#James L. Quartes III
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LE TITANIC AURAIT-IL SURVÉCU S’IL AVAIT FRAPPÉ L’ICEBERG DE FAÇON FRONTALE ?
Nous, historiens, n’aimons pas refaire l’Histoire. Nous n’aimons pas travailler avec des conjectures ; des « et si ». D’une part parce qu’à notre connaissance, même si des scientifiques de haut niveau tels que Albert EINSTEIN ou Max PLANCK ont théorisé, avec des formules mathématiques, la possibilité de voyager dans le temps, ceux-ci demeurent encore, dans la pratique, en 2021, encore impossibles[i].
D’autre part, parce que nous, historiens, sommes des scientifiques qui travaillons à l’aide d’une méthodologie qui fait de l’Histoire une science. Et refaire celle-ci avec des « et si » est tout sauf scientifique. Cependant, comme la théorie de « l’iceberg de plein fouet » est une idée fort populaire, nous avons accepté néanmoins de l’explorer.
Le 14 avril 1912 le TITANIC a abordé un iceberg. Ce fut la pire catastrophe maritime connue à avoir lieu dans l’histoire de l’humanité en temps de paix. Depuis ce triste épisode, et surtout de nos jours, des spécialistes dans des domaines connexes ont étudié tous les aspects du naufrage. Beaucoup de théories ont été mises à jour. L’une d’elle affirme que si le TITANIC avait abordé l’iceberg de front, les dommages auraient été beaucoup moins sérieux, tant au niveau des vies perdues que des dommages matériaux qui ont précipité ce grand navire, moderne, pour l’époque, au fond de l’océan Atlantique. Mais cette théorie aurait-elle eu cet avantage d’empêcher le liner de sombrer ? L’officier de quart, William McMaster MURDOCH aurait-il été capable de laisser son navire aborder cette masse de glace de front ou est-ce un réflexe tout à fait humain de donner « le coup de roue » comme le ferait automatiquement un conducteur de nos jours si un obstacle se trouvait devant son chemin ?
Selon les tenants de cette théorie, si le navire avait continué sur son cap, à la même vitesse, et si son équipage était resté passif lorsque Frederick FLEET, l’une des vigies de quart ce soir-là, a téléphoné à la passerelle pour dire qu’il y avait un « iceberg droit devant ! », il n’y aurait eu que 3 compartiments étanches qui aurait été inondé, mais le navire de la WHITE STAR LINE aurait été en mesure de rester à flot et gagner Terre-Neuve au Canada – voire New-York – et débarquer ses passagers en toute sécurité. Le TITANIC aurait ainsi pu être réparé aux États-Unis, puis retourner en Europe où, remis en cale sèche dans sa « pouponnière », là où il a été construit, chez HARLAND & WOLFF, à Belfast, il aurait été remis à neuf tout comme le chantier naval l’a fait en 1911 pour son jumeau, lorsque l’OLYMPIC s’est fait aborder par le HMS HAWKE, un navire de la Royal Navy, le 20 septembre 1911.
Mais cette version parallèle du naufrage du TITANIC lui aurait-il permis de sauver ses passagers et son équipage ?
Voyons d’abord ce qui s’est passé dans la vraie vie :
Le TITANIC, dimanche 14 avril 1912
Il était autour de 23h40. Le premier officier William McMaster MURDOCH, 38 ans, officier senior de quart en ce dimanche 14 avril 1912, était déjà dans la chambre de veille[ii] tribord, où il semblait avoir déjà aperçu[iii] la montagne de glace qui se dressait sur la route du TITANIC. Au même moment, trois coups de cloche se firent entendre, sonnés par Frederick FLEET, qui aussitôt du nid-de-pie saisit le téléphone pour appeler la passerelle où le jeune officier junior de 24 ans, James Paul MOODY[iv] répondit « Qu’est-ce que vous avez vu ? »
- Un iceberg ! Droit devant ! » Hurla presque FLEET.
MURDOCH se précipita vers la timonerie, cria « Barre à bâbord toute ! » à l’endroit du quartier-maître HITCHENS qui était à la barre, puis il mit les télégraphes des deux moteurs à « stop », puis probablement à « marche arrière »[v] afin que la salle des machines puisse exécuter les ordres reçus.
De cette façon, MURDOCH a fait faire à l’énorme paquebot ce qui s’appelle, en termes marins, une giration en balayage, qui fait en sorte que le navire pivote autour de son centre de gravité. Lors de cette manœuvre, le navire fait une rotation autour de son centre de gravité – ce centre de gravité est généralement autour de la quille d’un navire – ce qui provoque un mouvement giratoire de la poupe dont la vitesse la pousse à l’extérieur de la courbe de la giration, tandis que la proue est envoyée vers l’intérieur. Faire une telle manœuvre signifie que l’obstacle à éviter est à l’intérieur du cercle de giration. En peu de mots, le premier officier a tenté de faire en sorte que la proue se décale vers la gauche pour éviter l’iceberg, et que la poupe le contourne. Cependant, la giration provoque en elle-même un freinage qui augmente avec l’angle de barre qu’on lui donne alors. MURDOCH avait de plus déjà fait faire une marche arrière qui avait freiné davantage le navire. Il se peut que ça ait joué un rôle dans l’échec de cette manœuvre. Échec car comme on le sait, la proue n’a pas évité l’iceberg comme son premier officier l’espérait, mais elle l’a raclé de façon telle que le frottement entre les deux masses compactes et solides, a fait des « égratignures » sur la coque du navire. Certaines ont été profondes, d’autres l’ont moins été. Mais les blessures du navire se résument à six égratignures dont la plus petit était de cinq
pieds, et la plus grande, de 45 pieds. C’est d’ailleurs cette dernière qui a condamné le navire – et bien sûr ses 1500 passagers qui y ont perdu la vie. Sans cette dernière, le TITANIC aurait survécu car les compartiments 4, 5 et 6 n’auraient pas été inondés.
Suite à cet abordage de l’iceberg, même si la deuxième chose sur laquelle s’est précipité MURDOCH était le bouton de fermeture des portes étanches dans la timonerie, les dommages étaient tels que six compartiments étanches ont été inondés, tandis que selon sa conception, le navire n’aurait pu survivre qu’avec 4 compartiments étanches inondés.
Les passagers, dans l’ensemble, et les membres d’équipage n’ont pas ou presque pas eu connaissance du choc entre le navire et l’iceberg. Pour certain, ce ne fut qu’un lointain grondement ; pour d’autres, ce ne sont que des verres posés sur des tables qui ont légèrement tremblés. Peu ont déclaré s’être rendu compte de quelque chose, exception faite des chauffeurs, mécaniciens et soutiers qui travaillaient dans les soutes à charbon, dans les chaufferies ou dans la salle des machines, tels que Frederick BARRETT et l’un des mécaniciens, Jonathan SHEPHERD. Les deux hommes étaient en train de discuter ensemble, lorsqu’ils ont vu l’eau se ruer avec une très grande force dans la salle de chauffe numéro six, et les emporter, avant que les deux hommes aient pu se ressaisir, se relever, avant de prendre les échelles d’urgence pour évacuer eux-mêmes en prenant l’échelle d’urgence qui leur permettait d’atteindre la passerelle métallique qui permettait au personnel de passer de l’une à l’autre des salles de chauffe en passant par-dessus les cloisons étanches de chacune. Il était également possible, par ces échelles, de gagner « Scotland Road », la coursive la plus large du navire, qui menait aux chambrées des mécaniciens, stewards, chauffeurs, et soutiers, ainsi qu’à celles des troisièmes classes.
Pour plusieurs personnes sur le TITANIC qu’ils aient été passagers ou membres de l’équipage, la genèse de la catastrophe n’a pas débuté avec un choc important, mais plutôt avec l’arrêt complet du navire, quelques instants après l’abordage, au moment où le capitaine SMITH, auparavant dans ses appartements pour se reposer, a surgi sur la passerelle afin de demander à son premier officier ce qu’il se passait, avant de faire arrêter le navire une première fois[vi].
Notons au passage que jusqu’à l’abordage de l’iceberg en tant que tel, personne sur le navire n’avait alors perdu la vie. Cependant, il est possible que le tout premier homme à perdre la vie, probablement le 14 avril 1912, soit quelques heures avant les autres, serait l’assistant 2e mécanicien junior Jonathan SHEPHERD qui après s’être échappé avec BARRETT de la chaufferie numéro 6, s’est rendu dans la chaufferie numéro 5 pour y installer les pompes de cales pour expulser l’eau, mais n’a pas vu un trou normalement recouvert, dont la grille avait été laissée levée, et qui s’est brisé la jambe. BARRETT et le mécanicien Herbert HARVEY, assistant 3e mécanicien, ont tous deux amené SHEPHERD dans la salle des pompes, cependant, peu de temps après, une cloison a cédé et l’eau s’est ruée en très grand débit. Incapable de bouger – et probablement avait-il été laissé sur le plancher – il a dû se noyer très rapidement.
Maintenant, voyons la théorie selon laquelle si MURDOCH aurait réagi en ne faisant rien, si le TITANIC aurait pu s’en tirer et garder tous ceux qui y étaient embarquées en vie, et ainsi retourner à Halifax de façon sécuritaire.
TITANIC : 14 avril 1912, dans une réalité alternative.
Il était autour de 23h40. Le premier officier William McMaster MURDOCH, 38 ans, était l’officier senior de quart en ce dimanche 14 avril 1912. Déjà, il était dans la chambre de veille[vii] tribord où il semblait avoir déjà aperçu la montagne de glace qui se dressait sur la route du TITANIC. Au même moment, trois coups de cloche se firent entendre, sonnés par Frederick FLEET, qui aussitôt, du nid-de-pie, saisit le téléphone pour appeler la passerelle où le jeune officier junior de 24 ans, James Paul MOODY répondit « Qu’est-ce que vous avez vu ? »
- Un iceberg ! Droit devant ! » Hurla-t-il.
MURDOCH se précipita vers la timonerie et saisit la poignée du télégraphe à l’attention de la salle des machines, et la mit à « renverse ». Le quartier-maître Robert HITCHENS, à la barre, tourna la tête et croisa le regard du premier officier, interrogateur, afin de savoir s’il devait tourner la roue. « Ne faites rien ; ne modifiez pas le cap et tenez-vous bien ! » le prévint-il, avant de donner la même directive à MOODY qui n’est pas très loin de lui. Il saisit ensuite le téléphone, et appela la salle des machines. Aussitôt, Joseph BELL, mécanicien chef du navire, répond et lui demande « Que se passe-t-il, monsieur ?
- Nous allons aborder un iceberg dans quelques secondes, l’étrave la première pour éviter que des compartiments étanches ne soient inondés. Faites évacuer les salles de chauffe 5 et 6 le plus rapidement possible !
- Vous êtes certain de vouloir faire ça, monsieur ?
- Oui!
- Ça va brasser, monsieur, et je ne suis pas sûr que…
- … Oui, BELL, mais la cloison d’abordage devrait tenir le coup. Après tout, elle est là pour palier à un abordage avec un autre navire, donc un iceberg ne devrait pas représenter une grande difficulté !
- Certainement, monsieur. Elle a empêché certains navires de couler en 1909, alors elle nous aidera ! »
- Vous ne préféreriez pas consulter monsieur ANDREWS ?
- Pas le temps ! »
Quelques secondes plus tard, le TITANIC entre en abordage avec la masse de glace, à une vitesse d’environ 18 Nœuds, la marche arrière l’ayant quelque peu freiné, de 22,5 Nœuds à 18 Nœuds. Lors de l’impact, le grand navire est stoppé sec.
Mais avant de continuer plus avant notre exposé, voyons un peu de physique de base.
Les lois de la physique de notre planète veulent que tout corps en mouvement emmagasine de l’énergie. On peut d’ailleurs sentir celle-ci lorsque nous nous arrêtons de façon abrupte après avoir couru ou marché rapidement : quelque chose nous pousse encore vers l’avant juste au moment où nous nous arrêtons. Cette énergie, que l’on appelle « énergiecinétique » doit absolument se dissiper lors de l’arrêt.
Dans le cas d’une voiture, le système de freinage est conçu de façon telle que cette énergie est « attirée » vers le système de freinage pour ensuite se dissiper. Cependant, lorsqu’un corps, tel qu’une voiture, s’arrête brusquement (lors d’un accident de la route, à titre d’exemple), cette énergie n’utilise pas les freins pour se dissiper, mais plutôt ce qui offre le moins de résistance, tel que le conducteur, raison pour laquelle les gens se blessent, parfois mortellement, lors des accidents de la route. De nos jours, les voitures sont faites de pièces qui se détachent facilement, ce qui permet la fuite de l’énergie cinétique dans la voiture plutôt que dans le conducteur, raison pour laquelle les voitures d’aujourd’hui sont beaucoup plus sécuritaires que celle dans les années 70.
Le TITANIC, quant à lui, avait accumulé de l’énergie cinétique lorsqu’il voguait sur l’océan à la vitesse de 22,5 Nœuds, soit un peu plus de 40 km/h. Et cette énergie, quoiqu’elle ait eu les joints de dilatation pour se disperser quelque peu, il n’empêche qu’elle se propage à partir du point d’impact jusqu’à la poupe du navire. Certes, la cloison d’abordage, qui est la toute première cloison transversale dans un navire et qui lui sert de « pare-choc », parvient à réduire un peu cette énergie cinétique, mais celle-ci se propage néanmoins tout au long du navire, de la proue à la poupe, et cela étant, fait sauter les rivets de la coque, disjoint les plaques d’acier qui servent de virures, là où celles-ci n’a pas été doublées, c’est-à-dire au-dessus du tournant du bouchain.
Cette onde de choc, tel un tremblement de terre lointain qui vient vers nous tambour battant, transforme les hommes, les femmes et les enfants en poupées de chiffons. Sur la passerelle, HITCHENS se casse le bras et la mâchoire sur la roue qu’il tenait, quelques secondes auparavant. MURDOCH et MOODY sont projetés sur la cloison avant et meurent sur le coup d’une fracture du crâne. Quant au capitaine SMITH qui remontait de ses quartiers, il subit une fracture de la nuque en tombant le dos sur la plaque de roue et, incapable de bouger, se noie lorsque l’eau commence à monter.
Dans le Restaurant à la Carte, le Café Parisien, bien sûr fermés, et la salle à manger des premières classes sur le pont D, les tables et les chaises tombent au sol. La vaisselle, préparée pour le lendemain matin, se brise. Beaucoup de passagers, endormis dans leurs cabines, sont surpris dans leur sommeil et plusieurs d’entre eux tombent au sol. Les enfants s’en sortent relativement bien pour la plupart, mais beaucoup de leurs aînés se cassent bras et jambes. Quelques-uns, blessés plus gravement, décèdent.
Dans le ventre du navire, l’eau s’engouffre rapidement d’un peu partout tout le long de la coque, vu la séparation des plaques d’acier tout au long du navire sur la ligne d’eau. Dans les six salles de chauffe, s’engouffre l’équivalent de 3 piscines olympiques à la minute, sans parler du choc qui a jeté à terre plusieurs chaudières tubulaires dont plusieurs ont tué net les chauffeurs et soutiers qui ont eu le malheur de se trouver sur leur chemin.. Certaines autres explosent au contact de l’eau froide, tuant d’autant plus d’hommes, ou en blessant certains de façon à ce qu’ils ne puissent pas s’en sortir.
Mais plus grave encore, lors de l’impact, la proue du navire s’est déformée : le gaillard d’avant, le pont aux puits (et avec lui le mât et le nid-de-pie) se sont enfoncés dans le navire et sont à présent rendus à quelques pieds de la passerelle. Le mât des vigies Reginald LEE et Frederick FLEET, qui avaient vu l’iceberg les premiers, tombe sur la passerelle et enfonce son toit et sa devanture. Les vigies sont tuées sur le coup. Le fil de télégraphie sans fil, qui allait d’un mât à l’autre, est aussi jeté au sol, empêchant les opérateurs d’envoyer un ultime message de détresse.
Plus grave encore, tous les marins accrédités qui se détendaient dans leur mess ou leur salle à manger avant leur prochain shift; le charpentier et son adjoint, ainsi les chauffeurs et soutiers ; deux-tiers des passagers de troisième classe et quelques cabines de première classe, sont tous écrasés et tués sur le coup.
Le TITANIC prend l’eau si rapidement, qu’il est quasiment impossible pour l’équipage restant de préparer, basculer et amener les canots de sauvetage – d’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont été projetés à l’eau sous le choc, d’autres ont éclatés sur leurs bossoirs ou encore sur les apparaux du navire et sont devenus inutiles, tout comme ceux dont le câblage s’est rompu et qui se sont retrouvés à la mer, vides et à la dérive. Pour certains autres, les poulies et palans ont été si abîmés qu’il n’est plus possible de les utiliser. ; quelques-uns ont néanmoins survécu, mais avec la panique des habitants de cet hôtel flottant, qui découvrent sans cesse de nouveaux morts au fur et à mesure qu’ils pataugent dans l’eau montante dans les aires communes, il n’est pas certain que quiconque puisse grimper dedans.
Un peu partout sur le TITANIC, la panique s’installe, puisque le géant des mers est plongé dans le noir depuis l’inondation de la salle de turbines, quelques secondes après le choc initial. Les gens se chicanent, se poussent, se battent. Dans la salle Marconi, BRIDE et PHILLIPS tuent un soutier[viii] qui essaie de voler le gilet de sauvetage de ce dernier. Et ce n’est pas le seul homicide qui se passe sur le navire.
La télégraphie sans fil ne fonctionne plus, vu le bris des câbles de mâts, et l’inondation rapide de la salle des turbines, et PHILLIPS et BRIDE n’ont pas eu le temps d’envoyer quel que message de détresse que ce soit. Personne ne sait que le plus grand liner au monde est en train de giter dangereusement – plus de 15° -- et que très peu de ses passagers et membres d’équipage réussiront à le quitter en toute sécurité. Néanmoins, le second officier LIGHTOLLER réussit à mettre 3 canots à l’eau, aidé de marins qui étaient déjà sur le pont des embarcations au moment de l’impact, et n’ont fait que tomber au sol, loin de tout objet qui auraient pu les blesser ou les tuer. Environ 300 personnes parviennent à s’y r��unir et embarquer dans l’un des canots pouvant encore être mis à la mer.
Mais personne ne sait qu’ils sont en perdition.
Le TITANIC coule au bout de 20 minutes, aussi rapidement que le feront le LUSITANIA et l’EMPRESS OF IRELAND 2 ans plus tard, couché sur son flanc comme son jumeau le BRITANNIC, et disparait au fond de l’Atlantique, incognito.
Le 18 avril au soir, à New-York, on remarque son absence. Des navires sont affrétés et d’autres liners qui passeront sur la même voie navigable que le TITANIC était connu pour avoir emprunté, et les recherches commencent, mais demeurent vaines. Seuls quelques canots sont retrouvés, dont celui du second officier LIGHTOLLER, qui git au fond, mort de faim et de soif, tout comme les hommes, marins accrédités, matelots, et chauffeurs qui s’étaient enfuit avec lui.
Aucun survivant du TITANIC n’est retrouvé. Seuls quelques débris attestent de sa présence. À New-York, Southampton, et Liverpool, aux bureaux de la WHITE STAR LINE, on réclame les assurances et on ferme le dossier « TITANIC » avec la mention « Perdu corps et biens en mer », comme les compagnies maritimes l’avaient fait si souvent au cours des siècles passés.
On ignorera tout de la catastrophe, jusqu’en 1985 où le Dr. BALLARD retrouvera l’épave, la proue accidentée, renfoncée et très abîmée, et des trous énormes sur la coque. On en déduira qu’un iceberg avait sans doute été à l’origine du naufrage, mais comme personne n’avait pu témoigner, et qu’il n’y avait eu aucune Commissions d’Enquête, on ne pourra jamais en être certains.
Des spécialistes du XXIe siècle enquêtent sur le terrible naufrage qui aura fait 2 200 victimes, et très tôt, selon le rapport, on affirme que si le premier officier MURDOCH, en apercevant l’iceberg, avait réagi en tentant de faire une manœuvre d’évitement, il n’y aurait pas eu autant de victimes.
Autour de… 709 ; peut-être le double tout au plus…
Voilà donc ce qui aurait pu se passer si MURDOCH avait choisi de laisser le navire entrer de plein fouet dans l’iceberg fatal. Bien sûr, ici, on a dû extrapoler, mais on l’a fait à partir de bases scientifiques.
Cependant, retenons que c’est ici une « réalité alternative » qui n’a jamais existée.
Mais si l’on sait maintenant que le premier officier a fait du mieux qu’il pouvait pour éviter le naufrage – et a sûrement cru y être arrivé – jusqu’à ce que Thomas ANDREWS, l’architecte naval qui a conçu et bâti le TITANIC, à qui on a demandé de venir constater les avaries autour de minuit trente, déclara que le navire, qu’on le veuille ou non, finirait sa courte vie sur le plancher océanique.
Pour MURDOCH, cela a dû être un énorme choc. Le soulagement a très certainement fait place à la culpabilité, et ainsi tourmenté ses dernières heures de vie, mais nous savons aujourd’hui qu’il a fait pour le mieux, avec l’expérience qu’il avait des navires modernes, et surtout de celles du mammouth de 46 000 tonnes qu’il pilotait, long de 269 mètres, pouvant embarquer plus de 3000 passagers et presque 1000 membres d’équipage. Le problème, c’est que le premier officier n’avait pas été formé à les piloter, car il avait fait ses études d’officier naval à une époque où des bateaux de moins de 10 000 tonnes ne pouvaient embarquer que 500 passagers et 150 membres d’équipage, et ne fonctionnaient pas à la vapeur, pour la plupart, mais à la voile. Sa seule erreur avait été de vivre sa passion à une époque où la technologie maritime avançait trop rapidement, et où la formation continue – comme c’est le cas de nos jours – était tout à faite étrangère aux mentalités de l’époque.
MURDOCH et ses pairs avaient appris à conduire une diligence ; on leur confia une Formule 1 sans préavis.
Et en conclusion, il faut bien se le dire : qui d’entre nous, au volant d’une voiture, choisirait de percuter de plein fouet un obstacle d’importance qui se dresserait au milieu de notre route ? Ferions-nous ce choix délibérément, ou donnerions-nous le coup de roue qui permettrait d’éviter cet obstacle ?
Probablement que ferions-nous le même choix que le premier officier du TITANIC.
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NOTES DE FIN DE DOCUMENTS ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[i] Les deux scientifiques mentionnés ci-haut ont tous deux dit que le voyage dans le temps est de façon théorique tout à fait possibles. Toutefois, deux obstacles demeurent : premièrement, il nous faudrait voyager à plus de 300 000 km/h – ce qui avec la gravité terrestre est substantiellement impossible : il y aurait implosion dans le corps de celui qui s’embarquerait dans une telle aventure – ensuite, nous ignorons si la trame historique réelle serait bel et bien changée (à savoir, si nous nous retrouverions dans le passé en 1940, si par exemple nous nous retrouverions en pleine Deuxième Guerre mondiale et pourrions rencontrer grand-papa revenant du front, ou si nous nous retrouverions simplement dans un environnement comme actuellement. Cependant, à cette question certains ont commencé à affirmer qu’effectivement il serait possible de revoir nos parents adolescents ou d’aller visiter notre arrière-grand-mère à 20 ans, puisque plusieurs témoins ont affirmé, alors qu’ils marchaient tranquillement à Liverpool en 2015 qu’ils ont été éblouis par une lumière très forte et très blanche, après quoi la seconde d’après le port près duquel ils marchaient était remplis d’hommes et de femmes habillés comme à l’époque Edwardienne; que les grands paquebots, contemporains du TITANIC, avec leurs 4 cheminées étaient amarrés, les fiacres les dépassaient au trot de chevaux infatigables et certains bâtiments d’époque, qui n’étaient pas là quelques minutes après, surplombaient le port très achalandé. L’anglais qu’ils entendaient parler n’était pas tout à fait le même non plus. Puis une autre éclair blanche aveuglante, puis les voitures sont réapparues, les gens étaient de nouveau vêtus comme au XXI è siècle et les vieux bâtiments, probablement détruits dans les raids aériens de la Seconde Guerre mondiale, étaient disparus au profit de bâtiments tout neufs. Si EINSTEIN parlait de voyages dans le temps possibles grâce à une très haute vitesse, Max PLANCK, en ce qui le concernait, parlait plutôt de cette possibilité comme étant possible grâce à des « trous de vers », c’est-à-dire, plus simplement, que selon lui le temps n’était pas continu en ligne droite comme on le représente souvent, mais plutôt chaque époque seraient parallèles les unes aux autres, et l’on peut concevoir alors ces « trous de vers » comme des portes pour passer de l’une à l’autre. Ces portes, on y passerait grâce à des endroits sur Terre très chargés en magnétisme, comme ce fut probablement le cas sur la jetée de Liverpool. Ces « portes » se déplaceraient et parfois certaines personnes y seraient projetées, tel que ce fut le cas pour ces gens qui ont témoigné dans le cadre d’un documentaire, « Unexplained Files ». Toujours selon cette théorie, les extraterrestres avec leurs soucoupes spatiales qui viendraient nous voir, seraient en fait des « intra terrestres » du futur qui auraient trouvé le moyen de déterminer là où ces portes seraient et comment y entrer.
[ii] La chambre de veille sur le TITANIC était une petite cabine qui était de petite dimension (pouvait contenir qu’un homme ou deux – quoique tassés – et faite carrée. Sa partie côté mer dépassait légèrement du navire. Elle était fermée sur trois côtés mais de la passerelle il n’y avait ni cloison ni porte pour y accéder. Elle permettait à l’officier de quart de mieux voir l’intégralité du côté du navire, pour les manœuvres d’accostage ou d’appareillage, le plus souvent. Sur le TITANIC il y avait une chambre de veille du côté bâbord et du côté tribord. Une célèbre photo prise par le Père BROWN montre la chambre de veille tribord, et celle-ci a été prise en contre bas, si bien que l’on voit la tête du capitaine SMITH qui regarde en bas, lors des manœuvres d’accostage à Queenstown (aujourd’hui Cobh) en Irlande.
[iii] Cette théorie est néanmoins contestée par certains chercheurs. Il était certes dans la chambre de veille tribord, mais est-ce parce qu’il avait déjà vu l’iceberg, ou est-ce un hasard ? S’y serait-il précipité lorsqu’il entendit FLEET dans le nid-de-pie (rappelons que le son voyage très bien et très rapidement sur un plan d’eau) sonner les trois coups de cloche (la signification de ces trois coups était connu de tous les marins, du simple matelot, au marin accrédité, et bien sûr, encore plus les officiers seniors et bien sûr juniors. Ils signifient « obstacle devant le navire » cependant, cela ne dit pas la nature exacte de cet obstacle. Il peut s’agir d’un récif, un rocher, d’un navire – fantôme (nombreux à l’époque), d’un autre bateau peu importe le type ou bien sûr, un iceberg. Le nid-de-pie, après avoir sonné ces trois coups de cloche, doit ensuite appeler la passerelle pour prévenir les officiers de quart quelle est la nature de cet obstacle. Ce qui a été fait cette nuit-là.
[iv] MOODY n’a pas survécu au naufrage. Ce fut le seul dans le groupe d’officiers juniors.
[v] Pendant un certain temps les experts débattirent entre eux en se demandant si MOODY avait bel et bien mis les moteurs à renverse. Cependant, au cours des dernières années, ce débat a été tranché : les moteurs furent bel et bien mis à renverse. Cependant un autre débat a surgi : cela a-t-il été fait avant ou après l’abordage ? Néanmoins, beaucoup d’entre eux se rangent du côté de Frederick BARRETT, chauffeur chef de la sixième salle de chauffe, là où la plus longue égratignure faite par le iceberg a été faite, et seule personne a avoir été présente dans la salle des machines au moment de l’avarie, et à avoir survécu. Celui-ci a témoigné que les moteurs avaient été renversés après que le navire ait percuté l’iceberg.
[vi] Peu de temps après le navire allait repartir, mais pour très peu de temps. Devant l’ampleur de la catastrophe, le capitaine SMITH le fera arrêter une deuxième fois, et cette fois, ces moteurs à la fine pointe de la technologie de 1912, n’allaient plus jamais repartir de nouveau.
[vii] La chambre de veille sur le TITANIC était une petite cabine qui était de petite dimension (pouvait contenir qu’un homme ou deux – quoique tassés – et faite carrée. Sa partie côté mer dépassait légèrement du navire. Elle était fermée sur trois côtés mais de la passerelle il n’y avait ni cloison ni porte pour y accéder. Elle permettait à l’officier de quart de mieux voir l’intégralité du côté du navire, pour les manœuvres d’accostage ou d’appareillage, le plus souvent. Sur le TITANIC il y avait une chambre de veille du côté bâbord et du côté tribord. Une célèbre photo prise par le Père BROWN montre la chambre de veille tribord, et celle-ci a été prise en contre bas, si bien que l’on voit la tête du capitaine SMITH qui regarde en bas, lors des manœuvres d’accostage à Queenstown (aujourd’hui Cobh) en Irlande.
[viii] Un tel meurtre s’est très certainement passé sur le TITANIC, puisqu’un soutier s’est fait assommer par les deux opérateurs après qu’il ait essayé de voler le gilet de sauvetage de PHILLIPS alors que ce dernier l’avait déjà enfilé. Il était alors environ 02h17 et les deux jeunes hommes quittèrent ensuite la salle Marconi pour se rendre sur le pont des embarcations. Moins de 5 minutes plus tard, le navire sombrait définitivement. Il est donc surprenant que le soutier, jamais identifié, ait pu quitter le navire.
RÉFÉRENCES :
1) web “Science ABC”, consulté le 1er mai 2021.
2) ASHISH, Would The TITANIC Have Survived If it Had Collided Head On With The Iceberg ?, s.-d ; s.-l , 6p.
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Un sens inné de la psychologie, des situations et du mélange des genres. Tout est dans Shakespeare. L'auteur élisabéthain a façonné l'univers des séries télé. De la scène à l'écran, les allers-retours sont incessants. Et le vertige assuré.
Avez-vous remarqué ? Les séries télévisées sont de plus en plus shakespeariennes. Dans les pages de Télérama, l'épithète surgit dès avril 2000 à propos des Soprano, la fresque mafieuse de David Chase. Elle s'appliquera ensuite à Profit, Rome, Deadwood, Game of thrones, Boss, House of cards… De l'avis de Sylvaine Bataille, maître de conférences en littérature et cinéma des pays anglophones à l'Université de Rouen (1), l'adjectif fonctionne d'abord comme « un outil de légitimation culturelle : on l'appose comme un sceau, une garantie de qualité » sur des œuvres qui n'ont gagné que récemment leurs lettres de noblesse.
Au vu des séries concernées, Sylvaine Bataille perçoit aussi la « construction commune d'un Shakespeare associé à des personnages de méchants flamboyants et histrioniques, comme Richard III, de femmes manipulatrices et ambitieuses, comme lady Macbeth, et des intrigues complexes qui tournent autour de la conquête et de la préservation du pouvoir. S'y ajoute, pour les Français, l'idée que la série va loin dans la violence, le macabre et la sauvagerie ».
Ce sont parfois les créateurs qui revendiquent le prestigieux label. Kurt Sutter, créateur de Sons of anarchy, revisite ouvertement Hamlet avec un gang de bikers californiens en guise de famille royale du Danemark. Frank Underwood, le congressman prédateur de House of cards, affiche sa filiation avec le « héros » de Richard III et l'Iago d'Othello, dans l'habileté qu'il met à détruire sa famille politique, comme dans ses apartés avec un spectateur complice.
Pas de hasard non plus dans les ressemblances entre l'affrontement des Stark et des Lannister dans Game of thrones, et celui des Yorks et des Lancastres chez Shakespeare : « La série de pièces sur la guerre des Deux-Roses m'a autant fasciné et influencé que le conflit en lui-même. Richard II, Henri IV, Henri V, Henri VI et Richard III constituent une véritable saga sur cette période », confie George R.R. Martin, auteur des livres devenus série culte, dont le leitmotiv, « l'hiver arrive », renvoie un écho troublant au début d'Henri VI : « Cieux, tendez-vous de noir/Jour, fais place à la nuit »…
L'extraordinaire plasticité du matériau shakespearien peut ménager des surprises à ceux qui s'en réclament… ou le repoussent. Fahrad Safinia a placé sa série Boss sous le parrainage du Roi Lear, mais la manière obsessionnelle dont Tom Kane, maire mafieux de Chicago, s’agrippe à son poste, évoque plutôt la folie d’un Macbeth.
Et quand Bruno Heller et John Milius, créateurs de Rome, affirment ne rien devoir à Jules César ou à Antoine et Cléopâtre, arguant de ce qu'ils s’intéressent moins aux puissants qu’au petit peuple, leur série ne s'en retrouve pas moins « hantée par Shakespeare », selon Sylvaine Bataille (2), parce que les comédiens, presque tous britanniques, parlent anglais, prononcé d’une façon « qui évoque la manière dont les acteurs shakespeariens savourent les mots », et que le machiavélisme ambiant, l'usage d’un langage fleuri, la violence et la crudité des situations, tissent un lien direct entre la Rome de HBO et celle du dramaturge anglais.
Si l'on ne s'attache qu'aux citations, Shakespeare est partout dans les séries, depuis les répliques et titres d'épisodes de Star Trek jusqu'à la relecture (pentamètres iambiques inclus) de La Mégère apprivoisée dans Clair de lune. Bien connaître l'œuvre originale permet de mieux goûter le sel de ce jeu de piste érudit. Dans Lost, Sarah Hatchuel, professeur de littérature et de cinéma anglophones à l'Université du Havre (et auteure de Lost. Fiction vitale, PUF 2013) a ainsi décelé quantité d'allusions à La Tempête (à commencer par le crash aérien, qui se substitue au naufrage inaugural) et aux autres « romances » shakespeariennes, Cymbeline, Périclès et Le Conte d'hiver. Pour elle, Lost est « la série la plus shakespearienne qui soit, parce qu'elle explore l'idée que la fiction et la réalité se hantent et se construisent mutuellement ». Paradoxalement, ce feuilleton se nourrit de tant d'influences que l'hommage a pu y passer inaperçu en France, où les critiques citaient plutôt Jules Verne, Daniel Defoe… et Koh-Lanta.
Thématiques transposables à l’infini
De toute évidence, le caractère shakespearien des séries s'accroche à quelque chose de plus viscéral que les signaux envoyés par des créateurs cultivés. Evacuons la piste du langage : Shakespeare écrivait pour être compris du public de son temps, et son style n'est repris que dans Deadwood, western crépusculaire rempli de tirades aux résonances élisabéthaines, obscénités comprises. Les thématiques, en revanche, semblent transposables à l'infini.
« Tout est shakespearien, puisque tout est dans Shakespeare ! Il a tout compris, pensé l'âme humaine, et presque anticipé les choses », s'amuse Sarah Hatchuel. « [Son] œuvre est devenue la mythologie du XXIe siècle […] Quand on fait allusion à Hamlet, les plus lettrés pensent mélancolie, introspection, folie, inceste, indécision et inhibition. Othello évoque la jalousie et le manque d'assurance ; Macbeth, lui, la peur et l'ambition ; Le Roi Lear, la bêtise, la sénilité et le regret », proposent de leur côté James R. Keller and Leslie Stratyner (3).
Il faudrait surtout revenir aux sources du théâtre shakespearien. « Shakespeare n'écrit pas de littérature, mais du langage en mouvement, sans faire de hiérarchie entre les cultures populaire et savante », rappelle David Bobee, directeur du Centre dramatique national de Haute-Normandie.
Les séries non plus ne trient pas leur public, aussi large qu'hétéroclite… et prompt à zapper s'il s'ennuie. « Le théâtre élisabéthain est très concurrentiel, les auteurs et les troupes luttent pour exister, explique Thomas Jolly, metteur en scène attaché au Théâtre national de Bretagne. Au théâtre du Globe, le public est debout, à ciel ouvert. Les dramaturges vont déployer une capacité d'invention folle pour le retenir, en lui offrant des rebondissements tous les quarts d'heure, en tordant les événements historiques pour qu'ils lui parlent encore plus… Le cinéma et les séries ont repris cet art de l'entertainment. »
Copier-coller
Et la méthode n'a guère évolué, à commencer par la reprise de récits éprouvés : « Shakespeare a fait du copier-coller sans vergogne, par exemple avec les Chroniques d'Angleterre de Hall et Holinshed. C'était un grand adaptateur, il remettait déjà au goût du jour des romans et des pièces à succès. Ceux qui le recyclent font juste muter des histoires qui plaisent depuis des milliers d'années », souligne Sarah Hatchuel.
Autre ingrédient commun, l'hybridation des genres et des tonalités. Les séries naviguent à plaisir entre le soap, la comédie et le drame, de même que « Shakespeare fait le grand écart entre l'intime et le grandiose. Son langage met à égalité le sublime et le grotesque, et la violence s'y mélange à l'humour », note le metteur en scène Cédric Orain, fondateur de la compagnie La Traversée (4). A quatre siècles d'écart, on retrouve le recours au sexe et à la violence (Game of thrones fait pâle figure auprès de Titus Andronicus), l'insertion du fantastique (les fantômes dans Hamlet et Six Feet under)… et une narration dynamique, qui s'abstrait de la règle des trois unités.
Cinéaste avant l'heure, Shakespeare ? Sans nul doute. Mais aussi showrunner. Comme le relève Sylvaine Bataille, la notion de sérialité apparaît déjà dans les trois pièces consacrées à Henri VI, transformées en tétralogie avec Richard III, avant que Shakespeare en écrive le « prequel » (Richard II, Henri IV et Henri V) et invente le « spin-off » en tirant Falstaff d'Henri IV pour en faire le héros des Joyeuses Commères de Windsor…
Le legs le plus précieux repose sur la complexité et la profondeur données aux personnages. Ce qui passionne chez Walter White, le petit prof devenu criminel de Breaking bad, ou Patty Hewes, la terrible avocate de Damages, dérive en droite ligne de ce qui nous captive chez les Macbeth. « Les personnages shakespeariens sont dépassés par quelque chose qui les habite, qui est trop puissant pour eux. Il y a toujours un moment où leur incarnation devient hystérique, excessive, et cet excès part toujours d'un endroit de vérité, analyse Cédric Orain. Comme lady Macbeth, qui voit du sang sur ses mains et finit par se tuer. Comme le tueur en série de Dexter, qui mène une vie bien rangée de bourgeois américain. Quand il découvre sa femme morte dans une baignoire pleine de sang, il y trouve aussi le miroir du monstre qui est en lui. Cette scène, c'est exactement la phrase de Macbeth : "Le sang veut du sang." »
Les braves gens ne le sont jamais complètement. Et les plus maléfiques ont leurs faiblesses, ce qui nous conduit à ne pas les haïr tout à fait. Il en va ainsi de Richard III, complexé par sa difformité, et même de l'abominable Aaron (Titus Andronicus), attendri par son bébé, comme des mafiosi, dealers ou politiciens qui peuplent les séries modernes. Et s'il s'agit surtout de figures tragiques, c'est parce que les comédies sont moins faciles à transposer.
« Pour rire d'une plaisanterie, il faut avoir l'environnement culturel qui va avec, convient Sarah Hatchuel. Mais certains archétypes ont très bien circulé, notamment les scènes où les hommes et les femmes se disputent tout en s'aimant. On peut retrouver le couple Béatrice et Bénédict de Beaucoup de bruit pour rien dans les screwball comedies des années 40. Cela a laissé des traces dans des séries comme X-Files, et peut-être des sitcoms comme Friends, où l'on retrouve ces tensions entre amour, rapports de genre et jeux de pouvoir. »
Des séries qui inspirent
Depuis quelques années, le phénomène s'est renversé : ce sont les metteurs en scène shakespeariens qui s'inspirent des séries télé. En 2010, David Bobee et sa compagnie Rictus montaient Hamlet dans un décor de morgue, en référence aux croque-morts de Six Feet under, moins dans l'idée d'en jumeler les héros que de fournir « des codes de représentation populaires et immédiatement compréhensibles ». Et l'Américain Tal Aviezer proposait à New York une Tempête farcie de références à Lost, avec avion écrasé et flash-back en pagaille.
« Jules César et Antoine et Cléopâtre ont été sérialisés dès le début du XXe siècle par des metteurs en scène qui les donnaient ensemble, avec des acteurs récurrents. Maintenant, on fait des marathons. En 2009, à Avignon, Ivo Van Hove a monté trois pièces romaines sur six heures, d'une façon qui évoquait 24 Heures chrono », remarque Sarah Hatchuel.
En 2014, l'un des événements d'Avignon fut l'époustouflante intégrale d'Henri VI, redécoupée par Thomas Jolly et sa compagnie, La Piccola Familia, en deux cycles (ou saisons), divisés en « épisodes » pourvus d'imparables cliffhangers et d'une irrésistible « Rhapsode » chargée de résumer les épisodes précédents et d'accompagner le spectateur pendant quelque dix-huit heures. « Un vrai binge-watching (5) théâtral ! » s'amuse Thomas Jolly, ravi de voir les spectateurs « réserver plus vite pour l'intégrale que pour les épisodes. Comme s'ils avaient besoin de traverser ensemble une œuvre ».
Pour les metteurs en scène sérievores d'aujourd'hui, la proximité des systèmes de narration s'explique aussi par celle des époques qui les ont vus naître. « Nous ne retenons de la Renaissance que les progrès accomplis, mais il faut imaginer à quel point cette période a dû être violente et désenchantante, ajoute Thomas Jolly. Nous vivons dans le même type de société en mouvement, dans un monde à réinventer, avec ce que cela engendre de peur, d'angoisse et d'excitation. Et nous avons, nous aussi, besoin de revenir à de grands récits initiatiques. »
« Le sentiment d'impuissance devant le devenir du monde, le besoin d'en chercher les outils de compréhension, tout cela est très contemporain et très shakespearien », confirme David Bobee. Pour lui, le petit écran, bien utilisé, n'a fait qu'enrichir la boîte à outils du Barde : « Là où la télé-réalité nous fait croire à un monde qui n'existe pas, le théâtre, la littérature, le bon cinéma et les séries, en assumant la fiction, ne nous offrent pas tant un point de vue sur le monde qu'une possibilité d'en saisir la complexité. »
(1) Elle est aussi la responsable scientifique de Guest (Groupe universitaire d'études sur les séries télévisées) Normandie. (2) Sylvaine Bataille, « Haunted by Shakespeare : HBO's Rome » (in Television Shakespeare. Essays in honour of Michèle Willems, dir. Sarah Hatchuel et Nathalie Vienne-Guerrin, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2008). (3) Almost Shakespeare. Reinventing his works for cinema and television (2004). (4) Il a adapté « très librement » Macbeth en 2013 sous le titre The Scottish Play. (5) Pratique compulsive consistant à visionner d'une traite plusieurs épisodes, voire l'intégralité d'une série.
Quand William ramène sa fraise A qui Shakespeare doit-il ses meilleures tirades ? Au Dr Who, bien sûr, venu le visiter… en 1599. Vous n'y croyez pas ? Vérifiez vous-même. Toutes les preuves sont là, dans un épisode de cette série SF so british, intitulé « The Shakespeare code ». Cette aventure en terre élisabéthaine est un vrai festival de clins d'œil au Maître. Etre ou ne pas être… un héros de fiction. Telle est la question, résolue par de nombreuses séries, qui « invoquent » le grand homme en personne, barbe, pourpoint et fraise inclus. Chez les Anglo-Saxons, Shakespeare, c'est Dieu, ou presque. C'est l'air que tout le monde respire depuis les bancs de l'école. De quoi donner à certains des envies de vengeance. Comment Rowan Atkinson célèbre-t-il sa rencontre fortuite avec l'auguste William, dans la série anglaise Blackadder. Back and forth ? En lui balançant son poing dans la figure : « Ça, c'est pour tous les élèves des quatre cents prochaines années ! » Et hop, une seconde baffe : « Et ça, c'est pour l'interminable version de Hamlet par Kenneth Branagh ! » Représentant – presque à lui tout seul – de la « haute culture », le pauvre William en voit de toutes les couleurs : réinventé en artiste crève-la-faim dans la série américaine Happy Hour Sketch Comedy. Obligé de se « clasher » en rappant avec le Dr Seuss (si, si !) dans Epic Rap Battles of History, ou encore transformé en zozo de dessin animé dans Les Simpson. Mais c'est dans un épisode de La Quatrième Dimension qu'il subit le pire outrage : rappelé à la vie par un auteur hollywoodien cynique grâce à la magie noire, il sert de nègre pour rédiger des scénarios bidon. Hélas ! Pauvre Yorick.
Cécile Mury
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