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JE NE TIPPE QUE LES TAXIS
C’est difficile de quitter quelqu’un quand on sait qu’on a encore tant de choses à vivre avec elle. Lorsque ce n’est plus le cas, on part avec grâce comme à la fin d’un long séjour dans un hôtel aux murs tapissés de soie. C’est ce que Mira se disait en traversant ce long couloir.
Elle suffoquait encore des odeurs de cigarette de la veille. Elle portait un long manteau qui semblait trainer derrière elle tellement elle avançait vite. Sans bagages, sans rien. Elle laissait derrière elle des mois à vivre dans le brouillard, à suivre Ben qui voyageait sans cesse. La dame d’ouvrage qu’elle a croisé dans le couloir l’a dévisagée avec admiration. Il faut dire que tout le monde levait la tête à son passage. Elle ignorait pourquoi, que là, ca devait être l’aspect de ses cheveux gras. Elle a croisé le
regard de cette dame courbée avec son aspirateur. Le badge sur son uniforme blanc lisait « Amina ». Pour chacune, le sourire échangé a semblé durer une éternité tant il en disait long sur l’amour que deux inconnues pouvaient éprouver l’une pour l’autre sans raison apparente.
Le hall d’entrée était vide. En sortant de l’ascenseur, Mira était prise d’une nausée qu’elle ne pouvait pas expliquer. Elle a vite trouvé un chauffeur libre à l’extérieur.
Bien qu’il n’ait pas compris où il devait l’emmener, le chauffeur a démarré. Mira a croisé le regard bleu pâle du vieil homme dans le rétroviseur. Elle s’est dit qu’il avait compris qu’elle ne savait pas où elle était. Qu’elle pouvait être dans n’importe quelle ville, qu’il pouvait être n’importe quelle heure. Ca n’avait pas d’importance.
Le taxi roulait furieusement en longeant de grandes avenues. La radio allait trop fort. Cela collait bien avec le spectacle de cette fin de journée auquel elle assistait depuis le confort de son siège.
Elle se demandait si Ben s’était rendu compte qu’elle était partie. Elle avait tout laissé. Son satané téléphone et une valise sans grand chose dedans. Ben voyageait avec toute sa vie. Il avait des gens pour tout faire à sa place. A chaque fois qu’il passait la porte d’une chambre d’hôtel, toutes ses affaires y étaient et disposées de la même manière. Mira a vite été malade par cette situation. Le voyage n’avait aucune saveur pour lui et ca s’est vite déteint sur elle.
Ben allait mettre des heures entières avant de réaliser qu’il y avait un mot posé sur le meuble à côté de son lit. Elle avait pourtant commencé en écrivant son prénom en grandes lettres et est repassé dessus plusieurs fois à défaut d’avoir un marqueur sous la main. Ce n’était pas tant son égoïsme qui a fait qu’elle était partie. Elle s’en accommodait et comprenait à quel point les artistes étaient autocentrés et vivaient comme des enfants. Elle était suffisamment indépendante pour le supporter. Elle vivait dans son ombre mais tout ce qu’il produisait, il n’aurait pas pu le faire sans elle. Elle était dans chaque ligne qu’il
écrivait, dans la moindre image qu’il projetait. Mira a eu une boule au ventre. Elle sauvait sa peau en partant. Pourtant en un battement de cils, elle s’est rappelée à quel point elle l’aimait.
En passant ses mains dans les poches pour les réchauffer, elle a sorti un bout de papier. Ben avait pour habitude de lui glisser des mots dans les poches de ses vêtements. Elles les découvrait souvent quand elle se baladait seule ou quand elle l’attendait dans une chambre à Londres ou à Tokyo. Celui ci disait : « Aime moi moins mais aime moi longtemps. »
Le chauffeur de taxi a longtemps observé Mira essuyer ses larmes avant de lui dire qu’ils étaient arrivés. Il n’était pas certain des raisons pour lesquelles il avait accepté de conduire cette jeune femme à l’entrée d’une forêt. Il l’a regardée s’y introduire sans hésitation avant d’avoir fait un signe de la main. Le soleil déclinait et la trace laissée par Mira s’est évaporé dans l’air. Le vieux chauffeur ne comprenait pas non plus d’où elle a sorti toutes ces liasses de billets
qu’elle lui a tendus. Il conduisait des taxis depuis une quarantaine d’années, plus rien ne le surprenait. Il a vu des touristes chinois entrer à vingt, des hommes d’affaires overdoser dans son rétro-viseur mais quelqu’un comme elle, il n’avait jamais vu ca.
Elle se souvenait mot à mot de ce qu’elle a écrit à Ben. Elle ne voulait pas disparaître comme ca. En repensant à la veille, les larmes ont continué à couler et une rage inexplicable est montée. Elle a serré les poings et a continué à traverser cette forêt.
« BEN Tu me croiras certainement sur parole si je te dis que je n’ai pas écrit ce qui va suivre de bon cœur mais il fallait que l’un de nous le fasse. »
La veille, Mira est tombé de haut quand Ben a lui a fait l’annonce qu’il allait probablement commencer une autre histoire. « Elle s’appelle Harper », il lui a dit.
La consternation était totale et les motifs de son choix l’ont fait presque éclater en fou- rire. Elle qui ne rit jamais. Ben estimait que sa position nécessitait un degré d’expérimentation sentimentale. Au fond d’elle même, elle le comprenait, bien sur. Il n’empêche que l’annonce dépassait l’entendement. Il fallait qu’il le fasse, il y voyait une forme d’urgence. Il proposait donc qu’ils restent amis ou que leur histoire se poursuive parallèlement à celle qu’il vivrait avec cette Harper. Elle n’a pas dit un mot. Elle ne se rappelle pas de la longueur de ce silence qu’elle a interrompu avec un « Je vais me coucher ».
« Je prends mes distances avec toi, je n’ai jamais voulu qu’on soit juste amis, ni ce que ca voudrait dire vraiment. »
Au milieu de la forêt, le son s’est fait de plus en plus précis. Son manteau était couvert de griffes de ronces. Des griffes comme sur une peau nue. Elle est enfin arrivée sur les rives de ce fleuve. Elle avait connu le nom de toutes les rivières par cœur. Les rivières du monde entier. Elle savait où elles menaient
toutes. A cet instant précis, elle espérait juste qu’elle allait pouvoir repartir.
« Je n’ai pas de rancœur. J’ai aussi ma part de responsabilité. Je me suis fait du mal en restant accrochée à toi, en espérant que tu aies un élan envers moi qui dépasse ton art. Je regrette d’avoir été « une expérience » qui a fini par s’imposer dans ta vie alors que tu n’en demandais pas tant. Je te souhaite de terminer cette tournée avec succès.
M. »
Elle a enlevé ses bottes et s’est approchée de l’eau. Elle a avancé. Au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait, les pans de son manteau flottaient et se noyaient sous le poids de l’eau. La surface de l’eau brillait de plus en plus fort. Mira a fini par fermer ses yeux. Toutes les raisons pour lesquelles elle partait semblaient ne plus avoir aucune importante. Seuls comptaient les battements de son cœur et sa peau qui, progressivement, s’écaillait. Elle allait retrouver le chemin vers l’océan. Dans son monde, on ne se perd pas.
Mira leva les yeux. Elle regarda une dernière fois ce ciel bleu-orange et ces arbres centenaires qui dégagent cette odeur si particulière une fois que la nuit commence à tomber. Elle n’a pas eu besoin de prendre son souffle. Elle savait où elle allait.
Arthur Scott_ Janvier, 2019
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