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Je n’aime pas qu’on m’appelle.
Je n’aime pas qu’on m’écrive, ou alors pas beaucoup. Le problème est qu’après, je dois répondre. Et je mets du temps avant de le faire. Le problème, c’est qu’on ne me laisse souvent pas le temps. Une fois que je reçois le message, je commence à angoisser. La personne attend ma réponse. La personne souffre. La personne m’en veut. Il faut que je réponde. Sauf que j’ai pas envie. Sauf que j’ai pas le courage.
C’est trop d’informations dans ma tête. Trop de contraintes. J’ai les muscles qui chauffent. J’ai mal au dos tellement ça me tend.
Depuis quelques temps, je suis en stratégie de survie. Ça veut dire, concrètement, que j’essaye de disparaître.
*
J’ai un côté un peu radical.
J’ai rendu mon appartement à Paris. J’ai appelé mon travail. J’ai prévenu un ou deux potes, les plus proches. J’ai annulé tous mes rendez-vous, même le mariage de mon père.
Dix jours après j’étais dans un avion pour Athènes avec une valise de 20 kilos, et aucun plan, à part celui-là : disparaître.
J’ai trouvé une chambre dans un appart à Kypseli, un quartier nord de la ville.
Mes colocs devaient être là au moins quelques jours dans le mois. Finalement, ils sont coincés à Stockholm. « On rentre pas avant un mois, tu vas être tranquille », ils m’ont dit.
Je suis super tranquille. Je fais des aller-retours à poil dans cet appartement énorme.
Personne ne me voit.
Personne ne me regarde, sauf peut-être parfois les voisins d’en face, mais ça, ça fait rien.
J’ai l’intention de disparaitre. Je répète : j’ai disparu.
J’ai désactivé mon compte Instagram et mis en veille mon compte Facebook. Quand j’ai vu le message d’information, « votre compte a été désactivé », j’ai ressenti un tel soulagement. Comme un poids qu’on m’ôte. Une partie de moi, lourde, et blessée par tellement de regards, de commentaires, d’opinions sur elle, ou sur moi, qu’elle était devenue une part de gangrène. Une infection. Une infirmité.
Comme vouloir se déplacer avec une énorme tumeur sanguinolente collée quelque part entre la cheville et le genou.
J’ai bloqué la plupart de mes amis sur Whatsapp.
Pardon les mecs. Enfin, les meufs plutôt.
Pardon mais j’ai l’intention de disparaître.
Je disparais.
Le matin, la première chose que je fais avant de travailler, c’est du café.
J’actionne la petite machine italienne en reniflant la poudre. Je trouve qu’il n’y a pas de plus grand bonheur que celui-là.
Ensuite, je m’installe sur le balcon, ou dans le salon vide, avec ma tasse et mon ordinateur.
Je respire.
Incroyable comme on se sent plus souple, plus tranquille, une fois qu’on a disparu.
J’ai acheté un vélo et je l’ai appelé « Jia ». Ça veut dire « foyer », en mandarin. Qu’on ne me demande pas pourquoi. C’est comme ça. Quand on disparait, on se met à penser qu’on a tous les droits. On se met à avoir l’impression de pouvoir faire tout ce qu’on veut.
C’est vraiment bizarre.
Je pars le matin et je roule toute la journée. Je vais vers la côte. Je rejoins les collines d’Athènes.
Je laisse mon portable chez moi et quand je reviens, je vois très clairement qu’il est mon ennemi. Il est tout petit et pourtant il est tonitruant. Il m’attire comme si des tentacules énormes sortaient de son écran noir.
Si je pouvais, je le ferais disparaître lui aussi.
Là, je crois que je serais enfin tranquille.
J’ai changé de nom.
J’en ai pris un autre, un masculin, pour que personne ne comprenne vraiment plus rien à qui je suis, ou qui j’ai pu avoir été un jour.
J’ai tatoué un mot sur mon talon gauche. Comme ça, sur un coup de tête. « Solo ».
Je ne réponds plus au téléphone.
Je m’en fous bien de mes mails.
Je vais me baigner aujourd’hui.
Les gens qui me connaissent savent que j’ai très peur des requins.
Il suffit que je mette un pied dans l’eau, pour que j’imagine une mâchoire, une gueule qui m’attrape dans le noir, me saisisse à la jambe, au bras, et m’attire vers le fond.
A chaque fois c’est pareil.
Je mets un pied dans l’eau, et je ressors.
Mais cette fois, peut-être que ça ira.
Peut-être que cette fois, j’aurai moins peur qu’on m’attaque par surprise, qu’on m’enlève une partie de moi, et qu’on me laisse avec une marque, une cicatrice.
Un stigmate.
Je crois que maintenant que j’ai disparu, maintenant que je suis quelqu’un d’autre, les requins ne m’effraient pas.
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