons aussi droit à des bières gratuites et à des fruits à volonté. Le ventre plein, nous sommes finalement obligés de décliner les offres des khmers qui veulent encore nous resservir !
Alors que tout le monde profite de la fête, je sors l’appareil polaroid de Camille et réunit nos hôtes pour une photo « de famille ». Quand ils voient le cliché sortir immédiatement de l’appareil, c’est un véritable délire qui s’empare des convives ! Ils explosent littéralement de joie et nous redemande de les photographier encore et encore…
La fête se prolongera encore tard dans la nuit, au son d’une musique pop asiatique et des rires tonitruants des chauffeurs de tuk-tuks qui n’ont pas cessé de boire depuis le matin.
Nous profitons de nos derniers jours à Phnom Penh pour acheter quelques souvenirs au marché. Les négociations vont bon train et nos quelques mots de khmer font des merveilles. Les cambodgiens, plus que tout autre peuple qu’il nous ai été donné de côtoyer, adorent qu’on fasse l’effort d’apprendre leur langue. Ils nous accordent donc de belles ristournes et de jolis sourires, ce qui ne gâche rien. Nous ponctuons nos ballades de repas délicieux et bons marchés dans des restaurants khmers : amok de poulet (préparation au curry et au coco), lok lak de bœuf (morceaux de bœuf revenus au wok, caramélisés et servis avec une sauce poivre et citron) et même l’un des meilleurs bo bun que nous ayons jamais mangé…
Avant de faire nos adieux à la ville, nous nous rendons un soir au Musée National, dans l’enceinte duquel a lieu un spectacle de danses traditionnelles qui vaut parait-il son pesant de noix de cajou. La tradition orale au Cambodge a beaucoup souffert de la période khmère rouge, aussi de nombreuses œuvres de la culture cambodgienne ont tout bonnement disparues avec leurs interprètes : musiciens, danseurs et conteurs. Un cambodgien ayant immigré aux Etats-Unis a alors décidé de revenir dans son pays et y a créé une fondation, Living Arts Cambodia, qui a pour vocation de faire revivre ces arts perdus et de les enseigner à nouveau. C’est sa compagnie de danse que nous sommes venus voir ce soir.
Dès les premières notes de musique, je sens immédiatement que nous assistons à quelque chose d’à part. Cette musique d’Extrême-Orient, tantôt plaintive, tantôt enjouée, nous ensorcèle immédiatement. Les danseurs en costumes esquissent des mouvements au rythme des percussions. Hypnotisés, nous les suivons du regard tandis qu’ils interprètent une danse rituelle qui avait lieu dans les villages d’une province éloignée du pays. Ils avancent, reculent, bondissent et se figent en poussant des cris, parfaitement synchrones avec les musiciens qui jouent à quelques mètres d’eux. Les tableaux se succèdent, tous aussi saisissants les uns que les autres : combats des dieux et démons issus de l’épopée hindou du Ramayana ou danses folkloriques d’ethnies montagnardes… Ensuite, c’est autour de jeunes femmes cambodgiennes d’aujourd’hui, revêtues de costumes traditionnels, d’effectuer une danse vieille de plusieurs siècles. Pour nous qui avions pu admirer les apsaras gravées sur les murs des temples d’Angkor, l’impression de les voir prendre vie sous nos yeux est à couper le souffle.
La musique accélère puis ralentit, en même temps que les récitations lancinantes des chanteuses. Les doigts des danseuses adoptent des courbures invraisemblables, leurs bras dessinant dans l’air des figures qui s’effacent aussitôt, comme de la fumée d’encens. Les mouvements gracieux de ces nymphes célestes nous transportent en d’autres temps. Peut-être à l’époque où Pierre Loti, invité par le roi Norodom, assistait aux mêmes danses confortablement installé au Palais Royal ? Ou bien encore plus loin dans le passé, à la cour de quelque dieu-roi angkorien, dans la moiteur des nuits tropicales…
C’est une invitation au voyage que nous offrent Phnom Penh et cette compagnie de danse. Une invitation à laquelle nous comptons bien répondre. C’est décidé, demain nous partons pour Siem Reap, la ville aux portes des temples d’Angkor.
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On dirait le Sud
Notre minibus avance sur la route nationale qui longe la côte. Nous dépassons des motards à la peau brune qui roulent sans casque. De chaque côté de ce long ruban d’asphalte brûlant défilent des maisons en bois sur pilotis entourées d’un petit terrain où broutent quelques vaches. Au loin, on aperçoit les reliefs arborés de la Chaîne de l’Éléphant. Pas de doute, nous sommes bien au Cambodge. J’observe Camille, qui arbore comme moi un large sourire : nous sommes sur la même longueur d’onde. Revenir dans ce pays après 4 ans, c’est un peu pour nous comme rendre visite à une tante éloignée : la promesse de journées paisibles, de souvenirs en pagaille et de bons petits plats…
Notre bus nous dépose à Kampot, ville poussiéreuse posée en bord de rivière. Nous hélons un tuk-tuk, ravis de laisser derrière nous les taxis climatisés vietnamiens. Je négocie le tarif en khmer avec le chauffeur, ce qui nous donne à tous les deux la banane. Il accepte même de se faire payer en monnaie vietnamienne car je n’ai pas encore de dollars. Il ouvre des yeux ronds quand je lui tends 50 000 dongs : il ne connait pas le taux de change mais accepte de les prendre, satisfait, quand je lui affirme que cela vaut bien 2 dollars… Bienvenu au Cambodge ! Ici, si l’on se plante en donnant trop d’argent, on vous rend les billets en excès…
Dans les rues, point de statues dorées de révolutionnaires marxistes, mais des représentations plus concrètes : durian et noix de coco monumentales ou encore crabe géant à l’entrée de la ville voisine de Kep-Sur-Mer. Ce côté terre-à-terre me plait bien.
Nous posons nos sacs à la Tiki Guesthouse, une auberge au bord de l’eau où flotte le gwenn-a-du et qui nous avait ��té recommandé depuis la Bretagne. C’est une de ces haltes pour backpackers fourbus qui fleure bon l’aventure. On y fournit chambre, bière et même galette pour un prix modique. L’endroit tout indiqué pour faire une pause de quelques jours à condition de ne pas avoir la phobie des insectes ou le sommeil léger. Au bar, on descend volontiers une Angkor, la bière nationale, en devisant avec des punks itinérants et des voyageurs à dreadlocks dont les tatouages racontent les vies mouvementées, comme les marins d’autrefois. Le soir, les clients constituent le buffet gratuit des moustiques tandis qu’ils refont le monde avec en fond sonore Manu Chao ou un rock un peu sale.
Ici, on trinque à soi, aux autres, à la vie, aux galères et à tout le reste tandis que le soleil se couche au loin derrière le Parc du Bokor et ses jungles à 1000m d’altitude. Il n’est pas rare qu’au petit-déjeuner les couche-tard de la veille émergent de leur hamacs sans avoir tout à fait dessoulé. Hugo, l’un des barmen, insiste pour me servir gratuitement des shooters en parallèle de mon café : j’ai ainsi l’honneur de goûter, à 9h du matin, un rhum au poivre de Kampot, préparation maison. Il faut l’avouer, c’est plutôt une boisson d’homme… Le chat et les cuisinières khmères ferment les yeux sur les fêtes improvisées de la Tiki. Quand les choses deviennent un peu trop mouvementées, ils opèrent un repli stratégique vers des zones plus calmes, discrets comme des ombres.
Les jours suivants, nous vadrouillons dans l’arrière-pays. Nous visitons ainsi la grotte de Phnom Chhnork, plaie béante dans une colline karstique en pleine campagne. Au fond de la cavité on trouve un très vieux temple en brique datant du VIIème siècle. À l’intérieur, un stalactite a presque rejoint le lingam sacré situé en-dessous, sorte de borne d’aspect phallique dédiée à Shiva.
Notre prochain arrêt est une plantation de poivre tenue par un couple franco-belge. Le projet comporte également une dimension sociale car les gérants parrainent une école locale. Le poivre de Kampot, tout comme celui de Phu Quoc, est réputé comme l’un des meilleurs. La plantation vend même le poivre « le plus rare du monde » : c’est en fait un poivre noir picoré par des oiseaux puis rejetés dans leurs fientes après avoir été transformé en poivre blanc par leur système digestif ! Les graines sont ensuite patiemment récoltées à la main – et nettoyées -, avant d’être vendues à prix d’or comme un met pour connaisseurs…
Nous filons ensuite à Kep, bourgade tranquille de bord de mer où nous étions déjà passés lors de notre dernier séjour cambodgien. Nous adorons le rythme paisible de cette ville, sa plage coquette et ses villas à l’abandon avec les montagnes dans le dos. On pourrait presque se croire dans un village méditerranéen des années 30.
Sur le marché au crabe, nous dégustons poissons et crustacés cuisinés au poivre vert de Kampot : un pur délice. Après cela nous piquons une tête dans une eau à 25°C au milieu des cambodgiens qui se baignent habillés, pudeur oblige. C’est dimanche et les familles sont nombreuses à être venues pique-niquer en bord de mer.
Si nous sommes heureux de retrouver la cuisine et les paysages cambodgiens, nous le sommes tout autant de retrouver les khmers eux-mêmes. Leurs sourires et leur générosités , s’ils ne nous étaient pas connus, pourraient même nous paraître suspects après notre séjour vietnamien… Les illustrations de la gentillesse cambodgienne sont innombrables. Un routard nous raconte ainsi l’histoire de l’un de ses amis qui avait perdu son portefeuille et n’avait plus les moyens de payer le restaurant où il avait une ardoise. Il proposa donc à la cuisinière khmère d’emprunter de l’argent à ses amis pour la payer mais celle-ci refusa catégoriquement, arguant que prendre de l’argent à quelqu’un qui a perdu le sien ne serait pas bon pour son karma…
Autre exemple de cette générosité khmère : l’autre jour je me rends au marché pour y acheter de quoi réaliser un petit travail de couture. Il est 17h30 et la plupart des échoppes ont déjà fermé boutique. J’avise une couturière faisant des heures sup’ et lui demande si je peux lui acheter une aiguille. Elle en prend une devant elle et me la tend.
- Merci, mais j’aurais aussi besoin de fil, dis-je.
Elle ouvre son tiroir et j’en sort une petite bobine de fil bleu pour lui montrer ce qu’il me faut. Elle me la reprend des mains et me donne la même, mais neuve.
- Merci, combien je vous dois ?
Je ne comprends pas sa réponse et la fait répéter :
- Rien, c’est bon ! dit-elle en souriant et me faisant signe de m’en aller.
Ses copines gloussent tandis que je la remercie en joignant les mains. J’aime ce pays.
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Sous le béton, la plage
Le ferry rapide parti de Rach Gia nous dépose à Bai Vong, port de la côte ouest de Phu Quoc. L’île est au large du Vietnam mais se trouve en réalité plus proche du Cambodge. Une vieille bisbille oppose d’ailleurs les deux pays, le Cambodge tentant vainement de faire valoir ses droits sur l’île. Les khmers rouges avaient même tenté de l’envahir en 75, sans succès.
Aujourd’hui, ce sont surtout les touristes qui ont envahi les lieux. A Duong Dong, le chef-lieu, on ne compte plus les hôtels, restaurants et resorts. A en juger par les bâtiments en construction, la frénésie n’est pas terminée. Ivre des gros sous des investisseurs, l’Etat rechigne à légiférer. Seule une bande de 50m à partir du rivage est théoriquement inconstructible… mais un rapide coup d’œil suffit pour s’apercevoir qu’il ne s’agit que d’un vœu pieux. Sur la plage principale, des russes promènent mollement leur surcharge pondérale de bars en salons de massages, une bière à la main. Signe qui ne trompe pas, les enseignes sont rédigées en anglais et en alphabet cyrillique.
Pour fuir ces hordes de conquistadors en slips de bain, Camille et moi prenons la tangente et partons explorer certains des recoins de l’île qui ont échappé aux bulldozers. Les cascades du centre sont un lieu très populaire pour les vietnamiens, qui viennent y pique-niquer en famille, et surtout y boire, à en juger par les détritus et les canettes qui jonchent le sol. Peu d’eau, en revanche, car c’est la saison sèche. Au vu de la musique techno que les jeunes écoutent à fond, il ne doit pas rester un animal dans un rayon de 5 kms… un expatrié rencontré nous confirme que les vietnamiens n’ont pas encore développé de conscience écologique. Leur horizon ne se limite bien souvent qu’à quelques jours et, selon lui, ils ne comprendront vraiment le concept de changement climatique que lorsque celui-ci aura un impact négatif sur le tourisme, et donc sur leurs revenus.
Nous finissons pourtant par accéder à une plage tranquille, après nous être perdus plusieurs fois sur une piste de latérite défoncée. Le lieu est désert. Quelques cocotiers, du sable blanc et, bien entendu des détritus charriés ici par la marée. Les seules plages nettoyées sont celles au pied des hôtels, les autres sont bien souvent difficiles d’accès et dans leur jus : le prix à payer pour goûter à la solitude. Nous profitons de notre trouvaille, sans laisser quelques bouteilles en plastique gâcher notre plaisir.
Un peu plus tard, nous faisons la connaissance d’Éric. Expatrié français, il s’est installé sur l’île il y a 6 ans et y vit depuis avec sa femme vietnamienne et leur fils. Il s’est lancé dans le poivre, dont l’île est réputée produire l’un des meilleurs au monde. Il nous parle de ses produits en passionné, nous montre quelques plants et nous explique en détails les différences entre poivre vert, noir, rouge, blanc, poivre long et poivre des cimes. Ils nous fait chaque fois humer leur parfum, comme lors d’une dégustation d’œnologie.
Eric organise aussi des excursions pour faire découvrir Phu Quoc et son terroir. Nous partons donc avec lui, bien décidés à ramener de notre séjour un autre souvenir que celui d’une station balnéaire victime de son succès. Il nous fait visiter une fabrique de Nuoc Mam, la fameuse sauce de poisson vietnamienne, puis nous emmène dans une « ferme aux abeilles ». L’endroit est en fait un rucher au cœur d’un parc agrémenté d’arbres fruitiers. On y trouve de l’ananas, de la mangue, du durian, du jaquier ou encore du fruit du dragon. C’est dans cet environnement que les employés de la ferme élèvent des abeilles italiennes et vendent ensuite les produits confectionnés à partir du miel récolté : bougies, alcools, sirops, miel à la cannelle... La notion de protection de la nature est en revanche très mise en avant dans cette exploitation. Dans le parc, on trouve des panneaux « Save the bees, save the world ! ». Même si ceux qui nous accueillent à la ferme semblent sincères, une telle débauche de bon sentiment semble presque suspecte. On sait à quel point le tourisme vert et l’artisanat écoresponsable sont vendeurs. Cependant, il semble que les apiculteurs vietnamiens ne soient pas épargnés par les problèmes de mortalité des abeilles, due aux pesticides bien sûr, mais aussi aux braconniers qui saccagent les ruches installées en forêt pour les piller.
Dans les terres, les habitants sont plus pauvres. Les maisonnettes aux toits de tôle laissent parfois place à de petits bidonvilles faits de bâches usées jusqu’à la corde. Nous déjeunons d’un riz frit au crabe dans un restaurant populaire sur pilotis, posé dans une lagune paradisiaque à la pointe Nord de l’île. En face, de l’autre côté de ce bras de mer, c’est Kep, la ville cambodgienne où nous étions venus il y a bientôt quatre ans et où nous retournerons dans quelques jours. À la fin de la journée, il nous faut reconnaître que le pari est réussi : Éric est parvenu à nous faire découvrir d’autres facettes de son lieu d’adoption. Nous le quittons, nos sacs alourdis de produits locaux.
Il est déjà temps de quitter le pays, après 15 jours de voyage dans le Sud, de Saigon à Phu Quoc en passant par le delta. Nous avons l’impression d’être partis depuis déjà bien plus longtemps, tant le dépaysement est total. Nous prenons le bus pour Ha Tien et la frontière Cambodgienne. En route, je m’aperçois que j’ai des sentiments ambivalents à propos du Vietnam. Ses habitants m’ont d’abord paru un peu froids, pressés. Dans les hôtels comme sur les marchés, les négociations étaient très laborieuses et pas toujours menées avec le sourire du côté de nos interlocuteurs. Les vietnamiens, tout les voyageurs rencontrés me le confirment, ont un sens aigu des affaires et sont volontiers un peu filous lorsqu’il s’agit d’argent. Le tourisme de masse et ma compréhension très limitée de la langue n’aident sans doute pas à nouer des relations authentiques.
Heureusement, quelques rencontres nous ont permis de voir les vietnamiens sous un jour différent : notre visite des écoles avec Thuy, notre découverte de Can Tho avec Phuong Nghi ou encore cette fois où la jeune réceptionniste d’un hôtel nous avait invité à partager son repas, sans rien réclamer en retour. Le Vietnam est cependant un pays en rapide développement, comme en témoigne les chantiers de constructions qui fleurissent à travers tout le pays. Les Starbucks Coffee, fast foods et supermarchés gagnent du terrain, donnant aux villes leur aspect de cités asiatiques mondialisées quasi-superposables . Ce boom, assorti d’une pollution galopante, est un peu effrayant. La plupart des routards rencontrés nous avouent ne pas avoir tenu plus de 2 ou 3 jours à Saigon, où la circulation, le bruit et le manque d’espace vert peuvent rapidement devenir un peu suffocants.
À la frontière, nous patientions pour récupérer nos passeports. Nous les avons confiés à la compagnie de bus qui doit assurer notre transfert jusqu’à Kampot. Comme souvent, nous payons un prix plus élevé que le prix officiel : chaque intermédiaire se sucre au passage, un dollar par-ci, un dollar par-là… On nous arnaque aussi sur le taux de change. Il y a pourtant un problème : si Camille récupère son précieux sésame avec le visa demandé, personne ne semble savoir où se trouve le mien ! Le chauffeur de notre bus me fait clairement comprendre que cela n’est pas son problème. Il accepte de prendre Camille mais pas moi car je suis à présent sans papiers… Heureusement pour moi, Camille n’a pas l’intention de me laisser au Vietnam et nous refusons d’être séparés. Le garde-frontière - probablement l’engeance la moins compréhensible qui ait jamais foulé cette terre-, m’envoie également balader après m’avoir jeté un regard torve. J’envisage d’appeler la compagnie mais je n’ai pas leur numéro et le chauffeur est déjà parti… Les choses commencent à sentir le vinaigre.
Je cogite en essayant de trouver une alternative moins coûteuse en temps et en argent que de devoir déclarer la perte du document et aller le refaire au consulat de Saigon. Pendant ce temps, Camille est partie voir le garde-barrière, exigeant de lui en anglais qu’il fasse revenir le chauffeur de bus. Elle déclenche un petit remue-ménage qui se révèle efficace puisque c’est la directrice de la compagnie en personne qui se déplace finalement. Elle est francophone et a tôt fait de comprendre la situation. Elle engueule copieusement le chauffeur et part mener la vie dure aux gardes-frontières. Au bout d’une demi-heure, je récupère finalement mon passeport – égaré dans une autre pile - et nous pouvons enfin entrer au Cambodge et souffler un peu… merci Camille !!
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