#inventaire fut effectuer
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Voyage à Tolède, Cité des trois cultures… ou comment attraper la grippe espagnole
Marie de Place effectue son stage de 4e année aux Archives historiques de la noblesse, à Tolède.
« Toledo, peñascosa pesadumbre, gloria de España y luz de sus ciudades. » Cervantes
Tolède, Puerta del Sol – une des portes des murailles de la ville, datant de l’époque où Tolède, brillante cité du royaume arabe d’Al-Andalus, s’appelait Tulaytula…
Des chats fuient au détour d’une ruelle. Encore trois pas vers la lumière diaphane qui semble filtrer d’un mur de briques : une placette ombragée, et toute la rocheuse mélancolie de Cervantes s’étend, de l’autre côté du fleuve Tage, derrière les pilastres de San Juan de los Reyes bruissants de colonies d’oiseaux.
C'est aux Archives de la noblesse que j’ai passé, durant deux mois, la première moitié de mes journées – 9h/14h, rien de plus banal pour des horaires de matinée espagnole.
Archives de la noblesse ? Compliqué de comprendre, d’abord. Si l’on se place du point de vue de la classe sociale détentrice de la production de l’écrit documentaire, les archives d’Ancien Régime ne sont-elles pas plus ou moins toutes, à l’exception de celles produites dans un cadre religieux, et encore, des archives de la noblesse ? Mais pour comprendre la raison d’être de cette institution fille des archives nationales espagnoles, il faut se placer du point de vue de la collecte, de l’entrée des fonds.
Les archivistes espagnols, dans un pays plus rompu que le nôtre à la décentralisation, et dont la noblesse, malgré une histoire nationale mouvementée, n’a pas traversé la Révolution française, ont regardé avec d’autres yeux les conséquences de l’émiettement du territoire national aux mains de ces grands propriétaires de terres, dont les descendants vivent encore en tant que tels – plus de 2840 titres nobiliaires sont référencés en Espagne à l’heure actuelle. Une section particulière des Archives nationales espagnoles a été dédiée en 1993 à la collecte des archives de ces familles nobles, sous le nom de Sección Nobleza del Archivo Histórico Nacional. Son fonctionnement, déjà indépendant des Archives nationales, atteignit sa plein maturité en 2011, et, de manière effective, en 2017, par un nouveau décret royal qui consacrait la fondation des Archives historiques de la noblesse, Archivo Histórico de la Nobleza, une institution se réclamant comme pionnière et unique en son genre. Le tout fut et demeure placé sous la gestion du ministère de la Culture et du Sport, via la Sous-direction générale des Archives de l’État.
Impressionnant cloître des Archives de la Noblesse, sises dans l’ancien hôpital Tavera
Aujourd'hui, les Archives de la noblesse espagnole sont donc une branche, mais une branche pleinement indépendante des Archives nationales d’Espagne, s’appliquant à collecter, voire, dans certains cas, acheter des archives documentant avec une précision indépassable la vie des territoires de l’ancien temps. De fait, les familles nobles espagnoles détiennent souvent encore aujourd'hui des fonds d’archives énormes, contenant des actes notariés à n’en plus finir, et des informations sur les plus petits hameaux, justement parce qu’ils étaient possessions… En bref, ces archives en mains privées sont aujourd'hui reconnues pour ce qu’elles sont, des archives publiques ; et, grâce aux Archives historiques de la noblesse, leur collecte tout comme leur inventaire se fait en respectant le cadre de leur production, c'est-à-dire les baronnies, marquisats, comtés ou autres qui sont à la fois leur cause et leur contexte. Aujourd'hui, plus de 260 fonds familiaux nobles sont référencés à l’inventaire de l’Archivo Histórico de la Nobleza ; les fonds des grands comtés ou marquisats présentent un panel de fonds familiaux différents, eux-mêmes enrichis par le jeu des alliances matrimoniales, qui occasionnent des transferts d’archives d’une famille à une autre. Les ramifications s’étendent, les fonds s’étoffent, des documents en français font leur apparition de temps à autre, au gré des mariages, dont on apprécie ici mieux que partout ailleurs l’étonnant jeu stratégique, pensé sur le temps long. Les fonds des Archives de la noblesse portent en eux leur propre renouvellement.
Murailles de la ville. Allures orientalisantes : les techniques de construction mauresques ont perduré après la reconquête de la ville par Alfonso VI de Castille, en 1095.
Bien que le roi d’Espagne ait encore le pouvoir d’anoblir, et que des personnalités contemporaines puissent ainsi prétendre au recueil de leurs archives à Tolède, la réalité est à la collecte d’archives papiers, et, dans la plupart des cas, anciennes, malgré une bonne représentation du XXe siècle dans la répartition chronologique des fonds. Actuellement, un peu plus de 3 kms de documents, conservés dans l’ancien hôpital Tavera, dont les locaux sont partagés par les Archives avec un musée et une école, attirent un maximum de 5 lecteurs par jour.
Après un stage aux importantes Archives du Rhône et de la Métropole de Lyon, ce fut pour moi la découverte du fonctionnement d’une institution aux effectifs plus réduits. A titre d’exemple, on trouve à Tolède un unique fonctionnaire chargé de l’ensemble de l’administration, Christian ; comme je m’en étonnais, on m’apprit que le poste avait été ouvert très récemment et qu’auparavant, c'était la directrice qui s’en occupait… sachant que cette dernière, Aránzazu Lafuente Urién, une femme de caractère, gère à elle seule toute la partie contact avec les donateurs et collecte des archives, entre bien d’autres prérogatives.
Comme en témoigne le nouveau poste d’administrateur créé pour Christian, il semblerait que le vent tourne. Après les archives du Rhône où le directeur devait se battre contre les RH du département qui gelaient automatiquement les postes des agents partis à la retraite, il a été réjouissant d’assister, à Tolède, à la création de postes et à l’arrivée de nouveau personnel. Les Archives de la noblesse sont à l’aube d’une phase nouvelle de développement, en témoigne également la conférence à laquelle j’ai pu être présente, la première jamais donnée aux archives, née d’un électrochoc : la découverte, par des méthodes dignes de Mabillon, de ce que le document toujours cru le plus ancien conservé dans les fonds, portant la date de 943, est en fait un habile faux, réalisé par des moines à l’occasion d’un procès, en 1175…
« Mentiras medievales », « Mensonges médiévaux », la première conférence des Archives de la Noblesse, le 28 novembre 2022. Ici la directrice des Archives, Aránzazu Lafuente Urién.
Ce séjour en Espagne m’aura fait prendre conscience de la situation privilégiée des archives en France, en dépit du faible intérêt que leur portent encore la plupart des collectivités territoriales, à côté des musées et des bibliothèques. Je me suis donnée l’impression d’une enfant gâtée, m’attendant à trouver de plus nombreuses manifestations culturelles, de hautes ambitions, des projets ancrés dans les problématiques du futur des archives, en particulier autour de la question du numérique… Ici la question des archives nativement électroniques et de la garantie de leur authenticité face aux tribunaux relève encore de la fable des habits neufs de l’Empereur, pour citer Édouard Bouyé décrivant la situation en France en 2017. En vérité, aux Archives de la noblesse, la problématique était encore tout bonnement absente ; la nécessité elle-même en la matière y faisait défaut, au vu de la nature très classique des fonds conservés. Mais ce retard est à mettre en bonne partie sur le compte d’un flagrant manque de moyens dévolus par l’État aux archives – les Espagnols accusent la désorganisation de leur système politique tout entier. Les effectifs des Archives nationales espagnoles sont d’une maigreur à faire pâlir. Et comment développer de grands projets si les crédits ne suivent pas ? Il est probable, étant donné que le modèle français est la grande référence espagnole en matière d’archives, que les choses seront amenées à évoluer dans un prochain temps.
Un autre point, sur le plan humain… où la France à l’inverse fait plus triste mine : une remarquable équité règne dans les rapports professionnels, aux archives espagnoles. Aux Archives de la noblesse, les personnels de tous les échelons de la fonction publique échangent sur un pied d’égalité et dans une atmosphère détendue que je n’ai jamais vue en France, bien que les archives, comparées aux musées ou aux bibliothèques, aient la réputation d’une plus grande simplicité. Cependant, sans crier défaite pour autant, pour transposer le mot d’Arthur Oldham, musicien anglais, fondateur du chœur de l’orchestre national de Paris en 1976, on ne peut reprocher aux Français d’être Français…
Callejon, ruelle arabe dans la vieille ville tolédaine.
Par peur d’ennuyer, je ne m’étendrai pas sur mes deux principales missions, description et enregistrement sur PARES, le portail des Archives espagnoles, de deux fonds en français, concernant une famille du sud de la France, les Lézat, seigneurs de Brugnac et de Marquefave, et la comtesse d’el Vado et d’Echauz, María del Pilar de Acedo Sarriá (1774-1865). Je dirais seulement que ces documents attendaient un nouveau stagiaire français pour être déchiffrés, et que j’ai souvent eu le plaisir de donner un coup de main aux collègues qui travaillaient dans la même salle que moi, pour éclairer la paléographie d’un nom de noble français (nota : Les ducs d’Agen sont partout !) ou dresser une description rapide, en espagnol, d’une liasse de documents français par eux découverte… En d’autres mots, les archivistes de la Noblesse ont eu l’amabilité de me permettre de me sentir utile.
Un œil aussi du côté de la paléographie et de la diplomatique : ces deux photos parleront mieux que moi. Bonheur de découvrir les traditions de chancelleries voisines, et l’évolution toute différente en Espagne d’un certain type d’écriture.
Escritura procesal encadenada, XVIe siècle : type d’écriture judiciaire, utilisée pour les relations de procès (« procesal »), dite enchaînée car la main ne se détache plus du papier.
Privilegio rodeado royal, dont le type iconographique illustre l’alliance León-Castille
Sous les arcs maures et les clochers romans carrés en forme de muezzins, au reflet du soleil sur les céramiques tolédanes et devant les ferronneries de la capitale de la forge, où tout parle de Dieu et des princes, j’ai été rappelée, moi, les pieds sur terre.
Vue du Tage, sous le pont de l’Alcantara
J’ai compris que les archives sont passionnantes par là-même où d’aucuns les trouvent ennuyeuses. Ces petits morceaux de papier sont des milliers de solutions apportées aux problèmes des hommes. L’écrit fait des miracles. Ces documents ont été longuement pensés, désirés aussi. Ils sont le condensé de toutes les histoires de la vie. J’ai eu, tenant dans mes mains ces modestes contrats, ces poussiéreuses pièces de procès, ces austères dispenses de parenté, le sentiment de la noblesse de l’humanité, qui a trouvé en adulte ce moyen civilisé de régir les rapports sociaux en maintenant la paix. Un papier, un peu d’encre, un ou plusieurs signes de validation, pour prouver l’authenticité. Quoi de plus simple ? Ces bouts de rien étaient un trésor pour leurs possesseurs, les garants de leurs droits. Cette valeur parvient jusqu’à nous. Même morts et inutiles, même faux, même menteurs, ces documents portent encore les espoirs, les intérêts, les préoccupations et le soulagement de milliers d’être humains.
Tant pis pour les bibliothèques, les merveilles exceptionnelles qui s’y trouvent et qui n’ont pas fini de me séduire – incroyables fonds des Archives et Bibliothèque de la cathédrale de Tolède, dignes de la capitale que fut cette ville, jusqu’à ce que Philippe II, fils et successeur de Charles Quint, transfère en 1561 la cour à Madrid…
Cathédrale de Tolède, dite la seconde plus grande d’Espagne, mais la plus belle – début des travaux en 1226.
Visite avec Argan de l’Archivo y Biblioteca capitulares
Les archives sont la vie ordinaire ; mais combien plus puissantes…! Elles sont le support de la vie. C'est justement leur caractère ordinaire qui est précieux. Je préfère inventorier des papiers de familles inconnues plutôt que me pencher sur les documents historiques d’exception achetés en ventes aux enchères. Je m’intéresse à ce qui n’a d’intérêt qu’humain.
J’ai fait mon choix. Je serai archiviste, au service des petites gens du passé ; je sauverai du feu, des eaux et du temps dévoreur d’hommes le fragile témoignage de leur existence. Je ne me glorifierai pas des œuvres d’art des siècles. Je choisis le banal pour ne pas me mentir à moi-même. Je ne peux dépareiller l’histoire. Il n’y a pas d’excuses aux relectures anachroniques des faits. Même la suprême culture n’en est pas une. La contemplation de l’extraordinaire renforce la teneur de la vie réelle. Deux mois à Tolède, cité des rois, furent un éblouissement.
Rue classique de la vieille ville.
Pour les Archives et ses si chaleureux travailleurs, pour ne pas dire amis, je resterai la chica de la mala suerte, la malchanceuse, image de ce gisant de jeune femme qu’on peut encore contempler dans la chapelle désacralisée de l’université tolédane de Castilla-la-Mancha, sous le nom de la Desafortunada…
Visitée par un cambrioleur à répétition, malade pendant la quasi-totalité de mon stage au point de faire un tour aux urgences, privée de lumière et de chauffage, puis de train le jour de mon retour, j’aurais continuellement tiré le diable par la queue.
Le Pont Saint Martin aux premières lumières hivernales.
Pourtant, je garderai toujours en moi l’image du grand tombeau d’Isabelle la Catholique, San Juan de los Reyes dont les pilastres s’allument, au soleil couchant, comme autant de chandelles funéraires, faisant briller une dernière fois et à jamais sur l’empire de Charles Quint les feux de la gloire à jamais reconquise. Où pendent les chaînes des esclaves chrétiens libérés de Grenade, Christophe Colomb a trouvé l’Amérique ; et c'est de l’or maudit des nouvelles Indes qu’il a fondu, pour sa reine, le plus grand des ostensoirs. S’il y a bien quelque chose qu’on apprend, tout là-bas, où l’ombre de Don Quichotte se profile sous les moulins de la Mancha, c'est qu’au grand soleil survit à jamais la race des Conquistadores, et l’orgueil de la langue des hommes qui parlent à Dieu.
Vue sur San Juan de los Reyes et la vallée du Tage, depuis la Plaza Virgen de Gracia
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Les Aventuriers de la Pizza aux 22 Fromages
Vous avez déjà pu, en lisant les lignes de ce blog, croiser le facétieux Vibescu, jamais à l'abri d'une expérimentation culinaire sans vergogne. Un beau jour, il me partagea innocemment une capture d'écran de son jeu vidéo du moment, Les Sims - Les Urbz, où l'on peut posséder dans son inventaire une mystérieuse pizza 12 fromages.
Notre enthousiasme piqué par une telle surenchère nous amena bien vite à établir une liste des fromages à acheter pour égaler cet exploit, et bien vite le dépasser. Les possibilités étaient infinies, les combinaisons sans fin. Remplacer la sauce tomate par une base de Boursin permettait d'ajouter un "fromage" à la liste, la croûte pouvait être fourrée à la mimolette, le morbier copuler avec le cheddar. Telle la rencontre de grands esprits dans un café parisien scellant la naissance d'un nouveau mouvement artistique ou philosophique, notre discussion alcoolisée inscrivait dans le cosmos un funeste destin placé sous le signe du gras et du lait fermenté. Il fut donc décidé de viser le céleste nombre de vingt-deux.
Attrapez-les tous !
Une fois le rendez-vous pris et les ingrédients achetés, il était temps de passer les troupes en revue. Les festivités se dérouleraient en la demeure d'Aur'aile de poulet, comparse de Vibescu adepte de la mimolette, des chips au Comté et du gratin d'oignons. Ses fidèles seraient également présents : ledit Vibescu bien entendu, mais aussi Raclémence, et le mystérieux Jer'aime le gras, qui se proposait de faire la pâte lui-même, là où moi et Vibescu aurions sûrement recouvert une Fraîch'up 4 fromages de fromages supplémentaires. D'autres bouffars avaient été invités, mais seul Frédériche en beurre répondit à l'appel, le pauvre bougre ne pouvant se permettre de louper une bouffe végétarienne, pour une fois. Quant au célèbre Rock de Kebab Passion 72, il nous fit faux bond, que son infamie soit conspuée à jamais.
Une préparation mentale de fer et un cadre idyllique.
Il apparut rapidement que la sympathique idée "pour faire terroir" de Jer'aime le gras n'était qu'un vil traquenard : moi-même et Raclémence furent forcés à pétrir la pâte dans la douleur et le servage le plus pur et simple, tandis que Vibescu et Aur'aile de poulet sifflaient toutes les bières en nous déconcentrant. Malgré tout, après un dur labeur, la pâte était prête et en quantité suffisante pour nourrir une famille napolitaine entière.
Enfin, le temps était venu de garnir la première pizza : sur une base de Boursin tombèrent une pluie de morceaux de cheddar, morbier, mimolette, comté, camembert, emmental, etorki, pendant que Vibescu plaçait malicieusement des morceaux de Babybel et des Vache qui rit intactes. Score finale : douze fromages, ce qui était d’ailleurs le nombre originel dans Les Urbz. Loin des vingt-deux annoncés, mais tout de même pas de quoi jouer les marioles. Après un passage express au four, la pizza revint cuite à la perfection : la surface avait entièrement fondu et commencé à gratiner. Fébriles, nous étions tous émerveillés, nous sachant à l'orée d'un territoire inconnu. Je plongeai le premier. Je pense que ce jour-là, une partie de moi a quitté le monde terrestre et est montée au paradis. Les fromages avaient fondu ensemble à la perfection, semblaient s'être totalement mélangés pour ne créer qu'une saveur unique mais d'une richesse infinie, comme une sorte d'übermensch du fromage. L'équilibre était parfait, les fromages les plus forts ne prenaient pas le dessus, la texture était incroyablement croustillante sur le dessus et fondante à l'intérieur. Tout ça était évidemment magnifié par la pâte, elle-même magnifiée par notre souffrance. Juste assez épaisse pour soutenir tout le fromage, elle était elle aussi parfaitement tendre et croustillante.
La deuxième pizza fut l'occasion d'un changement de recette assez drastique : une base sauce tomate fut choisie, mais il fallut alors tout faire pour la recouvrir de fromage, tandis que le bord de la pâte fut fourré, je vous laisse deviner, au fromage. Le résultat fut loin d'être mauvais mais l'incommensurable équilibre de la première tentative ne fut pas préservé. Tout d'abord, la pizza était bien plus grasse et huileuse que la première. Le papier cuisson sous la pâte était sec alors que celui de la première était imbibé de gras. Pourquoi tout ce gras fondu était-il resté sur la pizza ? Ses rebords fourrés au fromage érigeaient-ils des murailles trop infranchissables ? La sauce tomate empêchait-elle le gras de traverser la pâte ? Vibescu avait-il eu la main trop lourde avec la raclette ? Mystère. Quoiqu'il en soit, l'alchimie n'avait pas aussi bien fonctionné : le morbier, la raclette, le gorgonzola, le bleu prenaient souvent le dessus sur les autres fromages, tout ne s'était pas parfaitement unifié en fondant. Bien sûr, cette déception n'était relative qu'à la perfection insolente de notre premier essai.
Après cette deuxième tentative, les troupes essuyèrent une considérable baisse de moral, que nous tentâmes de contrecarrer à l'aide de plusieurs substances plus ou moins illicites. Il fut alors décidé de tenter de répliquer l'exploit de la première pizza. Hélas, tous les fromages avaient été laissés ouverts à l'air libre dans la cuisine, et certains commençaient à tourner de l’œil. Essuyant une larme, Jer'aime le gras offrit une dernière demeure au gorgonzola, vidant la moitié du paquet sur la pizza. Cette action eut d'irrémédiables conséquences : elle fit exploser le caractère de la pizza, qui pour le reste s'approchait effectivement pas mal de la première. Mais pendant que Jer'aime le gras susurrait des mots doux à sa part, en esthète du gorgonzola, nous jetions nos dernières forces dans la bataille. Il faut dire que la combinaison hétéroclite de fromage du deuxième essai avait été particulièrement bourratif, et que comme personne ne m'avait laissé ajouter du Easy Cheese aux recettes, j'en étais réduit à finir les croûtes de mes comparses après les avoir badigeonnées du précieux fromage en spray. Bref, bien que notre constitution ne fut plus à même de nous laisser poursuivre le combat, cette troisième pizza confirmait tout de même les possibilités infinies de notre entreprise. Nous n’avions hélas plus tenu le compte des fromages pour chaque pizza, mais le dix-sept reste ancré dans ma mémoire, sans que je puisse dire s’il s’applique à la seconde ou à la troisième. L’objectif des vingt-deux ne fût donc pas atteint, mais l’original des douze, largement dépassé. Nous nous quittâmes avec de terribles maux de ventre en faisant le serment de nous retrouver prochainement pour finir les deux kilogrammes de pâte restants et la multitude de fromages déballés.
Le lendemain, alors que le crampes d'estomac m'empêchaient d'apprécier Apocalypse Now Final Cut à sa juste valeur au cinéma, le perfide Aur'aile de poulet m'envoyait de nouvelles photos obscènes prouvant que le rite impie se poursuivait dans son antre graisseux. Les légendes "La lutte continue", "Toujours plus de fromage" et "Seuls les cheesers les plus intrépides osent surfer sur pareils rouleaux" accompagnaient ses clichés scandaleux.
La perfidie d’Aur’aile de poulet sera un jour punie.
Le surlendemain, je me retrouvai une fois de plus chez le personnage dérangé, en compagnie de Vibescu ainsi que de son voisin du dessus, déjà rompu aux bouffes acrobatiques avec Aur'aile de poulet. Ledit voisin se trouvait en possession d'une livre de viande hachée qu'il fût convenu de disposer sur une nouvelle pizza (car il restait bien sûr encore de la pâte) afin de rompre l'enchantement fromager qui dictait nos vies depuis quelques jours. La pâte de lait fermenté fût tout de même ajoutée à la garniture, n'en doutez pas une seconde, mais elle se trouvait en proportions égales avec la viande ainsi qu'une pluie de champignons et d'oignons. Le résultat s'apparentait plus à des lasagnes qu'à une pizza, mais toujours avec cette pâte divine dont le secret nous avait été rapporté par l'énigmatique Jer'aime le gras de mystérieux temples orientaux.
Comment conclure une telle aventure humaine ? La confrérie des cheesers formée par un tel challenge lactosé restera à coup sûr solide par-delà nos tombes. Difficile d'en dire autant de nos artères.
Reconstitution vaguement authentique du pendouillage du bébé de Michael Jackson. MJ est incarné par Vibescu et le bébé par mon pot de fromage liquide Squeeze Cheese.
Avant de vous quitter, l’avis de Vibescu sur la soirée :
La première Pizza était un bonheur et une réussite totale. La quantité de fromage à été calculée au centimes de microgrammes près par pas moins de six chercheurs de la NASA, ce qui a eu pour cause une pizza homogène au goût tellement fromager qu'il n'en devenait que plus doux à nos papilles qui n'en revenaient pas ! Les glandes salivaires tournaient à plein régime face à ce goût inconnu, incongru et diablement dionysiaque (et aphrodisiaque). Une larme de digestion coula le long de ma joue, lorsque la part fut engloutie... Je me caressais doucement le giron tout en rêvant de la pizza numéro 2.... Qui fut une énorme erreur ! Les chercheurs de la NASA étaient encore sous le choc de la première salve fromagère et ne put effectuer convenablement les calculs : le Morbier ainsi que la raclette formait à eux seuls un nouveau goût putride qui gâchait le reste de la pizza. Un mélange d’écœurement et de jus de chaussette toasté s'emparait de moi. Je l'ai terminé à contrecœur très lentement. Je n'ai point goûté à la troisième. Devons nous y imputer à la pizza morbiesclette ou à mon estomac de liliput ? Peut être un peu des deux. Ou pas.
Rédigé par Jumbo
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Quelques archives historiques en français conservées à La Nouvelle-Orléans
Léo Davy effectue son stage de 4e année à la Historic New Orleans Collection. Voir la carte des stages
Quelques semaines avant le commencement de mon stage, l’Historic New Orleans Collection fit l’acquisition de plusieurs documents d’archives auprès d’un vendeur d’autographes parisien. Elles ont ainsi traversé l’océan Atlantique pour rejoindre les collections de manuscrits historiques dédiés à l’histoire de La Nouvelle-Orléans et de la Louisiane, conservées par l’institution. Jason Wiese, associate curator au Williams Research Center, me proposa alors de réaliser l’inventaire de trois petits fonds d’archives du XVIIIe siècle, écrits en français.
Avant de décrire plus en détails les fonds concernés, quelques remarques peuvent être faites sur les méthodes employées lors du traitement archivistique, intéressantes à observer d’un point de vue extérieur comparativement à celles que pratiquent les services d’archives françaises.
Avec le classement, la rédaction d’un instrument de recherche est le principal travail de l’archiviste. À la HNOC, ces instruments sont rédigés suivant le DACS (Describing Archives. A Content Standard), équivalent américain de la norme de description archivistique ISAD (G). L’inventaire s’effectue à la pièce et prend donc la forme d’un inventaire dit analytique, dans lequel les informations sont plus détaillées que dans un inventaire sommaire. Il s’agit alors d’établir, à partir de l’analyse diplomatique la nature du document, de rapporter son contenu, de citer les personnes et les événements évoqués, de déterminer sa date de rédaction et de tous les éléments pouvant intéressés les chercheurs. La pratique de l’inventaire analytique, réservée en France aux fonds d’archives d'importance historique majeure, notamment médiévaux, est, à la HNOC, la pratique courante d’inventaire des documents manuscrits[1]. Cela s’explique par la relative modestie des fonds à traiter, même si la pratique est également employée pour la description des fonds comptant plusieurs centaines de pièces. La notion d’item prime sur la notion d’article, correspondant à une unité intellectuelle et matérielle. Chaque item est donc placé individuellement dans une pochette non acidifiée et comporte un numéro (accession number) composé de l’année d’entrée dans les collections suivie d’un numéro dans l’ordre croissant. La cote attribuée au fonds suit, elle, le modèle MSS pour la catégorie manuscripts, suivie d’un numéro croissant. Les documents sont organisés en sous-séries mais les principes de provenance et d’ordre primitif (original order) limitent, le plus souvent, le classement à l’ordre chronologique. Enfin sont intégrés au fonds les documents administratifs qui les concernent, comme les informations fournies par le vendeur d’autographes comportant une première analyse. C’est en effet une pratique courante à la HNOC de placer les inventaires dans une pochette à l’intérieur de la boîte Hollinger, aux côtés des documents qu’ils décrivent. Un double de ces inventaires est conservé dans les classeurs accessibles aux chercheurs, en salle de lecture.
Les pochettes individuelles dans lesquelles sont placés les documents
Les documents provenant du vendeur d’autographe intégrés avec les documents d’archives afin de documenter leur provenance
Le premier fonds traité a été celui de François-Aymar de Monteil (1725-1787), officier de la Marine royale française, dont une partie de sa correspondance a été achetée par la HNOC lors de la mise sur le marché des archives familiales par les descendants[2]. Malheureusement la mise en vente a entraîné le démembrement de ce fonds, dont les parties sont désormais dispersées. La partie de la HNOC comprend 42 items datant tous de 1781 et tous relatifs au siège de Pensacola, ville portuaire de l’Ouest de la Floride, par les forces françaises et espagnoles contre les troupes britanniques. La victoire des deux royaumes coalisés marque un événement important dans la guerre d’indépendance des États-Unis, en enlevant à l’Angleterre une base stratégique dans le Golfe du Mexique, et en redonnant l’avantage à la coalition qui enchainera les victoires jusqu’au traité de paix de Paris de 1783[3].
Ce fonds se décompose en plusieurs sous-séries : les ordres donnés à son équipage, la correspondance active avec les autorités gouvernementales et diplomatiques, la correspondance active et passive avec les officiers alliés, et des papiers donnant des listes d’officiers, de noms de navires et de denrées. Les lettres sont à la fois sous forme de brouillons raturés et de lettres formelles mises au net par un secrétaire du chevalier. Parmi cette correspondance diplomatique, sept lettres sont adressées à Charles de La Croix, marquis de Castries (1727-1801), Secrétaire d’État de la Marine entre 1780-1787, une autre est adressée à Armand-Marc de Montmorin de Saint-Herem (1746-1792), ambassadeur de France en Espagne depuis 1777. À bord de son navire, le Palmier, ou accosté à La Havane, il leur expose dans de longs développements les problèmes qui retardent les opérations militaires en vue d’assiéger la ville. Ce sont des retards d’approvisionnement en nourriture et en matériels, d’argent, des dégâts sur les bateaux causés par des tempêtes, des problèmes de communication et de coordination avec François-Joseph Paul de Grasse (1722-1788), lieutenant général de la flotte française, et avec l’escadre espagnole commandée par les généraux Jose Solano del Socorro (1726-1806) et Bernardo de Galvez (1746-1786). Après le succès de Pensacola, il développe des projets d’attaque et de blocus des îles Turques-et-Caïques et de la Jamaïque afin de porter un coup à l’escadre anglaise commandée par l’amiral Georges Brydges Rodney (1718-1792) et le vice-amiral Hyde Parker (1714-1782). Mais les difficultés contrarient ses plans. L’accumulation des inquiétudes conduit le chevalier de Monteil à faire preuve d’une grande franchise envers ses correspondants comme en témoignent les dernières lignes de l’une d’entre elles :
Accablé de fatigues, ruiné par des travaux toujours trop supérieurs à mon traitement, privé de toutes grâces, ne recevant pas même l’honneur d’une de vos lettres. Si un autre ramenait la flotte de nos isles, vous ne trouveriés pas mauvais que j’allasse faire des remèdes et vous prier de décider si je pourrais espérer ma part aux faveurs de Sa Majesté, ou si je dois abandonner un service pour lequel j’ai tant travaillé, ou mon avancement me fut ravy après la guerre des Indes, ou Mr de Sartine[4] m’a tant de fois trompé depuis par de vaines promesses, un service dans lequel j’eusse pu espérer quelques progrès si votre silence ne me faisait craindre autant d’indifférence de votre part que des autres ministres[5].
Exemple de lettre à l’état de brouillon. Lettre du chevalier de Monteil à Charles de La Croix de Castries, mai ou juin 1781, MSS 999, 2018.0388.01
Lettre du chevalier de Monteil à Charles de La Croix de Castries, 7 décembre 1781, MSS 999, 2018.0388.1
Lors de la même vente ont été acquis les papiers d’Oliver Polock, datés entre 1766 et 1781[6]. Oliver Polock (1737-1823), marchand et planteur installé aux États-Unis à partir de 1760, aida au financement de l’armée américaine pendant la guerre d’indépendance et fut aide de camp du général espagnol pendant le siège de Pensacola. Seuls quatre items composent ce fonds mais ne sont pas directement relatifs au siège. Ils concernent un contrat de navigation engageant Polock à commander un navire dans la mer des Caraïbes et deux lettres dans lesquelles celui-ci expose les mésaventures qu’il a vécues pendant plusieurs mois suite au piratage de son navire et à la perte de ses effets personnels. Le quatrième item est un règlement imprimé de la Ferme générale, à Paris le 7 août 1766, par lequel elle précise les conditions d’expiration des exemptions fiscales dont jouissaient les marchandises en provenance de la colonie de Louisiane depuis 1751, prenant fin suite au transfert de la Louisiane à l’Espagne en vertu du traité de Fontainebleau de 1762. On comprend que ce règlement avait de l’importance pour tous les marchands louisianais dont faisait partie Oliver Polock.
Il m’a enfin été donné l’occasion de travailler sur des documents de toute premier intérêt : quatre documents relatifs à John Law (1671-1729) et à son système financier monté autour de la Compagnie du Mississippi en charge de promouvoir la colonisation de la Louisiane[7]. D’autres archives de John Law ou relatives à ses activités étaient déjà conservées à la HNOC, chacune constituant un fonds particulier crée au jour de leur entrée dans la collection. Ces nouvelles pièces sont datées de 1719 à 1720.
Deux lettres sont adressées par John Law à Gaspard-François Le Gendre de Lormoy (1668-1740), intendant de la généralité de Tours. La première, datée du 5 février 1720, reprend et clarifie les dispositions prises par l’arrêt du Conseil du 31 janvier appelant à déposer les espèces dans les Hôtels des monnaies. Dans la seconde, du 6 mars de la même année, le financier lui demande de faire publier l’arrêt du Conseil d’État de la veille dans toutes les villes et paroisses de sa généralité et de faire strictement appliquer les dispositions. La version imprimée de l’arrêt en 12 articles est jointe à la lettre. L’objectif est alors d’inciter les particuliers à convertir leur argent en monnaie fiduciaire en achetant des actions et des billets de banque. Les deux lettres comportent en marge les mentions hors teneur apposées par les services de l’intendance, indiquant le jour de leur réception.
Lettre de John Law à Gaspard-François Le Gendre de Lormoy, intendant de la généralité de Tours. 6 mars 1720. Accession 2018.0194.1
La dernière pièce de ce fonds est intéressante à plusieurs titres : il s’agit d’une lettre signée par un certain Valin adressée à une Madame Lambert résidant à Orléans, place de l’Étape. Celui-ci l’incite à placer son argent dans les investissements outre-Atlantique proposés par Law en achetant des terres sur le bord du Mississippi et à conseiller ses proches d’en faire tout autant. Au détour de la lettre il lui détaille les nouvelles en provenance de Paris, notamment les tensions religieuses en matière de jansénisme entre le Parlement et les évêques de Soissons, d’Angers et l’archevêque de Paris, et la bénédiction de Marie-Louise Adelaïde d’Orléans, fille du Regent, comme abbesse de l’abbaye de Chelles. Ces détails historiques ont permis, en les croisant, de déduire le mois de rédaction qui n’était pas précisé dans la date à la fin de la lettre.
Lettre de Valin à Madame Lambert, 14 [septembre] 1719. MSS 1000, 2018.0194.3
Une fois l’inventaire réalisé, celui-ci a été intégré aux systèmes logiciels Minisis Management for Archives et les numérisations de document à la base gérée par Piction. Étant donné que ces documents intéressent aussi bien l’histoire de la Louisiane que l’histoire de France, il est important que leur référencement soit bien fait afin d’aider dans leurs recherches les chercheurs français, américains ou autres. Une partie du travail a donc été de trouver et d’indiquer les fonds complémentaires conservés dans les autres institutions au sein de l’inventaire. En France, ce sont les Archives nationales, les Archives diplomatiques, et les Archives nationales de l’Outre-mer qui conservent ces fonds. En Espagne ce sont les Archives générales des Indes qui possèdent les archives des colonies américaines. D’autres documents sont conservés dans des institutions américaines, comme dans les archives anciennes de l’université West Florida. La modicité du volume et l’éloignement géographique de ces fonds ne doit pas conduire à la sous-estimation de leur valeur de sources historiques.
Notes
Sur ce point de la typologie des instruments de recherches : Cf le chapitre 3 de La pratique archiviste française, Direction des Archives de France, Paris, 1993 : « Classement et description : des principes à la pratique » par Christine Nougaret
Correspondence of Francois Aymar de Monteil concerning the Siege of Pensacola, MSS 999, Williams Research Center, The Historic New Orleans Collection
Chaline (Olivier), Bonnichon (Philippe) et Vergennes (Charles-Philippe de) (dir.), Les marines de la guerre d’Indépendance américaine (1763-1783), Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2018, 2 tomes
Antoine de Sartine (1729-1801), Ministre de la Marine entre 1774 et 1780
Lettre du chevalier de Monteil à Charles de La Croix de Castries, 7 décembre 1781, MSS 999, 2018.0388.1
Letters regarding Oliver Pollock in New Orleans, MSS 993, Williams Research Center, The Historic New Orleans Collection
John Law and Mississippi Company Collection, MSS 1000, Williams Research Center, The Historic New Orleans Collection.
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Portraits de bibliothécaires de la Biblioteca nacional de España (suite)
Jérémy Chaponneau effectue son stage de 4e année à la Biblioteca nacional de España, à Madrid. Voir la carte des stages
María Victoria Salinas Cano de Santayana et la collection des manuscrits médiévaux
En général le mot « manuscrit » évoque le latin, le Moyen Âge, le parchemin et les enluminures. Le fleuron de toute bibliothèque, c’est sa collection de codices médiévaux.
C’est évidemment le cas à la Bibliothèque nationale d’Espagne, même si j’en ai peu parlé. La collection de manuscrits médiévaux occidentaux compte environ 2500 pièces dont à peu près un tiers sont enluminées. C’est la collection la plus importante en volume en Espagne et dans le monde hispanique. Comme pour les autres collections de la Bibliothèque nationale, le noyau de la collection de manuscrits médiévaux vient de la bibliothèque royale de Philippe V, enrichie par les confiscations de bibliothèques nobiliaires au début du XVIIIe siècle (spécialement celles des ducs de Mondejar et d’Uceda), par les désamortissements au siècle suivant (qui font entrer dans les collections nationales les bibliothèques de chapitres et monastères importants) et par les achats de bibliothèques de particuliers (comme celles de Pascual de Gayangos ou du duc d’Osuna y del Infantado).
L’importance et la variété de la collection de manuscrits médiévaux rend vaine l’énumération des trésors qu’elle rassemble. La pièce la plus ancienne est le Códice de Metz, une compilation carolingienne de traités de comput et d’astrologie[1]. Mais les deux pièces les plus précieuses, du point de vue de l’importance symbolique et de leur rôle dans les représentations de l’hispanité, sont incontestablement le Codex de Ferdinand Ier et Doña Sancha et le Poema del Cid.
Beato de Fernando Iy Doña Sancha, « Le dragon transmet son pouvoir à la bête » (Apocalypse 13, 1-10) [BNE, VITR/14/52, f. 191v]
Le Codex de Ferdinand Ier et Doña Sancha[2] est un Beatus, c’est-à-dire un manuscrit confectionné entre le Xe et le XIIe siècle, contenant, entre autres textes, le Commentaire sur l’Apocalypse composé par le moine léonais de Béatus de Liébana au VIIIe siècle et comportant souvent un cycle d’illustrations développées sur une page ou sur une double page, sur des bandes de couleurs de fond caractéristiques. Trente-huit (avec des fragments) manuscrits de ce type subsistent, dont un seul n’a pas été produit dans la Péninsule ibérique. De cette production typique du nord de l’Espagne médiévale, le Beatus de Ferdinand Ier et Doña Sancha, copié par le scriptor Facundus pour le roi de Léon et sa femme en 1047, se distingue par la richesse de son ornementation. Les feuillets initiaux (f. 10v-17) sont des généalogies rapportées d’un autre manuscrit. Surtout le texte de l’Apocalypse et du Commentaire de Beatus est illustré par une centaine de miniatures mozarabes où les spécialistes discernent des influences romanes, souvent encadrées et disposées dans des bandes horizontales colorées. La vivacité des couleurs, l’expressivité des personnages, la virtuosité de l’enlumineur font de ces images de véritables chefs-d’œuvre de la peinture médiévale.
L’autre vedette de la collection de manuscrits est un petit codex, beaucoup plus fruste que le chatoyant Beato. Il s’agit de l’unique exemplaire conservé du Poème du Cid (El Cantar de mío Cid) [3], le plus ancien poème épique castillan dont on possède un texte presque intégral. On connaît l’histoire de Rodrigo Diaz de Vivar injustement banni par le roi et qui lutte contre les Maures de Valence pour retrouver son honneur et celui de ses filles répudiées par les princes léonais. Le texte transmis est une synthèse de plusieurs versions orales. L’exemplaire est une copie du XIVe siècle d’un texte antérieur, daté de 1207 et lui-même copié par Per Abat (Pierre l’Abbé), d’où le nom de Códice de Per Abat qu’on donne parfois à ce manuscrit. Le grand nombre des corrections et des annotations de mains différentes et la disparition de quelques feuillets sont des retouches relativement anodines au regard du nombre des pages noircies par des produits chimiques au XIXe siècle pour raviver les encres. Le Poema del Cid a été acquis par don en 1960. C’est une des grandes entrées à la Bibliothèque au XXe siècle.
La seule page illustrée du Poema del Cid [BNE, VITR/7/17, f. 31r]. Les deux visages dans la marge droite représentent peut-être ceux de Doña Sol et de Doña Elvira, les deux filles de Rodrigue.
La collection de manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale d’Espagne n’a pas fait l’objet de catalogue séparé. Il existe de nombreux catalogues spécialisés : manuscrits franciscains, manuscrits catalans, manuscrits italiens, manuscrits liturgiques, livres d’heures du XVe siècle, etc. Pour une vue sur l’ensemble de la collection, il faut recourir à l’Inventaire général des manuscrits de la Bibliothèque nationale d’Espagne[4], qui n’est pas un catalogue, qui ne répertorie pas seulement les manuscrits médiévaux et qui ne couvre que les 11000 premiers manuscrits.
María Victoria Salinas Cano de Santayana est chargée du catalogage progressif des manuscrits non référencés à l’inventaire général et de l’intégration des notices dans la base de données en ligne de la bibliothèque. Son travail n’est pas limité aux seuls manuscrits médiévaux mais porte sur tout type de manuscrit hors archives personnelles et fonds spécifiques (arabe, hébreu, etc.). C’est une entreprise de longue haleine à laquelle elle travaille depuis 1997. Après des études de géographie et d’histoire à l’Université Complutense de Madrid et une maîtrise (licenciatura) en Histoire, María Victoria entre à la Bibliothèque nationale en 1992 comme bibliothécaire au département du Proceso técnico, au service de Catalogage et après au service des Périodiques avant d’occuper le poste de jefe de sección de manuscritos antiguos au département des Manuscrits, Incunables et Livres rares, qui consiste principalement dans le catalogage des collections anciennes. Son expertise technique et professionnelle et sa connaissance des fonds et de l’établissement ont conduit María Victoria à donner une série de cours de formation professionnelle aux bibliothécaires de la Bibliothèque nationale ou dans le cadre de programmes ibéro-américains de coopération culturelle ou professionnelle. De la même façon, elle représente le département des Manuscrits au groupe inter-départements de normalisation et au groupe de travail pour l’étude du code de catalogage RDA, tous deux supervisés par le département du Proceso técnico.
María Victoria Salinas Cano de Santayana, responsable des manuscrits anciens à la Bibliothèque nationale d’Espagne
Cette implication dans les organes de définition et de diffusion des pratiques de catalogage dit bien l’importance que María Victoria accorde à la tâche du catalogueur qui, pour routinière qu’elle soit, est une mission essentielle. Au cours de mon stage, j’ai rencontré bien des personnes heureuses de travailler dans le service des Manuscrits, mais aucune ne me l’a dit de façon aussi explicite de María Victoria. Pour l’étudiante qu’elle fut, habituée des salles de lecture, passer de l’autre côté des banques de salle a été comme la réalisation d’un rêve. Elle reconnaît bien volontiers que c’est un luxe de travailler dans une institution aussi prestigieuse, dans la fréquentation quotidienne d’une collection exceptionnelle, à la diffusion du patrimoine bibliographique de l’Espagne. Personne non plus ne m’a semblé aussi ouvertement consciente et fière de la mission qu’elle accomplit. Quand je lui demande, un peu vulgairement, de me décrire en un mot ce que représente pour elle la Bibliothèque nationale, elle me répond qu’un mot n’est pas suffisant ; puis elle insiste pour la définir comme la gardienne du patrimoine écrit et sonore de l’Espagne – sobre façon, un peu institutionnelle mais tout à fait métonymique, de désigner son propre travail !
Notes
MSS/3307, consultable en reproduction numérique sur le site de la Biblioteca Digital Hispánica : http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000122617&page=1
VITR/14/2, consultable en reproduction numérique sur le site de la Biblioteca Digital Hispánica : http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000051522
VITR/7/17, consultable en reproduction numérique sur le site de la Biblioteca Digital Hispánica : http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000036451&page=1
Inventario General de Manuscritos de la Biblioteca Nacional, Madrid : Biblioteca Nacional, 1953-2002, 15 vol. La publication sous forme imprimée de l’inventaire a cessé en 2002. A partir du manuscrit 11001, les notices sont intégrées directement à la base de données de la bibliothèque et consultables en ligne dans le catalogue.
Sergio de Melón Rodilla et les papiers de Rafael del Riego à la Bibliothèque nationale d’Espagne
On finirait par croire qu’il n’y a que des littéraires qui travaillent au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale d’Espagne. Dans les portraits précédents, j’ai présenté trois diplômées en philologie, une latiniste, une hébraïsante, une hispaniste. Voilà enfin le profil un peu différent d’un bibliothécaire aux goûts un peu plus proches de ceux des élèves de l’École.
Sergio Melón Rodilla à son bureau dans la salle de travail du département des Manuscrits
Sergio Melón Rodilla est bibliothécaire au service des manuscrits et incunables où il occupe un poste de jefe de sección de biblioteca (« chef de section de bibliothèque ») qui ici, en dépit de son titre, équivaut pratiquement à celui de catalogueur à la BnF : c’est le même travail de catalogage, de présidence de salle, de réponse aux questions des chercheurs, de préparation des supports techniques des expositions et de responsabilité de certaines visites. Le déroulement de la carrière est identique. Après des études d’archéologie des mondes antiques à l’université de León qui ne le prédisposait pas aux bibliothèques, Sergio intègre la bibliothèque comme auxiliar (magasinier) au Salón general (qui est un peu comme l’ancien « Département des imprimés » parisien) puis au service du site web de la Bibliothèque nationale, et après presque dix ans de métier passe le concours de bibliothécaire et obtient en 2013 son poste actuel aux Manuscrits.
Il y a quatre agents titulaires au service des manuscrits et incunables. Ce petit nombre interdit aux bibliothécaires de s’enfermer dans leur spécialité, ce qui rend le travail sur les fonds extrêmement varié et certainement fort agréable par sa variété. Ainsi Sergio s’occupe principalement des archives personnelles – c’est l’urgence actuelle au département – mais il travaille également à la rétroconversion et à la révision du catalogue des manuscrits grecs[1]. Il préfère cataloguer des manuscrits ou des archives à dimension historique, mais il s’est occupé par exemple des archives du romancier Ángel María de Lera (1912-1984), qui certes évoquent l’histoire de la gauche en Espagne au XXe siècle, mais aussi de la correspondance du critique Guillermo de Torre (1900-1971), familier de Borges, tenant de l’ultraïsme et spécialiste de l’avant-garde. Cette diversité qui pourrait être effrayante, Sergio la vit comme une chance qui lui permet le même jour de parcourir le Beato de Fernando I y Doña Sancha et une lettre dactylographiée du XXe siècle et de jouir d’un point de vue privilégié sur l’immensité des collections.
Lorsque je lui demande quel est le lieu qu’il préfère dans le palais de la bibliothèque, Sergio me répond : « les magasins ». Cela dit beaucoup de l’importance qu’il accorde dans son travail aux papiers, aux collections. Cette priorité accordée au contact quotidien avec les documents explique que pour rien au monde il ne changerait de métier, ni pour un poste plus élevé dans la hiérarchie, ni pour une autre bibliothèque, pas même pour une bibliothèque des Asturies d’où il est originaire – et on n’imagine pourtant pas combien en Espagne est fort (et d’une force inimaginable en France) le sentiment d’appartenance à la région natale. Mais le plaisir de manipuler, de lire et de rendre lisible et accessible des documents anciens de grande valeur ou de premier intérêt vaut tous les attachements, surtout quand, en plus, ces documents rencontrent vos propres curiosités. Sergio, en effet, a plutôt la fibre historienne. Il s’est ainsi fait une spécialité des fonds d’archives relatifs aux acteurs de l’histoire de l’Espagne conservés à la Bibliothèque nationale, comme les papiers de Rafael del Riego qu’il est en train de cataloguer.
Portrait de Rafael del Riego (lithographie de Hippolyte Lecomte, Paris, 1820) [BNE, département des Beaux-Arts, IH/7807/1G]
L’histoire de l’Espagne au XIXe siècle est aussi mouvementée et violente que la nôtre. Qu’elle nous soit en général à peu près étrangère nous la rend encore plus compliquée. On me pardonnera de présenter en quelques lignes, grâce à Sergio, le général Rafael del Riego qui a joué un rôle de premier plan avant et pendant le Triennat libéral (1820-1823), brève période de monarchie constitutionnelle imposée à Ferdinand VII. Riego est né en 1784 dans les Asturies. Fait prisonnier en France pendant la guerre d’Indépendance, voyageant en Angleterre et en Allemagne, il y découvre les idées libérales et s’y initie à la maçonnerie. À partir de son retour en Espagne en 1814, alors que Ferdinand VII restaure la monarchie absolue, Riego conspire pendant plusieurs années pour le rétablissement de la constitution de 1812. Commandant un bataillon de l’armée réunie en 1819 en prévision d’une expédition en Amérique, il se joint à une conspiration de généraux libéraux. Il prend la tête de cette mutinerie après l’arrestation des principaux chefs. Le 1er janvier 1820, il proclame le rétablissement de la constitution dans une déclaration qui est le premier pronunciamiento de l’histoire espagnole[1] et qui aboutit, malgré l’indifférence et les résistances et après plusieurs revers et tentatives d’insurrection en Andalousie, en Galice et à Madrid, à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle en mars 1820. Mais après son entrée triomphale à Madrid, accusé de républicanisme, Rafael del Riego est contraint à l’éloignement dont il ne sort qu’en mars 1822 grâce à son élection aux Cortes generales dont il fut élu président. Mais l’obstruction royale et l’intervention française des « cent mille fils de Saint Louis » eurent raison des trois années d’expérience constitutionnelle et libérale. Arrêté près de Jaén en septembre 1823 après la défaite des troupes qu’il commandait, Riego est exécuté à Madrid en novembre.
Lettre autographe de Rafael de Riego à sa femme au sujet du départ de celle-ci à Londres, datée de Malaga, le 9 septembre 1823, quelques jours avant sa capture [BNE, MSS/20270/38]
Le rôle historique de Rafael del Riego fait de ses papiers une source essentielle pour l’histoire du début du XIXe siècle espagnol. Conservés et classés par son frère, puis acheté à un de ses descendants par la bibliothèque en 1930, les papiers de Riego sont regroupés sous les cotes MSS/20270/1 à 268 et concernent essentiellement son activité politique et militaire entre 1820 et 1823, ce qui en fait un fond extrêmement cohérent et une source fondamentale pour l’histoire du Triennat libéral. Mis à part les pièces relatives à la famille ou à la carrière du général, on y rencontre principalement deux types de documents, sous forme d’autographes ou de copies contemporaines : d’une part la correspondance passive de Riego, en particulier avec d’autres libéraux comme l’homme politique Agustín Argüelles (1776-1844) ou les généraux Espoz y Mina (1781-1836) et Villacampa (1776-1854), d’autre part les écrits de Riego, mémoires justificatifs, textes de plusieurs déclarations, rapports de type administratif ou militaire. Le fonds permet ainsi à la fois de saisir sur le vif les ressorts individuels et biographiques de l’action d’un personnage de premier plan et d’appréhender le contexte et les relations dans lesquelles elle s’inscrit. Mais au-delà de l’importance du fonds comme source de l’histoire, la figure un peu mythologique de Rafael del Riego comme héros martyr de la liberté dont le portrait est aujourd’hui accroché à la Chambre des députés, qui a donné son nom à l’hymne de la Seconde République[3] et un nom à un mode spécifique de prise du pouvoir, confèrent à ses papiers conservés à la Bibliothèque nationale une importance symbolique et sentimentale, une poésie un peu particulière qui n’est pas sans émouvoir celui qui les catalogue aujourd’hui – comme toujours à la bibliothèque, même sous la poussière des papiers historiques, voilà revenue la littérature !
Notes
Le dernier catalogue imprimé des manuscrits grecs de la BNE est le suivant : Gregorio de Andrés, Catálogo de los Códices Griegos de la Biblioteca Nacional, Madrid : Ministerio de la Cultura, Dirección general del libro y bibliotecas, 1987. Le fonds compte 379 codices. Les plus importants de ces manuscrits proviennent de la bibliothèque du duc d’Uceda confisquée par Philippe V en 1711. Le duc d’Uceda fut vice-roi de Sicile en 1687 mais une révolte le chassa de Palerme en 1698. Il emporta alors avec lui la bibliothèque et les archives de la vice-royauté qui contenaient depuis 1674 la bibliothèque de la cathédrale de Messine. La collection du duc d’Uceda comprenait ainsi un grand nombre de manuscrits grecs d’une très grande valeur, comme la très belle copie enluminée de l’Historia Byzantina de Joannes Scylitza réalisée aux XII-XIIIe siècles (VITR/26/2) ou les manuscrits grecs que Constantin Lascaris (c. 1434-1501) légua à sa mort à la cathédrale de Messine.
La déclaration faite par Riego à Las Cabezas de San Juan (province de Séville) du 1er janvier 1820 n’est pas exactement le premier pronunciamiento de l’histoire espagnole. Le 17 avril 1814, le général Elío (1767-1822) publia une déclaration par laquelle il met ses troupes à la disposition du roi Ferdinand VII tout juste rentré de son exil en France et déterminé à ne pas respecter la condition à son retour exigée par les Cortes : l’acceptation de la constitution de 1812. La déclaration d’Elío est dans les faits le premier pronunciamiento. Mais celle de Riego est la première à être qualifiée de « pronunciamiento » en raison de l’emploi du mot dans le texte même.
Les paroles de l’Himno de Riego ont été écrites par Evaristo San Miguel, soldat ami de Riego, à la suite du pronunciamiento de 1820 ; on ignore le nom du compositeur de la musique. L’hymne fut l’hymne officiel de la monarchie constitutionnelle entre 1822 et 1823, de la Première République en concurrence avec la Marche royale (1873-1874), et de la Seconde République (1931-1939).
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En quête d'archives. The mysterious workshop from Saint-Porchaire during the French Renaissance
Anne-Claire Bourgeon effectue son stage de 4e année à The Frick Collection (New York). Voir la carte des stages
« Le sphinx de la curiosité »[1].
Comme je vous l'indiquais dans mon précédent article, ma mission principale consiste à faire des recherches sur la céramique de Saint-Porchaire, dont le musée possède quelques modèles. Je m'occupe donc d'étoffer le dossier scientifique de ces objets en vue d'une prochaine exposition.
Bien qu’elle ait été le sujet d’exposition et de publications[2], la céramique de Saint-Porchaire demeure énigmatique. Localisation de l’atelier, identité des artisans, sphère des protecteurs : les données fondamentales sont encore sujettes à discussion.
Reconnaissable par sa couleur blanche et ses décors raffinés, la céramique de Saint-Porchaire fut fabriquée dans la première moitié du XVIe siècle pour une clientèle issue de la haute noblesse[3]. Dès leur création, ces objets eurent une fonction décorative et non utilitaire. Ils ont leur place dans un cabinet de curiosité, ou sont exposés occasionnellement, mais sont rarement considérés comme du mobilier de cuisine. C’est du moins ce que suggèrent les inventaires qui mentionnent coupes et autre aiguières « en terre de Saint-Porchaire ».
Recueil de toutes les pièces connues jusqu’à ce jour de la faïence française dite de Henri II et Diane de Poitiers, dessinées par Carle Delange, Henri et Carle Delange, 1861
Un temps qualifiée de faïence des Valois, attribuée même à des artistes italiens tels Della Robbia ou Giulio Romano, cette céramique est aujourd’hui indissociable du nom de Saint-Porchaire[4], et s’est vue confirmée son identité française. On doit l’appellation à Edmond Bonnaffé, un historien du XIXe qui retrouve leur trace dans des inventaires après décès, notamment celui de François de la Trémoïlle[5]. Toutefois les indications ne sont pas suffisantes pour déterminer la localisation du ou des ateliers de fabrication. On parle souvent dans les inventaires de « terre de Saint-Porchaire », ce qui ne confirme pas que les œuvres aient été conçues là-bas. L’atelier pouvait en effet utiliser la terre de Saint-Porchaire, réputée pour sa couleur blanche[6], tout en étant établi à Paris. Reste que les heureux possesseurs de cette céramique sont presque tous des familles établies dans le Poitou au XVIe siècle. Il y a quelques années, la piste d’un atelier parisien a été relancée lorsque des fouilles aux Tuileries ont mis au jour, dans l’atelier de Bernard Palissy, des moules aux motifs ressemblant étrangement à ceux de la céramique de Saint-Porchaire. Bernard Palissy, le célèbre auteur des rustiques figulines, pourrait-il être l’émailleur de la dite céramique ? Des questions de datation empêchent qu’il en soit l’instigateur, mais il aurait très bien pu reprendre l’atelier. Vous l’aurez compris, la céramique n’a pas livré tous ses secrets.
Retour aux sources
Aujourd’hui le corpus compte environ soixante-dix œuvres, réparties dans les collections privées et publiques. Si l’on a pu suivre le parcours de certaines depuis le XIXe, retracer leur itinéraire depuis la Renaissance est affaire plus compliquée. Dans un premier temps, je suis chargée d’établir un état des sources : indiquer où sont conservés les inventaires après décès qui mentionnent avec certitude la céramique de Saint-Porchaire. Mais je suis aussi à la recherche de nouvelles pistes dans les archives. Deux limites confinent ma recherche : celle du cercle de la clientèle, puisqu’il ne s’agit que de familles nobles, et celle du cadre géographique : je me contente des différents départements du Poitou, et bien sûr de Paris.
Détail de décor d’une coupe de Saint-Porchaire aux armoiries des Montmorency-Laval, conservée au Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, NF 422
Il a d’abord fallu identifier et localiser les grands fiefs du Poitou au XVIe siècle. Connaître le nom des familles et des châteaux était essentiel pour savoir que chercher. Cela permettait aussi de dresser une généalogie, d’établir les alliances et les hiérarchies des grandes maisons. Il n’est pas rare en effet que les objets se déplacent : ils peuvent être offerts en cadeaux ou échangés contre des dettes, passer d’une famille à l’autre lors d’un mariage etc.
Parallèlement, j’ai dépouillé[7] les inventaires sommaires des séries E et J dans les différents services d’Archives départementales, espérant trouver des IAD, des comptes de dépenses, ou encore des procès qui pouvaient évoquer le mobilier. Titres de féodalité et fonds privés ont pu m’apporter quelques pistes, de même que les minutes notariales, lorsqu’elles sont conservées.
Une deuxième voie dans cette recherche est l’identification des armoiries apposées sur un petit groupe d’objets. Certaines sont facilement reconnaissables et dirigent mes investigations d’inventaires, d’autres demandent plus de temps. Enfin, je prospecte aussi dans les inventaires après décès des figures parisiennes d’importance sur la période 1530-1570, amatrices d’art et susceptibles d’avoir été des commanditaires.
La bibliothèque de la Frick Collection, et le Met Cloisters (merci à Giana et Bérengère pour les photos)
Pour l’heure, j’ai établi un sorte de guide de recherche : j’ai sélectionné les cotes à consulter et priorisé les dépouillements à faire, en mettant à disposition les inventaires sommaires. J’ai également rassemblé les informations sur les familles poitevines en question. Ce travail est passionnant, et ma seule frustration est de ne pouvoir aller consulter les archives sur place.
Mon cadre quotidien est celui de la bibliothèque de la Frick, une des bibliothèques d’histoire de l’art les plus importantes à New York. Le système de l’Interlibrary loan me permet également de faire venir nombre d’ouvrages conservés sur tout le territoire américain, un véritable atout.
Quant à mes autres activités, elles dépendent du calendrier new-yorkais et de celui du musée. À la fin de la semaine se tiendra par exemple la TEFAF, « the world’s leading fair for arts, antiques and design », une foire internationale où s’exposent les antiquaires, et où chacun vient faire son marché. J’ai la chance de pouvoir y aller en compagnie de Geoffrey Ripert, l’assistant de conservation de ma directrice de stage, qui m’a chaleureusement accueillie depuis le début.
Notes
Expression de Louis Clément de Ris, « Les faïences de Henri II », Gazette des Beaux-Arts, 1860, 32.
« Une orfèvrerie de terre. Bernard Palissy et la céramique de Saint-Porchaire », exposition au Musée national de la Renaissance, Château d’Ecouen, septembre 1997-janvier 1998 ; Saint-Porchaire Ceramics, Daphne Barbour et Shelley Sturman, National Gallery of Art, Washington, 1996.
Citons les La Trémoïlle ou les Montmorency-Laval.
Localité située dans le département des Deux-Sèvres.
Inventaire dressé en 1553, conservé dans le chartrier de Thouars, Archives Nationales, 1AP/253/*.
La couleur de cette terre est due à la forte présence de kaolin.
J’ai d’ailleurs rencontré des prénoms féminins qui ne semblent plus être à la mode aujourd’hui, tels Gillette, Robinette, Jacquette, Philippe ou encore Bertrande.
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La Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de Russie
Élisabeth Sosson effectue son stage de 4e année à la Bibliothèque nationale de Russie, à Saint-Pétersbourg. Voir la carte des stages
La création de la Réserve des livres rares remonte à la moitié du XIXe siècle et, plus précisément, à l’année 1857. Aujourd’hui, ce département prestigieux conserve près de 70 000 volumes, parmi lesquels figurent notamment le premier ensemble de proto-imprimés russes du pays. Au total, 16 collections occupent les rayonnages de la Réserve. Nous avons choisi d’en présenter quelques-unes.
La Réserve des livres rares, un véritable dédale…
1) Les incunables. Ils sont à l’origine de la naissance de la Réserve, puisque la création de celle-ci résulte de l’extraction des 7 000 incunables conservés par la Bibliothèque nationale du fonds général. Par ailleurs, ces imprimés du XVe siècle, principalement italiens et allemands (telle une édition de l’Histoire de Mélusine de Jean d’Arras), occupent une place de choix, étant conservés dans une pièce spéciale baptisée le « cabinet de Faust ». La décoration de cette salle au nom évocateur est typique de la manière dont la génération romantique se représentait une bibliothèque du Moyen Âge finissant.
Le cabinet de Faust, reliquaire des incunables…
2) Les éditions européennes du XVIe siècle. La Réserve en abrite environ 16 000, issues du Département des imprimés européens. Un va-et-vient constant avec cet autre département de la Bibliothèque s’avère donc indispensable pour remettre cette collection en perspective. Parmi les heureux élus conservés à la Réserve, on trouve par exemple une vingtaine de livres d’heures parisiens enluminés, ou bien un exemplaire de l’Historia de Gentibus Septentrionalibus (ouvrage imprimé à Rome en 1555 par Olaus Magnus) annoté par Le Tasse, l’auteur de la célèbre Jérusalem délivrée.
3) Les publications en alphabet glagolitique. Derrière ce nom exotique pour une oreille française se cache le plus ancien alphabet utilisé par les peuples slaves pour la rédaction des textes liturgiques. Son emploi s’est maintenu jusqu’à l’époque moderne dans quelques régions, en particulier les actuelles République tchèque et Croatie, rétives au cyrillique. Point intéressant : cet alphabet fut aussi bien employé par les orthodoxes que par les catholiques et les protestants ; il n’était donc en rien l’apanage d’une communauté religieuse spécifique. Le fonds conservé par la Bibliothèque nationale a été constituée autour d’une petite collection acquise auprès d’un collectionneur en 1874, dont le joyau est un missel imprimé à Prague en 1483.
Le missel de Prague, premier ouvrage imprimé en caractères glagolitiques, en 1483
4) Les ouvrages en cyrillique. Couvrant une période allant des débuts de l’imprimerie jusqu’à l’année 1801, cette collection riche de quelques 7 000 volumes comprend la totalité des incunables en cyrillique connus. En outre, y sont présentes des éditions du biélorusse Franzisk Skarina (à qui l’on doit l’impression de la première Bible slave à Prague, entre 1517 et 1519) et celles d’Ivan Fiodorov, premier imprimeur russe, décédé en 1583. Enfin, on signalera les nombreux ouvrages issus des presses clandestines contrôlées par les vieux croyants, dissidents religieux hostiles à la réforme de l’Église orthodoxe en 1666-1667.
Une page du psautier d’Ivan Fiodorov (1570)
5) Les témoins de l’orthographe civile. Pierre le Grand, parmi ses nombreuses réformes, n’hésita pas à s’atteler à une modernisation de l’orthographe qu’il imposa, en 1708, aux livres séculiers. Aussi, la Réserve des livres rares compte parmi ses collections les premiers imprimés respectant cette nouvelle manière d’écrire, dont la période de publication s’étend de 1708 à la mort du tzar, en 1725. Décrets impériaux, titres consacrés aux mathématiques, à l’art militaire, à la navigation, mais aussi numéros du premier journal russe, Vedomosti, font par exemple partie de ce fonds.
6) Les pièces relatives à la Commune parisienne. Peut-être inattendue hors de nos frontières, cette collection d’éphémères de toutes sortes fut constituée par Eugène Muntz au moment des événements suivant la défaite de Sedan puis acquise dès 1872 par la Bibliothèque nationale, grâce à l’entremise de Pierre Lavrov, qui était l’un des chefs de file du mouvement révolutionnaire Narodnaia Volia (la Volonté du Peuple). Elle illustre en réalité parfaitement l’intérêt porté par les opposants du tsar aux publications révolutionnaires françaises, que l’on retrouve dans d’autres bibliothèques russes.
La défaite de Sedan déchaîne les opposants au pouvoir de « Napoléon le petit »
7) La bibliothèque de Voltaire, dont nous parlerons plus amplement dans un prochain article car c’est sur cette collection que se concentre mon travail en tant que stagiaire.
8) La collection d’éditions aldines. L’existence d’un tel fonds n’a rien de vraiment original au sein d’un établissement tel que la Bibliothèque nationale, chaque grande bibliothèque ayant pour ambition de réunir la totalité des livres sortis au XVIe siècle des presses vénitiennes d’Aldo Manucci et de ses successeurs. Toutefois, l’une des missions qui m’ont été confiées dans le cadre de ce stage consiste à revenir sur l’inventaire des 900 volumes conservés à la Réserve. Ce document, rédigé dans les années 1950, avait fait l’objet d’une vérification à la fin des années 1980, sans que cette opération n’ait été réitérée par la suite, en dépit des nouvelles acquisitions effectuées. Sous l’égide de l’un des bibliothécaires, il me revient donc de confirmer les identifications proposées dans cet inventaire papier et de le convertir sous format électronique, tout en complétant les informations fournies. Si un tel travail n’a pu être réalisé jusqu’à présent, c’est en partie parce que les bibliothécaires francophones font défaut au sein du personnel ; or, le principal catalogue des éditions aldines a été rédigé en français. Ma tâche première est donc celle d’un traducteur. Cependant, j’ai également à mettre à profit d’autres compétences, allant de la bibliographie matérielle à la paléographie, en passant par la lecture du grec ancien. De fait, une attention particulière est donnée à la lecture des ex-libris présents sur les ouvrages, ainsi qu’à la description et à la datation des reliures ou au signalement de pages manquantes. Ces éléments permettent de mettre en avant la circulation importante de ces ouvrages, très tôt recherchés par les collectionneurs.
Au détour d’un ouvrage surgit Notre-Dame de Smolensk, l’une des icônes les plus vénérées de Russie, au milieu d’autres figures moins solennelles…
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“General Register House”, le siège historique des National Records of Scotland
Sophie Gauthier effectue son stage de 4e année aux National Records of Scotland. Voir la carte des stages
Tout comme Marie Taupiac l’année dernière, j’effectue mon stage de quatrième année aux National Records of Scotland. Réparties entre différents bâtiments, les archives écossaises ont d’abord été conservées en un lieu unique, General Register House, sur lequel nous nous attarderons aujourd’hui.
Les archives écossaises ont longtemps été gardées dans un bâtiment appelé Laigh Parliament Hall sur le Royal mile, la grande rue qui descend du château d’Édimbourg, où se trouvaient aussi certains documents. Mais à cause de l’humidité de la région, les archives n’étaient pas conservées dans des conditions idéales et le besoin de construire un bâtiment conçu spécialement pour les documents (a proper repository) s’est rapidement fait sentir.
Alors que la New Town d’ Édimbourg sortait de terre, l’architecte Robert Adam fut chargé d’imaginer un dépôt d’archives, financé par £12,000 confisquées aux nobles jacobites. Après quinze années de travaux, General Register House, un temps surnommé « the most magnificent pigeon-house in Europe » (les travaux furent en effet interrompus par le manque de moyens entre 1779 et 1785, laissant le dôme du bâtiment à l’abandon), ouvre ses portes en 1789.
Vue du rez-de-chaussée de la rotonde créée par Robert Adam
Dans les années 1820, le bâtiment a été retravaillé par l’architecte Robert Reid, qui a repris les plans extérieurs d’Adam pour la façade nord, tout en en modifiant les plans intérieurs.
General Register House est donc l’un des plus anciens bâtiments au monde construits en vue de la conservation d’archives, qui plus est toujours en activité. C’est en effet dans cet imposant bâtiment de Princes Street que se trouvent l’Historical Search Room où se rendent les lecteurs souhaitant consulter les archives, la Legal Search Room pour les recherches juridiques, et le Scotland’s People Centre, pour les recherches généalogiques écossaises, ainsi qu’un certain nombre de magasins et de services des National Records. C’est par exemple à General Register House qu’est situé le Scottish Register of Tartans, qui a pour but l’enregistrement des nouveaux tartans créés, afin de préserver et protéger la fierté nationale qu’est cette étoffe.
Vue de la salle des inventaires
Imaginé tout particulièrement pour accueillir des archives, le bâtiment a été construit entièrement en pierre issue de carrières locales, ce qui explique la présence de plafonds voutés jusque dans ses sous-sols. Une seule pièce possède un parquet en bois, la Lord Clerk Register’s Room, où peuvent se réunir des groupes et où des conférences sont parfois organisées. Le visiteur y est accueilli par un grand portrait de Lord Frederick Cambpell, qui fut Lord Clerk Register d’Ecosse de 1768 à 1816, peint par l’écossais Sir Henry Raeburn.
Lord Clerk Register’s Room
En activité depuis plus de deux siècles, General Register House accueille de nombreux documents d’archives. Chaque espace du bâtiment est donc utilisé au maximum pour les stocker.
C’est pour cette raison que les archives nationales d’Écosse (Les National records of Scotland sont nés en 2011 de la fusion des National archives of Scotland et du General Register Office for Scotland) se sont étendues sur différents sites dans Édimbourg et en Écosse, afin de répondre au mieux à leurs missions : preserving the past ; recording the present ; informing the future.
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