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Contribution critique au débat public sur l'architecture de Yann Legouis - Sapiens Architectes
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carnetcritique · 2 days ago
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On garde cette impression étrange, en sortant de la fondation Luma d'Arles, d’avoir rendu visite à une tante esthéticienne a Lannemezan, qui aurait gagné une somme mirifique au loto. Et qui se serait fait arnaquer par un commercial schuco véreux, doublé d’un architecte gominé en décapotable, vêtu d’une chemise gardian dépoitraillé jusqu’au nombril.
À peine passées les portes automatiques - inévitablement en panne -  du hall d’entrée, c’est d’abord un voyage extraordinaire qui est proposé : on passe de l’atmosphère si particulière qui baigne la ville sublime d’Arles pour être transporté sans ambages dans l’ambiance standardisée et feutrée d’un shopping mall du Wisconsin. Alors qu’on tend l’oreille, par réflexe, pour accueillir du Drake en sourdine, on cherche un peu désespérément des yeux la caisse - l’accueil - du lieu culturel. Et c’est la qu’on aperçoit, au fond, entre deux falaises en titane, vertigineuses de vacuité, un pauvre petit Chambord riquiqui, un escalier a double volée, qui sert de système de distribution à l’édifice.
Il a un cousin éloigné, la gloire de la famille, qui distribue subtilement les différents niveaux d’un château renaissance éponyme. Mais lui, semble coincée dans un angle, ou plutôt rejetée dans un repli de l’espace informe du musée.  Parce qu’en plein cœur de la tour, trône en majesté le vrai clou du spectacle – ou du cercueil - : une double hélice de métal et de verre qui plonge sur 3 niveaux, un invraisemblable Toboggan Chambord. Une expérience architecturale tubulaire tout à fait inédite, ajoutant a la double postulation baudelairienne, le désir de monter et le plaisir de descendre, un troisième paramètre : l’envie de se barrer. Merci Gehry.
C'est loin d’être beau,  et c’est aussi assez moche de prêt  : il n’y a qu’à voir les cordons trop bombés des soudures des menuiseries, et les fenêtres de l’escalier qui tombe aléatoirement sur la volée, entrecoupée par les paliers, par les marches, par la main courante. Comme si l’autonomie du plan et de la façade, chacun dans son toboggan Chambord, était restée totale jusqu’à la réalisation. Une mauvaise surprise par étage. Tout brille, tout est mat, tout est texturé, tout est satiné, tout veut être brillant et réfléchissant à la fois : rien n’est domestiqué, ou ordonné. Un exemple éblouissant d’une architecture « des parties sans Tout », comme le décrirait certainement Karim Basbous dans son dernier opus indispensable « Architecture et Dignité ». Il y a a boire, et à manger aussi. Et Dieu sait combien le chameau est indigeste.
Est-ce une salle vide ? Est-ce une œuvre d’art contemporain ? Difficile à dire. Ni tout à fait la white box de Meier au MACBA, ni tout à fait le musée paysage du Louisiana. Exposer des œuvres d’art au milieu d’une architecture qui hurle son existence et son autonomie jusqu'à la moindre poignée de porte n’est pas propice au recueillement nécessaire à la contemplation des œuvres. Ce qui est plus grave,  c’est qu’on a du mal à imaginer un avenir clair pour cette série d’espaces informes empilés, trop petits, aux refends béton inamovibles, mal desservis, trop éclairés, et innettoyables. Quels usages pourraient succéder à sa fonction initiale ?  Le vieux terme inusité de « convenance » souligne un des principes indispensables de l’architecture : la qualité de pouvoir se transformer sans cesse, pour se conserver, en fonction du programme qu’elle accueille. Ce bâtiment est donc un symbole d’inconvenance, inextricablement et éternellement lié a sa véritable fonction première : celui de faire exister une milliardaire suisse dans le sublime paysage arlésien, une sorte de cénotaphe par anticipation, figé dans une attitude mi-mollesque.
Et dans ce pays, ou pour changer les petits bois d’un soupirail de cave, il faut passer nécessairement sous les fourches caudines et sourcilleuses des architectes des bâtiments de France, la raison du plus riche aura eu raison de la raison d’État. Et cette tourlingue boudinée de titane ressemble bien plus au majeur tendu de l’architecte américain vers toutes les UDAP de France, qu’a une architecture muséale d’intérêt public. Il n’y a pas d’alternative au fuck the context, semble-nous résumer parfaitement cette architecture de boomer qui transpire les années 90.
Il faut boire le calice jusqu’à la lie, et se coltiner, dans la salle, tout droit en glissant au bout du toboggan, l’interview en écran géant 4k dolby surround de l’architecte Frank Gehry, qui vous explique sans rire que la lumière était là, que Bas Smet est gentil, quoiqu’un peu naze, et surtout que sa tour ressemble a la nuit étoilée de Van Gogh, morphing vidéo à l’appuis. Pauvre Vincent. Il vaut mieux se couper les deux oreilles qu’entendre des inanités pareilles.
Alors on est un peu triste, en regardant dans le rétroviseur, la belle ville d’Arles disparaître dans les brumes du Rhône. Comme un comédon longue durée sur le visage d’un ami cher, la dernière chose que l’on aperçoit avant de reprendre l’autoroute, c’est cette excroissance cyranesque, cette protubérance du grand capital. Arles, la petite Rome de Gaule, est maintenant une ville passablement défigurée par une milliardaire qui l’aimait trop, et par un architecte qui ne fait plus son travail, reprenant sans cesse ses tubes éculés sous les soleils basques, californiens ou saoudiens. Et c’est la faute a un État, normalement régulateur, qui est très fort avec les faibles, mais très faible avec les forts, incapable de dire non aux caprices des vieux.
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carnetcritique · 3 days ago
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Ça devait être joli, au début, le coin de la grotte de Massabieille. Une petite résurgence karstique logée sous un abri sous roche, au fond d’un profond talweg dans l’ombre du modeste Béout , avec une vue imprenable sur les remparts et le donjon du château de Gaston Fébus. Une eau claire s’en est écoulée sans histoire pendant quelques millénaires, polissant les galets gris de la neste qui creuse tranquillement le ravin, coupant ici la dernière montagne avant la mer. Oui, il y avait probablement un esprit des lieux qui résidait ici, une divinité locale, un kami comme dirait les Japonais, ou une huaca chez les Incas.
Mais quinze ans après que Victor Hugo se soit esbaudi devant la beauté ahurissante de Gavarnie, une fille du coin a raconté avoir croisé « Aquera », l’esprit du lieu, un genre de Pokémon Gascon qu’on a absolument tenu à nommer la Vierge. Au lieu de se contenter de mettre un calvaire comme à l’accoutumée, une petite croix discrète pour rappeler aux flâneurs et au distraits la beauté incommensurable de la Création Divine, les humains se sont soudainement mis a empiler avec frénésie sur sa modeste demi-grotte avec vue, des gigatonnes de granites appareillés.
C’est que la foi catholique, en perte de vitesse après la révolution, en s’appuyant sur les capacités techniques nouvelles de l’ère industrielle, a fait de ces apparitions toute une histoire. Et dans ce pays ou chaque vallée se termine par un paysage enneigé à l’échelle des dieux, des cirques comme des colloseums naturels, des murailles fantastiques, des tours et des pyramides de plusieurs milliers de mètres, les hommes se sont bizarrement enquiquinés à faire des tas de petits trucs alambiqués.
Et que je te fais des basiliques supérieures, inférieures et souterraines par ci, de doubles colonnades torsadées, des chœurs a déambulatoire par la. Il doit rester des dômes dorés, des chapiteaux sculptés et des cryptes romano-byzantine de style ogival, je vous le mets aussi ? Un professeur d’architecture lambda, du type à lunette à monture épaisse, aurait sans doute souligné que malgré les efforts visiblement consentis, vouloir absolument bâtir une verticalité au fond d’une dépression topographique est un peu vain, ces bâtiments ne semblent pas tout à fait à l’échelle du site. M. Le Quer, architecte et enseignant a Montpellier aurait conclus gravement en soulignant avec un air inquiet et une mine grave, une relation d’effort à effet assez faible. L’esprit du lieu, lui, n’a pas côtoyé d’école d’architecture, mais en voyant cette grosse cerise byzantine s’asseoir sur son tout petit gâteau, il a tout simplement préféré se barrer en maugréant, un peu plus loin dans le fond du barranc.
Il faut avouer que la basilique inférieure, brillante, enlevée, est un peu folklorique avec ses manières de château de la belle au bois dormant, ses fresques dorées composées par des icônes à gros yeux de style oriental. Disons qu’elle est aussi vivante et gaie que la basilique supérieure est sérieuse, froide, et ampoulée. Mais le clou du spectacle, comme très souvent à Lourdes, est invisible : il faut maintenant descendre dans la basilique souterraine pour en prendre la mesure.
Avant de prendre les deux rampes qui descendent, on peut reconnaître à Pierre Vago, l’architecte de la dernière des trois basiliques, une formidable intuition : pour être à l’échelle du site il fallait disparaître, s’enterrer, et fabriquer par le nouveau toit enherbé, une ligne tendue permettant d’admirer le méandre du gave et l’éperon rocheux sur lequel est bâti le donjon de Lourdes : une sorte de vue initiale de ce qu’était le site de la grotte avant l’intervention humaine. Ce parti de projet, très fort, consistant à construire un grand abri pour 25.000 personnes pour les cérémonies majeures réunira dans l’équipe de maîtrise d’œuvre le célèbre Eugène Freyssinet, Pier Luigi Nervi et Claude Parent : la dream team du béton armé.
Mais en descendant les rampes et en entrant dans l’édifice, on est frappé immédiatement par l’étrangeté de la composition en plan : c’est un anti-Parthénon. La figure archétypale du temple périptère est retournée, comme une chaussette. Dans le temple classique, on trouve d’abord la colonnade, ce décor de lumière, puis le mur du temple, le coffre aveugle, le naos, qui est à l’abri des intempéries. L’espace intermédiaire, la stoa, entre le clos du temple, est public, c’est un lieu de transition et de médiation qui appartient à la cité.
Dans la basilique souterraine, on accède par une rampe asphaltée à une déambulation périphérique, un vaste portique plongé dans l’obscurité totale : le mur de l’église, le mur du naos est à l’extérieur, car c’est le mur de soutènement. Celui-ci, trop occupé à retenir les tonnes de graviers et d’eau du gave, ne peut laisser filtrer qu’une seule fine lame de lumière naturelle entre la toiture et le mur périphérique. La colonnade, le péristyle, est à l’intérieur et sépare la déambulation de la nef. Ça n’est plus la lumière naturelle, le soleil, qui vient frapper la colonnade , alternance de vide et de plein, d’ombres et de lumière, mais une lumière électrique, artificielle, crée par l’homme et sa technique et diffusée depuis des plafonniers électriques. Le message est clair : la lumière vient de l’intérieur de l’Église, le rite est autonome, spéculatif, coupé du monde. Pas de place pour le non humain, ni d’ailleurs pour celui qui n’est pas dans la communauté des croyants. Pas de transcendance dans ce grand abri un peu triste, juste un exploit sportif de franchissement horizontal, avec une note de style élevée. C’est une drôle de basilique, un endroit qui ne prêche que les convaincus : les mécréants de mon espèce ne sont pas conviés dans cette fête, donnée dans une langue étrangère.
Quand cette basilique est vide, cet étrange vélodrome à fauteuil roulant a des parfums de fin de fête. Dans la lumière électrique, un peu trop chaude pour être vraie, on se sent déplacé, étranger. Et dans le silence du temple, on a la sensation d’être emprisonné au sein de la grande carcasse blanchie d’un animal échoué, ou dans la cage thoracique d’un dieu enterré. Mon fils ne s’y trompe pas : déjà échaudé par l’ambiguïté phonétique entre basilique et basilic, ogre et orgue, il est silencieux depuis un moment. Il me tire déjà par la main pour retrouver la pente de la rampe, cette fonction oblique qui nous mènera vers le gave et le ciel découpé par les montagnes.
Hautacam, Léviste, Caballiros, Viscos, Bergons et Balaïtous, en voilà des dieux bien suffisants pour peupler un Panthéon personnel. Un peu plus haut dans la vallée en remontant le gave, au-dessus des faitages des toits en ardoise, ou au bout des rues qui mènent de l’EPHAD au bar d’Azun, ces vieilles montagnes déplumées, schisteuses, granitiques, me regardent tour à tour pousser un vieil homme bien charpenté, qui chante en béret noir sur son fauteuil roulant. Mon fils papillonne autour, en sautant sur les pierres de seuils des perrons des maisons de ville, en jouant avec les nymphes que l’on trouve autour des fontaines nombreuses percées aux coins des rues, et dont les eaux captées dans les pentes de la montagne nous apportent leur joyeux glouglou avant de filer sous terre. Il rigole bien, maintenant, le petit soleil, avec son arrière-grand pote, comme il aime l’appeler. Et ils préfèrent en faire deux qu’en louper une.
De la construction de la basilique, des exploits de Freyssinet et de Vigo, il s’en moque un peu mon grand père, comme de sa première communion. Il préfère me raconter comment il se tirait la bourre avec son copain Marcel Montés sur le boulevard de la grotte. Ou alors vitupérer contre la taille des SUV et les clôtures en métal découpé au laser que l’on voit fleurir partout dans les lotissements, lui qui a une formation de compagnon serrurier.  « On n’a pas idée de fabriquer des trucs aussi moches ». Attablé au bar d’Azun, face à la fenêtre, il me dit encore combien on a de la chance de vivre dans un pays pareil. Sans que l’on sache s’il parle de la vue sur les pentes douces du Hautacam à travers la fenêtre, ou du verre de saint Mont rouge posé sur la table.
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carnetcritique · 3 days ago
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Pour l’année 2025 qui s’ouvre, on pourrait souhaiter que la belle ville de Montpellier sorte enfin de la zone blanche. Pas d’une zone blanche de télécommunication, mais de matière grise. Rappelons que Montpellier est la métropole de France qui a connu la croissance démographique la plus élevée en valeur absolue depuis 2000, ce que rabâchent sans cesse nos élus successifs, en tentant de s’attribuer sans ménagement la couronne de laurier du dynamisme métropolitain. Ce dont ils parlent moins, c’est que c’est bien la seule métropole qui n’est pas dotée d’une agence d’urbanisme. Alors que des villes comme Chalons, Orléans, ou Quimper en ont une, et que le territoire français en compte pas moins d’une cinquantaine. Ces agences d’urbanisme viennent fournir un appui technique aux collectivités territoriales et mettent à dispositions des réflexions stratégiques en participant au processus décisionnel des élus. Mais ces petites villes n’ont probablement pas la chance d’avoir des élus de la trempe de ceux de Montpellier La Surdouée. Est-ce que c'est pas un peu pénible de sortir de la discussion urbaine, policée, du diner mondain entre amis, pour entendre des spécialistes qui risqueraient de vous dire que vos idées d’appels à projets urbains innovants sont un poil désuètes, et ont déjà été tentées de multiples fois en France sans grand succès ? Que démolir une tour de logement pour refaire un immeuble flambant neuf de bureau à la place n’est vraiment pas une approche très contemporaine ? Même si on tente de s'accrocher aux branches en récupérant 28 ampoules, et 15m2 de carrelage pour faire oublier les tonnes de béton grignotées. Ça serait une chance inespérée de sortir de la maladie adolescente de la métropole de Montpellier, le Frêchisme. Cette idée épatante qui consiste à croire que quand on est élu, on ruisselle soudainement d’un savoir immense et incontestable, en confondant l’image des choses et la réalité. Ce qui a marché dans une petite ville de 200.000 habitants, est ridicule un demi-siècle plus tard : à 600.000 habitants dans l’aire urbaine, on voit beaucoup trop les ficelles. Ici, on a tenté le Washingtonia, l'image du palmier, mais qui n’est pas adapté à nos climats, et qui n’a jamais transformé Montpellier en Miami Beach. On a aussi tenté la Ford Crown Victoria pour la police municipale, l’image de la bagnole de flic américain, mais cela n’a pas réglé pas les problèmes de sécurité. Alors on tente les Folies Montpelliéraines, l’image de l’architecture, mais qui ne se substitueront évidemment pas à une véritable politique urbaine de long terme. Alors, cher 2025, s’il te reste un peu de temps, et quelques sous malgré la gratuité du tramway, peux-tu enfin déposer une agence d’urbanisme à Montpellier, qu’on puisse enfin devenir adulte ? En attendant, tu pourrais remettre en avant le beau projet urbain de Vigano-Secchi-Mensia, mais qui a étrangement disparu des radars depuis que la municipalité Frêche IV à remplacé la municipalité Frêche III.
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carnetcritique · 3 days ago
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La question de la notation de la matière centrale, le projet, en école d’architecture, est une problématique éminemment complexe. Beaucoup de paramètres de l’exercice sont peu objectivables et l’imbrication et l’interdépendance de chaque paramètre pris à part, est difficile à résumer en catégorie quantifiable. Un simple paramètre comme l’échelle du bâtiment, sa taille ou son ampleur dans son site, par exemple, peut interroger tout un tas de catégories : de l’économie de matériau, au contexte bâti environnant, en passant par la composition, ou encore la question réglementaire. Et il faut avouer que le girondinisme absolu de l’enseignement en école d’architecture, sans cadre fédérateur et sans retour d’expériences national, fait que quasiment chaque enseignant doit inventer sa propre méthode : c’est donc la sacro-sainte logique du « démerde-toi » qui prévaut. Voici la mienne.
Alors, partons du principe qu’un bon projet d’architecture est systématiquement compris, depuis au moins deux millénaires, dans ce qui a été établi par Vitruve comme un triangle équilatéral Venustas (Beauté) / Firmitas (Solidité) / Utilitas (Commodité). Avec une précaution d’usage : il ne s’agit pas de cumuler bêtement les points dans chacune de ces catégories, mais pour l’architecte de trouver le point d’équilibre idéal entre eux. C’est certainement ce que résume parfaitement la leçon mythique de Dédale, la première star architecte occidental, confié à son fils Icare pour s’échapper du labyrinthe de Minos : « Je t’exhorte à prendre le milieu ». C’est Utilitas retenant Venustas, qui fait que l’architecture n’est pas une sculpture vaine, sans but, mais une forme à usage, économe en matière, et en espace. C’est aussi Venustas retenant Firmitas qui fait que le projet d’architecture est quelque chose de supérieur et d’infiniment plus humain qu’une pure forme technique, la résultante d’une équation paramétrique. Voici le cœur, ou plutôt les yeux, qui contrebalancent la raison. L’architecture est une question d’équilibre.
Alors juger le résultat de l’architecture construite avec cette triade est une chose relativement commode, mais le cadre pédagogique, les contraintes de l’exercice scolaire n’apparaissent pas dans ces trois pôles, alors qu’ils font partie de la progression de l’étudiant. Il semble indispensable que la notation du projet en école d’architecture doive tenir compte des moyens pédagogiques de présentation du projet, censés être maitrisés dans les premières années, et peaufinés durant l’ensemble de la scolarité. Le triangle devient beaucoup alors trop étroit. Ces moyens techniques sont de deux ordres : la représentation et la fiction, le dessin et la parole. Ils sont des préalables au projet, des échafaudages, des jambes, sans lesquelles aucun étudiant, aucun architecte, ne tient debout.Nous avons donc comme cible non plus un triangle, mais un pentagone, une figure quasiment humaine, deux jambes (fiction, représentation) deux bras (commodité, et technique) et une tête (venustas). Ces cinq paramètres permettent de juger avec clarté et efficacité un projet d’école dans le temps court imparti par le jury.
J’ai compris en fréquentant les compagnons du devoir la leçon d’une pédagogie pluriséculaire :  l’utilisation des symboles visant à transmettre des idées par des images. L’histoire de la tour de Babel sera toujours plus intrigante, plus visuelle, plus amusante pour un jeune esprit, que retenir un adage moralisateur un poil plus pénible : « il vaut mieux travailler dans la concorde que dans la discorde ». L’objectif est le même, mais pas le médium pédagogique. L’image de l’humain dans le cercle, figure vitruvienne par excellence, me semble être un beau symbole, et le pentagone, une belle introduction au mystère de l’architecture. C’est une figure suffisamment hermétique et profonde pour être attirante qui vise essentiellement à faciliter l’apprentissage par de jeunes architectes, et leur permettre de s’accrocher à la discipline architecturale.
Au fil des rencontres et de l’expérience de jurys de HMONP, nous constatons que la grande majorité des professionnels sont bel et bien des experts dotés de jambes et de bras bien musclés. La vie professionnelle, une fois le diplôme passé, nous pousse presque naturellement à devenir de bon dessinateur, de bon orateur, de bons techniciens, et de bons économistes. La représentation, la fiction, la solidité et la commodité sont maitrisées, car en dehors d’une montée en compétence solide sur ces fondamentaux, il n’y a pas de salut : si un seul de ces critères nous fait défaut, un architecte ne peut pas monter une agence et construire.
Par contre, dans la vie professionnelle, aucun client, aucun jury de concours, aucune entreprise sur chantier, ne saura juger de la composition d’ensemble et de son lien avec l’objet construit, et de son équilibre avec les autres catégories : c’est bien la seule spécificité disciplinaire de l’architecte, sa seule prérogative. C’est ce que nous dit la pierre tombale de Hugues de Libergier, le maitre d’œuvre de la cathédrale de Reims, dont la proportion du rectangle défini par les pieds et passant par la bouche de notre auguste confrère est un rectangle d’or : c’est simplement le fait de proportionner les choses, et de les composer les unes par rapport aux autres, qui nous donne la parole.
Il faut bien avouer que la majorité des architectes n’engagent dans leurs travaux que très peu d’éléments de compositions : la beauté en est souvent absente, et la tête de notre figure vitruvienne complètement atrophiée. Les écoles d’architecture ne peuvent pas se cantonner à fabriquer de beaux corps bodybuildés servant de support à des têtes réduites à la sauce Jivaro. Car on rencontrera dans sa vie des clients qui maitriseront mieux l’usage de leur bâtiment que nous, des ingénieurs qui maitriseront mieux la question de la solidité que nous, des perspectivistes qui dessineront mieux que nous, des agences de communication qui maitriseront mieux les réseaux sociaux que nous, mais personne qui ne saura mieux ordonner et composer que nous. Car contrairement au lieu commun entendu mille fois dans une vie d’architecte, il est urgent d’arrêter de penser que les gouts et les couleurs ne se discutent pas :  le diplôme d’architecture est absolument un diplôme « en gout et couleur » dans le milieu de la construction.
Dès la sortie de l’école, il n’y a apparemment presque aucune différence entre « faire », et « bien faire ». C’est en repositionnant l’enseignement de la composition du projet au centre des études d’architecture, comme SEULE spécificité disciplinaire, que l’on pourra aider les futurs architectes à répondre à cette question cruciale.
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carnetcritique · 3 days ago
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« Moi aussi, j’aurais eu peur, au moment de décoffrer les porte-à-faux des terrasses » nous confia le meilleur ingénieur structure français, au terme d’une brillante analyse de la maison sur la cascade, chef-d’œuvre de Frank Lloyd Wright. L’amphithéâtre de l’école d’architecture était comble, silencieux, abasourdi, et légèrement en hypoglycémie. Il ajouta dans un sourire, qui était déjà un demi-aveu, «parfois, les résultats sont mathématiquement bons, mais physiquement incorrects». Ce monde est ainsi fait que tout ce qui prend la lumière projette aussi une ombre considérable qu’il faut savoir regarder. Masqué par la fausse ingénuité objective et scientifique de l’analyse rondement menée, on découvre avec effarement la boîte de pandore qu’a ouverte avec fracas F.L Wright, avec cette maison iconique suspendue au-dessus d’une rivière.
La pyramide exprimait clairement, comme tout premier archétype architectural, la pesanteur des choses et le poids tragique du monde matériel. Puis ce qui avait été pressenti au fin fond du Finistère européen, avec les pierres bleues ordonnées et soulevées de Stonehenge, a trouvé dans le Parthénon un point d’équilibre, presque trois millénaires plus tard : le fronton surplombant le portique du temple grec, une figure pyramidale soulevée par des poteaux, exprime la volonté farouche des humains de lutter contre la fatalité de la disparition inéluctable. Il faut soulever ce poids des choses pour s’y glisser dessous, et habiter le monde.
Le langage classique de l’architecture se veut un langage naturel, qui illustre une idée simple, et surtout lisible par le commun des mortels : les bâtiments expriment poétiquement la descente de charge des masses soulevées pour abriter les hommes. Et les architectes existent pour sublimer cette descente de charge. Il n’y a dans la période classique, entre le maître d’œuvre de Vauvert dans le Languedoc et l’architecte de Rome qu’une différence d’accent, de précisions, de moyens, mais l’expression architecturale, le langage employé est le même. Non seulement les gens de la rue comprennent ce qu’ils voient, mais le maître d’œuvre et l’architecte peuvent communiquer, s’influencer mutuellement. C’est cette somme d’expression commune cumulée sur des siècles, qui nous a donné des chefs d’œuvres d’unités comme l’écusson de Montpellier. Ici c’est la ville entière qui est le monument : le classicisme enseigné par les traités côtoie sans cacophonie le classicisme ordinaire de l’architecture sans architecte, comme le définit parfaitement l’architecte Nicolas Duru dans son ouvrage éponyme.
Dans la maison sur la cascade, une brèche s’est ouverte pour ne jamais se refermer. Là, exactement, le poète devient soudainement magicien : les grandes terrasses en porte-à-faux ne tiennent "apparemment" pas. "Visiblement" pas. C’est spectaculaire et ambigu, voire vaguement inquiétant. Pour le béotien, ou le moldu, qui ne connait pas la magie des nappes de ferraillages, et l'astuce des poteaux masqués dans les ouvrants, l’architecture devient un mystère. Une architecture parfaitement hermétique au simple regard. « N’ayez crainte, nous sommes en lien avec le Calcul, et le Calcul nous dit que ça tient. Normalement.» semble-nous dire la maison sur la cascade. Et pendant que des spécialistes en Bac+5 s’échinent à vous expliquer la tension spatiale du salon entre les horizontales, la croix spatiale de la séquence d’entrée, la forêt qui rentre, vous ne savez confusément toujours pas bien comment ça tient.
Dans cet exploit technique incompréhensible par le commun des mortels, il y a un hermétisme définitif qui questionne. D’autant plus que le nouveau matériau employé dans ces terrasses, le béton armé, cache profondément en son sein sa vérité constructive : les barres d’acier en tensions situé en partie basses d’une poutre, en partie haute d’un porte-à-faux, sont invisibles, cachées dans l’enrobage de béton. Tout le monde sait que deux murs en maçonnerie finissent par se rejoindre en voute, faute de linteau. C’est une sorte d’évidence physique et visuelle que les enfants peuvent expérimenter en accumulant des cubes colorés. Stonehenge n’est qu’un kapla de plusieurs tonnes, en pierre. On peut le voir et le comprendre intimement. Mais nos enfants ne peuvent pas expérimenter le béton armé : c’est un truc sérieux, d’adultes, complexe, contre-intuitif, un machin gouverné par les nombres. Dieu est mort, vive le calcul.
Alors dans au fond d’un ravin en Pennsylvanie, des porte-à-faux flottent à l’horizontale dans une abstraction moderne conquérante, mais quelque chose s’est cassé, presque définitivement : c’est la possibilité que l’architecture soit non pas une affaire de spécialiste, mais la restitution d’une parole collective.
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carnetcritique · 3 days ago
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C’est la joie que j’essaye de transmettre aux étudiants. Je dis toujours qu’on fait un métier où il y a 92 à 93% de trucs très pénibles. Pour 7% d’irremplaçable. Je préviens les étudiants : on va vous demander toujours plus de compétences pour remplir des dossiers, motiver des gens, convaincre des clients, des élus, se heurter à l'administration, faire des tableaux de surfaces. Mais au milieu de ces bagarres désespérantes, de ces milliers de tableaux, de devis, des machins, d'ordre de services, de décompte général définitif, il y a quelque chose d'unique qui se dresse et qui est là pour un bon moment : un bâtiment. Le fait de faire transiter une idée de la conception à la réalisation, de fabriquer avec les autres quelque chose qu’on a conçu, qu'on a pensé et formalisé, la rencontre avec le réel, c’est une joie profonde et inestimable.
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carnetcritique · 3 days ago
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« Vous pouvez peut-être appeler l’architecte des bâtiments de France pour lui faire revoir son avis ? » me demande le maire, penaud, sur le ton de la supplique :  il ne veut pas se brouiller avec la préfecture. Je sens mon client, Philippe s’agiter nerveusement sur sa chaise. Il voit, comme moi, le piège se refermer sur lui. Un architecte des bâtiments de France qui donne un avis favorable sur notre projet, mais à la condition compréhensible et justifiable d’un retrait ponctuel de 1m10 par rapport à la limite parcellaire cadastrale pour respecter le caractère du bâtiment qui surplombe le village et le superbe château, classé monument historique. Il faut dire que la limite de propriété serpente aléatoirement, depuis Napoléon, au moins, au pied de notre bâtiment.
Et ça, évidemment, c’est plus que ne peut accepter l’esprit froid de l’instructrice zélée de la DDTM, qui refuse catégoriquement, en vertu de l’alinéa R-1111-17 d’un règlement national d’urbanisme qu’elle maitrise sur le bout des doigts, le fait que la toiture puisse être, sur 3 petits mètres 70, en retrait d’alignement. Elle applique, droit dans ses bottes, son règlement d’une logique géométrique implacable, qui de Concarneau à Périgueux, en passant par Neuville et Echourgnac, évite à celui qui l’applique de réfléchir dix secondes. Alors dans cette logique binaire et maastrichtienne du 0 à 3, tout disparait, il n’y a plus rien entre les deux. On chute inexorablement dans un vide juridique, un abîme logique, où se perd la raison naturelle, les honoraires de mon client et ma patience. L’ABF contre l'avis de la préfecture, un maire couard, et nous, pauvres ères, coincés entre les deux : le tableau est complet.
Alors mon client est furieux, il enrage, il est d’humeur palestinienne. Dans un endroit où tout le monde lui disait de ne pas déposer de permis de construire, il voulait faire les choses bien. Il s’est trompé : l’architecte c’est compliqué et cher, et c’est inutile, parce que le permis est refusé. Alors loin des fenêtres du bureau climatisé de la sous-préfecture, les surélévations en parpaing et les vérandas en PVC sans permis fleurissent partout sur le flanc sud de la montagne noire. Et les architectes rentrent chez eux, dans les métropoles. La chargée de l’urbanisme à la ville glisse un mot à Philippe : « franchement, faites vos travaux et vous ne serez pas embêté ». Bienvenue dans le far sud west.
Je sais ce qu’il sent, Philippe, il est cocu. Comme moi, cette fois au Bourget, où je croyais entendre le candidat Hollande, alors que c’était Aquilino Morelle qui parlait, lui qui a fini quelque temps après dans un fossé avec une balle politique dans la tête. Et c’est ce même Hollande qui, toute honte bue, lui président, nommera un ministre de l’Économie absurde qui deviendra un peu plus tard le roi du vide pyromane, une sorte de Néron 2.0 de la république. Moi aussi Philippe, mon ennemi c’est la confiance.
La Montagne Noire audoise est cet endroit particulier ou la France d’en bas est enfin en haut. Le nord pas de Calais, finalement, mais avec la vue sur les Pyrénées et écrasé par le soleil.  À 40% au premier tour aux européennes, le rassemblement national prospère sur ce terreau splendide. Furieux à côté de moi, je ne sais pas ce que vote Philippe, et je m’en fous bien : c’est un chic type. Et il sait ce que je pense, moi qui ai quasiment un poster de Jean Pierre Chevènement dans ma Clio 3 TCE TomTom édition. Alors ici, comme ailleurs, dans ce microdrame quotidien, se rejoue sans cesse la lutte pénible au possible entre le pays réel et le pays légal, jetant les gens dans les bras des affidés contemporains de Maurras, au front beaucoup plus bas que national.
Et il faut dire qu’on se sent parfois un peu con, avec ses petits bras, à porter la république en bandoulière. J’ai touché 3500 euros pour constater les dégâts de cette fracture nationale, avant de rentrer confortablement dans ma citadelle métropolitaine. Des copains m’enjoignent de rejoindre une manifestation de jeunes qui crient les fachos ne passeront pas, dans un quartier ou LFI fait presque 60%. Mon journal, Marianne, laïque en diable, se fait racheter par un milliardaire catholique. Nous avons perdu la bataille culturelle, nous avons perdu la bataille des idées, nous ne parlons plus à personne. L’hégémonie des thèses nourrissant l’imaginaire d’extrême droite envahit les médias, la puissance économique du pays se retourne maintenant vers un allié de circonstance situé bien plus à droite. Comme faire entendre en 140 caractères, que la radicalité, aujourd’hui, c’est la nuance ?
En sortant de la mairie, là-haut, sur ma montagne noire, je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, vers la vallée. Au-delà de la ligne noire du canal du midi, les Pyrénées barrent l’horizon d’est en ouest, indifféremment. Heureusement qu’ils sont là, eux, pour s’en foutre un peu.
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carnetcritique · 3 days ago
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L’ailier s’envole le long de la ligne de touche pour aplatir le ballon dans l’en-but. La foule exulte, extatique, et saute dans les travées du stade. C’est un superbe essai, les journaux Anglo-saxons devront bientôt l’avouer, et même ceux qui ne connaissent pas le rugby et ne regardent que les phases finales peuvent apprécier cet instant de beauté et communier dans la joie. Celui qui connaît un peu plus le rugby s’était déjà levé avec les mains sur la tête quelques instants plus tôt, en criant des encouragements, quand il avait vu le premier centre traverser la ligne de défense et passer les bras au-delà du défenseur pour ajuster sa passe. Il a déjà vu, a l’instant précis où l’aillier se saisit du ballon, que la voie vers l’enbut est ouverte. Son plaisir est décuplé, et il est plus intense que son voisin néophyte. Leur voisin de tribune est un aficionado, féru du ballon ovale, et il a bien vu que c’était la quatrième fois depuis le début du match que son équipe envoyait le jeu dans le fermé. Il sait que le premier centre irlandais défend mal sur son épaule gauche depuis son retour de blessure. Il a vu le remarquable travail de l’ombre du seconde ligne de son équipe, sélectionné par l’entraineur car plus rapide que le titulaire habituel, croiser pour faire pivoter ce défenseur, avant de volleyer le ballon a son centre. Sur cette épaule, il sait pertinemment que le défenseur ne va pas pouvoir empêcher de passer les bras : le piège se referme sur les irlandais. La suite n’est qu'une mise en scène bien huilée qu’il regarde aboutir avec un plaisir esthétique maximal. Et il n’a plus qu’à unir son cri de joie avec celui de la foule qui explose, même s’il a compris depuis bien longtemps que les irlandais étaient cuits. Le plaisir quasiment enfantin que l’on peut tirer de la lecture et de la compréhension d’un système complexe, comme une œuvre d’architecture s’apparente a un acte de reverse engineering : essayer de déterminer comment un dispositif fonctionne, en le décortiquant et en le regardant de l’extérieur sous tout les angles. Le plaisir du reverse engineering consiste a essayer de segmenter un système en petite briques de bases logiques. Et plus la compréhension des briques de bases, des pièces du puzzle, est grande, plus il y a de chance que l’on éprouve une satisfaction de l’esprit à la compréhension et à l'appréciation de leur agencement : c'est exactement la notion de beauté mathématiques. La lecture d’une œuvre architecturale implique de connaître un certain nombre d’éléments de base pour en percevoir les subtilités de conception et de mise en œuvre : au-delà de la matérialité d’un bardage bois vertical, un œil averti saura apprécier l’alignement des fixations mécaniques, et le recouvrement de la garde a l’eau avec une pièce de galva, qui rappelle le plis de la tôle de couvertine en partie haute protégeant le bois debout. Comme au rugby, l’architecture, plus on connait, et plus c’est bon.
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carnetcritique · 3 days ago
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Un enfant se tient devant un parterre de lierres, et regarde le soleil à travers la grande serre adossée du jardin des plantes sur son embase en pierre calcaire moulurée. Le rythme régulier et vertical des parcloses du verre est à contre-jour, dans le nuage précis et infiniment varié des arbres et des plantes encadrant la scène. Le paysage, l’architecture comme décor de la vie qui se déroule, dans une illustration du bonheur quotidien. Mais rien dans ce cliché ne dit la brise qui rendait l’air un peu plus frais ce matin-là. Rien ne permet de restituer le rayonnement subtil du soleil qui réchauffait la peau du visage et des avant-bras, à travers le simple vitrage courbé de la serre. Rien ne laisse deviner l’éclat de voix de l’enfant qui imite une tourterelle, renvoyé clairement par le volume frontal de la serre, dans l’acoustique feutrée des feuillages et le bruit répétitif des mésanges et des serins. Et rien non plus ne dit l’amour incommensurable qu’un père derrière son smartphone porte a son fils, malgré la coiffure évoquant les beatles early 60’s ou le raveur berlinois dont le petit homme semble affublé. La serre est belle, mais ce n’est pas le sujet, et si elle contribue activement au plaisir du moment, c’est dans l’inattention des acteurs. De tous les arts, l’architecture est le seul qui soit perçu dans l’inattention. La dimension visuelle d’un édifice est primordiale, mais l’architecte doit impérativement s’occuper des autres dimensions acoustiques, thermiques, olfactives, qui sont inévitablement perçues avec le corps quand on rentre dans un édifice. Celui qui passe le porche de la cathédrale de Maguelone n’est pas seulement saisi par les dimensions de l’espace et l’obscurité apaisante de la nef, au milieu du miroir scintillant de la mer et des étangs derrière lui. Il sent la fraîcheur sourde apportée par déphasage thermique des épaisses maçonneries en pierre, par l’écho particulier renvoyé par la voûte de la nef romane, et par la légère odeur saline et camphrée, procurés par la mer si proche et l’encens d’un orient lointain. L’architecture, le premier des beaux-arts, est aussi le seul qui mobilise absolument tous les sens humains. Elle réunit l’acte de penser et l’acte de sentir. L'archétype de la cabane à base carrée génère spontanément sur son site six microclimats. Voir et sentir. Et avec Arendt, nous savons que la joie de ce qui est dans la plus grande proximité, de ce qui est senti, est indicible. Les photos imprimées des revues à large tirage, le jeu des réseaux sociaux focalisent l’attention sur ce qui devrait être aussi perçu, en exacerbant une de ses dimensions au détriment des autres. La question centrale d’un architecte est celle définie par le poète : est-ce ainsi que les hommes vivent ? Il nous faudrait sûrement, pour y répondre, endosser le rôle de décorateur, plutôt que celui de directeur artistique, en se mettant au service de la vie qui se déroule. Plus perçu et moins vu : renvoyer l’architecture dans le décor.
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carnetcritique · 3 days ago
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J'ai eu l'honneur et l’immense fierté, d’être invité hier au Congrès national des Compagnons du Devoir menuisier et ébéniste. Une plongée sociologique absolument fascinante pour un enseignant en école d’architecture, dans le fonctionnement ritualisé de la société compagnonnique, qui a pour objet la transmission d’un métier à travers une pédagogie réglée lors d’un voyage d’apprentissage, mais aussi celle de valeurs fondamentales humaines essentielles. J’assistais hier à la manière ancestrale et vivante de constituer une élite ouvrière passionnée et passionnante. Loin d’être rétive au monde actuel, cette association aborde tous les sujets contemporains : CAO, impression numérique, I.A, avec une réflexion philosophique qui parle sans arrêt de la relation privilégiée entre l’homme et son outil. Alors quel bonheur d’entendre parler dans une même salle bondée de Leroi-Gourhan, d’Ernest Renan, de tronquoirs, de contre-dosse et de façonnage de gouttières à la toupie ! Les compagnons ont un vocabulaire et une langue très particulière : de la poésie pour les profanes. Une fenêtre ouverte pas seulement sur le passé, mais aussi sur l’avenir, et sur une fabrique de gens bien. Ma contribution a consisté à discuter la notion même de patrimoine, définit par le Larousse comme « un bien que l’on tiendrait par héritage de ses ascendants ». Cette notion de « bien » semble déjà orientée vers une prétendue richesse : on peut hériter de quelque chose d’encombrant, de désagréable. Voire de dettes. La notion de patrimoine, en ayant conscience des limites planétaires, implique de réfléchir attentivement à ce que nous allons construire, et donc léguer. Démolir, c’est transformer beaucoup, et utiliser une énergie considérable : on ne peut plus faire d’architecture jetable. La lecture contemporaine des monuments historiques comme des objets singuliers, isolés, sublimés, et ripolinés, nous empêche de voir comment les œuvres architecturales ont traversé le temps. Comment rendre compréhensible la troublante composition générale de la façade de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, depuis le curage de l’ilot canonial qui la ceignait complètement depuis le Moyen Âge. Le vide du square permet de prendre du recul, et de voir ce qui était jusque-là masqué ou difficilement perceptible. Mais l’absence de cette contrainte bâtie initiale ne permet plus de comprendre la dilatation sublime en cœur d’ilot d’un espace intérieur vaste et inattendu, et le décalage entre la nef Raimondine et le chœur gothique. L’architecture qui est durable n’est pas un objet singulier, fini et terminé : c’est une architecture qui est suffisamment belle pour que les hommes s’y attachent, mais suffisamment souple pour accepter des greffes, des ajouts, des transformations d’usages que le temps invariablement finira par faire apparaitre. Pour entreprendre la formalisation d’un patrimoine contemporain, il est urgent de reconsidérer l’architecture comme support : l'architecture est un support de combat.
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carnetcritique · 3 days ago
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Sur les quarante dernières années, on a amélioré les performances acoustiques, techniques et énergétiques des bâtiments, mais on a assisté à une diminution drastique de la surface : on a perdu 2m2 par chambre, et 30 cm de hauteur sous plafond. La cuisine n'a plus jamais de fenêtre, et n'est d'ailleurs plus une pièce à part, mais elle est incluse dans le salon. Les logements, conçus sur la trame des parkings sous-terrain, sont très épais, et presque jamais traversants. La fabrique du logement contemporaine repose donc sur une fiction : celle de la disponibilité énergétique illimitée. On ne pouvait pas imaginer il y a 4 ans que nous allions rester confinés chez nous à cause d'une pandémie mondiale. Dès lors, est-il tout à fait farfelu d'imaginer un monde où il y aurait des coupures d’électricité de temps à autre ? Alors, comment habiter dans toutes ces opérations de logements neufs que l'on construit depuis les années 2000 si l'on ne peut pas allumer les parties communes pendant une partie de la journée ou de la nuit ? Si l'on ne peut pas activer l’ascenseur ? Si la ventilation mécanique contrôlée et la lumière de la salle de bain ne marchent pas ? Si la hotte de la cuisine ne fonctionne pas ? Si l'on ne peut pas climatiser un appartement non traversant... Pour le savoir, il suffit de lire IGH, l'excellente nouvelle de science-fiction de la trilogie de Béton de Ballard. (Sans divulgâcher, ça ne se termine pas très bien, et l'architecte n'a pas vraiment le bon rôle.)
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carnetcritique · 3 days ago
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Juste en face de l’Arbre Blanc, de l’autre côté du Lez, on trouve un bâtiment ordinaire d’une époque pas si lointaine où n’existaient pas encore les médailles en chocolats décernées par des sites agrégeant sans discernement tout le contenu architectural mondial : en 1969, on ne confondait pas encore la recherche de l'authenticité et celle de l'excentricité. Ce bâtiment ordinaire, un vieil Arbre Gris, n’est certes pas le « plus beau bâtiment du monde », mais a de nombreuses qualités qui font cruellement défaut à son blanc voisin. Sa faible épaisseur permet des étages courants avec des logements traversants, et des fenêtres pour toutes les pièces humides. On peut aérer, et rafraîchir, sans climatisation ou ventilation motorisée. Les chambres de l’arbre gris sont avantageusement placées vers le calme intérieur de l’îlot, alors que dans l'arbre blanc, l'idée d'avoir une fenêtre dans la salle de bain est carrément abandonnée, et dormir la fenêtre ouverte est un luxe. La moitié des logements de l’Arbre Blanc – ceux qui sont sur la façade qu’on ne voit jamais sur Pinterest – donnent en effet sur un des ronds-points les plus fréquentés de la ville centre. Les circulations verticales, vitrées sur l’extérieur, animent agréablement les façades :  on n’a pas besoin d’allumer les paliers quand il fait encore jour, et on peut se raviser en dévalant les étages, lorsque l’on n’a pas pris sa cape de pluie en voyant un ciel gris, menaçant. Côté rue, pas d’effets de manches : les salons sont doublés par une simple loggia, avec une allège de garde-corps pleine garantissant l’intimité du logement et un rapport au vide apaisé. Ces loggias, ont progressivement été habitées, parasitées, appropriées par les habitants, alors que juste de l’autre côté du fleuve, rien de cette vie simple ne transparait sur les balcons aseptisés de l’arbre blanc. C'est qu'à Montpellier, il y a du vent, obligeant sur les plongeoirs de l’arbre blanc à installer un mobilier lesté … et normé. On ne va quand même pas flinguer le feed Instagram des influenceurs mondiaux avec un parasol Orangina ? L’Arbre Blanc propose donc un choix cornélien et original à ses habitants : le vent ou le rond-point. Dans le dos des touristes focalisés sur le blanc éphémère de son jeune cousin, l’arbre gris est un peu quelconque, mais agréable à ses habitants : la définition même d’une architecture ordinaire-extra, remède rétroactif à la Folie architecturale. Depuis un demi-siècle, à la nuit tombée, un flâneur profitera du spectacle ordinaire des ombres chinoises découpées par la vie des gens au fond des loggias, et du jeu des lumières intermittentes de ses cages d’escaliers, sans avoir besoin d’attendre Richard Scoffier et l’invention capillotractée « des intimités croisées». Si vous cherchez à vivre à Montpellier, un conseil d’architecte : privilégiez le Gris au Blanc. Et avec l'argent économisé, allez prendre un café sur le fameux Rooftop de l’Arbre Blanc : on y voit notre mer, et plus le vaniteux bâtiment.
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carnetcritique · 1 year ago
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Que nous raconte le mystérieux cercle mégalithique anglais Stonehenge ? Rien. Ou pas grand-chose.
Surtout quand on compare au Ziggourat d’Ur en Mésopotamie, ou aux grandes pyramides d’Égypte, contemporains de notre cercle de pierres dressées, et qui sont beaucoup plus prolixes et élaborés socialement. Ces monuments stupéfiants sont attachés aux toutes premières cités des hommes, et font donc transiter toute sorte de symboles complexes, rattachés à des ethnies d’homo sapiens qui avaient découvert l’écriture, cunéiforme où hiéroglyphe, et bien avancé leur division du travail.
Au contraire, la civilisation néolithique européenne n’a strictement rien écrit. Cette civilisation s’est contentée de dresser des énigmes sous forme de pierres, des mégalithes, de plus en plus gros, énormes, vers le ciel et vers le soleil, et partout sur le territoire, en France, en Angleterre, en Corse et au fin fond de l’Espagne. Pas une randonnée dans les drailles cévenoles, sur les pourtours du golfe du Morbihan, ou au fin fond de la Charente maritime, sans tomber sur une allée couverte, un dolmen ou un menhir. Alors Stonehenge, le grand monument de cette civilisation ne dit certes rien, mais c'est un témoignage unique, très proche de nous dans l’espace, et dans le temps, de l’essence même de ce qui fait l’irréductible originalité du phénomène humain.
N’étant pas encombrés de la volonté spirituelle perdue de nos ancêtres, on comprend uniquement ce que ces pierres veulent bien dire : Stonehenge est une œuvre collective, un outil extrêmement sophistiqué et précis, orienté par les solstices, pour observer la course du soleil et de la lune. Une véritable machine de vision, un outil en prise avec le fond des âges, qui raconte d’une manière essentielle ce couplage fonctionnel très caractéristique entre l’organisme humain, son environnement et la technologie. Ce couplage unique, qui nous a fait passer du monde vivant au monde humain, et qui apparait dès l’aube de l’humanité il y a presque 3 millions d’années.
L’homo habilis à la face plate se tient debout, et avec sa main libre, il fait des outils. C’est ce qui le caractérise : l’outil est une composante organique de l’homme, un véritable organe extérieur. Comme il n’est pas codé génétiquement, mais exsudé du corps, extériorisé et disponible aux autres individus de l’espèce, l’outil fabrique chez l’humain, très progressivement, une mémoire sociale externe : le groupe humain en sait plus que l’instinct biologique de l’individu. Le lien entre zoologie et sociologie se desserre progressivement grâce à cette mémoire collective externe, qui s’enrichit à force de faire des outils, en anticipation d’usages futurs non prévisibles. Stonehenge raconte ça : à force de faire des galets polis, on finit par faires des bifaces, puis des grattoirs, puis des flèches, puis des monuments funéraires, puis des châteaux, puis des manufactures, puis des aéroports, puis des centrales nucléaires. Ça prend deux ou trois millions d’années, mais le résultat est là : on devient plus intelligent grâce à ce que l’on fabrique.
Stonehenge condense dans un cercle de 88m de diamètre la leçon essentielle d’André Leroi-Gourhan, le grand paléontologue : « la pensée n’est pas seulement une activité de traitement d’information, c’est un dialogue entre la vie et la matière.». L’humanité est une technogenèse, s’appuyant sur ses outils pour progresser biologiquement. Comme l’œuf et la poule, l’homme et l’outil sont liés depuis la nuit des temps.
C'est le témoignage précis, figé et silencieux, de ce moment incroyable où l’homo sapiens, en ayant une mémoire sociale externe suffisante se met à faire des outils complexes en forme de bâtiment, de l’architecture en somme, passant du statut préhistorique de chasseur-cueilleur qui était le sien depuis 295.000 ans, à celui d’homme qui façonne l’histoire, et qui concerne tout juste les 5.000 dernières années. L’Architecture est une technique, une discipline toute nouvelle, à l’échelle de l’humanité. Et à Stonehenge, ce grand outil de pierre qui nous rend plus intelligents, les Trilithes des blocs de sarsen parlent déjà de la thématique infinie du rapport entre ce qui porte et ce qui est porté. On peut déjà comprendre le mur qui s’ouvre à la lumière pour former les colonnes des temples, et sentir dans le cercle parfait l’abstraction radicale de la géométrie platonicienne. En fait il y a déjà tout Pythagore, Vitruve, Palladio et Viollet-le-Duc, en germe, dans la pierre bleue de ce monument muet, qui tisse un lien entre nous et l’aube de l’humanité.
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carnetcritique · 1 year ago
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Les premiers souvenirs à Barroude sont indissociables des premiers souvenirs de montagne. Probablement de ceux qu’on se remémore adulte, en y donnant une importance quasi-initiatique que ni la longueur objective, ni la difficulté de la course ne puisse justifier. Après les nombreuses balades d’enfance dans la vallée du Marcadau et la vallée si riante d’Aratilles, les pique-niques à côté des géraniums de Troumouse, où aux Oulettes de Gaubes assis dans le pâturages verdoyants, s’impose un nouveau projet : il va falloir s’attaquer à rien d’autre que l’«Envers du Cirque de Troumouse » comme le décrit dans son style concis inimitable, le guide Ollivier familial dans une édition des années 70 toute cornée.
Et me voilà donc à la fin de l’été, à remonter la vallée de la Géla, sous un poncho rouge et une pluie régulière. Mais le Guide Ollivier avait menti : absolument rien de pittoresque dans cette succession monotone de rochers, perdus au milieu d’un brouillard à couper au couteau. Mon père, de dos, me criait en riant « Allez, courage, plus qu’une demi-heure ! » comme une sorte d’unité de temps incompressible, du début de la randonnée, à la fin. Je compris plus tard que les dizaines de mètres qui le séparait systématiquement de moi était une manœuvre très habile : assez loin, il pouvait profiter de la montée sans subir ma mauvaise humeur. Assez proche, il me servait de point de mire en impulsant un rythme que ma peur de le perdre de vue me contraignait à suivre.
Au bout de quelques heures, le brouillard s’estompant un peu, je voyais notre sentier s’élever encore à flanc d’un grand pâturage jusqu’à un dernier ressaut abrupt, un « coup de cul », à mon avis un peu désespérant. Et planté au-dessus, je voyais pour la première fois la grande muraille noire, infiniment lisse de Barroude, qui m’apparût alors inquiétante, sublime et menaçante. « Le refuge est juste là-haut, au pied du mur» me dit tranquillement mon père, «plus qu’une demi-heure, et on devrait même y être avant l’orage ». Et il repartit aussitôt. Les premiers éclairs éclatèrent à la sortie du ressaut, lorsque nous passions devant l’embranchement du sentier de la Hourquette de Chermentas. Quel spectacle et quelle frayeur ! Le bruit formidable du tonnerre qui roulait contre ce mur de trois kilomètres de long et lisse comme une lame me filait une frousse dantesque. Au milieu de la nuée qui semblait avoir absorbé la terre entière, alors que nous progressions aussi vite que nous pouvions, penchée juste au-dessus de nous, la muraille de Barroude, encore plus noire que le ciel, devenait blanche par à coup, lorsque les éclairs zébraient le ciel. Marchant sous des trombes d’eaux et dans un boucan de tous les diables, je me souviens alors apercevoir comme un mirage têtu, campé sur son ténement rocheux, et se détachant sur le fond sombre de la muraille, la pointe volontaire du toit du refuge de Barroude.
Les montagnes ne vivent que de l’amour des hommes, selon le grand Rebuffat, mais est-ce qu’il y a un autre endroit où l’on peut pour ressentir de l’amour pour une construction humaine, même fruste, pour un simple refuge, efficace, pragmatique et savant, légué par nos semblables au milieu de cet environnement ou tout est à l’échelle des dieux ? Quel autre endroit que ces lieux isolés en montagne pour apprécier le dénuement d’une ampoule électrique dans le sas de déséquipement, ou j’abandonnais mes chaussures trempées ?  Même la rigueur des cimaises en bois des murs de la salle commune valait tous les stucs et les gypseries des palais du monde, et la garbure préparée par les gardiens méritait n’importe quelle étoile au Michelin. La courte nuit, dans un dortoir bondé, remplis de ronfleurs et de blagues espagnoles, me sembla délicieuse. Le lendemain matin, l’abris avait fait son office, le ciel était dégagé et l’humeur excellente : je contemplais depuis la fenêtre de la salle commune, parfaitement placée au-dessus de mon lait chaud, l’aube violette qui colorait les cimes de la muraille, et le pic de Troumouse.
Intervenir dans le Parc National des Pyrénées, c’est inévitablement nous interroger sur la place que tiendra l’homme dans le milieu montagnard au XXIème siècle. Comment transmettre l’héritage de la tradition agropastorale toujours vivace, et qui a façonné la physionomie même des montagnes, tout en réinterrogeant notre rapport à ce contexte fragile. Sans évacuer la question touristique, devenu majeure avec le développement du loisir aux quatre saisons, bâtir au cœur même du cirque de Barroude, nécessite une conscience et une attention toute particulière dans ce site isolé et spectaculaire. A l’ère de l’anthropocène, il nous faut maintenant dépasser la vision romantique, de Hugo, et même la vision héroïque, portée par les Ramond, Chausenque et Russell, qui ont fait les belles heures du Pyrénéisme. En partant de cet héritage, nous souhaitons faire de ce projet de refuge un manifeste pédagogique de l’art de bâtir à la montagne au XXIème siècle.
Construire un refuge, renvoie à la vocation anthropologique de l’architecture : protéger et abriter des activités humaines. Ce que l’on peut oublier en bas, dans la plaine, la montagne nous le rappelle en renvoyant à son essentialité toutes les décisions techniques, tous les choix que nous ferons. Mais évidemment la somme des contraintes techniques est loin de faire un projet, et ce n’est qu’en composant tous les éléments avec minutie, avec attention, que nous aurons la chance et la responsabilité d’entrer en résonnance avec le site spectaculaire de Barroude. Pour que d’autres adultes, d’autres enfants aient la chance d’être invité à rencontrer la Montagne dans ce lieu spectaculaire et magnifique.
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carnetcritique · 1 year ago
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Sur la place du Nombre d’Or, première réalisation du taller de Arquitectura de Ricardo Bofill à Montpellier, la modénature grecque est un prétexte à l’architecture, une habileté supplémentaire ajoutant un éclat de rire à une typologie extraordinaire. Le décor n’est pas dissociable de l’architecture : les colonnes doriques surdimensionnées masquent les circulations verticales des logements. L’entablement des derniers niveaux outrepasse les dimensions attendues, classiques, pour accueillir en encorbellement les balcons des derniers niveaux de logements. Même l’imitation des principes de l’architecture de pierre jusqu’aux détails les plus fins reprend la manière antique de contrôler la pluie, de la ralentir, de la guider pour assurer la pérennité de l’œuvre : c’est un détournement remarquable des procédés de préfabrication lourde en béton.
Bien mieux d’ailleurs, il faut le dire, que la tentative de dépassement opérée par Balladur à la Grande-Motte, dans une évocation des plus belles heures du classicisme et de grands ensembles magnifiquement dessinés comme la galerie du bord de l’eau du palais du Louvre de Métezeau. C’est un véritable chef-d’œuvre d’architecture, réalisé un peu moins de 10 ans après la construction du Polygone sur les principes de l’urbanisme sur dalle et qui mérite sans nul doute son classement patrimoine XXe siècle.
Mais le discours de faux-nez de Bofill sur la communication des principes qui guident son architecture a fini par masquer le fond au profit de la forme. Communiquer Antigone en ne parlant que du plan de la chapelle de Toddi, de la place Navone, et du fait que Georges Frêche, le maire, ait été professeur de droit romain a fait basculer le quartier dans la caricature. Et de la très belle opération de logements sociaux et en accession, aux logements bien conçus, traversants, on ne retient que l’accessoire, le style néo-classique et théâtral.
C’est que le décor est passé au premier plan, au cours même de la construction du quartier. C’est dans le bâtiment central de la Clé, au milieu du quartier que la bascule s’opère. Le décor devient plat, comme une peau à peine plaquée sur le bâtiment. On pourrait le croire interchangeable. Il y a comme un malaise quand on constate que les motifs des balustres du couronnement sont en creux dans le béton plat : le rire devient forcé, jaune, angoissant. Voilà un grand bâtiment de bureau standard des années 90, déguisé de manière grossière en habit grand siècle. Plus rien n’excuse alors ce grand mur rideau noir sans protection solaire extérieure orienté sud-ouest. Balance ton four.
Le découplage total entre décor et typologie est consacré, et cette architecture de la peau est même théorisée un peu plus tard dans une discussion entre Baudrillard et Nouvel. Ce dernier ouvrira un service dans son agence s’occupant exclusivement de la composition des façades, remplaçant des architectes par des plasticiens, et de graphistes. Quand le bâtiment et son décor font résolument chambre à part, le cynisme peut commencer : c’est l’avènement du hangar décoré, la version US du post-modernisme, contre laquelle la typomorphologie européenne, saine réaction à la modernité triomphante, a malheureusement échoué à faire entendre sa voie.
C’est dans ce bâtiment, le plus cynique de Montpellier et le plus caractéristiquement néo-libéral, qu’est accueilli d’abord l’hôtel d’agglomération et aujourd’hui le siège de la métropole, cœur battant du pouvoir montpelliérain. On pourrait se demander dans quelle mesure l’influence de celui-ci continue de faire des dégâts dans le temps : il ne doit pas être tout à fait étranger au fait que l’opération des Folies puisse germer dans l’esprit de nos élus. Les folies ne sont-elles pas encore un énième avatar de ce découplage entre l’image et le fond, une confusion sur le rôle de l’architecture et des architectes dans la cité ?
Il est d’ailleurs manifeste que lorsque l’on visite Antigone, on ne passe jamais par les immeubles à patios qui bordent l’axe majeur. C’est le secret le mieux gardé d’Antigone : on trouve là une réponse typologique, urbaine, avec un gabarit aimable et une prise en compte des contraintes climatiques liées au climat méditerranéen. Dans cette ville qui s’est construite depuis les années 2000 sur le seul principe de l’ilot ouvert de Portzamparc, et par des opérations de logements où aucun architecte, aucun élu, aucun promoteur n’habitent, les immeubles à patios sont le chant du cygne du formidable architecte Bofill, qui s’est vu dépassé dès les années 90 par sa postmodernité. Ils formulent pourtant une piste urbaine raisonnable dont il serait urgent de s’inspirer.
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carnetcritique · 2 years ago
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Si je ne devais garder qu’une des nombreuses joies d’habiter à côté de la mer Méditerranée, ça serait le plaisir ineffable de faire des châteaux de sable avec mon fils au petit matin, dans le bruit apaisant et toujours recommencé des vaguelettes qui s’écrasent mollement sur la grève. Dans cette série de gestes simples et élémentaires, prendre du sable mouillé, mais pas trop, le tasser dans le seau, le retourner, tapoter l’arrière avec la pelle en plastique rouge, et retirer le tout en cherchant la verticale parfaite pour ne pas fissurer l’édifice, il y a un plaisir méditatif non dissimulé, et des questions existentielles à résoudre le samedi matin, en caleçon de bain et à moitié réveillé.
D’abord une évidence camusienne : le monde finit toujours par vaincre l’histoire. La condition standard de toute chose, c’est la plage. Tous les efforts pour sortir de cet état horizontal ne sont qu’une vanité humaine épisodique. Organiser du sable qui s’en fout, voilà ce que nous faisons. L’architecture qui a le bon gout de résister aux enfants qui courent et aux soubresauts de l’histoire a pour destin inévitable de finir asséchée, s’effondrant sous son propre poids, une fois que l’humidité entre les grains, en s’évaporant, ne garantit plus la cohésion des parties les plus exposées au soleil. Ce qu’il reste de l’édifice partiellement effondré est finalement battu par les vaguelettes molles, mais déterminées, qui sapent les fondations, remplissent les douves, et grignotent les tours, avec la tranquillité et l’assurance de ceux qui ont l’éternité devant eux.
Et alors, la plage revient, inévitablement. L’architecture n’est plus qu’un moment d’énergie, un pic d’intensité et d’ordre, qui veut témoigner de notre passage humain dans ce monde qui finira invariablement par gagner en organisant la dispersion de toute chose. Voilà la tache perdue d’avance de l’architecte, qui doit trouver des stratagèmes pour essayer de contrer pour quelque temps le deuxième principe de la thermodynamique : l’Entropie. Entre le moment d’ordre absolu et illusoire du projet, et le chaos absolu, la ruine de la ruine, il y a l’architecture qui essaye de se maintenir le plus longtemps possible dans un état d’équilibre intermédiaire.
Et il me semble que seulement trois voies s’offrent aux architectes. La première, très contemporaine, c’est de tenter de faire inlassablement des châteaux légers pour remplacer ceux qui tombent, au prix d’une énergie considérable : vous risquer de passer votre temps de plage à rebâtir sans cesse, comme un Sisyphe malheureux. La deuxième voie, c’est de faire un château tellement gros qu’il résistera à peu près le temps que vous vous baigniez, et que vous repliez votre serviette. Cette solution demande beaucoup de temps et d’énergie à votre arrivée sur la plage, et il s’effondrera juste après votre passage, mais vous partirez avec le sentiment du travail bien fait. La troisième voie, plus maline, c’est la voie de la maintenance : faire un beau petit château honnête, que vous entretenez en l’arrosant de temps en temps pendant quelques secondes avec un vaporisateur pour qu’il ne s’assèche pas. Cela permet de ne pas passer trop de temps en arrivant, afin de vous consacrer à la lecture du douzième tome des Fondations d’Asimov, et de vous baigner en toute sérénité. Si vous êtes de bonne humeur, vous pouvez refiler votre vaporisateur à la famille qui se rue éperdument sur votre emplacement à 10h, lorsque vous partez enfin pour fuir les UV et la foule, afin que ces inconscients puissent bénéficier à plein de leur double chance : un château déjà fait, prêt à jouer, et des enfants qui se lèvent tard.
Alors quand mon fils, comme toute bonne maitrise d’ouvrage, me regarde en souriant après avoir détruit en quelques secondes une dizaine de tours, de tunnels, de douves et de murailles, en sautant généreusement à pieds joints et en se roulant dessus en rigolant, et que je le vois prononcer avec sa bouche en fraise plantée au milieu du petit ovale lumineux qui lui sert de visage, un « Encore ? » gracieux et terrible, oui, j’ai secrètement envie de pleurer, de me battre, et d’envoyer une note d’honoraires salée comme la Méditerranée.
Mais je me souviens de Kipling, et me répète ce mantra entêtant « si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, alors tu seras un homme, mon fils ». Et j’empogne avec détermination ma pelle en plastique rouge, qui a une espérance de vie en bonne santé supérieure à la mienne, et je me remets à genoux sur la plage, sous le regard goguenard et un peu mauvais de l’éléphant violet à casquette qui jongle sur les côtés du seau.
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carnetcritique · 2 years ago
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Je viens de recevoir la belle publication d’Écoles Troubles, projet éditorial mené par la revue Accatonne, à la suite de la White Week des étudiants de Master de l’École d’architecture de Versailles de février dernier. On peut y trouver la restitution de la table ronde intitulée « Cher. e. s Futur. e. s Architectes » à laquelle j’ai eu la chance d’être invité. J’ai découvert a cette occasion une présentation brillante du moratoire sur la construction neuve de Charlotte Malterre-Barthes, dans un style Netflix anglo-saxon à couper le souffle, et dont on trouve dans cette revue une transcription quasi littérale. Cette présentation rodée, renforcée par des données et des vidéos spectaculaires, fonctionne comme un rouleau compresseur et constitue un véritable réquisitoire contre la profession. Et je reste à ce jour absolument stupéfait de l’efficacité du discours, et de l’inanité du concept, dont la violence et la radicalité visent probablement à captiver les jeunes esprits révoltés, et à donner bonne conscience aux institutions qui le promeuvent.
« Construire, c’est détruire » nous explique gravement Charlotte Malterre-Barthes, du haut de sa tribune suisse à l’EPFL. « Chaque bâtiment est une machine a exploiter les corps, par le travail des architectes, de la main-d’œuvre bâtisseuse » continue-t-elle, devant une vidéo de tractopelles déplaçant des monceaux de gravats au milieu d’ouvriers en haillons accablés par une chaleur subsaharienne. Dans les combles de l’école d’architecture de Versailles, j'entendais quasiment sonner le glas. Il ne manquait qu'un beau Stabat Mater Dolorosa de Pergolèse pour parfaire ce tableau déprimant, alors que nous étions installés devant un parterre d’étudiant de 4e année, ou seule une toute petite moitié, après un sondage à main levée, voulait « travailler en tant qu’architecte praticien ».
Comment, devant ces jeunes gens, ne pas distinguer les conditions des chantiers actuellement en France, avec le sort des ouvriers dans les stades au Qatar ? À quoi bon faire porter le poids du passé, les tentatives, les échecs des époques précédentes, et même du monde tel qu’il est, à notre corporation ? Et surtout comment une intervention pareille peut-elle contribuer à sortir nos étudiantes et étudiants d’un phénomène paralysant d’écoanxiété qui les frappe de plein fouet ?
Faire semblant de mélanger la construction et l’architecture, qui n’est qu’une infime partie du premier secteur, me semble absolument décourageant. Nous sommes depuis le quattrocento, et l’invention du métier d’architecte, dans l’oreille des puissants. L'architecte chuchote, projette et construit avec un degré de liberté dépendant de la confiance accordée par la maitrise d’ouvrage, qui détient le pouvoir et l’argent. L’architecture n’est rien d’autre que l’art de la commande, la mise en forme de la volonté générale dans le meilleur des cas, et l’expression pure de la volonté personnelle du commanditaire dans le pire, quand il n’y a pas d’autres garde-fous. L’architecte n’est pas en position de pouvoir : il est confiné dans une posture machiavélique, ou plutôt dans un rôle de courtisan défini parfaitement par Baldassare Castiglione, un contemporain de Palladio. Et il doit tenter de garder au milieu des puissants, son indépendance d’esprit, avec « grâce et désinvolture ».
Alors quand on a la chance de vraiment pratiquer le beau métier d’architecte, de l’idée au chantier, il s’opère un effet de recentrage politique immédiat. Le déjà-là, c’est aussi et surtout les gens avec qui on travaille. Si la posture de l’architecte révolutionnaire, retiré sur son Aventin, à la vie dure en école d’architecture, l’architecte travaille surtout dans la Cité, et c'est en intrigant, en joutant et en se battant d’arrachepied qu'il peut faire respecter ses idées et imposer quelques points de vue. L’éventail des choix des architectes se situe inévitablement entre le compromis et la compromission. Le seul sport de combat qui ressemblerait à l’architecture serait le judo : utiliser le mouvement et la force de l’adversaire pour arriver à un résultat. Hors de cette église exigeante du réel, point de salut : c’est l’utopie, le fantasme, l’architecture de papier, les axonométries infinies dans les magazines, les conférences, ou bien l’enseignement.
C’est bien, certes, mais c’est autre chose. On peut bien évidemment préférer la fuite à la résistance, mais professer la révolution aux jeunes âmes entre deux avions, et depuis les positions de pouvoir académiques, de l’EPFL, de l’AA et de l’ETH Zürich, me semble non seulement contreproductif, mais surtout dangereux pour les nouvelles générations d’architectes en devenir. Parce que dans la crise climatique qui est là, je suis persuadé que nous avons notre rôle à tenir en tant qu’architecte. Un rôle absolument indispensable, d’influence, de pédagogie et d’action, où il est urgent de déterminer une architecture du « Oui, mais.. » qui nous replacerait au cœur de la production, tout en maintenant une posture critique. Loin du «Non» tendance, à la Charlotte Malterre-Barthes, ou de l’insupportable « Yes, we Can » ultra libéral à la Bjarke Ingels, nous voulons penser qu’il existe une voie médiane, un « oui, mais… », courtois et pas dupe.
Une architecture qui mêlerait comme disait Gramsci le pessimisme de l’intelligence, et l’optimisme de la volonté.
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