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quasi-normalcy · 2 months ago
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It's funny how the quantum vacuum would throw *such* a curveball into the plenist vs. vacuist debate, except it doesn't because it's the 21st century and no one cares about horror vacui anymore.
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Voir l'essence, autrement dit atteindre la bouddhéité selon Huineng, par Patrick Carré
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« Si « devenir buddha » intéresse les mystiques bouddhistes au premier chef, «voir l 'essence » relève de la sagesse personnelle de n'importe quel individu, sinon de la philosophie, et même de la métaphysique universelles ».
L'IEB vous propose de (re)découvrir ce beau texte de Patrick Carré, profond, simple dans l'énoncé, sur des notions fondamentales qui, à n'en pas douter, sont le questionnement quotidien de tout bouddhiste exigeant et soucieux de l'essentiel. Huineng expose notamment une vision roborative des Trois Joyaux. Ainsi que cette quadruple injonction qui ne peut nous laisser indifférents :
« Infinis sont les êtres, mais nous les libérerons tous. Infinies les passions, mais nous les briserons toutes. Infinis les enseignements, mais nous les étudierons tous. Suprême est la voie de l 'Éveil, mais nous la parcourrons jusqu'au bout. »
En tant que personnage «réel », Huineng (638-713) est incontestablement un grand «patriarche » du bouddhisme zen, mais en tant que personnage «légendaire », et sous le prétexte qu'il est le bienveillant lieu d'accueil de mille et une illuminantes contradictions, j'aimerais soumettre au lecteur quelques pensées qui me sont venues en hommage à la grande déclaration que l'on aurait tort de ne pas lui prêter et qui dit que «Depuis toujours il n'y a rien » (en chinois : bênlai wu yi wù).
Vieux sage bouddhiste, Huineng raconte sa première illumination, sa première réalisation spirituelle, à plus de dix mille auditeurs qui «se pressent au pied de son trône » pour recueillir ses enseignements (1). Il avait vingt ans et vivait avec sa mère en vendant du petit bois. A l'«auberge des mandarins » où il venait de faire une livraison, son oreille s'emplit d'une psalmodie qui l'emporta tout d'un coup dans l'Ouvert. Sans le savoir, il venait d'entendre - et de comprendre - l'un des passages les plus ardus du Sütra du Diamant.
« A peine l'entendis-je, dit-il, que mon esprit s'illumina. »
À présent que, rompu aux habitudes théoriques et pratiques du Grand Véhicule, il est abbé et maître spirituel de religieux et de mystiques qui se comptent par milliers, il sait - et le proclame - que ce qu' alors il réalisa, c'est l'objet même de tous les textes du Grand Véhicule, et particulièrement du Sutra de la Connaissance transcendante coupante comme le diamant (Vajracchedikâ-prajnâpâramitâ-sutra) - autrement dit le Sutra du Diamant. Pour Huineng, ce discours du Bouddha - tel est ici le sens du mot sutra - contient la vérité absolue de toutes choses ainsi que la pratique de cette vérité absolue. Or l'expérience métaphysique que le vieux moine fit dans sa jeunesse est l'expérience même de la vérité absolue.
À la suite de son maître Hongren, le cinquième successeur de Bodhidharma, il explique que ce texte extraordinaire permet à ceux qui le lisent authentiquement de « voir l'essence et, dans cet acte de compréhension immédiate, de devenir Bouddha » (3). Aussi ramassé qu' imposant, aussi éloquent que catégorique, dans son classicisme le Sutra du Diamant est plutôt follement vacuiste ; la lecture attentive de ses déclarations philosophiques autant que de ses métaphores devrait inquiéter les esprits les mieux faits, avant de les rasséréner, s'il en est l'heure, au-delà de la pensée habituelle.
« Les êtres qui, entendant ce sutra, dit le Bouddha, ne seront ni saisis de crainte ni effrayés ni alarmés, seront comblés du plus merveilleux des pouvoirs. Pour quelle raison ? Parce que, Subhuti, le Tathâgata qualifie cet enseignement de sublime transcendance. Or ce que le Tathâgata enseigne en tant que sublime transcendance, les bienheureux bouddhas dont le nombre est incommensurable l'enseignent pareillement (4). »
VOIR L'ESSENCE...
Dans la philosophie mystique du bouddhisme, « voir » est connaissance juste, retour - pour ainsi dire - à la fusion originelle du sujet et de son objet: ici, l'essence (xing) . Cette essence doit vibrer de certaines résonances éminemment bouddhistes et mystérieuses dans l'oreille des auditeurs du vieux Huineng: l'essence n'est pas seulement cette « entité » qui fait que, une fois posée, la chose dont elle est l'essence est, et une fois ôtée, la chose dont elle est l'essence n'est plus ; elle n'est pas seulement la nature des phénomènes en tant que leur définition correcte ou la limite de leur signification. Ici, elle évoque plutôt deux espaces grand ouverts et débordant de sens, pourvus des noms bouddhistes d' «état naturel » (skt. prakrti) et de « nature de buddha »
Il peut donc s'agir 1 . de l'essence au sens philosophique, 2. de l'« état naturel » et 3 . de la nature de buddha, qui est l'essence même de chaque être animé (5). Ces trois « essences » peuvent se ramener à la seule nature de buddha, ou « bouddhéité » qui, autant que l'amour et l 'omniscience, désigne la grande égalité du samsara et du nirvana. Cette « nature de buddha » est l'essence la plus étrange qui se puisse concevoir. D'ailleurs, dès l'abord, elle est dite « inconcevable ». La « bouddhéité » est un autre nom du constat perpétuel que « tout est parfait ». Alors, fête du langage, permettez-moi de citer la déesse de Vimalakirti avant que nous ne nous claquemurions dans le fallacieux silence de l' indicible :
« La parole et l'écrit sont libération, s'exclama la déesse, parce que la libération n'est ni intérieure ni extérieure, et ne se trouve pas entre les deux. De même, le langage n'est ni intérieur, ni extérieur, ni intermédiaire, si bien que, Sariputra, on explique la libération sans renoncer au langage, parce que tous les phénomènes sont 'libération' (6). »
Toujours dans l'essentiel du langage, nous admettrons à présent que l'expression positive préférée de Huineng, (jiànxing chéngfo) (6), peut encore se traduire : « Être buddha, c'est voir l'essence». Pour activité principale, les buddha « connaissent » leur bouddhéité et la bouddhéité de tous les êtres. Et cette étrange bouddhéité, cette pseudo-essence n'est autre, selon les textes qui lui sont consacrés, que l'insubstantialité universelle en tant qu'espace et principe de toutes les qualités de connaissance, d'amour et de puissance des êtres éveillés. Inconcevable mystère au coeur duquel déjà, mystérieusement, nous sommes.
Est-ce là se rapprocher un peu du sens de l'assertion si chère à Huineng que l'on traduira cette fois carrément : « Voir l'essence, c'est être buddha » ?
Serait-il possible que le Maître déclare : « Si vous voulez atteindre la bouddhéité, connaissez la nature de toutes choses - mais - sur le mode dualiste habituel, soyez des encyclopédies à pattes » ? Je ne crois pas que la formule soit une recette, aussi sublime qu'elle puisse paraître.
L'expérience dont parle Huineng, c'est l'immuable et intemporel « éveil »
- éveil pourtant possible, vivable, perceptible - qui à jamais l'illumina quand il avait à peine vingt ans.
À l'époque, au début de la deuxième moitié du VIIème siècle, la mystique bouddhiste poursuivait ses infinis perfectionnements en Chine. Si l'insurpassable école de l'Ornementation Fleurie (Huayan) n'avait pas encore produit ses plus grands saints, il existait maintes autres méthodes pour expliquer le réel, et y accéder, lesquelles étaient cultivées et préservées au sein d'« écoles » qui concentraient leur vue et leur pratique autour d'un grand sutra, ou d'un grand cycle de textes comme le Lankavatara, le Lotus, le Ratnakuta, les Dix Terres, l 'Avatamsaka, les sutras de la Terre Pure, et ainsi de suite. En cette haute époque des Tang, tandis que le bouddhisme populaire accomplissait ses oeuvres consolatrices, la mystique culminait de bien des façons.
À la croisée du mysticisme le plus profond et de l'expression populaire de la foi, le moine Shandao commentait les sutras de la Terre Pure selon l'idée fort simple que le nianfo (la répétition du nom d' Amitabha dans la formule namu amituofo formait le seul « gué » pour la bouddhéité(7).
Pendant ce temps, les grands moines de l'école Tiantai peaufinaient la pensée de leurs maîtres, ajoutant l'éclat de l'érudition aux lumières de la sagesse mystique.
Pour eux, la vérité de l'éveil pouvait se transmettre de deux façons : abruptement, comme dans le Sutra de la Liberté inconcevable ; ou progressivement, en se référant soit aux textes du « petit véhicule », soit aux sutras « vastes et détaillés » du Grand Véhicule, soit enfin aux discours du Bouddha sur la connaissance transcendante (prajnaparamita) redécouverts par Nagarjuna. Les intellectuels visionnaires du Tiantai voyaient pourtant la vérité ultime à chaque page d'un autre texte : le Sutra du Lotus (Saddharma-pundarika), dont le sens était, pour eux, proprement inconcevable.
À la même époque, l'école Shelun consacrait le cittamatra, la «Pensée seulement », ou l'« idéalisme » (bouddhiste) , en méthode d'éveil à part entière autour de la traduction chinoise, réalisée par Paramartha, du Compendium du Grand Véhicule (Mahayana-samgraha, Dàshéng shèlùn) d'Asanga, dont l'idée maîtresse était, en sanskrit, idam sarvam vijnaptimatrakam , « la totalité du réel n'est que conscience(s) ».
Le Chan, qui en était à son « cinquième patriarche » après Bodhidharma (9), serait reconnu, jusqu'à la fin du premier quart du Vème siècle, comme une «méthode de purification spirituelle axée sur la pratique des six « vertus transcendantes » du bodhisattva, mais essentiellement des deux dernières, les vertus de concentration méditative (dhyana) et de connaissance de la vacuité (prajna). Sans le savoir et sans même y penser - preuve que la sagesse n'a rien à voir avec le savoir -, Huineng allait réunir le « Nord » et le « Sud », ainsi qu'on appelait respectivement les adeptes du Chan/Zen inclinant plus à la concentration de quiétude qu'à la connaissance de la vacuité et ceux qui ne juraient que par la prajna, perception non discursive de la pureté originelle de toutes choses.
Jeune homme, il venait donc de faire une belle vente de petit bois quand une psalmodie lui parvint, qui disait :
« ... Sans se fixer sur les phénomènes mentaux, il cultivera cet esprit d 'éveil. Sans même se fixer sur l'inexistence des phénomènes mentaux, il cultivera cet esprit d'éveil. Sans se fixer sur quoi que ce soit, il cultivera cet esprit d'éveil. Pourquoi?
Parce que tout ce qui est point de fixation n'est pas, en fait, point de fixation (10). »
Ce passage est le plus dense du chapitre le plus dense du Sutra du Diamant. Il explique ce que la tradition du Grand Véhicule appellela «pureté des trois pôles de l'acte » (skt trimandalaparisuddha) -autrement dit l'agent ou le sujet de l'action, son objet et l'action elle-même.
« Se fixer » revient à croire à la réalité d'une chose, d'un phénomène, d'un état d'esprit, à s'y attacher « de tout son coeur et de tout son corps », le plus souvent inconsciemment, et à exclure de l'horizon de cette chose tout ce qui ne correspond pas aux croyances, aux opinions et à l'attachement que cette chose peut inspirer. En se « fixant » sur quoi que ce soit - sur presque rien, en fait, lorsqu'on pense à l'infini des apparences -, on vit mal, obnubilé, abruti, cloué à la petitesse et totalement incapable de s'en rendre compte.
Les « phénomènes mentaux » désignent les pensées et les états de l'esprit, les émotions positives comme la compassion et négatives comme la colère, les visions pures et impures, les impressions fugaces et les sentiments qui s'éternisent, tous les mouvements et les contenus de l'âme.
« Cultiver l'esprit d'éveil », c'est toute la pratique, tout l'art et tout le génie du bodhisattva. Cet « esprit », qui est en fait une indescriptible merveille, se cultive en intention et en action. En intention, il consiste à vouloir atteindre l'éveil pour y amener tous les êtres ; en action, il consiste à mettre en pratique, dans cette optique, les six vertus transcendantes (paramita) - pour mémoire : la générosité, la discipline, la patience, la diligence, la concentration et la connaissance.
Le « point de fixation » désigne le lieu du contact entre l'esprit du sujet et l'objet de sa croyance et de son attachement. Ce lieu, comme toutes les caractéristiques d'une chose dont l'essence est vide, est vide aussi.
C'est pourquoi le Bouddha dit qu'il n' est pas un objet de fixation. Il n'en nie pas l'apparence mais l'essence en tant que telle : il rappelle que si le langage est le contraire même de l'arbitraire, il n'en reste pas moins conventionnel, illusoire et presque toujours inadéquat dès lors qu'il ne s'emploie pas à s'auto-détruire comme le bon remède qu'il devrait être.
Comment le jeune homme que Huineng était alors pouvait-il entendre cet incroyable fragment de la plus haute métaphysique universelle ? En perçut-il, sur un mode « merveilleux », le sens « technique » ? Lui fut-il soudain clair, et d'une extrême importance, que la pensée qui ne se « fixe » pas ne se fige, ne se paralyse, ne s'anéantit pas non plus dans les limites fictives d'une essence « réelle », et que cela lui permet d'oeuvrer au bien des autres inlassablement ?
Je suis de ceux qui pensent que le secret du « voir l'essence » et de la « pensée qui ne se fixe pas » selon Huineng s'éclaircit à la lumière d'une autre phrase splendide qu'on lui attribue - l'avant-dernier vers de la célèbre stance où le jeune macaque détourne le « quatrain de réalisation » du gradualiste Shenxiu, ce merveilleux octosyllabe : « Depuis toujours il n'y a rien (11). »
Je m'émerveille de l'expression « depuis toujours » qui bénit dans cette phrase le néant du «rien ». «Il n'y a rien » - ce qu'il faut comprendre comme « rien n'existe réellement » -, et il en est ainsi « depuis toujours », autrement dit depuis qu 'il y a quelque chose . . . La « vérité absolue » du Grand Véhicule n'est pas loin, qui affirme que l 'apparence est vide, à savoir qu'il y a apparence - ainsi que le prouvent nos incessantes perceptions - mais que l'apparence est insaisissable, introuvable, irréelle. En cherchant bien les choses, on ne trouve que des mots qui manquent eux-mêmes de la plus simple consistance. « Rien », et « cependant », «tout ».
C'est l'expérience de ce genre de vérité qui illumine le jeune homme et le vieux sage, à cette différence près que le vieux sage s'adresse à des êtres qui veulent « devenir buddha » et qui certainement l'entendent prononcer la formule «voir l'essence, c'est être buddha ». Il y a alors ceux qui comprennent correctement la chose, ceux qui la comprennent incorrectement et ceux qui ne la comprennent pas du tout. Bref, il y a ceux qui s'illuminent à ces paroles et ceux qui n'en font rien.
Que comprennent donc ceux qui s'illuminent? À mon sens, ils comprennent que, quoi qu'il en soit, «la poussière n'a nulle part où se déposer » : que la pensée pense sans jamais se fixer. Quelle pensée? Où, comment, pourquoi se fixerait-elle ?
À l'issue de son premier samadhi, plutôt que «ressorti » de cette première extase où il est entré sans le savoir, le jeune Huineng cherche celui qui, au fait de ce genre d'expérience, pourra l'éclairer plus encore.
Car il me semble que, même à l'occasion d'un « simple éveil naturel », celui qui s'illumine sait que c'est à cela-même qu'il est en train de vivre qu'aboutissent les joyeux méandres de la pensée bouddhiste - et de toute philosophie mystique qui se tient.
Les traités du Grand Véhicule expliquent que seuls les buddhas restent immuablement en samadhi. Comme tous les êtres qui ne sont pas complètement et parfaitement éveillés, les sublimes bodhisattva « entrent en samadhi » et «en ressortent » - ce qui n'est, bien entendu, qu'une façon de parler. On dit que, pendant l'extase, la sagesse du sublime bodhisattva n'est autre que celle de la parfaite bouddhéité, alors que, après l'extase, elle prend un tour « expédient » - elle s'adapte aux circonstances en cédant à un grand nombre de conventions dualistes - parce que l'éveil du bodhisattva est encore loin de la merveilleuse complétude de l'insurpassable éveil authentique et parfait des buddhas.
« Eh bien, explique le bodhisattva Trésor de Diamant dans le Soûtra des Dix Terres, la sagesse engendrée par les pratiques que tous ces [innombrables] bodhisattvas cultiveraient pendant cent mille millions de milliards d'ères cosmiques n'atteindrait pas la centième partie du domaine de la sagesse d'un seul tathagata - en fait aucun nombre ni aucune métaphore ne peut exprimer ce rapport (x,10, p. 225). »
Donc, si la sagesse d'un premier éveil est toute la sagesse possible, elle ne sera vécue que le temps de ce premier éveil - même si l'éveil transcende le temps. Mais on peut lire encore au chapitre « Chasteté » de l' Ornementation Fleurie que « lorsqu'on engendre l'esprit d'Éveil pour la première fois, on atteint sur-le-champ l'insurpassable Éveil authentique et parfait. Sachant alors que toutes choses sont de la nature de l'esprit, on accomplit le corps de sagesse dans une illumination qui ne provient pas d'ailleurs que de soi-même
( Taishô n° 279, vol. 10, p. 89 a 1 -3). »
Cet « accomplissement du corps de sagesse » est une affaire strictement intérieure . Il se cultive et s'approfondit jusqu'à l'infinie ouverture de la bouddhéité. Le bodhisattva de la dixième terre qui « devient parfait buddha » se défait des derniers voiles, les plus subtils, qui « obscurcissaient » la sagesse primordiale, sa véritable nature.
N'empêche que tous ces beaux discours - si je puis me permettre une autre remarque idiote - sont terriblement gradualistes. Pour parler en « subitiste », je traduirai cette fois jiànxing chéngfo plus abruptement encore : « Voir est bouddhéité ». Expression qui condense la traduction possible : « Les buddha (fô) sont faits (chéng) de l'essence même (xing) du voir (jiàn) ».
Voici l'intemporalité de l'éveil dans toute sa fraîcheur, la claire brutalité de l'éclair lumière même du ciel entier : voici ce que « voir l'essence », ou « ne rien voir », veut dire :
« . . . L'essence, explique Huangbo, n'a pour sûr rien à voir avec une vision ou une absence de vision. De même, la méthode spirituelle ne consiste pas en vision ou absence de vision. Celui qui voit l'essence ne trouve rien qui ne soit sa propre essence. Les six destinées et les quatre naissances, la terre couverte de montagnes et de fleuves, tout cela n'est rien d'autre que notre substance essentiellement pure et lumineuse (12). »
Voir l'essence, c'est non seulement tout voir et tout connaître mais aussi, et surtout, «être tout » . Ce que le Sutra du Nirvana appelle le «grand soi » . Et la lumière du grand soi amène alors Huineng aux pieds de Hongren, un buddha vivant qui reconnaît en lui un autre buddha, même s'il le taxe de « macaque du grand sud » et lui propose d'approfondir sa perception directe du « Depuis toujours il n'y a rien » en pilant le riz pendant de longs mois dans l'arrière-cuisine du monastère. Vrai !
Ces deux buddhas ont-ils besoin pour eux-mêmes de se rencontrer, de se reconnaître, de se mesurer? L'un comme l'autre, ils mènent, sans le moindre calcul, leur oeuvre illuminatrice. Jusqu'au jour où la vérité de la « transmission » qui tant occupe la vaste communauté de la Prune Jaune éclate au terme d'un détournement poétique d'une simplicité déconcertante (13).
Shenxiu écrit sa « vérité » en ces termes :
«Mon corps est l'arbre de l'Éveil ; Mon esprit ressemble à un clair miroir. De tout temps, je m'efforce de le faire briller Sans le laisser se couvrir de poussière. »
À quoi Huineng répond : « Il n'y a jamais eu d'arbre de l 'Éveil ; Guère plus que de clair miroir. La bouddhéité est toujours immaculée :
Où y trouverait-on de la poussière ? » L'avant-dernier vers de la réponse de Huineng est plus connu sous l'intitulé - et le synonyme :
« Depuis toujours il n'y a rien. »
Ce qui ne peut qu'emporter, en secret, l'assentiment, les bénédictions et le sceau du « cinquième patriarche ». Cet éveil naturel de Huineng n'est autre que l'éveil du buddha, et la description « par la négative » qu'il en donne, ce ton aussi radical, voilà qui vient encore nourrir la redoutable grandeur du Grand Véhicule dont tous les sutras rejaillissent en exaltant la vacuité absolue des choses et l'absolue nécessité de la compassion, si possible à la lumière de la connaissance parfaite de la vacuité.
L' expression « Depuis toujours il n'y a rien » de Huineng correspond donc au « tout est vacuité » de la Prajnaparamita comme au « tout est esprit » des sutras dits « de la nature de buddha » . Le rien des choses et le rien de l'esprit qui constate les choses inspirent au Bouddha de frapper une autre fois très fort sur la table des valeurs de la spiritualité la plus sublime dans le Sutra du Diamant où l'on peut lire :
« Que penses-tu de ceci, Subhuti : le Tathagata se trouve-t-il en possession de quelque réalité de bouddha complètement révélée dans l'insurpassable Éveil authentique et parfait ?
- Certes non, Bienheureux. Le Tathagata ne se trouve pas en possession de quelque réalité de bouddha complètement révélée dans l'insurpassable Éveil authentique et parfait. »
Le Bienheureux acquiesça :
« Il en est ainsi, Subhuti, il en est bien ainsi, car dans cet état on ne peut concevoir la moindre réalité. En conséquence, on ne fait que parler d' insurpassable Éveil authentique et parfait (14)
En d'autres termes, le Bouddha explique que, en atteignant l'éveil, il n'a rien acquis de nouveau, rien appris d'extraordinaire, et surtout rien qui prêterait une essence réelle à l'état de buddha : rien n'est réel dans cet état qui est le réel lui-même. L'éveil, pour paraphraser Hegel, est un excellent
«sujet de conversation» (15). Et dans la conversation tout peut se dire. Que, par exemple, « voir l'essence », c'est vraiment « ne rien voir » au sens où nous l'entendons, et cette fois c'est le bodhisattva Félicité du Réel qui l'explique à l'inspiration de ses pairs et du très bavard-mais-silencieux Vimalakirti, lequel a choisi de proclamer chez les hommes, mais pas forcément dans leur prose la plus simpliste, l'éveil de Huineng et de tous ceux qui, bouddhistes ou non, s'éveillent au réel :
« Le réel et l'irréel forment dualité. Or qui voit réellement ne voit rien de réel ni, à plus forte raison, d'irréel. Il ne voit pas avec son oeil de chair mais avec l'oeil de la connaissance et cet oeil ne voit pas, même s'il n'est rien qu'il ne voie : ainsi accède-t-on au réel dans la non-dualité(16). »
UNIVERSALITÉ DE L 'ÉVEIL
Pour « être bouddhiste », il faut prendre refuge dans les Trois Joyaux, et pour pratiquer le Grand Véhicule, il est naturel de former le voeu de l'esprit d'éveil sur la base du refuge. Comme Huineng pare à ces nobles nécessités sans choir dans aucun sectarisme, dans aucune religiosité déplacée - a fortiori, un jour ou l'autre -, sans aucun jugement vulgaire, nous pouvons, n'importe où et n'importe quand, entendre son message plus que beaucoup d'autres, par trop « locaux », tellement partiaux.
Leur ayant expliqué comment les buddhas voyaient l'essence, le Maître propose à ses auditeurs de renouveler leurs serments de bodhisattva et de bouddhistes en recevant des « voeux sans apparence », qu'aucune pensée ordinaire ou dogmatique ne peut décrire et moins encore transmettre.
Prendre refuge dans le Bouddha, leur dit-il, consiste à découvrir les « trois corps du Bouddha » dans son propre « corps de chair » . Que sont ces trois corps selon Huineng ? « Le produit de notre état naturel » .
Mais encore ? Le corps absolu, l e corps d'apparition et le corps de jouissance. Le « corps absolu » du Bouddha n'est qu'un autre nom de la « pureté » ou de la vacuité de notre essence - ce dont Huineng décrit ainsi l'expérience : « dans la claire fusion de l'intérieur et de l'extérieur, nous verrons tous les phénomènes au sein même de notre essence. »
(SE, p . 44) Le corps absolu est donc l'expérience de la pureté primordiale de tous les phénomènes - pas seulement du méditant qui cherche refuge.
Le corps d'apparition du Bouddha - peut-être vaudrait-il mieux parler de « ses » corps d'apparition (ou de manifestation) - désigne toutes les apparences : « En l'absence de concepts, notre état naturel est vide et paisible ; à l'instant du concept surgit une apparition : une mauvaise pensée suscite un enfer ; une bonne pensée, un paradis . . . » (p. 45)
Prendre et trouver refuge dans le Bouddha en corps d'apparition, c'est reconnaître que toutes ces innombrables apparences ne sont que des manifestations de notre essence. Ce que reconnaissant, la peur et les émotions négatives disparaissent toutes : l'instant de cette récognition porte le nom technique de « Bouddha en corps de jouissance » . Ou dans la langue de Huineng : « Lorsque l'nstant de conscience immédiatement à venir est positif depuis son absence de commencement, on l'appelle Bouddha en corps de jouissance. » (p . 45)
Prendre refuge dans le Bouddha, dit Huineng, cela consiste donc à découvrir les trois corps de l'éveil dans son propre corps de chair, et cette découverte permet de comprendre comment, en fait, constamment et depuis toujours, refuge est pris dans « les trois joyaux de l'état naturel ».
Ces trois joyaux du Bouddha, du Dharma et de la Communauté ne doivent pas se limiter aux apparences bouddhistes marquées de ces noms. Huineng nous offre plus largement les « trois joyaux de notre état naturel » : de cette essence inconcevable - rappelez-vous ! - l'aspect de pur éveil est le Bouddha, l'aspect de parfaite rectitude le Dharma et, enfin, l'unité de l'éveil et de la rectitude vient donner l'un de ses sens profonds au troisième joyau, la Communauté qu'unit une quête toute pure.
Assurant à l'éveil du buddha une accessibilité totale que la religion risquerait de lui enlever, Huineng n'a plus qu'à enjoindre les hommes de bonne volonté à adopter l'esprit d'éveil et il leur propose, pour ce faire, de voir leur essence en prenant appui sur les quatre grands voeux dont il vient de souligner la portée universelle :
« Infinis sont les êtres, mais nous les libérerons tous. « Infinies les passions, mais nous les briserons toutes. « Infinis les enseignements, mais nous les étudierons tous. « Suprême est la voie de l 'Éveil, mais nous la parcourrons jusqu'au bout. » (17)
Patrick CARRÉ
NOTES de Patrick Carré
( 1 ) Soûtra de l'Estrade (désormais SE), ch. 1, p.15 . Quelle différence y a-t-il entre un premier accès à l'omniscience et l'omniscience elle-même ? Seule l'omniscience accède à l'omniscience. N'y a-t-il pas dans ce non-dualisme absolument nécessaire une excellente justification du discours mystique et de ses apparents paradoxes ?
(2) SE, ch. 2, p. 1 6 .
(3) SE, ch. 2, p. 1 7 .
(4) Soûtra du Diamant, XIV, p. 43 . Le « plus merveilleux des pouvoirs » appartient à ceux et celles qui, libérés de la peur du réel et de l'irréel, apprécient la « sublime transcendance » , la pureté primordiale et la perfection spontanée de toutes choses.
Par ailleurs, comment ne pas trembler de terreur devant la déclaration « tout est vide » ?
En ne la comprenant pas, et en la comprenant. Car ne pas comprendre est ignorance et comprendre revient à se tromper, preuve au poing.
( 5) L'expression « état naturel » essaie de rendre, autrement que par « essence », le chinois xing, derrière lequel peut se cacher le ziran ( « naturel », « spontané ») dit « des taoïstes »,
lequel à son tour n'est pas sans évoquer ce que les Tibétains appellent rang bzhin lhun grub dans la Grande Perfection (rDzogs chen), la « nature spontanément parfaite » de toutes choses. Du point de vue pratique, tous ces mots s'équivalent :
cf, en tibétain encore, ngo bo, I'« essence » qu 'il faut « préserver » (une fois qu'on l'a vue), gnas lugs, le « mode réel » des choses, rig pa, qui évoque un « ouvert-conscience -espace-éveil-pureté » autrement inqualifiable . . .
(6) Soûtra de la Liberté inconcevable, ch. VII, p. 1 1 2 .
(7) Pour les adeptes du Chan/Zen, les « terres pures » sont des métaphores de l'état naturel ; pour les adeptes de la Terre Pure, l'état naturel est impossible à trouver et à cultiver dans ce monde décadent : il est réservé aux bodhisattvas de la huitième terre et plus, ces êtres qui ont atteint l'irréversible en renaissant dans la terre pure de Sukhâvati et qui, là-bas, atteindront la bouddhéité parfaite rapidement et sans effort. Cf Shinran,
Sur le vrai bouddhisme de la Terre Pure, et Hônen, Le Gué pour la Terre Pure.
La critique ici portée par Huineng ne vaut pas pour la pratique authentique de la Terre Pure mais pour ses « contrefaçons » en tout genre, dont la croyance aux effets magiques d'une formule répétée à la folie.
« Seigneur préfet, dit Huineng à son généreux donateur, contentez-vous de faire le bien : à quoi bon vouloir, en plus, renaître où que ce soit ? Si vous ne mettez pas un terme à vos états d'âme liés aux dix actes négatifs, quel bouddha viendra vous accueillir sur le seuil de sa terre pure ? Si vous compreniez parfaitement la subite méthode du sans-naissance, il ne vous faudrait qu'un bref instant pour voir la terre pure d'Occident. »
(SE, ch. 35 , p. 71 . C'est moi qui souligne).
Remarque idiote : si « voir la terre pure » revient à « voir » l'essence , et « voir l'essence » à « ne rien voir » - au sens habituel -, pourquoi nous obstinons-nous, dans notre quête de l'absolu, à vouloir « voir quelque chose » - forcément au sens habituel ? Et d'ailleurs, qu'est-ce que cette idée loufoque de « quête de l'absolu » ? J'ai envie d'écrire que l'ennui et la peur de la mort qui inspirent à l'homme le pandémonium des opinions religieuses et profanes, cet ennui et cette peur de la mort, ai-je le devoir d'écrire, n'ont hélas ni commencement ni fin. Voilà qui est dit - petit cri de toutou à côté du rugissement profond et vaste des éveillés que l'on veut bien entendre.
( 8 ) Le mot sanskrit vijnapti signifie « proclamation, information » mais dans les textes bouddhistes du Grand Véhicule, il est synonyme de vijniana, la « conscience » dualiste ordinaire .
(9) De nos jours, Huineng est considéré par les adeptes du Zen comme le « sixième patriarche (en terre de Chine) » de la lignée. Pour pratique qu'elle soit, l 'idée n'est pas tout à fait exacte. Le lecteur soucieux de vérité historique devrait se pencher sur la thèse de Bernard Faure, Le bouddhisme ch 'an en mal d 'histoire : genèse d 'une tradition religieuse dans la Chine des T 'ang. S'il veut lire le contraire, je lui recommande les Entretiens de Chen-houei, traduits par Gemet. Et si tout cela emporte son intérêt, qu'il aille fureter dans les hauteurs du Concile de Lhassa, où Demiéville nous montre comment les subitistes chinois ont perdu le débat sous la menace des gradualistes tibétains . . .
( 1 0) Soûtra du Diamant, xrv, p . 44.
( 11 ) Le « macaque », ainsi que son maître l ' appelle, comprend la déclaration de la déesse de Vimalakirti : « De même en est-il pour les bouddhas et les bodhisattvas, dit-elle : il n'y avait rien à atteindre, et ils l'ont atteint. » Soûtra de la Liberté inconcevable, VII, p. 1 1 8 .
( 1 2) « Recueil de Wan-ling », II, in Houang-po, Entretiens, p. 1 1 8 .
Sur ce « voir », (re )lisez aussi les déclarations du poète Su Dongpo dans son « À propos du Soûtra de l'Estrade du Sixième Patriarche » (cité dans SE, p. 1 89- 1 90).
( 1 3 ) Tout cela est copieusement « expliqué », sinon embrouillé, entre autres dans les commentaires dont j'ai osé affubler ma traduction du Soûtra de l'Estrade, SE, p. 139 sq.
( 1 4) Ch. XXII, p. 60. C'est moi qui souligne.
( 1 5) Préface de la Phénoménologie de l 'esprit, p. 39.
( 1 6) Soûtra de la Liberté inconcevable, IX, 3 1 , p. 1 4 1 .
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