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mypenguinmoon-blog · 7 years ago
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Je suis grognon
Antonin, tu nous les brises.
Tu nous les brises menu, Antonin, mais je veux être indulgent et ne pas douter ici de ton amour pour le vin – encore que, s’il le fallait bien sûr, je pourrais, l’air de rien, suggérer aux rares pelés qui s’apprêtent à lire ce billet qu’aimer sans savoir, c’est aimer sans s’intéresser et qu’aimer sans s’intéresser, c’est baiser sans souci de procurer le moindre plaisir à ses camarades de jeu.
Car, vois-tu, tout le problème est là, Antonin.
Tout le problème est là.
  Ces chroniques de punk à chien que, j’ose dire, pour le malheur de tous ceux que tu désinformes, tu nous livres à intervalle régulier depuis quelques années afin de défendre et le « nature » et le « naturel » et « l’éthique » et « bla-bla-bla » face au grand méchant « conventionnel » – chimique et sournois va sans dire – sont à œnophilie sincère, je te le dis comme je le pense, mon pauvre ami, ce que la pornographie de caniveau la plus déplorable est à l’authentique plaisir de l’étreinte : un mensonge aussi grossier que cynique, un outrage impardonnable.
 Alors évidemment, tu me diras, je le sais, que tu t’adresses à un public de néophytes, à un public ignorant des choses du vin, un public jeune et citadin, connecté, complotiste et friand de tes diatribes, et qu’il convient, pour faire du clic, de le nourrir de raccourcis manichéens, de caricatures sectaires et de « fake news » à vocation pédagogique ; tu me diras que tu vulgarises, que tu défriches, que tu ouvres la voie ; tu me diras que tu inities et que si, touchée par la grâce miraculeuse d’une « punchline » bien brutale, une seule de tes ouailles se détourne de la grande distribution pour s’en aller, docile, sucer un irréprochable artisan moustachu, le pari est gagné.
Et tu n’as pas totalement tort.
 Note bien ces mots : tu n’as pas « totalement » tort.
 Car j’ai beau être œnologue, je l’avoue sans détour au risque d’être, misérable que je suis, tondu à la libération, j’ai beau avoir étudié la chimie du vin, car tout est chimie, tu ne l’ignores pas, j’ai beau avoir travaillé à Bordeaux, en Alsace, en Champagne, au Chili et même dans le Val de Loire, j’ai beau avoir manipulé le soufre et réactivé, d’année en année, quelques sachets de levures sèches, j’ai beau connaître l’intérêt des enzymes et le secret des collages, j’ai beau avoir utilisé, parfois, un spectrophotomètre ou, pour un dosage d’anthocyanes, avoir fait circuler de tube en pipette de l’acide chlorhydrique et du bisulfite de sodium sur la faïence d’une paillasse, je suis moi aussi, ne t’en déplaise, cher Antonin, partisan d’un certain laisser-faire. La nature, la plupart du temps, se débrouille très bien seule. Nul besoin de la pousser au cul comme une quelconque salope indisciplinée, nul besoin de la policer au tonfa des blouses blanches, de l’enrichir en ceci, de l’appauvrir en cela et, sévère, de la corriger pour ses manquements idiots. Je sais tout cela. Je sais aussi, et probablement mieux que toi, crois-moi, le dangereux virage de la chimie pris au champ plus qu’au chai dans le courant des années soixante, je sais le caractère grotesque de la multiplication des traitements, et pire, des traitements préventifs, devenus au fil du temps aussi automatiques que la prescription d’antibiotiques à la première toux ; je sais, puisqu’à juste titre, on en parle beaucoup ces jours derniers, le glyphosate et bien d’autres encore, car, oui, je connais les matières actives et leurs adjuvants ; j’ai étudié par simple comptage, je te rassure, la progression des populations de quelques parasites communs en vue de les contenir et je maîtrise, grands dieux, l’effrayant concept de pression cryptogamique, tu vois ? J’en ai vu des vertes et des pas mûres… Et je n’ai pas plus que toi de sympathie pour les pesticides, les insecticides, herbicides et fongicides, qui filent, dit-on, de méchants cancers aux pauvres diables chargés par une hiérarchie, assurément national-socialiste, de pulvériser en douce, à la scélérate, d’innommables poisons à proximité des écoles maternelles.
 Leurs sales produits, c’est vrai, se retrouvent dans nos pinards.
Tu n’as pas totalement tort.
 Et pour autant, tu me les brises, Antonin.
Tu me les brises menu avec ta suffisance de petit blogueur, qui, entre deux dégustations à la Maroquinerie, propage la peur et l’ignorance – et l’ignorance surtout, dont découle la peur. J’en ai marre que tu fasses le « buzz » sur les réseaux sociaux en assénant avec toute l’assurance que te confère ton inqualifiable cuistrerie, les contre-vérités et les amalgames qui font le sel et le piment de tes interventions mesquines. J’en ai marre que tu fasses de notre petite scène pinardière nationale le ring bling-bling, où, pour ton seul profit, s’affrontent Rocky Balboa et l’autre, tu sais, Ivan Drago, l’Américain gentil et le méchant Russe soviétique, ou, pour filer la métaphore, le juste qui s’entraîne « nature » en courant dans la neige et en coupant du bois avec courage, avec amour, avec abnégation et le fourbe, artificiellement gonflé en laboratoire par un aéropage de savants fous à grand renfort de machines mystérieuses et d’injections malhonnêtes. Non, mais attends… Sérieusement, tu crois toi-même aux conneries que tu racontes ? Tu t’entends ? Tu t’écoutes ? Tu devrais, je crois. Ça t’éviterait de raconter n’importe quoi.
 Ça t’éviterait notamment d’estimer qu’il suffit à quiconque de jeter un coup d’œil rapide et distrait à ce fameux Codex, qui fixe les limites du possible et que tu sembles avoir pris en grippe, pour affirmer que les vins que boivent communément l’essentiel de nos congénères, les tiens, les miens, toi, moi nous, contiennent jusqu’à soixante-dix intrants. Ça t’éviterait ce genre d’énormité, tu vois ? Parce que je te le dis sans animosité : aucune vinification, aucune, je vais même te l’écrire en majuscule, AUCUNE vinification ne requiert l’usage de soixante-dix additifs. Aucune. Jamais. Nulle part. Ce que tu décris n’existe pas ; et je te mets au défi de me prouver le contraire. Car de la pire des piquettes conditionnée en Tetrapack et résultant de l’assemblage de différents vins possiblement frelatés de la Communauté Européenne, jusqu’au Grand Cru Classé de Bordeaux – pourtant parfois bien « techno » de nos jours – et même en passant par les plus « travaillés » des jus déréglementés d’outre-Atlantique, d’outre-Atlantique ou d’ailleurs, je ne veux stigmatiser personne, aucun vin, entendez-moi bien, amis lecteurs, entends-moi bien, ami Tonio, AUCUN vin, jamais, nulle part, n’a nécessité pour son élaboration le recours à soixante-dix additifs – ni à soixante-dix, ni à soixante, ni à cinquante, ni à dix d’ailleurs : ce serait un contresens œnologique, ce serait un contresens économique, dans la mesure où chaque manipulation exige un achat, une compétence et de la manutention et ce serait donc, pour le dire en peu de mots comme en trop, une insulte lancée à la plus rustique des intelligences.
 Alors, parlons pesticides, d’accord. C’est un problème grave. Et qui mérite d’être traité avec sérieux – pas comme tu le fais. Parlons étiquetage, si tu le veux, c’est certes un demi-problème, que dis-je un demi-problème, un dixième, un centième de problème, que, sans scrupule, tu instrumentalises éhontément afin de faire accroire à un public ingénu que les docteurs Mengele et Frankenstein, associés pour l’occasion à Ben Laden, revendent en douce un cocktail d’huile de vidange, de farines animales et de débouche-chiotte. Et enfin, parlons goût.  Puisque dès lors qu’il s’agit de pinard, la question du goût se pose fatalement. Et mettons les pieds dans le plat : « nature » ou « naturel » n’est pas synonyme de qualité, d’intégrité et garantie d’enchantement, ou pas plus en tout cas que « conventionnel » n’est synonyme de platitude, d’artifice et promesse d’un abyssal ennui. Présenter les choses de cette manière, au mieux, dénote une ignorance crasse et coupable et au pire, révèle une indicible malhonnêteté, qu’à vue de nez, je situerais à onze ou douze-mille années-lumière du simple parti-pris.    
 Et c’est pour toutes ces raisons, vois-tu, que tu me les casses, mon p’tit Toto. Pour toutes ces raisons et pour une raison plus personnelle que je me dois d’exposer ici et maintenant : car j’aime les vins dits « nature » ou « naturels », quel que soit le nom qu’on leur donne, je les aime sincèrement, oui, j’aime que des vignerons, dont le travail m’inspire la plus grande admiration, littéralement, s’esquintent à respecter les sols, la plante, le fruit et le consommateur en s’interdisant de recourir à la chimie, et rares sont ceux qui, loin des vignobles, savent et comprennent à quel point se tenir à cette contrainte est difficile et parfois risqué ; j’aime aussi, je le confesse, que ces mêmes hommes, fidèles à une ligne exemplaire – que seule la crainte de verser encore dans l’emphase m’interdit de qualifier de philosophie – s’échinent à réinventer leurs façons de vinifier, afin de tirer de leurs moûts la quintessentielle expression de leur terroir, en limitant par exemple les interventions, mais pas nécessairement ou pas seulement, parce qu’un vin « naturel » n’est pas un vin de fainéant : il ne s’agit pas de stocker son raisin en cave et d’attendre en croisant les doigts pour que tout se passe bien. Il s’agit de travailler, de savoir ce qu’autorise le Codex et de maîtriser son sujet, afin de décider en conscience de ce que l’on s’autorise et de ce que l’on s’interdit, il s’agit d’avoir une idée et de poursuivre un but – comme en « conventionnel » soit dit en passant. Alors… Je suis fumasse. Oui, je suis fumasse lorsqu’un guignol, qui s’intéresse au pinard comme je m’intéresse au rock alternatif ouzbek, s’avise de distribuer les bons et les mauvais points sans la moindre nuance et sans explications entre deux quarts de cuite dans le dernier des lieux branchés de la capitale. Oui, je suis fumasse. Et la dernière des mille raisons de mon agacement, je te la livre enfin, cher Antonin : c’est qu’à chaque fois que je t’entends parler de tout cela, c’est qu’à chaque fois que les réseaux sociaux s’emballent et que dix jours durant s’affiche sur mes écrans le titre putassier de ta dernière saillie sous une photo de ta bouille de cancre réjoui, j’ai envie de faire un don à Bayer & Monsanto.
Mais bordel. Que c’est triste !
Non ?
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  Nota bene : Vous serez un certain nombre, je n’en doute pas, à me reprocher de rester anonyme, à me prêter peut-être une certaine lâcheté et à déplorer que je n’assume pas mes opinions en nom propre. Mais je m’en fous. Je suis franc avec vous : je m’en fous. Je n’ai, sachez-le, aucunement l’intention d’engager le débat. Je n’ai aucune intention de répondre aux insultes des uns ou aux compliments des autres. Et je n’ai pas la moindre ambition d’intégrer en qualité de membre actif cette blogosphère, dans l’ensemble assez pathétique, et pour laquelle, l’aviez-vous deviné, je n’ai que peu de tendresse.
  À toutes fins utiles : [email protected]  
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