Contribution critique au débat public sur l'architecture de Yann Legouis - Sapiens Architectes
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Que nous raconte le mystérieux cercle mégalithique anglais Stonehenge ? Rien. Ou pas grand-chose.
Surtout quand on compare au Ziggourat d’Ur en Mésopotamie, ou aux grandes pyramides d’Égypte, contemporains de notre cercle de pierres dressées, et qui sont beaucoup plus prolixes et élaborés socialement. Ces monuments stupéfiants sont attachés aux toutes premières cités des hommes, et font donc transiter toute sorte de symboles complexes, rattachés à des ethnies d’homo sapiens qui avaient découvert l’écriture, cunéiforme où hiéroglyphe, et bien avancé leur division du travail.
Au contraire, la civilisation néolithique européenne n’a strictement rien écrit. Cette civilisation s’est contentée de dresser des énigmes sous forme de pierres, des mégalithes, de plus en plus gros, énormes, vers le ciel et vers le soleil, et partout sur le territoire, en France, en Angleterre, en Corse et au fin fond de l’Espagne. Pas une randonnée dans les drailles cévenoles, sur les pourtours du golfe du Morbihan, ou au fin fond de la Charente maritime, sans tomber sur une allée couverte, un dolmen ou un menhir. Alors Stonehenge, le grand monument de cette civilisation ne dit certes rien, mais c'est un témoignage unique, très proche de nous dans l’espace, et dans le temps, de l’essence même de ce qui fait l’irréductible originalité du phénomène humain.
N’étant pas encombrés de la volonté spirituelle perdue de nos ancêtres, on comprend uniquement ce que ces pierres veulent bien dire : Stonehenge est une œuvre collective, un outil extrêmement sophistiqué et précis, orienté par les solstices, pour observer la course du soleil et de la lune. Une véritable machine de vision, un outil en prise avec le fond des âges, qui raconte d’une manière essentielle ce couplage fonctionnel très caractéristique entre l’organisme humain, son environnement et la technologie. Ce couplage unique, qui nous a fait passer du monde vivant au monde humain, et qui apparait dès l’aube de l’humanité il y a presque 3 millions d’années.
L’homo habilis à la face plate se tient debout, et avec sa main libre, il fait des outils. C’est ce qui le caractérise : l’outil est une composante organique de l’homme, un véritable organe extérieur. Comme il n’est pas codé génétiquement, mais exsudé du corps, extériorisé et disponible aux autres individus de l’espèce, l’outil fabrique chez l’humain, très progressivement, une mémoire sociale externe : le groupe humain en sait plus que l’instinct biologique de l’individu. Le lien entre zoologie et sociologie se desserre progressivement grâce à cette mémoire collective externe, qui s’enrichit à force de faire des outils, en anticipation d’usages futurs non prévisibles. Stonehenge raconte ça : à force de faire des galets polis, on finit par faires des bifaces, puis des grattoirs, puis des flèches, puis des monuments funéraires, puis des châteaux, puis des manufactures, puis des aéroports, puis des centrales nucléaires. Ça prend deux ou trois millions d’années, mais le résultat est là : on devient plus intelligent grâce à ce que l’on fabrique.
Stonehenge condense dans un cercle de 88m de diamètre la leçon essentielle d’André Leroi-Gourhan, le grand paléontologue : « la pensée n’est pas seulement une activité de traitement d’information, c’est un dialogue entre la vie et la matière.». L’humanité est une technogenèse, s’appuyant sur ses outils pour progresser biologiquement. Comme l’œuf et la poule, l’homme et l’outil sont liés depuis la nuit des temps.
C'est le témoignage précis, figé et silencieux, de ce moment incroyable où l’homo sapiens, en ayant une mémoire sociale externe suffisante se met à faire des outils complexes en forme de bâtiment, de l’architecture en somme, passant du statut préhistorique de chasseur-cueilleur qui était le sien depuis 295.000 ans, à celui d’homme qui façonne l’histoire, et qui concerne tout juste les 5.000 dernières années. L’Architecture est une technique, une discipline toute nouvelle, à l’échelle de l’humanité. Et à Stonehenge, ce grand outil de pierre qui nous rend plus intelligents, les Trilithes des blocs de sarsen parlent déjà de la thématique infinie du rapport entre ce qui porte et ce qui est porté. On peut déjà comprendre le mur qui s’ouvre à la lumière pour former les colonnes des temples, et sentir dans le cercle parfait l’abstraction radicale de la géométrie platonicienne. En fait il y a déjà tout Pythagore, Vitruve, Palladio et Viollet-le-Duc, en germe, dans la pierre bleue de ce monument muet, qui tisse un lien entre nous et l’aube de l’humanité.
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Les premiers souvenirs à Barroude sont indissociables des premiers souvenirs de montagne. Probablement de ceux qu’on se remémore adulte, en y donnant une importance quasi-initiatique que ni la longueur objective, ni la difficulté de la course ne puisse justifier. Après les nombreuses balades d’enfance dans la vallée du Marcadau et la vallée si riante d’Aratilles, les pique-niques à côté des géraniums de Troumouse, où aux Oulettes de Gaubes assis dans le pâturages verdoyants, s’impose un nouveau projet : il va falloir s’attaquer à rien d’autre que l’«Envers du Cirque de Troumouse » comme le décrit dans son style concis inimitable, le guide Ollivier familial dans une édition des années 70 toute cornée.
Et me voilà donc à la fin de l’été, à remonter la vallée de la Géla, sous un poncho rouge et une pluie régulière. Mais le Guide Ollivier avait menti : absolument rien de pittoresque dans cette succession monotone de rochers, perdus au milieu d’un brouillard à couper au couteau. Mon père, de dos, me criait en riant « Allez, courage, plus qu’une demi-heure ! » comme une sorte d’unité de temps incompressible, du début de la randonnée, à la fin. Je compris plus tard que les dizaines de mètres qui le séparait systématiquement de moi était une manœuvre très habile : assez loin, il pouvait profiter de la montée sans subir ma mauvaise humeur. Assez proche, il me servait de point de mire en impulsant un rythme que ma peur de le perdre de vue me contraignait à suivre.
Au bout de quelques heures, le brouillard s’estompant un peu, je voyais notre sentier s’élever encore à flanc d’un grand pâturage jusqu’à un dernier ressaut abrupt, un « coup de cul », à mon avis un peu désespérant. Et planté au-dessus, je voyais pour la première fois la grande muraille noire, infiniment lisse de Barroude, qui m’apparût alors inquiétante, sublime et menaçante. « Le refuge est juste là-haut, au pied du mur» me dit tranquillement mon père, «plus qu’une demi-heure, et on devrait même y être avant l’orage ». Et il repartit aussitôt. Les premiers éclairs éclatèrent à la sortie du ressaut, lorsque nous passions devant l’embranchement du sentier de la Hourquette de Chermentas. Quel spectacle et quelle frayeur ! Le bruit formidable du tonnerre qui roulait contre ce mur de trois kilomètres de long et lisse comme une lame me filait une frousse dantesque. Au milieu de la nuée qui semblait avoir absorbé la terre entière, alors que nous progressions aussi vite que nous pouvions, penchée juste au-dessus de nous, la muraille de Barroude, encore plus noire que le ciel, devenait blanche par à coup, lorsque les éclairs zébraient le ciel. Marchant sous des trombes d’eaux et dans un boucan de tous les diables, je me souviens alors apercevoir comme un mirage têtu, campé sur son ténement rocheux, et se détachant sur le fond sombre de la muraille, la pointe volontaire du toit du refuge de Barroude.
Les montagnes ne vivent que de l’amour des hommes, selon le grand Rebuffat, mais est-ce qu’il y a un autre endroit où l’on peut pour ressentir de l’amour pour une construction humaine, même fruste, pour un simple refuge, efficace, pragmatique et savant, légué par nos semblables au milieu de cet environnement ou tout est à l’échelle des dieux ? Quel autre endroit que ces lieux isolés en montagne pour apprécier le dénuement d’une ampoule électrique dans le sas de déséquipement, ou j’abandonnais mes chaussures trempées ? Même la rigueur des cimaises en bois des murs de la salle commune valait tous les stucs et les gypseries des palais du monde, et la garbure préparée par les gardiens méritait n’importe quelle étoile au Michelin. La courte nuit, dans un dortoir bondé, remplis de ronfleurs et de blagues espagnoles, me sembla délicieuse. Le lendemain matin, l’abris avait fait son office, le ciel était dégagé et l’humeur excellente : je contemplais depuis la fenêtre de la salle commune, parfaitement placée au-dessus de mon lait chaud, l’aube violette qui colorait les cimes de la muraille, et le pic de Troumouse.
Intervenir dans le Parc National des Pyrénées, c’est inévitablement nous interroger sur la place que tiendra l’homme dans le milieu montagnard au XXIème siècle. Comment transmettre l’héritage de la tradition agropastorale toujours vivace, et qui a façonné la physionomie même des montagnes, tout en réinterrogeant notre rapport à ce contexte fragile. Sans évacuer la question touristique, devenu majeure avec le développement du loisir aux quatre saisons, bâtir au cœur même du cirque de Barroude, nécessite une conscience et une attention toute particulière dans ce site isolé et spectaculaire. A l’ère de l’anthropocène, il nous faut maintenant dépasser la vision romantique, de Hugo, et même la vision héroïque, portée par les Ramond, Chausenque et Russell, qui ont fait les belles heures du Pyrénéisme. En partant de cet héritage, nous souhaitons faire de ce projet de refuge un manifeste pédagogique de l’art de bâtir à la montagne au XXIème siècle.
Construire un refuge, renvoie à la vocation anthropologique de l’architecture : protéger et abriter des activités humaines. Ce que l’on peut oublier en bas, dans la plaine, la montagne nous le rappelle en renvoyant à son essentialité toutes les décisions techniques, tous les choix que nous ferons. Mais évidemment la somme des contraintes techniques est loin de faire un projet, et ce n’est qu’en composant tous les éléments avec minutie, avec attention, que nous aurons la chance et la responsabilité d’entrer en résonnance avec le site spectaculaire de Barroude. Pour que d’autres adultes, d’autres enfants aient la chance d’être invité à rencontrer la Montagne dans ce lieu spectaculaire et magnifique.
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Sur la place du Nombre d’Or, première réalisation du taller de Arquitectura de Ricardo Bofill à Montpellier, la modénature grecque est un prétexte à l’architecture, une habileté supplémentaire ajoutant un éclat de rire à une typologie extraordinaire. Le décor n’est pas dissociable de l’architecture : les colonnes doriques surdimensionnées masquent les circulations verticales des logements. L’entablement des derniers niveaux outrepasse les dimensions attendues, classiques, pour accueillir en encorbellement les balcons des derniers niveaux de logements. Même l’imitation des principes de l’architecture de pierre jusqu’aux détails les plus fins reprend la manière antique de contrôler la pluie, de la ralentir, de la guider pour assurer la pérennité de l’œuvre : c’est un détournement remarquable des procédés de préfabrication lourde en béton.
Bien mieux d’ailleurs, il faut le dire, que la tentative de dépassement opérée par Balladur à la Grande-Motte, dans une évocation des plus belles heures du classicisme et de grands ensembles magnifiquement dessinés comme la galerie du bord de l’eau du palais du Louvre de Métezeau. C’est un véritable chef-d’œuvre d’architecture, réalisé un peu moins de 10 ans après la construction du Polygone sur les principes de l’urbanisme sur dalle et qui mérite sans nul doute son classement patrimoine XXe siècle.
Mais le discours de faux-nez de Bofill sur la communication des principes qui guident son architecture a fini par masquer le fond au profit de la forme. Communiquer Antigone en ne parlant que du plan de la chapelle de Toddi, de la place Navone, et du fait que Georges Frêche, le maire, ait été professeur de droit romain a fait basculer le quartier dans la caricature. Et de la très belle opération de logements sociaux et en accession, aux logements bien conçus, traversants, on ne retient que l’accessoire, le style néo-classique et théâtral.
C’est que le décor est passé au premier plan, au cours même de la construction du quartier. C’est dans le bâtiment central de la Clé, au milieu du quartier que la bascule s’opère. Le décor devient plat, comme une peau à peine plaquée sur le bâtiment. On pourrait le croire interchangeable. Il y a comme un malaise quand on constate que les motifs des balustres du couronnement sont en creux dans le béton plat : le rire devient forcé, jaune, angoissant. Voilà un grand bâtiment de bureau standard des années 90, déguisé de manière grossière en habit grand siècle. Plus rien n’excuse alors ce grand mur rideau noir sans protection solaire extérieure orienté sud-ouest. Balance ton four.
Le découplage total entre décor et typologie est consacré, et cette architecture de la peau est même théorisée un peu plus tard dans une discussion entre Baudrillard et Nouvel. Ce dernier ouvrira un service dans son agence s’occupant exclusivement de la composition des façades, remplaçant des architectes par des plasticiens, et de graphistes. Quand le bâtiment et son décor font résolument chambre à part, le cynisme peut commencer : c’est l’avènement du hangar décoré, la version US du post-modernisme, contre laquelle la typomorphologie européenne, saine réaction à la modernité triomphante, a malheureusement échoué à faire entendre sa voie.
C’est dans ce bâtiment, le plus cynique de Montpellier et le plus caractéristiquement néo-libéral, qu’est accueilli d’abord l’hôtel d’agglomération et aujourd’hui le siège de la métropole, cœur battant du pouvoir montpelliérain. On pourrait se demander dans quelle mesure l’influence de celui-ci continue de faire des dégâts dans le temps : il ne doit pas être tout à fait étranger au fait que l’opération des Folies puisse germer dans l’esprit de nos élus. Les folies ne sont-elles pas encore un énième avatar de ce découplage entre l’image et le fond, une confusion sur le rôle de l’architecture et des architectes dans la cité ?
Il est d’ailleurs manifeste que lorsque l’on visite Antigone, on ne passe jamais par les immeubles à patios qui bordent l’axe majeur. C’est le secret le mieux gardé d’Antigone : on trouve là une réponse typologique, urbaine, avec un gabarit aimable et une prise en compte des contraintes climatiques liées au climat méditerranéen. Dans cette ville qui s’est construite depuis les années 2000 sur le seul principe de l’ilot ouvert de Portzamparc, et par des opérations de logements où aucun architecte, aucun élu, aucun promoteur n’habitent, les immeubles à patios sont le chant du cygne du formidable architecte Bofill, qui s’est vu dépassé dès les années 90 par sa postmodernité. Ils formulent pourtant une piste urbaine raisonnable dont il serait urgent de s’inspirer.
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Si je ne devais garder qu’une des nombreuses joies d’habiter à côté de la mer Méditerranée, ça serait le plaisir ineffable de faire des châteaux de sable avec mon fils au petit matin, dans le bruit apaisant et toujours recommencé des vaguelettes qui s’écrasent mollement sur la grève. Dans cette série de gestes simples et élémentaires, prendre du sable mouillé, mais pas trop, le tasser dans le seau, le retourner, tapoter l’arrière avec la pelle en plastique rouge, et retirer le tout en cherchant la verticale parfaite pour ne pas fissurer l’édifice, il y a un plaisir méditatif non dissimulé, et des questions existentielles à résoudre le samedi matin, en caleçon de bain et à moitié réveillé.
D’abord une évidence camusienne : le monde finit toujours par vaincre l’histoire. La condition standard de toute chose, c’est la plage. Tous les efforts pour sortir de cet état horizontal ne sont qu’une vanité humaine épisodique. Organiser du sable qui s’en fout, voilà ce que nous faisons. L’architecture qui a le bon gout de résister aux enfants qui courent et aux soubresauts de l’histoire a pour destin inévitable de finir asséchée, s’effondrant sous son propre poids, une fois que l’humidité entre les grains, en s’évaporant, ne garantit plus la cohésion des parties les plus exposées au soleil. Ce qu’il reste de l’édifice partiellement effondré est finalement battu par les vaguelettes molles, mais déterminées, qui sapent les fondations, remplissent les douves, et grignotent les tours, avec la tranquillité et l’assurance de ceux qui ont l’éternité devant eux.
Et alors, la plage revient, inévitablement. L’architecture n’est plus qu’un moment d’énergie, un pic d’intensité et d’ordre, qui veut témoigner de notre passage humain dans ce monde qui finira invariablement par gagner en organisant la dispersion de toute chose. Voilà la tache perdue d’avance de l’architecte, qui doit trouver des stratagèmes pour essayer de contrer pour quelque temps le deuxième principe de la thermodynamique : l’Entropie. Entre le moment d’ordre absolu et illusoire du projet, et le chaos absolu, la ruine de la ruine, il y a l’architecture qui essaye de se maintenir le plus longtemps possible dans un état d’équilibre intermédiaire.
Et il me semble que seulement trois voies s’offrent aux architectes. La première, très contemporaine, c’est de tenter de faire inlassablement des châteaux légers pour remplacer ceux qui tombent, au prix d’une énergie considérable : vous risquer de passer votre temps de plage à rebâtir sans cesse, comme un Sisyphe malheureux. La deuxième voie, c’est de faire un château tellement gros qu’il résistera à peu près le temps que vous vous baigniez, et que vous repliez votre serviette. Cette solution demande beaucoup de temps et d’énergie à votre arrivée sur la plage, et il s’effondrera juste après votre passage, mais vous partirez avec le sentiment du travail bien fait. La troisième voie, plus maline, c’est la voie de la maintenance : faire un beau petit château honnête, que vous entretenez en l’arrosant de temps en temps pendant quelques secondes avec un vaporisateur pour qu’il ne s’assèche pas. Cela permet de ne pas passer trop de temps en arrivant, afin de vous consacrer à la lecture du douzième tome des Fondations d’Asimov, et de vous baigner en toute sérénité. Si vous êtes de bonne humeur, vous pouvez refiler votre vaporisateur à la famille qui se rue éperdument sur votre emplacement à 10h, lorsque vous partez enfin pour fuir les UV et la foule, afin que ces inconscients puissent bénéficier à plein de leur double chance : un château déjà fait, prêt à jouer, et des enfants qui se lèvent tard.
Alors quand mon fils, comme toute bonne maitrise d’ouvrage, me regarde en souriant après avoir détruit en quelques secondes une dizaine de tours, de tunnels, de douves et de murailles, en sautant généreusement à pieds joints et en se roulant dessus en rigolant, et que je le vois prononcer avec sa bouche en fraise plantée au milieu du petit ovale lumineux qui lui sert de visage, un « Encore ? » gracieux et terrible, oui, j’ai secrètement envie de pleurer, de me battre, et d’envoyer une note d’honoraires salée comme la Méditerranée.
Mais je me souviens de Kipling, et me répète ce mantra entêtant « si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, alors tu seras un homme, mon fils ». Et j’empogne avec détermination ma pelle en plastique rouge, qui a une espérance de vie en bonne santé supérieure à la mienne, et je me remets à genoux sur la plage, sous le regard goguenard et un peu mauvais de l’éléphant violet à casquette qui jongle sur les côtés du seau.
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Je viens de recevoir la belle publication d’Écoles Troubles, projet éditorial mené par la revue Accatonne, à la suite de la White Week des étudiants de Master de l’École d’architecture de Versailles de février dernier. On peut y trouver la restitution de la table ronde intitulée « Cher. e. s Futur. e. s Architectes » à laquelle j’ai eu la chance d’être invité. J’ai découvert a cette occasion une présentation brillante du moratoire sur la construction neuve de Charlotte Malterre-Barthes, dans un style Netflix anglo-saxon à couper le souffle, et dont on trouve dans cette revue une transcription quasi littérale. Cette présentation rodée, renforcée par des données et des vidéos spectaculaires, fonctionne comme un rouleau compresseur et constitue un véritable réquisitoire contre la profession. Et je reste à ce jour absolument stupéfait de l’efficacité du discours, et de l’inanité du concept, dont la violence et la radicalité visent probablement à captiver les jeunes esprits révoltés, et à donner bonne conscience aux institutions qui le promeuvent.
« Construire, c’est détruire » nous explique gravement Charlotte Malterre-Barthes, du haut de sa tribune suisse à l’EPFL. « Chaque bâtiment est une machine a exploiter les corps, par le travail des architectes, de la main-d’œuvre bâtisseuse » continue-t-elle, devant une vidéo de tractopelles déplaçant des monceaux de gravats au milieu d’ouvriers en haillons accablés par une chaleur subsaharienne. Dans les combles de l’école d’architecture de Versailles, j'entendais quasiment sonner le glas. Il ne manquait qu'un beau Stabat Mater Dolorosa de Pergolèse pour parfaire ce tableau déprimant, alors que nous étions installés devant un parterre d’étudiant de 4e année, ou seule une toute petite moitié, après un sondage à main levée, voulait « travailler en tant qu’architecte praticien ».
Comment, devant ces jeunes gens, ne pas distinguer les conditions des chantiers actuellement en France, avec le sort des ouvriers dans les stades au Qatar ? À quoi bon faire porter le poids du passé, les tentatives, les échecs des époques précédentes, et même du monde tel qu’il est, à notre corporation ? Et surtout comment une intervention pareille peut-elle contribuer à sortir nos étudiantes et étudiants d’un phénomène paralysant d’écoanxiété qui les frappe de plein fouet ?
Faire semblant de mélanger la construction et l’architecture, qui n’est qu’une infime partie du premier secteur, me semble absolument décourageant. Nous sommes depuis le quattrocento, et l’invention du métier d’architecte, dans l’oreille des puissants. L'architecte chuchote, projette et construit avec un degré de liberté dépendant de la confiance accordée par la maitrise d’ouvrage, qui détient le pouvoir et l’argent. L’architecture n’est rien d’autre que l’art de la commande, la mise en forme de la volonté générale dans le meilleur des cas, et l’expression pure de la volonté personnelle du commanditaire dans le pire, quand il n’y a pas d’autres garde-fous. L’architecte n’est pas en position de pouvoir : il est confiné dans une posture machiavélique, ou plutôt dans un rôle de courtisan défini parfaitement par Baldassare Castiglione, un contemporain de Palladio. Et il doit tenter de garder au milieu des puissants, son indépendance d’esprit, avec « grâce et désinvolture ».
Alors quand on a la chance de vraiment pratiquer le beau métier d’architecte, de l’idée au chantier, il s’opère un effet de recentrage politique immédiat. Le déjà-là, c’est aussi et surtout les gens avec qui on travaille. Si la posture de l’architecte révolutionnaire, retiré sur son Aventin, à la vie dure en école d’architecture, l’architecte travaille surtout dans la Cité, et c'est en intrigant, en joutant et en se battant d’arrachepied qu'il peut faire respecter ses idées et imposer quelques points de vue. L’éventail des choix des architectes se situe inévitablement entre le compromis et la compromission. Le seul sport de combat qui ressemblerait à l’architecture serait le judo : utiliser le mouvement et la force de l’adversaire pour arriver à un résultat. Hors de cette église exigeante du réel, point de salut : c’est l’utopie, le fantasme, l’architecture de papier, les axonométries infinies dans les magazines, les conférences, ou bien l’enseignement.
C’est bien, certes, mais c’est autre chose. On peut bien évidemment préférer la fuite à la résistance, mais professer la révolution aux jeunes âmes entre deux avions, et depuis les positions de pouvoir académiques, de l’EPFL, de l’AA et de l’ETH Zürich, me semble non seulement contreproductif, mais surtout dangereux pour les nouvelles générations d’architectes en devenir. Parce que dans la crise climatique qui est là, je suis persuadé que nous avons notre rôle à tenir en tant qu’architecte. Un rôle absolument indispensable, d’influence, de pédagogie et d’action, où il est urgent de déterminer une architecture du « Oui, mais.. » qui nous replacerait au cœur de la production, tout en maintenant une posture critique. Loin du «Non» tendance, à la Charlotte Malterre-Barthes, ou de l’insupportable « Yes, we Can » ultra libéral à la Bjarke Ingels, nous voulons penser qu’il existe une voie médiane, un « oui, mais… », courtois et pas dupe.
Une architecture qui mêlerait comme disait Gramsci le pessimisme de l’intelligence, et l’optimisme de la volonté.
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Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.
La société du spectacle, Guy Debord, 1967
On organise ces temps-ci un triste manège autour de la tour d’Assas, plus haute tour d’Occitanie, dans une forme achevée de la société du spectacle, que Guy Debord décrivait parfaitement il y a déjà plus de 50 ans. On fête bruyamment la mémoire d’une tour alors qu’elle est encore là, au milieu de l’arène. Plutôt que le silence assourdissant du cimetière des éléphants, ou celui respectueux qui accompagne les morts tombés au champ d’honneur, on a choisi à Montpellier l’option du simulacre carnavalesque, une corrida grand style avec habit de lumière et flonflons. C'est une véritable Jacklangisation de la mise en mort de la Tour.
Et on a beau fixer l’orchestre pour ne pas voir le taureau agonisant, il est difficile de ne pas regarder la réalité en face : on va détruire demain 300 logements à Montpellier, alors que l’on parle de crise du logement dans les métropoles, et que l'on va générer des tonnes de déchets au détriment de nos engagements climatiques. Parce qu’une fois le spectacle achevé, le voile de fumée dissipé, les projecteurs éteints et les caméras éloignées, qu’est-ce qu’il restera de tout ce carnaval ? Un tas de gravats, un trou béant dans la ville, au sol et dans le ciel.
Et on sent confusément que plus personne ne sait vraiment pourquoi on la détruit, cette tour d’Assas. Problème structurel ? Problème typologique ? Amiante ? Condition de financement ANRU ? Mystère. La réalité, c’est qu’on n’en finit pas avec cette croisade un peu vaine contre la modernité qui a commencée en 1972, aux États-Unis dans le Missouri, avec la destruction de Pruitt-Igoe, symbolisant l’impensé contemporain de nos sociétés occidentales : pour que quelque chose advienne, il faut bien que quelque chose meure, prolongement logique de l’hypothèse néolibérale de la destruction créatrice.
Se tromper de cible, c’est toujours se tromper de combat. Réparer, plutôt que démolir, est une cause entendue de tous aujourd’hui. On peut parier que dans quatre ou cinq ans, tout le monde pensera que c’était une erreur majeure de démolir cette Tour, plutôt que de la réhabiliter. Dommage ma vieille, à quatres ans prêts, tu avais droit à un beau lifting comme la tour Bois le Prêtre à Paris, ou le Grand Parc à Bordeaux ! Mais ne t’inquiète pas, si Paris vaut une messe, Montpellier vaut bien une fête.
On a du mal a voir dans ce grand tintamarre culturel l’objet réel de la fête, qui s’impose alors comme un grand moment du Faux comme dirait Debord. Et entre la fête et la communication politique, on a du mal à glisser un papier a cigarette. Dans le prolongement logique des réinventer paris, des folies montpelliéraines, l’événementialisation de l’urbanisme atteint son apogée, son âge d’or. Du parpaing et des jeux ! De l’argent pour les funambules, on en trouve toujours un tout petit peu s’ils nous assurent des retombées médiatiques.
Alors qui pour sauver la tour d’Assas ? Des élus qui se succèdent et qui ne pensent pas être responsables de cette démolition ? L’ANRU crispé sur ces vieilles habitudes ? Des urbanistes qui se fient à des plans établis il y a une quinzaine d’années ? Une école d’architecture nationale, ou aucun studio ne parle encore de réhabilitation ? La DRAC, le CNOA ou des associations d’architectes comme au Mirail ? Malheureusement Guillaume n’est pas Candilis, et malgré le très beau musée Paul Valery à Sète, il ne fait pas partie du cercle très fermé des architectes qui passent sous Les Fourches caudines de la patrimonialisation. Comme il paraît urgent de considérer chaque construction humaine comme un réservoir de potentialité, et de redéfinir le patrimoine qui peut être banal et ordinaire.
C’est un énième coup parti tout seul. De ceux qui conduisent à construire une gare inique dans une zone inondable à quelques encablures du centre de Montpellier. On connait la chanson : personne ne se tient de l’autre côté du fusil. La société démocratique organise sa propre chaîne d’irresponsabilité. Mais chaque rotation de camion-benne qui évacuera les gravats du cadavre fumant de la tour dynamitée nous rappellera douloureusement la tristesse absolue de l’inertie des choses. L'honneur, cependant, nous conduit à ne pas accepter que l’on nous fasse prendre des vessies pour des lanternes. Le découplage entre développement et progrès, souhaité par Pasolini en son temps, n’existe désespérément pas et en attendant, tout ce qui était directement vécu dans cette tour, dans ce morceau de ville, s’éloigne progressivement dans une représentation.
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Nous sommes dans un pays qui met en construction chaque année environ deux logements pour chaque habitant supplémentaire. Mais apparemment, ce n’est pas suffisant pour Véronique Bédague, éminente représentante du pantouflage de la haute fonction publique, passant du cabinet de Laurent Fabius, à la Mairie de Paris, pour finalement se retrouver PDG de Nexity, et qui vient, dans un grand oral cynique défendre le bout de gras des promoteurs sur les ondes publiques. Déjà, on trouvera l’astuce syntaxique qui consiste à confondre crise du logement et crise de l’immobilier particulièrement mal venue. Quelles sont les raisons invoquées par Madame Bédague ? Comme il y a moins de neuf, il y a moins de stock… Elle est bien pratique cette rhétorique monocausale qui permet de continuer le business as usual. Il faudrait donc éternellement construire plus, plus vite, moins cher, et nourrir une sorte de Sisyphe glouton métropolitain en espérant s’en mettre plein les fouilles au passage, en faisant fi de toute problématique environnementale. Selon le schéma de Madame Bédague, la métropolisation n’est pas un sujet, c’est un fait inéluctable, l’aménagement du territoire, une vieille lune, et il faut laisser les mains invisibles de l’offre et de la demande réguler ce bon vieux marché de l’immobilier. Rien dans son allocution en revanche sur le décalage toujours plus grand entre les prix de l’immobilier et les revenus des ménages. Or ce sont les promoteurs qui proposent aux vendeurs les prix d’achat des terrains, et ce sont donc eux, et eux seuls, qui font le marché. Ils entretiennent donc leur propre bulle spéculative, en creusant tous les jours leur propre tombe. Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Mais ce qui est absolument insupportable, c’est ce chantage social au travail dans le secteur du BTP : nous avons un défi colossal devant nous, qui consiste à rénover correctement les logements et le parc tertiaire existant afin de respecter nos engagements en matières de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Cette tâche implique non seulement des plans de formations, mais un recrutement de main-d’œuvre très importants. Mais c’est assez peu compatible avec les plans d’embauche d’ouvrier non qualifié et interchangeable prévue par les majors du BTP, et la promotion immobilière qui doivent bien y dégager quelques marges. La semaine prochaine sur les ondes de la radio publique, le PDG de Philip Morris viendra nous parler de Santé Publique.
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LinkedIn est un outil formidable : il permet à tous de donner son avis librement sur tout un tas de sujets et de les partager auprès d’une communauté. Comme une sorte de café du commerce, mais avec un comptoir infiniment long, et une salle éclairée au néon dont les limites ne sont pas perceptible, plongées dans le brouillard des cigarettes électroniques. Et tout comme au PMU, contrairement à Facebook ou Instagram, LinkedIn permet de faire éclater les bulles dans lesquelles nos vies nous conduisent inexorablement. On peut y croiser tout un monde, et surtout des gens différents de soi : du commercial qui fait de la publicité pour du carrelage imitation parquet, au type qui parle un peu trop fort, à celui qui ronfle affalé sur le zinc. On peut tomber sur des cousines gauchistes, des oncles racistes, des poivrots mélancoliques, des intellos refoulés, ou des timbrés encombrants. LinkedIn est un endroit étonnant ou on peut retrouver encore un peu d’altérité, un vrai espace public. Alors parfois il y a quelqu’un qui se dresse sur le comptoir, prend la parole, et dans la rumeur de la foule, lance une idée troublante qui traverse l'espace : les femmes, parce qu’elles ont des seins, font une architecture courbe. https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7042400401534382080/
Stupéfait, au milieu du café, vous pensez à un hommage rétroactif aux interprétations raciales des formes architecturales de l’architecte américain Irving Pond, qui tissait des liens entre la morphologie des différents styles architecturaux avec les silhouettes et les vêtements des différentes ethnies. Celui-ci expliquait au 19e siècle que les temples grecs sont des hommages au corps nu et musclé de ce peuple, remarquait que les turbans et les caftans des Arabes s’accordent étroitement aux coupoles et aux structures élancées de leurs édifices, et que les toits pentus de l’architecture chinoise ne font que reprendre l’inclinaison des yeux et des sourcils de ce peuple. Une vision éculée, nationaliste et raciste, que ne peut excuser que le temps qui passe. Nathalie de Blois, une des plus grandes architectes du monde, qui a notamment fait le siège de Pepsi-Cola, le plus beau bâtiment de SOM et peut être du XXéme siécle, et qui ne présente pas une seule petite courbe, a du se retourner dans sa tombe en soupirant. (https://99percentinvisible.org/episode/natalie-de-blois-to-tell-the-truth/)
Mais ajoutant le sordide au consternant, cette personne brandit fièrement une pancarte présentant un photomontage glauque avec au milieu de projets d'architecture, un sideboob dégoulinant d’eau, contribuant une nouvelle fois à cette sexualisation douteuse du corps féminin dans l’espace public. Bon. C’est un manque évident de culture, c’est maladroit, c’est douteux, mais c’est le jeu du café du commerce. Vous touillez un peu nerveusement votre café, et vous détournez le regard, un peu mal à l’aise.
Et là, tout à coup, le directeur général des services de la métropole surgit d’un coin de la salle, vient donner une accolade à la personne avec la pancarte, et répète à la cantonade ce message douteux, aussitôt applaudi par le puissant patron de la société d’économie mixte locale. Vous tombez des nues. Mais malheureusement, la scène n’est pas encore complète : fendant la foule, l’adjoint au patrimoine historique et contemporain, bientôt rejoint par le Maire, lui même, viennent taper dans le dos de cette dame et la congratuler, sous vos yeux ébahis. Le café à soudainement un gout très amer.
Qu’un maire n’y connaisse pas grand-chose en architecture n’est pas en soi très important, mais il me semble qu’il a un devoir, s’entourer de personnes compétentes, qui connaissent le sujet, qui l’oriente, et qui lui évite absolument de commettre ce type d’erreur politique. Cette petite anecdote du café du commerce est révélatrice et nous apprend deux choses. La première c’est que la pédagogie auprès de nos élus est impérative et urgente : il faudrait que l’école d’architecture, l’ordre des architectes puisse se saisir de cas d’école comme celui des folies pour expliquer notre métier. Le deuxième c’est que sortir du premier cercle en politique, celui des amis et des courtisans, n’est pas chose aisée en politique, mais c’est absolument essentiel quand on veut conduire une politique urbaine digne de ce nom. Une agence d’urbanisme métropolitaine devrait être cette institution qui permet au premier magistrat de se former, de dézoomer sur les grands enjeux de son territoire, et de s’affranchir du marigot local.
Ça devient urgent, à Montpellier, pour qu’on puisse prendre son café tranquille.
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Annoncés depuis le MIPIM de Cannes, les résultats très « French Touch » des Folies, projet urbain emblématique de la ville de Montpellier, ne semble même pas mériter un dévoilement local, depuis l’hôtel de ville : cela montre en creux que le véritable sujet de cette consultation est une projection de l’image de la ville sur l’extérieur, une réponse économique à une situation de pénurie, le fameux choc de l’offre, et non pas un sujet architectural. Convenons-en, l’Architecture est ici utilisée comme une excuse commode, un cache-sexe cynique.
Quand Georges Frêche et Raymond Dugrand appelaient le Taller de Ricardo Bofill pour concevoir le nouveau quartier d’Antigone en 1978, c’était visionnaire et optimiste. Bofill n’avait alors rien construit en France, et s’il commençait à être pressenti pour réaliser de nombreuses villes nouvelles autour des Paris, il n’avait pas encore mis en œuvre ses théories sur le logement et la modernité classique à grande échelles. Il était engagé dans une voie radicale, et en incarnant dans la décennie à venir le visage de l’architecture du parti socialiste accédé au pouvoir, cela lui permettra de pousser l’expérience de l’architecture et de l’urbanisme jusqu’à son extrême limite. Montpellier, en lui faisant confiance à cette époque-là précisément, s’est positionnée sur la carte de France de l’architecture contemporaine, et Antigone restera un exemple frappant, une pièce urbaine majeure, symbolisant cette manière de faire la ville si caractéristique de l’époque. Bofill était un architecte d’avant-garde, révolutionnaire, l’exact contraire d’une « signature », comme on dirait maintenant à Montpellier.
Avec ces "signatures", Decq, Gautrand, l’OMA, Coldefy, des images de projets montrant clairement une architecture surannée, dépassée, tirés tout droit d’une publication de AMC saison 2004, notre maire se trompe lourdement. Sa volonté maladroite d’instrumentaliser l’architecture va se retourner contre lui par méconnaissance totale du domaine. Pourquoi personne dans son entourage ne le lui dit ? C’est un mystère. Parce qu’en réalité dans cette histoire de folie, Michael Delafosse n'est ni l'héritier de Frêche, ni de Dugrand, et en faisant primer son gout, ses fantaisies personnelles, il se comporte plutôt comme Jacques Chirac qui évinçait Bofill, et redessinait le projet des Halles, gagné lors du concours de 1974 parce que « ça ne sentait pas assez la saucisse ».
L’architecture est une expression de la culture. A l’heure de la finale de la candidature de la ville à la capitale européenne de la culture, avec de tels projets qui sentent bon les années 2000 et le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il y a fort à parier que l’on est passé en dernière position si quelqu’un dans le jury par malheur s’y connaissait un tout petit peu dans le domaine de l’architecture. Que penser de la folie d’Odile Decq, tirés d’un mauvais nanard des années 2000, sombre blop patatoïde sans queue ni tête - mais avec des cheveux - et futur siège social d’un promoteur située stratégiquement dans le centre historique de Montpellier ? A l’heure ou un changement de vélux pour un particulier se heurtera invariablement aux plus grandes résistances administratives combinés de la DRAC, de la Mairie, de la Mission Grand Cœur, c’est non seulement atterrant, mais c’est surtout un bras d’honneur à tous les architectes qui ont toutes les peines du monde à faire accepter un permis de construire dans le centre ancien, pour des choses souvent bien raisonnables. Fort avec les faibles, et faibles avec les forts, voici un crédo bien étrange pour une mairie socialiste.
Le plus triste dans cette affaire, c’est que l’école d’architecture est en grève, et les étudiants vivent tous les jours une perte de sens de leur futur métier. Je pense que c’est un signal criminel qu’envoient les pouvoirs publics, la presse, dans leur direction. Cette injonction à penser en 2023 que l’innovation architecturale réside dans le fait de faire des formes molles dans des ZACs absurdes, de séparer toujours plus l’image du projet du programme, qu’être beau c’est être différent, en occultant complétement les enjeux sociaux, sociétaux, environnementaux, est très grave. Ce n’est pas comme ça que nous allons motiver nos jeunes étudiantes et étudiants. Que quelqu’un prévienne enfin notre maire : l’architecture est tout sauf une Folie. Tout sauf un outil de marketing urbain au service d’un élu en manque de bruit d’unités médiatiques. C’est au contraire un sujet extrêmement sérieux : ce territoire est rempli de gens compétents, gardés sous le boisseau, et il suffirait de les écouter, pour sortir par le haut de cette triste situation, et se mettre au service de cette ville merveilleuse où tous le monde parle d’architecture sauf les architectes.
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Les écoles d’architectures sont en grève. Il faut avoir assisté une fois dans sa vie à une remise de prix du ministère de la Culture pour voir réellement l’intérêt que porte ce ministère pour l’Architecture. N’importe quel fabriquant de sol souple, ou de pompe de relevage, louera le deuxième étage de la tour Eiffel pour lancer dans un feu d’artifice glorieux le dernier chiotte à la mode, la nouvelle robinetterie inox, à grand renfort de champagnes, de flonflons, de discours de vieilles gloires sportives, animés par des journalistes stars venues arrondir leur fin de mois.
Pour le Grand prix de l’Architecture, plus haute récompense professionnelle nationale, où encore les AJAP, le Ministère vous convie dans la cité de l’architecture, aussi pétrifiée que pétrifiante, a partager un ou deux verres de tariquet tiède, au milieu des moulages sinistres des portails de cathédrales, et sous le regard patibulaire du coq fondu de la flèche de notre dame, qui vous lorgne maintenant de son regard mauvais dès l’entrée de la cité. Si vous arrivez miraculeusement à vous frayer un chemin avant 18h10 jusqu’au comptoir, vous pourrez piocher dans les quatre paquets de chips disponibles, qui en craquant dans la bouche vous permettront de supporter un peu plus le discours automatique et banal d’un ministre aussi pressé d’en finir, que vous de vous barrer. Si vous loupez cette occasion, vous allez devoir vous rabattre sur les bistrots en face de la porte de Chaillot, qui vous permettront de déguster avec vos amis, et pour un petit peu moins d’un SMIC, une délicieuse pinte de Kro, en terrasse chauffée avec des touristes russes et chinois. Pas d’autres solutions : la cafétéria de la cité de l’architecture, située dans le hall, a été remplacée par un « restaurant de luxe sur réservation », amputant l’espace public, et supprimant la librairie, qui était le seul point d’intérêt réel de cette Cité perdue, trop loin, trop triste.
Alors bon il y a les discours de temps en temps pour galvaniser les foules. Mais il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves. Et au-delà des budgets insuffisants, du manque d’action du ministère, pendant le confinement du Covid, alors que l’occasion était trop belle de parler de qualité de logements, d’espaces, de lumière naturelle, de jardins, d’espaces publics puisque c’était devenu le sujet majeur de vie des Français, la ministre de la Culture en poste n’avait que le spectacle vivant à la bouche. L’opéra plutôt que le logement. Alors que c’est une de ses attributions depuis 1977, on dirait que cette tâche est devenue gênante, encombrante au possible pour ce petit ministère. On a l’impression d’être l’ex un peu lourdaud, qui n’est plus vraiment invité : alors bon plutôt que de se fâcher, il vaut mieux se quitter non ? L’architecture est un métier d’avenir, et par notre formation nous sommes une partie de la solution sur les sujets essentiels de la rénovation du cadre bâti et d’aménagement du territoire. Une place d’honneur dans le ministère de l’Écologie, de l’Énergie et Territoire serait tout à fait logique.
Levons-nous, et barrons-nous.
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« Papa, c’est qui Antigone ? » « C’est une jeune princesse grecque qui a été condamnée à mort parce qu’elle avait absolument tenu à enterrer le corps de son voyou de frère. Elle s’est opposée aux ordres du Roi Créon qui avait ordonné de le laisser au pied de la muraille de Thèbes pour rétablir l’ordre dans sa ville. » « Pourquoi elle a fait ça ? » « Et bien comme beaucoup de jeunes gens, elle a préféré répondre à son instinct moral, beaucoup plus fort pour elle que l’ordre politique d’un vieux roi. Elle était forte, indépendante et terriblement têtue. Elle dit même dans la pièce de théâtre que lui consacre Jean Anouilh : « Je suis là pour vous dire non et pour mourir ». Le vieux roi, un type plutôt sympa en vrai, est alors obligé de la condamner afin de faire respecter son autorité. "Oh ! il est super méchant de faire ça ! » "En fait il est lui-même coincé par son métier de Roi. D’ailleurs il sera puni, et son fils adoré, l’amoureux d’Antigone, choisira de mourir plutôt que de vivre sans elle"... ----- Je préférerai mille fois avoir cet échange avec mon fils en l’amenant à la piscine, que celui qui commencerait par un « Papa, c’est qui Angelotti ? ». La ville à hauteur d’enfant, au-delà des déclarations d’intentions à la tribune et de la mise en place de comités théodules, commence par des choses très simples : que les grands marqueurs urbains, comme les piscines, les stades, continuent de faire références à des histoires universelles à raconter à nos enfants. Pour leur transmettre les humanités, une culture commune, plutôt que des sombres histoires de petits barons locaux, d'opportunités foncières, d’enrichissement personnels et de prise de participation de Nexity.
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Avant de rejoindre le cortège de louanges médiatiques qui accompagne la nomination de Marion Waller à la tête du Pavillon de l'Arsenal, on peut se poser une question : n'est-ce pas la même personne qui a théorisé, approuvé et lancé les procédures « Réinventer », dernière étape en date de la libéralisation de la fabrique de la Ville ? Aujourd’hui encore les appels à projets urbains innovants, malgré toutes les réserves soulignées par l’IAU (https://lnkd.in/eJaJKrrw), ou plus récemment par le PUCA (https://lnkd.in/dcdyjafV) n'en finissent plus d'essaimer dans toute la France, comme à Montpellier actuellement avec l’improbable concours des « Folies ». Alors avant de nous réjouir bruyamment de voir une jeune trentenaire brillante prendre la tête de l’institution qui impulse la tonalité de la production architecturale parisienne, et donc française, ne serait-on pas en droit de lui demander son avis actualisé sur ces procédures qui ont tartinés largement le territoire d’images consternantes de Tiers Lieux 100% vitrés, 100% végétalisés ? Elle était en responsabilité lors du lancement de ces procédures qui ont abouti à marginaliser de la conception de pans de villes entiers, les architectes, urbanistes et paysagiste, au profit d’un nouveau type d’acteur : le promoteur-ensemblier. Beaucoup d’opérations de Réinventer Paris peinent à sortir de terre, et son ancien patron, Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme de Paris pendant 12 ans, est aujourd'hui visé par une enquête du parquet national financier pour prise illégale d'intérêts explorant ses liens avec la promotion immobilière (https://lnkd.in/dwTCmuVf), il me semble légitime et important que la profession ou que la presse puisse lui poser franchement la question de son retour d’expérience sur le volet architectural et urbain des procédures réinventer. Parce que sans faire de corporatisme, il faut bien noter qu’avec cette nomination, la grande nouveauté, c’est qu’il n’y a plus d’architectes à la tête du Pavillon de l’Arsenal, comme pouvait l’être Dominique Alba ou encore Alexandre Labasse. Et je pense que l’idée bien peu républicaine, et parfaitement farfelue, qui consiste à croire que le Public puisse se reposer entièrement sur le Privé, en restant décisionnaire sans être commanditaire, n’a pu émerger que dans la tête du type de personne qu’incarne parfaitement Marion Waller : un parcours académique de haut vol (Science Po/ENS) qui conduit presque naturellement à des fonctions de responsabilité et de commandement importants, sans avoir jamais connus d’autres réalités de terrains plus prosaïques et plus laborieuses. Malheureusement, entre le haut-vol et le hors-sol, il n'y a souvent qu’un pas.
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Par leur pratique professionnelle, les architectes sont sans cesse au contact du terrain, de la société et des décideurs. C’est d’ailleurs une des grâces de ce métier : organiser une réunion de chantier le matin avec les artisans, les ouvriers, et présenter son projet aux élus de la région l’après-midi. Peu de métiers peuvent se prévaloir d’avoir sous les yeux, et d'agir en permanence, avec un tel condensé de la société dans son ensemble : les interlocuteurs sont non seulement sans cesse renouvelés mais viennent d’horizons sociaux larges et variés. Les architectes devraient pouvoir prévenir que l'allongement de l'âge légal de la retraite, contrairement aux assertions du MEDEF, est très loin d'être l'idée du siècle dans le BTP. Cela fait dix ans maintenant que j'ai l'occasion d'aller sur des chantiers un peu partout en France : les séniors sont rares sur le chantier. Il est évident que malgré le fait que "les sacs de ciments ne pèsent plus 50kilos", un jeune manœuvre en prendra deux pour accélérer la cadence. C'est physiologique, le corps est à terme fatigué et meurtri, les réflexes moins vifs. Alors avant de s'occuper de l'équilibre des retraites, il y a une urgence à s'occuper de l'emploi des séniors et de la pénibilité. La réponse du gouvernement est absolument consternante : il faudait investir dans une nouvelle formation pour ces gens fatigués et usés. Pourquoi diable demander à un couvreur zingeur de 53 ans qui a travaillé 25 ans sur des centaines de chantier, avec un savoir faire et une expérience inestimable, de se reconvertir ? Ne pourrait-on pas plutôt que de reculer cet âge légal, doper les retraites anticipés ? En 2022, ce dispositif permet déjà à tout actif âgé de plus 60 ans ayant cotisé 150 trimestres de demander à son employeur de réduire son activité professionnelle. Ce collaborateur touche alors le salaire correspondant à son activité à temps partiel – entre 40 % et 80 % de la durée de travail à temps complet – plus une partie de sa retraite (de base et complémentaire). Il pourrait alors dans le cas du bâtiment se consacrer à la formation d'ouvriers plus jeunes et transmettre ainsi un savoir-faire inestimable, et qui se perd de plus en plus. De manière générale l'état doit refaire confiance à ces corps intermédiaires, renouer avec le principe de subsidiarité semble être une sortie honorable pour l’action publique : elle revient à confier la décision à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Exactement le contraire de l'approche actuelle qui consiste à recruter des cabinets de consultants hors de prix. Ce principe de subsidiarité permettrait aux architectes de renouer un dialogue avec l’État et de retrouver le difficile chemin d’accès à la décision publique.
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Si vous n’êtes pas de Montpellier, il y a peu de chance que vous connaissiez le nom de François Fontès. Pourtant, il est architecte, promoteur, propriétaire de Sauramps, une des plus importantes librairies indépendantes de France, dirigeant de groupe de presse incluant notamment Architecture d’aujourd’hui, et producteur de cinéma (et de l’excellent film «I feel good » du duo Kervern Delépine), et aujourd’hui à la tête d’un véritable petit empire, le groupe Montpelliérain Hugar. Disons-le franchement : François Fontès, est l’architecte qui a le mieux réussi de France, une véritable gloire locale, qu'on peut situer aujourd’hui sur la carte postale Montpelliéraine quelque part entre la Place de la Comédie, Antigone et les Flamands Roses.
Mais l’excellent homme d’affaires cache difficilement un architecte assez médiocre. À l’image du bourgeois gentilhomme de Molière qui se rêvait noble, notre Mamamouchi local se rêve en architecte-star, et il a réussi le tour de force de s’offrir en 2014, les ateliers Jean Nouvel. Et si pour tout le reste il y a EuroCard Mastercard, le talent du grand chauve en complet noir ne semble pas avoir migré de manière transcendantale dans notre architecte local. Malheureusement pour l’architecture Montpelliéraine, personne dans le coin, vu la circonférence de l’assiette financière du bonhomme, n’a la possibilité, ou le courage, de le lui dire franchement.
Pourtant il y a des signes qui ne trompent pas : il ne construit que localement, dans la métropole ou le département. Apparemment peu de concours gagnés hors de son rayon d'influence : François Fontès c’est un peu l’architecte que le monde ne nous envie pas. Les publications de ses constructions dans les revues professionnelles sont quasi inexistantes, et se résument souvent à des doubles pages d’autopromotion dans la presse quotidienne régionale, où il va défendre régulièrement son architecture d’auteur, un égotrip « apollinien et dionysiaque » à la sauce locale. Le bâtiment de la faculté de Médecine de Montpellier est un parfait exemple de sa production : une forêt sur le toit, une autre forêt de poteaux, et surtout l’improbable invention de l’« auvent troué ». Il fallait y penser. Le résultat est frappant : une architecture qui est une agglutination de tous les poncifs des années 2010, là où pour une des plus vieilles universités d’Europe, on aurait pu attendre un véritable monument, un bâtiment exemplaire. Non seulement ce n’est pas terrible, mais il semblerait que ce n’est même pas très bien fait : livrée en 2017, un contrat de réhabilitation de ce bâtiment vient tout juste d’être passé avec un autre architecte, pour quelques petits millions d’euros d’argent public.
Plus problématique, François Fontès est maintenant le chantre du greenwashing, à la source de tous ces éco-machins à double peau vitrée et plantations en toiture qui viennent dévaster nos yeux et l’environnement (https://www.tpbm-presse.com/la-mrae-s-inquiete-de-l-impact-environnemental-du-projet-de-quartier-d-istres-convergence-113041.html). Passons très rapidement sur la future tour Evanesens, une aberration écologique verticale qui reste une resucée un peu pataude de Bosco Verticale de Stefano Boeri et de One Central Park de Nouvel à Sidney dix ans après, et dont les images commencent à inonder tous les panneaux publicitaires JC Decaux de la ville. On pourrait aussi parler longuement de la nouvelle MBS, énorme bastringue sans queue ni tête, dont les façades vitrées sont doublées d’une improbable « dentelle de pierre » qui ferait s’évanouir n’importe quel bureau d’étude environnement raisonnable. Mais est-ce bien grave quand l’architecte s'appelle François Fontés et que la maitrise d’ouvrage est la Chambre de Commerce et de l’Industrie ?
Plus grave encore pour la ville de Montpellier, c’est quand notre homme, qui est aussi investisseur dans le nouveau stade de foot du MHSC, se déclare de fait comme l’architecte naturel de l’opération. C’est vrai qu’un stade dans une ville, dans une métropole de la taille de Montpellier, ça ne regarde personne, c’est une affaire privée. Alors, finis la vague des partenariats public privé, qui auront malgré tout leurs défauts, aboutis à la construction du magnifique Grand Stade de Bordeaux, par les architectes Herzog et de Meuron après une procédure de concours classique, voici à Montpellier une nouvelle spécialité : un stade majeur, donnée directement, en gré à gré, à l’architecte investisseur !
Habituellement l’architecture est d’intérêt public, mais il faut reconnaitre que parfois avec François Fontès, c’est quand même l’intérêt privé qui prime.
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Si on s'arrête une minute et que l'on écoute attentivement, on entend au lointain l'écho du chant du cygne des promoteurs immobiliers. Cramponnés à leur bilan de mise en chantier de logement neuf un peu plus catastrophique chaque semestre, nos camarades voient bien que le vieux monde ne veut plus courir derrière eux. Les nuages s'accumulent à l'horizon : finis les années 2000 et les constructions dopées à la défiscalisation. Adieu Périssol ! Au revoir Carrez et Pinel ! Il nous faudrait donc renoncer aux ZAC infinies dont les refends de bétons sentent si bon le matin en descendant du 4x4 électrique ? Certains ne peuvent s’y résoudre, et de rage et de désespoir, tentent leur va-tout pour tenter de contourner la loi ZAN. D'autres, probablement plus meurtris, surveillent les tribunes Linkedin des gens qui oseraient troubler un quotidien pas si rose, pour menacer les pauvres hères qui y laisse un pouce bleu.
Mais on a beau ruer dans les brancards ou ergoter indéfiniment, le fait est campé là, droit devant nous, têtu, scientifique et chiffré : pour résoudre l'équation environnementale, il faut passer par une réduction substantielle de la quantité à construire. La lecture de l'excellent livre de Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva, intitulé « la ville stationnaire », offre une synthèse passionnante de ces problématiques et nous livre les clés de lecture d'un chemin rude, mais souhaitable : construire moins, pour construire mieux. La ville dense, en fragmentant les écosystèmes, est un facteur majeur de la chute vertigineuse de la biodiversité. L'écoconstruction, dans lequel tous les gens bien coiffés s'engagent aujourd'hui, est un leurre pour imaginer continuer encore un petit peu le businnes as usual, les filières ne sont pas prêtes, et c’est une impasse volumique certaine. Alors tant pis ! Parce que le Pinel avec des cloisons en brique de terre crue, restera malgré tout un "produit investisseur", c'est à dire un logement dans lequel ni les architectes qui le construisent, ni les promoteurs qui le portent, ni les élus qui les permettent, n'habiteront jamais.
Et c'est un défi majeur pour la ville de Montpellier et son aire d'influence : il se dit que le nombre d'adhérents à la fédération des promoteurs immobiliers d'Occitanie et plus élevés qu'en Île-de-France. Derrière cette bulle de béton, il y a des gens, des familles, des enfants. Et toute une partie de l'économie locale, des amitiés de trentes ans, des intérêts économiques croisés. Des drames se profilent, inéluctablement. Alors le rôle de nos élus, plutôt que la mise sous perfusion d'un milieu déjà partiellement condamné, par le biais d'un choc de l'offre aussi surprenant qu'à contrecourant, devrait être plutôt d'accompagner de manière volontaire ce secteur à la transformation massive vers la rénovation, la réhabilitation, la densification de zone sous-densitaire, la conversion de bureaux en logements...
Il faut impérativement donner un cap : l'idée n'est pas de faire "habiter des gens dans des terriers" comme le signalait cyniquement une figure de la promotion locale pendant un débat organisé par la Gazette, mais bel et bien de transformer, d'embellir, d'exploiter l'immense patrimoine déjà bâti, sur tout notre territoire.
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« Ah ouai, quand même…». La conférence de presse organisée hier soir à Saint-Jean de Védas pour présenter le nouveau projet de Halles illustre parfaitement ce qui ne va pas avec la fabrique de la ville dans la métropole de Montpellier. Déjà la collusion entre les pouvoirs publics et le milieu de la promotion immobilière est criante : un somptueux kakémono FDI « Notre Passion L’Exigence immobilière » trône en majesté dans la salle de la Mairie, bien en évidence au-dessus des drapeaux et de la devise républicaine. Dans cette Métropole où l’on a le FDI Stadium, le GGL Stadium, la Piscine Angelotti, plus rien ne devrait nous étonner. Et pourtant, c'est instructif : un maire appelle un promoteur à 3h du matin, un architecte envoie son projet (qui fait l’objet d’un concours) par mail au maire, puis finalement le président de la métropole se fend d’une critique architecturale définitive et superbe : « Ah ouai, quand même..». Le naufrage. Le plus consternant, c’est la médiocrité satisfaite de tout ce beau monde sur la question architecturale : ça parle à tout va d’objets singuliers, de beauté et de gestes architecturaux entre la poire et le dessert. A l'exception notable des architectes qui ne présentent pas leur projet, et qui servent clairement de faire-valoir. Tout est là : des architectes qui se taisent, un maire qui a « une vision », et qui dessine « une cathédrale, un nid et des puits de lumières ». Et qui « challenge » évidemment l'amenageur pour que ça se fasse fissa : le projet doit être livré d’ici les prochaines municipales. Alors tant-pis pour les temps d’études au rabais, les chantiers accélérés, on construit "pour 100 ans", mais à toute vitesse pour que notre élu puisse faire son discours avant les prochaines municipales. Posons-nous une question simple : est-ce que le jury de Top Chef est constitué d’élus locaux ou de cuisiniers professionnel ? Certes, la cuisine est un sujet beaucoup plus sérieux en France que l’architecture, mais pourquoi diable quand il s’agit de bâtiments, les élus peuvent se passer d’un accompagnement sérieux ? Quand vous répondez à un concours en Belgique, le jury est constitué du bourgmestre entouré d’une dizaine d’architectes et d’ingénieurs du bâtiment : c’est une affaire de spécialiste. Des spécialistes qui auraient pu mettre en garde cet aréopage réjoui que cette obsession montpelliéraine pour le Rooftop (à prononcer avec l’accent) est une aberration : à quoi bon fabriquer un espace public pour finir avec des terrasses privatives sur le toit des bâtiments ? Est-ce que c’est pour contempler les blocs de climatisation des autres bâtiments de la ZAC Roque Fraisse ? Des spécialistes avertis auraient pu aussi prévenir que ce bâtiment à double peau ondulée 100% vitrée (une absurdité écologique... mais on est plus à ça prés) a déjà été construit en 2016 pour le siège social d’Amétis, un promoteur, par et pour François Fontés. Et que ce n’est pas le plus beau bâtiment de Montpellier pour le dire gentiment.
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Le projet de chambre funéraire de Damelevières de Gens Architectes, est la définition même d'un projet ordinaire-extra. Il présente sur sa façade principale un bandeau épais sur un portique régulier fabriquant un porche pour signaler l'accès et réunir quelques personnes à l’abri du soleil ou des intempéries. C'est une figure typologique que l'on a vu distraitement milles fois dans ces banlieue péri-urbaines, une sorte d'archétype fonctionnaliste des entrées de bureaux et de locaux artisanaux. Sans attention particulière, en laissant le hasard choisir les recoupements et les proportions, c'est souvent franchement loupé. Cette fois c'est différent. Les composants sont certes banals, "objectifs" comme dirait Mies Van Der Rohe, mais tout est parfaitement ajusté : l'espacement de la colonnade du portique, la division en trois du bandeau supérieur, le traitement du couronnement en partie haute, avec le profil de la goutte d'eau de la couvertine galvanisée surmontée des dalles de ciments de la couverture. Ces dalles de ciment font apparaitre la chambre funéraire comme un prisme abstrait depuis le cimetière adjacent : une tombe parmi les tombes. La composition est si saisissante qu'elle absorbe les approximations et la banalité de la mise en œuvre pour en faire une force : le beurrage massif au mastic silicone du joint de dilatation du bandeau, le moirage du béton quelconque des poteaux, la jonction sur le même plan des dalles de béton désactivé sous le porche et du bitume du parking. Il n'y absolument rien de stupéfiant dans cette entrée, rien de pathétique où de larmoyant : une architecture claire au service d'un programme grave. Mais c'est en milieu périurbain une leçon d'ambiguïté franche, un objet transparent et énigmatique à l'image de chef d'œuvre de l'architecture moderne, symbolisé par exemple par la trame brisée, coupée, dédoublée, du bâtiment de Enzo-Guzeit de Aalto. Déjà, on s'interroge sur la composition asymétrique de la façade principale, avec les trois baies vitrées cantonnées à gauches, qui renvoient certainement a l'organisation du plan, affirmant que l'insertion urbaine du bâtiment s'arrête au trois mètres d'épaisseur du portique avant que le bâtiment ne reprenne son ordre interne. En regardant plus longtemps, on plonge dans la perplexité. Pourquoi le haut des poteaux béton est-il chanfreiné, énigmatique chapiteau en creux sous le bandeau ? Pour éviter l'épaufrement d'angles trop vifs ? Pourquoi la finition du bandeau est traitée en enduit gris béton, alors qu'il est manifestement en béton comme les poteaux ? Quelle est cet étrange couleur des menuiseries de l'entrée, reprise sur l'ouvrage de serrurerie au bout du portique, qui vient apporter un contrepoint dans la gravité du sujet et dans une teinte aussi contemporaine ? Ces questions n'appellent pas de réponses et contribuent au plaisir que l'on a de contempler ce bâtiment. C'est un projet ordinaire-extra, mais surtout une leçon d'architecture.
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