#A Bout of Divertissement (Musings)
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circumdatanocte · 4 years ago
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art poétique, nicolas boileau (1701)
Chant I 
C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur / Pense de l’art des vers atteindre la hauteur : / S’il ne sent point du ciel l’influence secrète, / Si son astre en naissant ne l’a formé poète, / Dans son génie étroit il est toujours captif : / Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.”
“Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces, / Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.”
“Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime / Méconnaît son génie et s’ignore soi-même.”
“Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime, / Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime : / L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ; / La rime n’est qu’une esclave, et ne doit qu’obéir.”
“Aimez donc la raison ; que toujours vos écrits / Empruntent d’elle seule et leur luxe et leur prix.”
“Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux, / S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.”
“Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir, / Le chemin est glissant et pénible à tenir : / Pour peu qu’on s’en écarte aussitôt on se noie. / La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.”
“Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile, / Et ne vous chargez point d’un détail inutile. / Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ; / L’esprit rassasié le rejette à l’instant. / Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. / Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire.”
“J’évite d’être long, et je deviens obscur”
“Voulez-vous du public mériter les amours, / Sans cesse en écrivant variez vos discours. / Un style trop égal et toujours uniforme / En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme. / On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer, / Qui toujours sur un ton semblent psalmodier. / Heureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère / Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !”
“Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse / [...] Au mépris du bon sens, le burlesque effronté / Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté : / On ne vit plus en vers que pointes triviales ; / Le Parnasse parla le langage des halles”
“Le plus mauvais plaisant eut des approbateurs”
“Que ce style ne souille jamais votre ouvrage. / Imitons de Marot l’élégant badinage, / Et laissons le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf.”
“Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art, / Sublime sans orgueil, agréable sans fard. / N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. / Ayez pour la cadence une oreille sévère : / Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots, / Suspende l’hémistiche, en marque le repos. / Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée / Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée. / Il est un heureux choix de mots harmonieux. / Fuyez des mauvais sons les concours odieux : / Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée / Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.”
“Enfin Malherbe vint, et le premier en France, / Fit sentir dans les vers une juste cadence, / D’un mot mis à sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la muse aux règles du devoir. / Par ce sage écrivain la langue réparée / N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.”
“Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber”
“Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle / Aux auteurs de ce temps sert encore de modèle. / Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté, / Et de son tour heureux imitez la clarté.”
“Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, / Mon esprit aussitôt commence à se détendre, / Et, de vos vains discours prompt à se détacher, / Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.”
“Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. / Selon que votre idée est plus ou moins obscure, / L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. / Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément.”
“Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin, / Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. / Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse / Et ne vous piquer point d’une folle vitesse”
“J’aime mieux un ruisseau [...] / Qu’un torrent débordé [...]”
“Hâtez vous lentement ; et, sans perdre courage / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : / Polissez-le sans cesse et repolissez ; / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.”
“Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; / Que le début, la fin, répondent au milieu ; / Que d’un art délicat les pièces assorties / N’y forment qu’un seul tout de diverses parties”
“Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? / Soyez à vous-mêmes un sévère critique. / L’ignorance est toujours prête à s’admirer. / Faites-vous des amis prompts à vous censurer. / Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères, / Et de tous vos défauts les zélés adversaires.”
“Mais sachez de l’ami discerner le flatteur : / Tel vous semble applaudir qui vous raille et vous joue. / Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue.”
“Un saga ami, toujours rigoureux, inflexible, / Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible.”
“Et, pour finir enfin par un trait de satire / Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.”
Chant II
“Telle, aimable en son air, mais humble dans son style, / Doit éclater sans pompe une élégante idylle.”
“Entre ces deux excès la route est difficile. / Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile : / Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés, / Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.”
“Dans un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace, / La plaintive élégie en longs habits de deuil / Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.”
“Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux, / C’est peu d’être poète, il faut être amoureux. / Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcée / M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée”
“Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines”
“Ce n’était pas jadis sur ce ton ridicule / Qu’Amour dictait les vers que soupirait Tibulle”
“Il faut que le coeur seul parle dans l’élégie”
“L’ode, avec plus d’éclat, et non moins d’énergie, / Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux, / Entretient dans ses vers commerce avec les cieux. / [...] Son style impétueux souvent marche au hasard. / Chez elle un beau désordre est l’effet de l’art.”
“On dit, à ce propos, qu’un jour ce dieu bizarre [Apollon] / Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois, / Inventa du sonnet les rigoureuses lois / [...] Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer, / Ni qu’un mot déjà mis osa s’y remontrer.”
“Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.”
“L’épigramme, plus libre en son tour plus borné, / N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.”
“Chaque mot eut toujours deux visages divers”
“La raison outragée enfin ouvrit les yeux, / La [la pointe] chassa pour jamais des discours sérieux ; / Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme / Par grâce lui laissa l’entrée dans l’épigramme, / Pourvu que sa finesse, éclatant à propos, / Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots. / Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.”
“Ce n’est pas quelquefois qu’une muse un peu fine / Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine, / Et d’un sens détourné n’abuse avec succès ; / Mais fuyez sur ce point un ridicule excès, / Et n’allez pas toujours d’une pointe frivole / Aiguiser par la queue une épigramme folle. / Tout poème est brillant de sa propre beauté.”
“L’ardeur de se montrer, et non pas de médire, / Arma la Vérité du vers de la satire.”
“Lucile le premier osa la faire voir, / Aux vices des Romains présenta le miroir, / Vengea l’humble vertu, de la richesse altière, / Et l’honnête homme altier, du faquin en litière.”
“Horace à cette aigreur mêla son enjoûment ; / On ne fut plus ni fat ni sot impunément ; / Et malheur à tout nom, qui, propre à la censure, / Put entrer dans un vers sans rompre la mesure !”
“Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants, / Affecta d’enfermer moins de mots que de sens.”
“Juvénal, élevé dans les cris de l’école, / Poussa jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole. / Ses ouvrages, pleins d’affreuse vérité, / Étincellent pourtant de sublimes beautés. / [...] Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.”
“De ces maîtres savants disciple ingénieux, / Régnier seul parmi nous formé sur leurs modèles, / Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.”
“Je veux dans la satire un esprit de candeur, / Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.”
“Le Français, né malin, forma le vaudeville”
“Toutefois n’allez pas, goguenard dangereux / Faire Dieu le sujet d’un badinage affreux. / [...] Il faut, même en chanson, du bon sens et de l’art. / Mais pourtant on a vu le vin et le hasard / Inspirer quelquefois une muse grossière / Et fournir, sans génie, un couplet à Lignière.”
Chant III
“D’un pinceau délicat, l’artifice agréable / Du plus affreux objet fait un objet aimable.”
“Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs / D’Oedipe tout sanglant fit parler les douleurs, / D’Oreste parricide exprima les alarmes / Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.”
“Que dans tous vos discours la passion émue / Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue.”
“Le secret est d’abord de plaire et de toucher : / Inventez des ressorts qui puissent m’attacher / Que dès les premiers vers l’action préparée / Sans peine du sujet aplanisse l’entrée. / Je me ris d’un acteur qui, lent à s’exprimer / De ce qu’il veut, d’abord ne sait pas m’informer, / Et qui débrouillant mal une pénible intrigue / D’un divertissement me fait une fatigue.”
“Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué. / Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué.”
“Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.”
“Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable / Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. / Une merveille absurde est pour moi sans appas : / L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.”
“Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose. / Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ; / Mais il est des objets que l’art judicieux / Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux.”
“Que le trouble, toujours croissant de scène en scène, / A son comble arrivé se débrouille sans peine.”
“Sophocle enfin, donnant l’essor à son génie, / Accrut encore la pompe, augmenta l��harmonie, / Intéressa le chœur dans toute l’action, / Des vers trop raboteux polit l’expression, / Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine / Où jamais n’atteignit la faiblesse latine.”
“Bientôt l’amour fertile en tendres sentiments, / S’empara du théâtre ainsi que des romans. / De cette passion la sensible peinture / Est pour aller au cœur la route la plus sûre. / Peignez donc, j’y consens, les héros amoureux : / Mais ne formez pas des bergers doucereux / [...] Et que l’amour, souvent de remords combattu / Paraisse une faiblesse et non une vertu. / Des héros de roman fuyez les petitesses / Toutefois aux grands cœurs donnez quelques faiblesses”
“Conservez à chacun son propre caractère. / Des siècles, des pays, étudiez les mœurs. / Les climats font souvent les diverses humeurs. / Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie, / L’air, ni l’esprit français, à l’antique Italie.”
“Mais la scène demande une exacte raison, / L’étroite bienséance y veut être gardée.”
“Souvent sans y penser un écrivain qui s’aime / Forme tous ses héros semblables à soi-même : / Tout à l’humeur gasconne en un auteur gascon. [...] La nature est en nous plus diverse et plus sage / Chaque passion parle un différent langage.”
“Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez. / Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez.”
“Un auteur n’y [au théâtre] fait pas de faciles conquêtes ; / Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes. / Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ; / C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.”
“Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir, / De son ouvrage en nous laisse un long souvenir. / Ainsi la Tragédie agit, marche et s’explique.”
“Là [dans la poésie épique] pour nous enchanter tout est mis en usage ; / Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage.” (Minerve, Vénus, Jupiter, Neptune, Echo, Narcisse, Enée, Junon, Eole)
“C’est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache. / Sans tous ces ornements, le vers tombe en langueur, / La poésie est morte, ou rampe sans vigueur ; / Le poète n’est plus qu’un orateur timide, / Qu’un froid historien d’une fable inspirée.”
“La fable offre à l’esprit mille agréments divers : / Là, tous les noms heureux semblent nés pour leurs vers”
“Ô le plaisant projet d’un poète ignorant, / Qui de tant de héros va choisir Childebrant ! / D’un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre / Rend un poème entier, ou burlesque ou barbare !”
“Voulez-vous longtemps plaire, et jamais ne lasser ? / Faites choix d’un héros propre à m’intéresser, / En valeur éclatant, en vertus magnifique : / Qu’en lui jusqu’aux défauts, tout se trouve héroïque ; / Que ses faits surprenants soient dignes d’être ouïs ; / Qu’il soit tel que César, Alexandre ou Louis, / Non tel que Polynice et son perfide frère. / On s’ennuie aux exploits d’un conquérant vulgaire.”
“N’offrez point un sujet d’incidents trop chargé. / Le seul courroux d’Achille, avec art ménagé, / Remplit abondamment une Iliade entière. / Souvent trop d’abondance appauvrit la matière.”
“Soyez vif et pressé dans vos narrations / Soyez riche et pompeux dans vos descriptions. / C’est là qu’il faut des vers étaler l’élégance. / N’y présentez jamais de basses circonstances.”
“Donnez à votre ouvrage une juste étendue. / Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté.”
“Que produira l’auteur après tous ces grands cris ? / La montagne en travail enfante une souris.”
“Sa muse en arrivant ne met pas tout en feu, / Et pour donner beaucoup, ne nous promet que peu.” (247)
“De figures sans nombre égayez votre ouvrage / Que tout y fasse aux yeux une riante image : / On peut être à la fois et pompeux et plaisant ; / Et je hais un sublime ennuyeux et pesant. / J’aime mieux Arioste et ses fables comiques, / Que ces auteurs toujours froids et mélancoliques, / Qui dans leur sombre humeur se croiraient faire affront / Si les Grâces jamais leur déridaient le front.”
Homère : “Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce : / Partout il divertit et jamais il ne lasse. / Une heureuse chaleur anime ses discours : / Il ne s’égare point en de trop longs détours.”
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